La Comédie de K. est une pièce de théâtre construite à partir d'une sélection des fragments narratifs de Franz Kafka issu de la ddernière traduction des Œuvres complètes publiées dans la Bibliothèque de la Pléiade en 2018 et 2022.
K., amnésique et sans passé, est catapulté sur scène. Invité à une soirée, il hésite entre rester seul ou rejoindre la société. K. zigzague alors parmi une foule de doubles, chacun â la recherche de plénitude. Tous incarnent au pied levé différents rôles qui les font basculer dans des situations à la fois familières et grotesques, comiques et hallucinées.
La Comédie de K.
Texte : Franz Kafka I Choix des fragments - mise en scène : Frédéric Moulin
Interprétation : Caroline Garnier, Jennifer Yestard, Frédéric Moulin Dramaturgie: Filippo Bruschi
Lumières: Arnaud Barré
Costumes : Léa Deligne
Conseillers littéraires : Stéphane Pesnel, Georges-Arthur Goldschmidt Collaboration artistique : Dick Turner, Claire Pasquier
Note d’intention du metteur en scène
L'humour de Kafka est brutal, visuel et scénique. Son comique est hors du monde utilitaire, c'est non conforme, alors évidemment ça fait rire. Georges-Arthur Goldschmidt. K. est tout à la fois interrompu par ses doubles, empêtré dans un dédale de contradictions, égaré dans des abîmes de réflexion, coincé dans un buisson d'épines... Cependant, rien ne semble résister à sa persévérance, II ne renonce jamais, même au coeur de la situation la plus inextricable. Tout comme le personnage de La Linea, K. finit toujours par se redresser, tel un culbuto.
Je choisis un langage scénique discrépant qui fait évoluer les protagonistes dans un espace composé de voies toujours réinventées, de rapports désynchronisés, illogiques entre l'action et le texte. Le spectateur plonge dans l'inachevé et l'inachevable, dans l'intériorité d'une pensée qui ne fait que bifurquer. II semble que K. pourrait découvrir quelque chose qu'iI ne cherche pas mais dont il a toujours eu connaissance : celui qu'on cherche habite juste à côté (voir p.7). On est proche de Michel Serres : la véritable découverte est imprévue et peut ètre violente comme la foudre qui fait des zigzags, comme la pensée qui passe par, sous, sur, à travers, qui chemine avec, à côté de, hors de, zigzague. Les trois K. sont en permanence sur le qui-vive. Leurs corps sont morcelés, secoués, revêtus de nombreux, tout petits morceaux d'étoffe. Pour renforcer la parcellarité, les dédoublements et l'hybridation, les costumes aux couleurs vives sont composés de matières hétérogènes montées en surcouches et en transparence. Les trois K. évoluent dans un décor épuré ou seuls les effets de lumières les font surgir, soulignent leurs émotions, matérialisent les lieux de rencontres, les seuils, l'intimité d'une chambre. Les dessins de Kafka servent également de support pour réaliser sur scène le parcours émotionnel de K., une atmosphère, un décor, des attitudes burlesques.
La quête de K. renvoie à la question de l'harmonisation entre l'individu et la société. La derrière réplique de la pièce Quel silence ? ressortit à une énième gesticulation de la parole.
K. ici nomme le silence duquel il pourrait naître. Ma vie est hésitation devant la naissance , Journal. On retrouve K. qui hésite sur un seuil, de nouveau partagé entre les exigences de clarté que le fortuit et l'amnésie lui imposent, et l'intuition que la vie extérieure, la communauté des hommes, pourrait lui offrir l'opportunité de s'incarner pleinement. La Comédie de K. se poursuit.
Frédéric Mouliln
Télégrenoble, votre chaîne d'infos locale iséroise.
Site officiel : https://www.telegrenoble.net/
Facebook : https://www.facebook.com/telegrenoble/
Instagram : https://www.instagram.com/telegrenoble/
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K., amnésique et sans passé, est catapulté sur scène. Invité à une soirée, il hésite entre rester seul ou rejoindre la société. K. zigzague alors parmi une foule de doubles, chacun â la recherche de plénitude. Tous incarnent au pied levé différents rôles qui les font basculer dans des situations à la fois familières et grotesques, comiques et hallucinées.
La Comédie de K.
Texte : Franz Kafka I Choix des fragments - mise en scène : Frédéric Moulin
Interprétation : Caroline Garnier, Jennifer Yestard, Frédéric Moulin Dramaturgie: Filippo Bruschi
Lumières: Arnaud Barré
Costumes : Léa Deligne
Conseillers littéraires : Stéphane Pesnel, Georges-Arthur Goldschmidt Collaboration artistique : Dick Turner, Claire Pasquier
Note d’intention du metteur en scène
L'humour de Kafka est brutal, visuel et scénique. Son comique est hors du monde utilitaire, c'est non conforme, alors évidemment ça fait rire. Georges-Arthur Goldschmidt. K. est tout à la fois interrompu par ses doubles, empêtré dans un dédale de contradictions, égaré dans des abîmes de réflexion, coincé dans un buisson d'épines... Cependant, rien ne semble résister à sa persévérance, II ne renonce jamais, même au coeur de la situation la plus inextricable. Tout comme le personnage de La Linea, K. finit toujours par se redresser, tel un culbuto.
Je choisis un langage scénique discrépant qui fait évoluer les protagonistes dans un espace composé de voies toujours réinventées, de rapports désynchronisés, illogiques entre l'action et le texte. Le spectateur plonge dans l'inachevé et l'inachevable, dans l'intériorité d'une pensée qui ne fait que bifurquer. II semble que K. pourrait découvrir quelque chose qu'iI ne cherche pas mais dont il a toujours eu connaissance : celui qu'on cherche habite juste à côté (voir p.7). On est proche de Michel Serres : la véritable découverte est imprévue et peut ètre violente comme la foudre qui fait des zigzags, comme la pensée qui passe par, sous, sur, à travers, qui chemine avec, à côté de, hors de, zigzague. Les trois K. sont en permanence sur le qui-vive. Leurs corps sont morcelés, secoués, revêtus de nombreux, tout petits morceaux d'étoffe. Pour renforcer la parcellarité, les dédoublements et l'hybridation, les costumes aux couleurs vives sont composés de matières hétérogènes montées en surcouches et en transparence. Les trois K. évoluent dans un décor épuré ou seuls les effets de lumières les font surgir, soulignent leurs émotions, matérialisent les lieux de rencontres, les seuils, l'intimité d'une chambre. Les dessins de Kafka servent également de support pour réaliser sur scène le parcours émotionnel de K., une atmosphère, un décor, des attitudes burlesques.
La quête de K. renvoie à la question de l'harmonisation entre l'individu et la société. La derrière réplique de la pièce Quel silence ? ressortit à une énième gesticulation de la parole.
K. ici nomme le silence duquel il pourrait naître. Ma vie est hésitation devant la naissance , Journal. On retrouve K. qui hésite sur un seuil, de nouveau partagé entre les exigences de clarté que le fortuit et l'amnésie lui imposent, et l'intuition que la vie extérieure, la communauté des hommes, pourrait lui offrir l'opportunité de s'incarner pleinement. La Comédie de K. se poursuit.
Frédéric Mouliln
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TVTranscription
00:00:30J'ai trois chiens, tiens-le, attrape-le et plus jamais.
00:00:52Tiens-le et attrape-le, sont deux petits ratiers tout à fait ordinaires et personne ne leur
00:00:58accorderait d'attention s'ils étaient seuls, mais il y a aussi plus jamais.
00:01:02Plus jamais est un dog bâtard et son apparence est telle que des siècles de l'élevage
00:01:08canin le plus méticuleux ne seraient pas parvenus à obtenir un résultat identique.
00:01:13Plus jamais est un zygane, plus jamais est d'avis que ça ne peut pas continuer ainsi
00:01:18et qu'il faudrait trouver une issue ou une autre.
00:01:21Je suis au fond moi aussi de cet avis mais face à lui je me comporte tout autrement.
00:01:26Il court de long en large dans la pièce, saute parfois sur le fauteuil, mordit le petit
00:01:32morceau de saucisse que j'ai posé là pour lui, finit par le repousser vers moi avec
00:01:35sa patte et recommence à courir en rond.
00:01:37C'est l'animal à la grande queue, une queue qui ressemble à celle d'un renard
00:01:45long de plusieurs mètres.
00:01:46J'aimerais bien un jour prendre cette queue dans la main, mais il n'y a rien à faire,
00:01:52l'animal est continuellement en mouvement, sa queue s'agit continuellement de tous les côtés.
00:01:57L'animal ressemble à un kangourou mais son petit visage ovale et plat qui fait penser
00:02:04à celui d'un humain n'a rien de bien caractéristique.
00:02:07Seuls ses dents ont quelque chose d'expressif, qu'il les dissimule ou qu'il les montre.
00:02:14Parfois j'ai l'impression que l'animal veut me dresser.
00:02:21Quel sens est-ce que cela aurait sinon de me soustraire sa queue quand je tends la main
00:02:26pour la saisir, puis d'attendre de nouveau tranquillement jusqu'à ce que je sois de
00:02:30nouveau tenté pour finalement s'éloigner d'un bon une fois encore ?
00:02:34C'est un écureuil, un écureuil femelle, une petite créature sauvage qui croque des
00:02:44noix, saute, escalade et sa queue touffue et célèbre dans les bois.
00:02:50Cet écureuil, cet écureuil est toujours en voyage, toujours en quête, il ne peut rien
00:02:57en dire, non que la parole lui manque mais il n'a pas le temps pour cela, pas la moindre
00:03:02seconde.
00:03:03Il n'est suffisamment préparé pour aucune occasion mais il ne saurait se le reprocher
00:03:10car dans cette vie qui exige si cruellement à chaque instant d'être prêt, où trouver
00:03:15le temps de se préparer ?
00:03:17Entre moi et le célibataire, il n'existe à l'instant guère de différence.
00:03:22Je n'ai rien devant et rien non plus derrière moi.
00:03:25Dans l'instant, il n'y a pas de différence mais je n'ai que l'instant.
00:03:28Je suis invité à une soirée.
00:03:30Moi aussi.
00:03:31Moi aussi.
00:03:32Elles aussi.
00:03:33Tu montes tout de suite ?
00:03:34Oui, je suis invité, je vous l'ai dit mais je suis invité à monter à une soirée,
00:03:38là où j'aimerais déjà si volontiers me trouver et non à rester planté ici en bas
00:03:42avec vous devant la porte en regardant par-dessus vos oreilles sans rien dire comme si nous
00:03:47nous étions résolus à passer un long moment à cet endroit.
00:03:50Eh oui, je veux partir, je veux gravir les marches au risque de faire la culbute.
00:03:56Pareil, de la société je me promets d'obtenir tout ce qui me manque, surtout l'organisation
00:04:02de mes forces.
00:04:13Et toi, le corbeau ?
00:04:15Toi, vieux corbeau de malheur, que fais-tu en permanence sur mon chemin ?
00:04:20Oui, il a raison, même moi, ça finit par me mettre mal à l'aise.
00:04:24Où que j'aille, tu es postée là et bourrifer tes plumes, c'est assommant.
00:04:28Pourquoi ? Je me le demande.
00:04:31Viens avec moi.
00:04:33Mais j'attends quelqu'un ici.
00:04:36Je ne dis pas ça dans l'espoir d'un moindre succès mais uniquement par principe.
00:04:41Viens.
00:04:42Mais alors je vais manquer la personne que j'attends.
00:04:45Tu la manqueras de toute façon, que tu attendes ou que tu partes.
00:04:48Alors je préfère la manquer en l'attendant.
00:04:54Et c'est aimable de la part de la lune de m'éclairer moi aussi.
00:04:59Et par modestie, je veux aller me mettre sous la voûte à l'entrée du pont.
00:05:04Il est tout simplement naturel que la lune éclaire tout.
00:05:08Hé, toi ! Ne t'endors pas !
00:05:11Si je m'endormais, comment je pourrais garder un oeil sur lui ?
00:05:14C'est bien ce que je dois faire, non ?
00:05:16Je ne m'endors pas. Laisse donc ta montre dans ta poche.
00:05:19Non mais c'est qu'il est déjà tard, je suis invité en haut.
00:05:21Ah, ça te plaît tant que ça ?
00:05:23Oui.
00:05:24Tu aimerais bien monter ?
00:05:25Oui.
00:05:26Tu en as vraiment envie, hein ?
00:05:27Oui.
00:05:28Alors dis-le. Je ne te mordrai pas pour ça.
00:05:31Écoute, si tu penses que tu te sentiras mieux en haut qu'en bas,
00:05:35alors monte donc, tout de suite.
00:05:37Tout de suite.
00:05:38Tout simplement.
00:05:39Sans te soucier de moi.
00:05:41C'est mon avis, hein ?
00:05:43Donc celui d'une passante prise au hasard ?
00:05:47Tu ne vas pas tarder à redescendre, et ce sera alors très bien
00:05:50s'il y a ici quelqu'un, d'une façon ou d'une autre,
00:05:53dont tu ne regarderas même pas le visage,
00:05:56qui te prendra par le bras pour te requinquer avec du vin dans le café le plus proche
00:06:00et qui te mènera ensuite dans sa chambre qui, bien que misérable,
00:06:04aura tout de même quelques vitres à placer entre elle et la nuit.
00:06:08Cet avis, tu peux t'en moquer pour l'instant.
00:06:12Mais ce qui est vrai, et je peux répéter devant qui tu voudras,
00:06:17c'est que la vie est dure pour nous en bas.
00:06:20C'est même une vraie vie de chien.
00:06:23Mais pour moi, il n'y a pas de remède.
00:06:25Que je sois ici, étendue dans le caniveau à faire barrage contre l'eau de pluie,
00:06:28ou que je sois là-haut à boire du champagne avec les mêmes lèvres,
00:06:31pour moi, il n'y a pas de différence.
00:06:34D'ailleurs, je n'ai jamais le choix entre ces deux possibilités.
00:06:38Il ne m'arrive jamais de ces choses qui suscitent l'étonnement.
00:06:42Et comment pourrait-elle se produire,
00:06:44avec l'édification des cérémonies qui me sont nécessaires
00:06:47et sous lesquelles je ne peux que continuer à ramper ?
00:06:51Je ne peux pas faire mieux.
00:06:53Comme un cloporte.
00:06:55Mais toi, quand même, qui sait tout ce que tu as en toi.
00:06:59Tu as du courage. Du moins, tu crois en avoir.
00:07:02Essaie donc. Qu'est-ce que tu as à perdre ?
00:07:05Quand on est attentif, souvent,
00:07:07on se reconnaît déjà dans le visage du domestique qui ouvre la porte.
00:07:11Si seulement j'avais la certitude que tu es sincère avec moi,
00:07:14je serais monté depuis longtemps.
00:07:16Comment faire pour savoir si tu es sincère avec moi ?
00:07:19Tu me regardes, là, comme si j'étais un petit enfant, ça ne me sert à rien,
00:07:22c'est encore plus énervant.
00:07:24Mais peut-être c'est ce que tu veux, que ce soit encore plus énervant.
00:07:28Et puis, je ne supporte plus l'air de la rue.
00:07:31C'est le signe que j'appartiens déjà à la société d'en haut.
00:07:34Quand j'y fais attention, j'ai des grattements dans la gorge.
00:07:37D'ailleurs, tiens, je tousse.
00:07:40Et est-ce que tu as la moindre idée de ce que je deviendrai là-haut ?
00:07:44Et le pied que je poserai dans la salle
00:07:46ne sera déjà plus le même avant que l'autre ne suive ?
00:07:49Il a raison. Je ne suis pas sincère avec lui.
00:07:52Bon, tu vas rester encore longtemps ici ?
00:07:54Ça te dérange ?
00:07:56Si ça te dérangeait ou devait t'empêcher de monter,
00:07:59alors je partirai tout de suite.
00:08:01Autrement, j'aimerais mieux rester ici car je suis fatiguée.
00:08:09Elle me sourit.
00:08:12Je ne peux pas contempler ce sourire jusqu'au bout
00:08:15car la honte me fait faire soudain demi-tour.
00:08:21Je réalise seulement maintenant, en voyant ce sourire,
00:08:24que c'est une écornifleuse et rien d'autre.
00:08:28Je croyais avoir bien percé le jeu de ces écornifleurs,
00:08:31leur façon de venir à nous la nuit par les rues latérales,
00:08:34les mains tendues en avant,
00:08:36de se plaquer sur les colonnes Maurice près desquelles nous nous trouvons
00:08:39comme pour jouer à cache-cache
00:08:41et d'espionner au moins d'un oeil derrière l'arrondi de la colonne,
00:08:44de surgir soudain devant nous au carrefour
00:08:47quand la peur nous prend sur le bord de notre trottoir,
00:08:50cette façon qu'ils ont de rester encore en face de vous,
00:08:53même quand vous les avez déjà fuis depuis longtemps,
00:08:56de ne pas s'asseoir, de ne pas tomber,
00:08:58mais de vous regarder avec des yeux qui, même de loin, continuent de vous convaincre.
00:09:02Et leurs procédés sont toujours les mêmes.
00:09:04Ils viennent se planter devant nous en occupant le maximum d'espace.
00:09:07Ils cherchent à nous empêcher d'aller là où nous aspirons à nous rendre.
00:09:10Ils nous préparent en échange un logement dans leur propre poitrine.
00:09:14Et si tout le sentiment amassé en nous finit par se révéler,
00:09:18ils prennent ça comme un embrassement
00:09:20dans lequel ils se précipitent la tête la première.
00:09:27Quelle honte !
00:09:30Je ne reconnais que maintenant ces vieilles astuces.
00:09:33Je frotte le bout de mes doigts l'un contre l'autre
00:09:37pour effacer cette honte.
00:09:41Je t'ai reconnu.
00:09:44Ah ! Je veux te demander conseil.
00:09:48Pourquoi moi en particulier ?
00:09:50J'ai confiance en toi.
00:09:51Pourquoi ?
00:09:53Je t'ai souvent vue en société,
00:09:55et dans nos sociétés, ce qu'il faut en fin de compte, ce sont toujours des conseils.
00:09:58Sur ce point tout de même, nous sommes d'accord.
00:10:00Et quelle que soit la société,
00:10:02qu'on joue ensemble au théâtre,
00:10:04boive du thé, invoque les esprits ou veuille aider les pauvres,
00:10:07ce qu'il faut en fin de compte, ce sont toujours des conseils.
00:10:11Que de gens sans conseils ?
00:10:13Bien plus qu'on le croit.
00:10:16Ceux qui donnent un conseil dans ce genre de rencontre
00:10:18ne le donnent qu'avec la voix.
00:10:20Avec le cœur, ce sont eux qui voudraient en recevoir un.
00:10:24Ils ont toujours leur double parmi ceux qui cherchent un conseil,
00:10:27et c'est à lui particulièrement qu'ils s'adressent.
00:10:30Mais lui repart insatisfait, rabroué,
00:10:33et il incite le donneur de conseils à le suivre
00:10:36pour d'autres rencontres et un même jeu.
00:10:38C'est comme ça ?
00:10:39Oui.
00:10:40Tu le sais toi aussi.
00:10:42Le monde entier le sait, il n'y a pas de mérite.
00:10:44Et sa demande est d'autant plus pressante.
00:10:49Tu connais le gardien du parc ?
00:10:51Oui, bien sûr.
00:10:53Tu ne crois pas toi aussi qu'il est fou ?
00:11:06Je suis passée pendant que tu avais le dos tourné ?
00:11:11Je n'aurais sans doute pas dû le faire ?
00:11:14Ton silence signifie-t-il l'autorisation de passer ?
00:11:20Il se détourne de moi.
00:11:23Cet homme-là, j'en fais le tour aussi librement
00:11:26que d'un petit jeu de patience dont on se dit
00:11:29« Peu importe si je ne parviens pas à rentrer les billes dans les trous,
00:11:35puisque tout ceci m'appartient.
00:11:37La vie, c'est un jeu de patience. »
00:11:40« Puisque tout ceci m'appartient.
00:11:42La vitre, le cadre, les billes et tout le reste.
00:11:47Tout cet art, je peux tranquillement le mettre dans ma poche. »
00:11:52C'est de moi que tu attends d'apprendre le chemin ?
00:11:55Oui, parce que je ne suis pas capable de le trouver moi-même.
00:11:58Abandonne, abandonne !
00:12:04Dis donc, tu n'arrêtes pas de rôder autour de la porte.
00:12:08Qu'est-ce que tu veux ?
00:12:09Rien, merci.
00:12:10Ah bon ? Rien ? Je te connais pourtant.
00:12:13C'est sans doute une erreur.
00:12:15Non, non, tu es cas et tu as été à l'école ici il y a 25 ans.
00:12:18Oui ou non ?
00:12:19Oui, c'est vrai. Je n'ai pas osé me présenter.
00:12:23Il a le sentiment de se barrer la route à lui-même du fait qu'il vit.
00:12:28En contrepartie, cette obstruction lui fournit la preuve qu'il vit.
00:12:32Tu as l'air d'être devenu craintif avec les années.
00:12:34Tu ne l'étais pas à l'époque.
00:12:35Oui, à l'époque, je regrette tout comme si je l'avais fait à l'instant.
00:12:38La vie s'est donc vengée de toi ?
00:12:40Hélas !
00:12:41C'est bien ce que je disais.
00:12:42Oui, ils l'ont dit, vous l'avez dit, pourtant ce n'est pas ça.
00:12:44Il ne se venge pas directement.
00:12:46Mon patron n'a que faire de savoir si je bavardais à l'école,
00:12:49ça ne m'a pas empêché de faire carrière, non ?
00:12:51Je ne t'ai pas oublié.
00:12:52Ah, mais je n'avais pas peur que tu m'oublies.
00:12:54Je voulais juste te dire que maintenant, quoi qu'il arrive, je vais monter à la soirée.
00:12:57Et oui, comme tu sais, je suis invité en haut, il est déjà tard et la société m'attend.
00:13:01Peut-être que certaines manifestations ont été ajournées jusqu'à mon arrivée.
00:13:05Je ne peux pas l'affirmer, mais c'est quand même possible.
00:13:08Tu vas me demander maintenant si je ne pourrais pas tout simplement renoncer à la société.
00:13:14Je ne poserai pas la question car, premièrement, tu brûles de me le dire.
00:13:18Et deuxièmement, cela ne me fait rien.
00:13:20Car pour moi, être ici en bas ou là-bas en haut à la soirée m'indiffère.
00:13:26Que je sois ici étendue dans le caniveau à faire barrage contre l'eau de pluie,
00:13:30ou que je sois là-haut à boire du champagne avec les mêmes lèvres,
00:13:33pour moi, ça ne fait pas de différence.
00:13:36Même dans le goût.
00:13:48Plus on hésite devant la porte, plus on devient étranger.
00:13:53Que se passerait-il si quelqu'un ouvrait maintenant la porte et me posait une question ?
00:13:58Est-ce que je ne serais pas alors moi-même semblable à celui qui veut préserver son secret ?
00:14:04Tu ne cesses d'aller et venir devant cette porte, franchi là d'un pas énergique.
00:14:10À l'intérieur, deux hommes sont assis à une table de bois de facture grossière et t'attendent.
00:14:16Ils échangent leurs opinions sur les causes de ton hésitation.
00:14:21Ce sont deux hommes à l'allure de chevaliers, vêtus à la mode médiévale.
00:14:25Ce n'est pas ma porte, c'est une erreur.
00:14:27Qu'est-ce qui te trouble ?
00:14:29Qu'est-ce qui rend ton cœur si incertain ?
00:14:32Qu'est-ce qui cherche à tâton la poignée de ta porte ?
00:14:36Qu'est-ce qui t'appelle depuis la rue et ne franchit pas le portail grand ouvert ?
00:14:41Hélas, c'est précisément celui que tu troubles dont tu rends le cœur aussi incertain,
00:14:47dont tu cherches à tâton la poignée de la porte,
00:14:49que tu appelles depuis la rue et dont tu ne veux pas franchir le portail grand ouvert.
00:14:53Je possède un marteau très solide, mais je ne peux pas l'utiliser, car son manche est incandescent.
00:14:58Tu dois faire passer ta tête à travers le mur.
00:15:01Le transpercer n'est pas difficile, car il est de papier fin.
00:15:04Mais ce qui est difficile, c'est de ne pas se laisser tromper par le fait que sur le papier,
00:15:09il y a déjà une peinture extrêmement trompeuse,
00:15:12qui représente la façon dont tu transperces le mur.
00:15:16Et qui t'incite à dire, « Est-ce que je ne le transperce pas continuellement ? »
00:15:27Elle se détourne de moi, comme les gens qui veulent rester seuls avec leur rire.
00:15:32Je bifurque.
00:15:35Je suis assailli par la faiblesse que j'ai.
00:15:40Je suis assailli par la faiblesse que j'ai.
00:15:43Je suis assailli par la faiblesse qui s'abat systématiquement sur moi
00:15:48dès qu'il me faut penser à retourner dans mon appartement
00:15:51et à passer de nouveau des heures seules entre les murs peints et sur le plancher,
00:15:54qui, vu dans le miroir accroché au mur du fond, semble être un plan oblique.
00:15:59Mes jambes sont fatiguées, mais je suis déjà décidé à rentrer chez moi,
00:16:02quoi qu'il arrive, puis à me mettre au lit.
00:16:04Je m'endors bien, mais je me réveille au bout d'une heure,
00:16:07comme si j'avais mis la tête dans le mauvais trou.
00:16:13Quand je me suis conduit en humain pendant quelques heures,
00:16:16je suis tout plein d'orgueil avant d'aller me coucher.
00:16:22Je dors pour la simple et bonne raison que le monde autour de moi a cessé d'exister.
00:16:28Je dors littéralement à côté de moi et pendant ce temps,
00:16:31je suis moi-même aux prises avec des rêves.
00:16:34Je pense aux nuits aux termes desquelles j'ai été arraché à un profond sommeil
00:16:39et eu l'impression, en me réveillant, d'être enfermé dans une noix.
00:16:44Ça frappe?
00:16:49Ça frappe?
00:16:52Ça frappe!
00:16:54Entrez!
00:16:57Anna!
00:17:00Qu'est-ce que vous voulez?
00:17:04Qu'est-ce qu'il y a?
00:17:06Un visiteur!
00:17:07Un visiteur?
00:17:09C'est qui?
00:17:11Un Chinois!
00:17:15Un Chinois?
00:17:16Oui!
00:17:18Qui vient me voir?
00:17:19Oui!
00:17:22Il est habillé en Chinois?
00:17:23Oui!
00:17:27Dis-lui mon nom.
00:17:28Demande-lui si c'est bien à moi qu'il veut rendre visite,
00:17:31à moi qui suis inconnu dans l'immeuble d'à côté et à plus forte raison en Chine.
00:17:35Il a seulement une carte de visite où il dit qu'il demande à être reçu.
00:17:39Il ne sait pas l'allemand. Il parle une langue incompréhensible.
00:17:42Je n'ai pas osé lui prendre la carte des mains.
00:17:47Qu'il vienne!
00:18:06Il était une fois un jeu de patience.
00:18:09Un jeu tout simple et bon marché,
00:18:11pas beaucoup plus grand qu'une montre et sans aucune espèce de combinaison surprenante.
00:18:16Dans la surface de bois peint en brun rouge
00:18:18étaient creusés quelques chemins labyrinthiques de couleur bleue
00:18:21qui débouchaient dans une petite cavité.
00:18:24En inclinant et secouant le jeu, il fallait faire passer la bille,
00:18:27elle aussi de couleur bleue,
00:18:29tout d'abord par l'un des chemins,
00:18:31puis la guider jusque dans la cavité.
00:18:33Quand la bille était arrivée dans la cavité,
00:18:35la partie était finie.
00:18:40Si l'on voulait en recommencer une autre,
00:18:42il fallait secouer le jeu pour faire ressortir la bille de la cavité.
00:18:47L'ensemble était recouvert d'un verre épais et bombé.
00:18:50On pouvait mettre le jeu de patience dans la poche
00:18:52et le sortir et jouer avec partout.
00:18:56Dans ces moments,
00:18:57la bille allait généralement les mains derrière le dos
00:19:00se promener de long en large dans la plaine.
00:19:03Les chemins, elle les évitait.
00:19:05Elle était d'avis qu'on la tracassait suffisamment
00:19:07avec ses chemins pendant les parties
00:19:09et qu'elle méritait amplement, quand on ne jouait pas,
00:19:12de se reposer sur le plateau vaste et dégagé.
00:19:16Elle avait une démarche hautaine, en écartant beaucoup les jambes
00:19:19et prétendait qu'elle n'était pas faite pour les chemins étroits.
00:19:22C'était en partie exact car les chemins parvenaient à peine à la contenir
00:19:26et c'était en partie inexact car, en réalité,
00:19:29sa taille était minutieusement adaptée à la largeur des chemins.
00:19:36Mais les chemins ne devaient pas être trop commodes,
00:19:39sans quoi ça n'aurait plus été un jeu de patience.
00:19:42Entrez!
00:19:45Anna!
00:19:48Excusez-moi, un monsieur vous demande.
00:19:50Moi, c'est absurde.
00:19:52Il est où?
00:19:53Il attend dans la cuisine.
00:19:54Il est comment?
00:19:56Eh bien, c'est encore un jeune homme.
00:19:59Il n'est pas très beau.
00:20:01Je crois que c'est un juif.
00:20:03Il est où?
00:20:04Il attend dans la cuisine.
00:20:05Il est comment?
00:20:06Eh bien, c'est encore un jeune homme.
00:20:08Il n'est pas très beau.
00:20:10Je crois que c'est un juif.
00:20:12Son nom?
00:20:14Je ne sais pas.
00:20:29Qu'à!
00:20:31Qu'ils viennent!
00:20:32Au passage, je ne vous demande pas de porter un jugement sur mes invités, vous m'entendez?
00:20:41Qu'est-ce que vous attendez?
00:20:43Venez vous asseoir sur le lit et dites-moi ce que vous voulez.
00:20:51Vous êtes qui?
00:20:56Qu'est-ce que vous attendez?
00:20:58Venez vous asseoir sur le lit et dites-moi ce que vous voulez.
00:21:05Vous êtes qui?
00:21:08Qu'est-ce que vous voulez?
00:21:12Allez, vite, vite!
00:21:24Je possède un animal singulier à moitié chaton et à moitié agneau.
00:21:37Il provient des biens de mon père et je l'ai reçu en héritage.
00:21:41Son aspect, cependant, n'a évolué que depuis qu'il est auprès de moi.
00:21:45Avant, il était plus agneau que chaton, mais maintenant, il tient autant de l'un que de l'autre.
00:21:56Du chat, il a la tête et les griffes.
00:21:59De l'agneau, la taille et la forme.
00:22:02Des deux, il tient les yeux, à la fois étincelants et doux,
00:22:07le pelage, à la fois moelleux et ajusté au squelette,
00:22:11les mouvements, aussi bondissants que furtifs.
00:22:23Quand brille le soleil, il se pelotonne sur le rebord de la fenêtre et y ronronne.
00:22:27Il court comme un fou dans l'herbe de la prairie, on n'arrive presque pas à l'attraper.
00:22:31Il prend la fuite quand il voit des chats, il veut attaquer les agneaux.
00:22:35Les nuits de lune, la gouttière est son chemin préféré.
00:22:39Il ne sait pas miauler, les rats lui répugnent.
00:22:42Il peut rester des heures aux aguets, à côté du poulailler,
00:22:45et pourtant jamais il n'a profité d'une seule occasion de tuer.
00:22:49Je le nourris de lait sucré, qui lui profite.
00:22:52Il le boit en le faisant passer entre ses dents de carnassier.
00:23:02Le dimanche matin, moment dévolu aux visites, j'ai l'animal sur les genoux
00:23:06et les enfants de tout le voisinage se mettent en cercle autour de moi.
00:23:09Ils posent alors les questions les plus étranges auxquelles personne ne peut donner de réponse.
00:23:13De toute façon je ne m'en donne pas la peine, je me contente de montrer l'animal que je possède.
00:23:25Parfois les enfants apportent des chats et une fois ils ont apporté deux agneaux.
00:23:30Mais contrairement à leurs attentes, il n'y a pas eu de véritable scène de reconnaissance.
00:23:35Les animaux se sont regardés calmement de leurs yeux d'animaux,
00:23:40se résignant manifestement à l'existence de l'autre,
00:23:44comme à une réalité voulue par Dieu.
00:23:52Sur mes genoux, l'animal ne connaît pas la peur, il n'éprouve pas de peur.
00:23:56Sur mes genoux, l'animal ne connaît pas la peur, il n'éprouve pas non plus le désir de pourchasser d'autres animaux.
00:24:01C'est blotti tout contre moi qu'il se sent le mieux.
00:24:04Il est très attaché à la famille qu'il a élevé.
00:24:07Il ne s'agit sans doute pas là de quelque fidélité extraordinaire,
00:24:11mais de l'instinct approprié d'un animal qui, sur terre, a sans doute d'innombrables cousins par alliance,
00:24:18mais peut-être pas un seul parent proche auquel le liraient les liens du sang.
00:24:23C'est pour cela que la protection qu'il a trouvée chez nous lui est chose sacrée.
00:24:34Parfois, lorsqu'il me renifle, se contorsionne entre mes jambes et ne veut plus me lâcher,
00:24:39je ne peux faire autrement que rire, non content d'être à la fois un agneau et un chat,
00:24:44voilà qu'il voudrait presque en prime être un chien.
00:24:49Je prends cela tout à fait au sérieux.
00:24:53Il porte en soi une double intranquillité, celle du chat et celle de l'agneau,
00:24:58si différents que soient ces deux animaux.
00:25:03C'est pour cela que sa peau est trop étroite pour lui.
00:25:07Peut-être le couteau du boucher serait-il une délivrance pour lui, mais je dois la lui refuser.
00:25:13N'est-il pas mon héritage ?
00:25:17Qu'est-ce que vous voulez ?
00:25:20Moi aussi, je viens de Wulfenshausen.
00:25:23Ah, c'est bien, c'est très bien. Et pourquoi vous n'y êtes pas resté ?
00:25:27Réfléchissez, c'est notre ville natale à tous les deux.
00:25:30Elle est très belle, mais c'est quand même un trou perdu.
00:25:37Qu'ai-je de commun avec les Juifs ?
00:25:40Je n'ai presque rien de commun avec moi-même.
00:25:43Et je devrais me mettre bien tranquillement dans un recoin, content de pouvoir respirer ?
00:25:52Il y a des possibilités pour moi, c'est sûr, mais elles se trouvent sous quelle pierre ?
00:25:57J'ai passé ma vie à résister au désir de la finir.
00:26:03Franz, lève-toi !
00:26:05Oscar !
00:26:07Franz ! J'ai besoin de ton conseil d'expert.
00:26:11Mais je ne supporte pas de rester ici.
00:26:13Il faut que nous allions nous promener un peu. Il faut que tu viennes dîner avec nous.
00:26:16Allez, dépêche-toi !
00:26:17Avec grand plaisir ! Mais par quoi commencer ?
00:26:19Se lever, dîner, aller se promener ? Donner un conseil ? J'ai sans doute dû rater quelque chose ?
00:26:25Surtout pas de plaisanteries, Franz ! C'est l'essentiel, j'avais oublié de te le dire !
00:26:29Je te fais ce plaisir tout de suite, mais me lever ?
00:26:31Je préférerais dîner deux fois avec toi que me lever une fois.
00:26:35Allez, debout maintenant ! Ne me contredis pas !
00:26:37Mais tu es d'une humeur massacrante, tu sais.
00:26:40Dis-moi, est-ce que je t'ai déjà tiré de ton canapé comme ça ?
00:26:44Habille-toi, je ne suis pas folle ! Je ne te ferais pas lever si je n'avais pas une raison.
00:26:47Moi non plus, je n'aurais pas dormi si je n'avais pas une raison.
00:26:50J'ai été de service toute la nuit et j'ai déjà été frustré de ma sieste aujourd'hui, également par ta faute.
00:26:56Comment ça ?
00:26:58Je commence à me fâcher de voir le peu de dégâts que tu as pour moi.
00:27:01Ce n'est pas la première fois.
00:27:04Mais dormir, qu'est-ce qui te passe donc par la tête ?
00:27:10Te rends-tu compte du nombre de pensées heureuses qu'on étouffe sous sa couverture lorsqu'on dort seul dans son lit ?
00:27:20Ou bien du nombre de rêves malheureux qu'on réchauffe sous elles ?
00:27:25Je n'étouffe rien et je ne réchauffe rien.
00:27:28Ah dis donc, tu es un comique, toi !
00:27:30La remarque qu'elle vient de me faire, elle m'emplit de joie.
00:27:33Je pense comprendre de ses propos qu'elle me prête une qualité que je ne possède pas,
00:27:37mais qui me rend estimable à ses yeux par le simple fait qu'elle me l'attribue.
00:27:41Ce genre de situation me rend heureux.
00:27:43Elle devient à mes yeux un être valeureux du fait qu'elle me confère sous les regards de tous
00:27:49une valeur que je n'ai pas eu besoin d'acquérir préalablement.
00:27:52Bon, qu'est-ce que tu veux de moi, en fait, ou plutôt pourquoi tu m'as réveillé ?
00:27:57Ce que je veux de toi, mais c'est tout simple, je te l'ai déjà dit, que tu t'habilles.
00:28:00Si tu veux insinuer par là que ta nouvelle m'intéresse très peu, tu as entièrement raison.
00:28:04Et c'est bien comme ça.
00:28:06Ainsi le feu dans lequel elle va te plonger n'en pourra être imputé qu'à elle
00:28:09et notre amitié n'y sera pas mêlée.
00:28:11De plus, tes renseignements en seront plus clairs
00:28:13et j'ai besoin de renseignements clairs, garde bien ça en tête.
00:28:16Mais si tu cherches le col et la cravate, ils sont là-bas, sur le fauteuil.
00:28:19Ah merci, on peut quand même te faire confiance.
00:28:21Je suis invité à une soirée de soirée.
00:28:23Maintenant ?
00:28:24Oui.
00:28:25Il est déjà bien tard.
00:28:28On peut désagréger le monde par le regard le plus intense,
00:28:32faire le code de l'intimité,
00:28:35le réflexe suprême,
00:28:38le sens du plaisir
00:28:40le dépass et l'intimité.
00:28:46On peut désagréger le monde par le regard le plus intense,
00:28:50faire le code de l'intimité,
00:28:53faire le code de l'intimité,
00:28:55le regard le plus intense.
00:28:57Face à des yeux faibles, il se solidifie.
00:29:00Face à des yeux plus faibles, il devient menaçant.
00:29:03Face à des yeux plus faibles encore, il devient pudique
00:29:05et fracasse celui qui ose le regarder.
00:29:14Je serais difficile à ébranler,
00:29:17ce qui ne m'empêche pas d'être inquiète.
00:29:19Cet après-midi, j'étais au lit
00:29:22et quelqu'un a tourné une clé dans la serrure à toute vitesse.
00:29:27Et pendant un instant,
00:29:28j'ai eu des serrures sur tout le corps comme à un bal costumé.
00:29:32Et à de brefs intervalles,
00:29:34on ouvrait ou fermait une serrure,
00:29:36parfois ici, parfois là.
00:29:43Bonjour.
00:29:44Bonjour.
00:29:45Tu es déjà venue ici, non ?
00:29:47Tu me reconnais ?
00:29:48Étonnant.
00:29:49En pensée, je t'ai déjà parlé quelques fois.
00:29:51Tu voulais quoi, la dernière fois que nous nous sommes vues ?
00:29:53Te demander conseil.
00:29:54C'est ça, et j'ai pu te le donner.
00:29:56Non.
00:29:57Malheureusement,
00:29:58nous n'avons pas pu nous accorder déjà sur la question à poser.
00:30:02C'est donc comme ça que ça s'est passé ?
00:30:04Oui.
00:30:05C'était très insatisfaisant.
00:30:07Mais seulement sur le moment.
00:30:08C'est qu'on ne peut pas cerner la chose en une fois.
00:30:12On ne pourrait pas répéter encore ?
00:30:14Bien sûr.
00:30:15Demande seulement.
00:30:18Très bien, je vais te poser une question.
00:30:19Je t'en prie.
00:30:20Ma femme.
00:30:20Ta femme.
00:30:21Oui.
00:30:22Oui, oui.
00:30:22Je ne comprends pas, tu as une femme ?
00:30:33Est-ce que tu crois ?
00:30:38Je ne sais pas.
00:30:41Aide-moi.
00:30:42Aide-toi toi-même.
00:30:43Mais qu'est-ce que tu fais ?
00:30:44Tu m'abandonnes ?
00:30:45Oui.
00:30:45Mais qu'est-ce que je t'ai fait ?
00:30:47Rien.
00:30:49Autrefois, je ne comprenais pas pourquoi je n'obtenais pas de réponse à ma question.
00:30:55Aujourd'hui, je ne comprends pas comment j'ai pu croire pouvoir poser cette question.
00:31:00Mais je ne croyais pas du tout.
00:31:01Je ne faisais que poser la question.
00:31:04Il est absurde de se plaindre.
00:31:05En réponse, des pics dans la tête.
00:31:07Mais pourquoi il est absurde de se plaindre ?
00:31:09Se plaindre, c'est poser des questions et attendre qu'une réponse arrive.
00:31:17Mais les questions qui ne trouvent pas elles-mêmes leur réponse au moment où on les formule,
00:31:23ne trouvent jamais de réponse.
00:31:26Il n'y a pas de distance entre celui qui pose la question et celui qui donne la réponse.
00:31:31Il n'y a pas de distance à surmonter.
00:31:35Voilà pourquoi les questions et l'attente n'ont pas de sens.
00:31:48J'ai toujours eu une certaine suspicion à mon propre égard.
00:31:57Mais cela ne se manifestait que de temps à autre, par période.
00:32:02Il y avait de longues interruptions, suffisantes pour oublier.
00:32:09C'était en outre de l'espoir.
00:32:12C'était en outre de petites choses qui arrivent certainement aussi chez d'autres,
00:32:17mais qui ne signifient rien de grave pour eux.
00:32:21Par exemple, l'étonnement qu'on ressent devant son propre visage dans le miroir.
00:32:27Ou bien quand on passe soudain devant une glace dans la rue,
00:32:31en voyant l'image de sa nuque et même de tout son corps.
00:32:37Je m'appelle Calmus.
00:32:40Non, ce n'est pas un nom exceptionnel, mais il est pourtant suffisamment absurde.
00:32:44Il m'a toujours donné à réfléchir.
00:32:46« Comment ? » je me disais. « Tu t'appelles Calmus, est-ce bien vrai ? »
00:32:51Il y a beaucoup de gens, même si on se limite à ta nombreuse parenté, qui s'appellent Calmus.
00:32:57Et qui, grâce à leur existence, donnent à ce nom, en ce moment,
00:33:02un sens tout à fait acceptable.
00:33:06Ils sont nés avec le nom de Calmus et mourront en paix sous cette identité.
00:33:12En paix, du moins, avec ce nom.
00:33:22Je vais plutôt bien ici.
00:33:27Si seulement il n'y avait pas tant de bruit dans ce monde.
00:33:32C'est devenu l'une de mes quelques constructions de secours,
00:33:36l'un de ces échafaudages relativement monstrueux,
00:33:40que par suite de la densité du monde, tout bruit dont on est venu à bout
00:33:44se voit remplacé par un autre, dont il faut venir à bout,
00:33:48et que l'on n'a pas besoin.
00:33:52Mais ce n'est vrai qu'à peu près.
00:33:56Diable, sauvez-moi de la folie.
00:34:00Entrez.
00:34:04Entrez, entrez, qui que vous soyez dehors.
00:34:08C'est qui ?
00:34:12C'est qui ?
00:34:16C'est qui ?
00:34:20Mais...
00:34:22C'est ouvert.
00:34:32Un dragon vert sans pattes qui respire la santé. Bonsoir.
00:34:36Prends-moi, prends-moi,
00:34:40tissu de folie et de douleur. Bonsoir.
00:34:44Entrez, je vous en prie. Entrez entièrement.
00:34:48Je regrette, mon corps trop long m'empêche d'aller plus loin.
00:34:51Du coup, la porte va rester ouverte, c'est désagréable.
00:34:54Attirée par ton désir, je me suis traînée depuis le lointain jusqu'ici.
00:34:58La peau de mon ventre est déjà complètement avif,
00:35:01mais c'est avec plaisir que je le fais,
00:35:04c'est avec plaisir que je m'offre à toi.
00:35:07À cause de ma dignité et à cause de mon orgueil,
00:35:11il ne m'est possible d'aimer que si je place mon objet tellement haut au-dessus de moi
00:35:15qu'il me devient inaccessible.
00:35:18Et l'espoir reste pour plus tard et tu auras la bonté de ne pas le troubler.
00:35:26La figure de rejet que j'ai toujours rencontrée n'a pas été celle qui dit
00:35:30je ne t'aime pas.
00:35:33Mais au contraire, tu as beau le vouloir, tu ne peux pas m'aimer.
00:35:37Tu aimes en étant malheureux.
00:35:40L'amour pour moi ne t'aime pas.
00:35:44Il est donc inexact de dire que j'ai connu le mot je t'aime.
00:35:48Je n'ai connu que le silence plein d'attentes
00:35:51qui aurait dû être interrompu par mon je t'aime.
00:35:55Je n'ai connu que cela et rien d'autre.
00:35:59Le coït, punition du bonheur d'être ensemble,
00:36:03vivre le plus ascétiquement possible, plus ascétiquement encore qu'un célibataire,
00:36:08c'est la seule façon pour moi de pouvoir supporter le mariage.
00:36:13Accueille-moi dans tes bras. C'est l'abîme.
00:36:16Accueille-moi dans l'abîme.
00:36:18Si tu refuses maintenant, fais-le plus tard.
00:36:21Écoute-moi bien.
00:36:23Une tâche difficile m'attend et je lui ai voué toute ma vie.
00:36:26Je fais tout ça joyeusement et ne réclame la pitié de personne.
00:36:30Mais comme c'est tout ce que j'aime, je veux dire cette tâche,
00:36:34j'écrase tout ce qui pourrait me gêner dans son accomplissement, implacablement.
00:36:39Entends-moi bien, je peux être implacable jusqu'à la folie.
00:36:57Sisyphe était célibataire.
00:37:02C'est sur ce morceau de bois de racine tout ordu que tu prétends jouer maintenant de la flûte ?
00:37:07Comme si je comptais entreprendre quelque chose de surnaturel.
00:37:11Je n'y aurais pas pensé, mais je vais le faire seulement parce que c'est ce que tu attends.
00:37:15C'est ce que j'attends ?
00:37:17Oui, car en voyant mes mains, tu te dis qu'aucun bois ne saurait résister à la volonté de le faire sonner.
00:37:22Tu as raison.
00:37:24Comme il est étrange qu'en pratiquant la comédie assez systématiquement, elle puisse devenir réalité.
00:37:30La situation qui me convient le mieux.
00:37:33Ecouter la conversation de deux personnes parlant d'une affaire qui les touche de près, alors qu'elle ne me concerne que de très loin.
00:37:39Et qui plus est, de manière totalement désintéressée.
00:37:42Et toi, qu'est-ce que tu construis ?
00:37:46Pardon ?
00:37:51Et toi, qu'est-ce que tu construis ?
00:37:55Je veux creuser une galerie.
00:37:57Pourquoi ?
00:37:59Il faut qu'un progrès ait lieu.
00:38:01Pourquoi ?
00:38:03Le lieu où je me trouve est déjà trop en hauteur.
00:38:06Tu fais de ta nécessité vertu.
00:38:09Premièrement, tout le monde le fait.
00:38:11Et deuxièmement, moi justement, je ne le fais pas.
00:38:14Je laisse ma nécessité rester une nécessité.
00:38:16Je n'assèche pas les marais.
00:38:18Au contraire, je vis dans leur moiteur fiévreuse.
00:38:21C'est bien comme ça que tu en fais vertu.
00:38:23Tout le monde le fait, je l'ai déjà dit.
00:38:25Et moi, je ne fais ça que pour toi.
00:38:28Je cause des torts à mon âme pour que tu restes gentille avec moi.
00:38:32Descends encore davantage.
00:38:36Mais l'endroit où je suis arrivée est déjà très profond.
00:38:40J'en ai presque la respiration coupée.
00:38:43D'ailleurs, l'endroit où je me trouve est déjà presque trop profond.
00:38:46Et si ça doit être comme ça, je resterai ici.
00:38:51Quel espace étrange.
00:38:53Quel espace étrange.
00:38:57C'est sans doute déjà l'endroit le plus profond.
00:39:01Et je veux rester ici.
00:39:04Surtout, ne me force pas à descendre encore.
00:39:11À partir d'un certain point, il n'y a plus de retour.
00:39:14C'est ce point qu'il faut atteindre.
00:39:18J'ai enfoui ma raison dans la main.
00:39:23Je garde la tête bien droite.
00:39:25Joyeusement, mais ma main pend fatiguée.
00:39:28Ma raison l'attire vers la terre.
00:39:32Vois donc cette petite main avec ses cinq doigts,
00:39:35dure de peau, traversée de veines saillantes,
00:39:38déchirée de rides.
00:39:40Comme il est bon que j'aie pu sauvegarder ma raison
00:39:43en la dissimulant dans ce réceptacle qui n'a l'air de rien.
00:39:47Il est particulièrement avantageux que j'aie deux mains.
00:39:51Je demande, comme par jeu,
00:39:53dans quelles mains est ma raison ?
00:40:03Personne ne peut le deviner.
00:40:05Car en joignant les mains, je peux en un rien de temps
00:40:08faire passer ma raison d'une main dans l'autre.
00:40:15Où pars-tu si vite ?
00:40:18Assieds-toi et prends quelque chose à boire.
00:40:23C'est moi qui paie.
00:40:26Elle me pose des questions, mais je suis incapable d'y répondre.
00:40:35Pire, je ne les comprends même pas.
00:40:39Elle me pose des questions,
00:40:41mais je suis incapable d'y répondre.
00:40:46Pire, je ne les comprends même pas.
00:40:50Elle me pose des questions,
00:40:52Pire, je ne les comprends même pas.
00:40:56Peut-être que tu regrettes maintenant de m'avoir invité.
00:40:59Dans ce cas, je m'en vais.
00:41:02Reste !
00:41:03C'était seulement une épreuve.
00:41:05Celui qui ne répond pas aux questions a réussi l'épreuve.
00:41:09J'ai toujours eu une certaine suspicion à mon propre égard.
00:41:16Une suspicion comparable, par exemple,
00:41:19à celle que ressent un enfant adopté face à ses parents adoptifs,
00:41:26même si on le maintient dans la croyance
00:41:28que les parents adoptifs sont ses parents propres.
00:41:31Il y a là une suspicion diffuse.
00:41:35Quand bien même les parents adoptifs aimeraient l'enfant comme le leur
00:41:39et ne lui refuseraient ni leur tendresse, ni leur patience,
00:41:43c'est une suspicion qui ne s'exprime peut-être que par moment
00:41:46et à de longs intervalles, à l'occasion de petits incidents fortuits,
00:41:50mais qui est réelle.
00:41:53C'est une suspicion qui ne s'exprime peut-être que par moment
00:41:56et à de longs intervalles, à l'occasion de petits incidents fortuits,
00:42:00mais qui est réelle
00:42:02et qui, lorsqu'elle se relâche, n'a pas disparu,
00:42:05mais au contraire, rassemble des forces.
00:42:08Et au moment favorable,
00:42:10ce minuscule malaise pourra se transformer d'un seul coup
00:42:14en une suspicion massive, nocive et féroce
00:42:20qui ne supportera plus d'être entravée
00:42:22et qui détruira tout dans le même mouvement impitoyable.
00:42:26Le suspicieux est l'objet de sa suspicion.
00:42:34Je la sens remuer en moi
00:42:38de la même manière que la femme enceinte
00:42:41ressent les mouvements de l'enfant qu'elle porte.
00:42:45Et je sais en outre que je ne survivrai pas à sa véritable venue au monde.
00:42:51Vie, belle suspicion,
00:42:54divinité grande et puissante, et laisse-moi mourir.
00:43:00Moi qui t'ai fait naître, toi qui es né de moi.
00:43:21Il n'y a rien de meilleur ici
00:43:24que les repas au restaurant végétarien.
00:43:29L'endroit est un peu triste,
00:43:31on mange du chou vert avec des oeufs au plat,
00:43:33le maïs le plus cher.
00:43:35L'architecture n'est pas grandiose, mais quelle satisfaction.
00:43:40On m'apporte à l'instant d'hier
00:43:42un petit déjeuner,
00:43:44un petit déjeuner,
00:43:46un petit déjeuner,
00:43:48on m'apporte à l'instant du gruau avec du jus de framboise,
00:43:52mais je compte encore prendre de la salade verte à la crème
00:43:55qui se mariera très bien avec un vin de groseille à macro.
00:44:00Une infusion de feuilles de fraisier viendra clore le tout.
00:44:07C'est tellement végétarien ici
00:44:09que même les pourboires sont interdits.
00:44:14Dis-nous, comment te portes-tu dans ce monde-là?
00:44:18Contrairement aux usages,
00:44:20je vais répondre avec franchise et objectivité
00:44:23à la question de savoir comment je me porte.
00:44:25Je vais bien.
00:44:27Car à la différence d'autrefois,
00:44:29je vis désormais au sein d'une société nombreuse,
00:44:32j'ai de multiples relations
00:44:34et grâce à mon savoir, grâce à mes réponses,
00:44:37je suis en mesure de donner satisfaction
00:44:39à la foule qui se presse pour être à mon contact
00:44:42ou qui du moins ne cesse de revenir vers moi
00:44:45aussi passionnément que la première fois.
00:44:47Et de mon côté, je répète, venez,
00:44:49vous me trouverez toujours prêt.
00:44:51C'est vrai que je ne comprends pas toujours
00:44:53ce que vous voulez savoir,
00:44:55mais ce n'est sans doute pas du tout nécessaire.
00:44:58Mon existence vous importe
00:45:00et de ce fait, mes déclarations vous importent elles aussi
00:45:03dans la mesure où elles confortent mon existence.
00:45:07Je ne me trompe pas en formulant ces suppositions,
00:45:10c'est pourquoi je me laisse aller dans mes réponses
00:45:12et j'espère ainsi vous procurer de la joie.
00:45:18Dans ta réponse, il y a quelques points obscurs,
00:45:22tu veux bien nous les expliquer l'un après l'autre ?
00:45:25Oh, vous qui êtes peureuse, vous qui êtes polie,
00:45:28vous qui êtes des enfants,
00:45:30interrogez-moi, posez vos questions.
00:45:34Tu parles d'une société nombreuse que tu fréquenterais,
00:45:37c'est quel genre de société ?
00:45:39Mais vous, votre petite société réunie autour de votre table
00:45:43et une autre dans une autre ville
00:45:45et une autre dans une autre ville
00:45:47et ainsi de suite dans beaucoup d'autres villes.
00:45:49C'est donc ça que tu appelles évoluer au sein d'une société ?
00:45:53Mais attends, tu es bien, comme tu l'as dit,
00:45:55notre vieux camarade de classe cri-ubeur, c'est vrai ou non ?
00:45:58Mais oui, bien sûr.
00:45:59Donc, tu te présentes à nous en tant que notre vieille amie
00:46:03et nous qui n'avons pas pu oublier que nous t'avions perdue,
00:46:06nous t'attirons ici par la force de notre désir
00:46:09et nous te facilitons le chemin, c'est bien ça ?
00:46:11Mais oui, c'est vrai.
00:46:13Tu as pourtant mené une vie retirée,
00:46:15nous ne croyons pas que tu aies eu des amis
00:46:17ou des connaissances en dehors de notre ville,
00:46:20alors tu vas voir qui dans les villes dont tu parles
00:46:22et tu es appelé par qui ?
00:46:25Merci.
00:46:27Je peux vous révéler maintenant, finalement,
00:46:29pourquoi je vous ai laissé m'adresser la parole.
00:46:33Par curiosité, par espoir,
00:46:36votre regard me réconforte.
00:46:39Il n'y a jamais eu d'époque où j'ai été convaincu
00:46:41par moi-même de mon existence,
00:46:43car je n'appréhende les choses autour de moi
00:46:45que de façon si précaire
00:46:47que je crois toujours que les choses ont vécu un jour
00:46:50mais qu'aujourd'hui elles sont en train de disparaître.
00:46:53Et j'espère apprendre de vous ce qu'il en est au juste
00:46:56des choses qui s'engloutissent autour de moi
00:46:59comme une chute de neige,
00:47:01alors que devant d'autres, un petit verre de schnapps sur la table
00:47:04a la consistance ferme d'un monument.
00:47:09Vous ne pensez pas qu'il en va de même chez d'autres ?
00:47:12Vraiment pas ?
00:47:15Ah, écoutez un peu.
00:47:17Un jour, enfant, après une brève sieste,
00:47:19alors que j'ouvrais les yeux,
00:47:21n'étant pas encore tout à fait sûr d'exister,
00:47:24j'ai entendu ma mère demander du balcon sur un ton naturel.
00:47:29« Que faites-vous, ma chère ? Il en fait une chaleur ? »
00:47:32Une femme a répondu depuis le jardin.
00:47:34Je déjeune comme ça, sur l'herbe.
00:47:39Là, j'ai été sidéré de l'aplomb avec lequel les gens savent porter la vie.
00:47:44Elle disait ça sans réfléchir ni parler trop clairement,
00:47:48comme si cette femme avait attendu la question
00:47:51et ma mère la réponse.
00:47:57Cette histoire de cette femme et de ta mère dans le jardin,
00:48:02nous ne la trouvons pas bizarre du tout.
00:48:05Non seulement nous avons entendu et vécu des histoires de ce genre,
00:48:08mais nous avons été impliqués dans plusieurs d'entre elles.
00:48:11Cette affaire est tout de même parfaitement naturelle.
00:48:13Tu crois que si nous avions été au balcon,
00:48:15nous n'aurions pas été capables de dire la même chose
00:48:17et de répondre la même chose depuis le jardin ?
00:48:20Un épisode tellement simple !
00:48:23Vous êtes bien habillées. Vous avez vraiment une jolie peau.
00:48:27Les aveux qui deviennent les plus clairs sont ceux sur lesquels on revient.
00:48:44Je ne veux obtenir rien d'autre qu'être déjà chez moi, dans mon lit.
00:48:50Seule face au mur et tout le reste derrière, dans mon dos.
00:48:57Tu ne veux pas me raconter encore une fois l'histoire de la femme dans le jardin ?
00:49:01Comme elle est digne d'admiration, comme elle est avisée !
00:49:04Il faut que nous nous comportions selon son exemple.
00:49:07Comme elle me plaît ! Si j'avais eu une mère comme celle-là !
00:49:12À quoi elle a servi cette histoire ? Oublie-la !
00:49:15C'est ça ! Interdis-moi encore ça !
00:49:18Qu'est-ce que tu veux ? C'est une histoire inventée !
00:49:22Ça se voit déjà de loin qu'elle est inventée !
00:49:24Je sais !
00:49:27Tu veux me faire vraiment plaisir ?
00:49:29Bien sûr !
00:49:30Tu veux bien me répondre sans poser de questions ?
00:49:32Oh oui ! Je me réjouis de voir que quelqu'un au moins en apparence
00:49:36veut poser des questions indépendamment de soi.
00:49:38Mais alors moi, j'aurais beaucoup de mal à le faire...
00:49:41Mais pas comme ça !
00:49:43Tu commences déjà en quelque sorte à poser des questions.
00:49:46Je ne le referai pas. Pose ta question.
00:49:52Comment tu te justifies ?
00:49:58Quelle drôle d'idée ! Je ne le fais pas !
00:50:03Et tu peux vivre !
00:50:06Justement pour cette raison !
00:50:09Comment pourrais-je vivre en me justifiant ?
00:50:12Comment pourrais-je justifier la multitude de mes actes
00:50:15et des circonstances de mon existence ?
00:50:19S'il avait été possible d'édifier la tour de Babel sans la gravir,
00:50:24la construction en aurait été autorisée ?
00:50:30Je suis sur un lopin de terre désertique.
00:50:34Je ne sais pas pourquoi je n'ai pas été placée sur une terre plus féconde.
00:50:38C'est que je ne le mérite pas ?
00:50:40On ne peut pas le dire.
00:50:42Nulle part ailleurs un buisson ne saurait mieux prospérer que moi.
00:50:48Bon, je m'en vais.
00:50:50Ah, tu en as mis du temps pour y réfléchir !
00:50:52Non, ce n'est pas du tout à ça que j'ai réfléchi.
00:50:54Ah bon ? Tu pensais à quoi ?
00:50:55Je me suis encore un peu préparé pour la soirée pour la dernière fois.
00:50:58Tu peux faire tous les efforts que tu veux, tu ne comprendras pas.
00:51:01Bah alors tu t'en vas quand même !
00:51:02Oui !
00:51:03Donc tu t'en vas quand même !
00:51:04Oui !
00:51:05Et qu'est-ce que je dois faire ?
00:51:06Rien !
00:51:07Mais je ne peux pas te retenir !
00:51:08Non !
00:51:09Et même si je le pouvais, je ne le ferai pas.
00:51:10Voilà !
00:51:11Je te dis ça uniquement pour t'éclairer sur ce sentiment qui te fait mal.
00:51:16Ce sentiment qui te fait croire que tu pourrais quand même être retenue par moi.
00:51:20Rien ne nous empêche de brandir nous-mêmes la volonté, ce fouet, et de nous en menacer.
00:51:33Donc ouvre-toi, portail, et surgis, homme, respire l'air et le silence.
00:51:39D'où vient cette soudaine assurance ?
00:51:41Si seulement elle pouvait rester, si je pouvais entrer et sortir par toutes les portes en étant un homme à peu près d'aplomb.
00:51:47Sauf que je ne sais pas si je le veux.
00:51:49Le monde va s'offrir à toi pour que tu le démasques.
00:51:52Il ne peut rien faire d'autre, il va se tordre, extasié devant toi.
00:51:57C'est une petite soirée sur une terrasse surélevée, sous le toit porté par des colonnes.
00:52:02Trois marches descendent vers le jardin.
00:52:06C'est la pleine lune et une chaude nuit de juin.
00:52:09Tous sont très joyeux, nourrions de tout.
00:52:11Quand un chien aboie, ça nous fait rire.
00:52:14Rien de mal. Dès que tu as franchi le seuil, tout est bien.
00:52:17Un autre monde et tu n'es pas obligé de parler.
00:52:21Je me réjouis véritablement que nous nous approchions déjà de l'hiver.
00:52:34Car l'hiver est beaucoup moins contraignant.
00:52:39On peut se comporter avec plus de liberté.
00:52:43N'est-il pas vrai, chère mademoiselle ? J'espère avoir raison en la matière.
00:52:48Non, vous ne m'impressionnez pas du tout, car...
00:52:52Attendez, il n'est pas question que vous consacriez ne plus que cinq minutes entières à parler avec moi.
00:52:57Mangez entre deux phrases, je vous en prie.
00:53:05Vous ne m'impressionnez pas du tout.
00:53:07Tout ce que vous dites est ennuyeux et incompréhensible, mais n'est pas vrai pour autant.
00:53:13Je crois en effet, monsieur, que la seule raison pour laquelle vous ne vous confrontez pas à la vérité,
00:53:19c'est qu'elle est trop épuisante.
00:53:21Ce qu'elle me dit me met de bonne humeur.
00:53:24Comme vous avez raison, mademoiselle.
00:53:27Comprenez bien ça, c'est une joie sans pareil d'être aussi bien compris sans l'avoir eu pour but.
00:53:33La vérité est en effet trop épuisante pour vous, monsieur.
00:53:36Mais regardez-vous donc.
00:53:38Vous êtes découpé dans du papier de soie, sur toute votre longueur, à la manière d'une silhouette,
00:53:42et quand vous marchez, on doit entendre comme un froissement.
00:53:46Pour cette raison d'ailleurs, il est inutile de s'échauffer au sujet de votre attitude ou de votre opinion,
00:53:52car vous ne pouvez faire autrement que vous courber au gré du courant d'air qui passe dans la pièce.
00:54:00Je me jette intentionnellement dans un buisson d'épines pour me punir,
00:54:04me punir d'une faute que je ne connais pas.
00:54:07Un gardien !
00:54:10Il y a des choses qui échouent en raison de rien d'autre que d'elles-mêmes.
00:54:14Un gardien ! Que gardes-tu ? Qui t'a embauché ?
00:54:19C'est sans doute une erreur.
00:54:21La seule chose qui te différencie du cloporte qui est sous la vieille pierre, là,
00:54:26et qui veille le dégoût que tu éprouves pour toi-même.
00:54:31Arrive seulement à te faire comprendre du cloporte.
00:54:34Quand tu lui auras posé la question de la finalité de son travail,
00:54:37tu auras éliminé le peuple des cloportes.
00:54:40Gardien ! Je me suis enfoncée dans un impénétrable buisson d'épines. Gardien !
00:54:46Mais comment êtes-vous donc arrivée là, au beau milieu de ce buisson d'épines ?
00:54:49Vous ne pouvez pas revenir en arrière en empruntant le même chemin ?
00:54:52Impossible ! Je ne retrouve pas le chemin.
00:54:54Tout à mes pensées, je suis allée me promener tranquillement, et soudain je me suis retrouvée ici.
00:54:58C'est comme si les buissons avaient poussé seulement une fois que j'étais arrivée ici.
00:55:01Je ne sortirai pas d'ici. Je suis perdue.
00:55:04Il est absurde de se plaindre en réponse des piques dans la tête.
00:55:07Vous êtes comme une enfant.
00:55:09D'abord, vous vous engagez sur un chemin interdit qui traverse les buissons les plus enchevêtrés,
00:55:13et puis vous vous mettez à vous plaindre.
00:55:15Vous n'êtes pas dans une forêt vierge, mais dans un parc public, et on va venir vous tirer de là.
00:55:20Comprendre cette chance, le sol sur lequel tu te tiens ne peut être plus large que ce qu'en couvrent tes deux pieds.
00:55:26Mais de tels buissons n'ont rien à faire dans un parc.
00:55:29Et comment on pourrait me sauver alors que personne ne peut pénétrer là-dedans ?
00:55:32Mais si on veut quand même essayer, il faudrait le faire tout de suite.
00:55:34Le soir sera tombé dans peu de temps, et je ne tiendrai pas toute la nuit ici.
00:55:37D'ailleurs, je suis déjà complètement égratignée par les épines, et mes lunettes sont tombées.
00:55:41Je n'arrive pas à les retrouver. Je suis à moitié aveugle sans mes lunettes.
00:55:44D'accord, mais vous allez devoir patienter encore un peu,
00:55:47parce qu'il faut que j'aille d'abord chercher les ouvriers qui dégageront le chemin à la hache,
00:55:52et que je sollicite au préalable l'autorisation de M. le directeur du parc.
00:55:57Montrez un peu de patience, et comportez-vous comme une femme, s'il vous plaît.
00:56:03Ne pas désespérer, même du fait qu'on ne désespère pas.
00:56:07Quand tout semble fini, de nouvelles forces arrivent tout de même en renfort,
00:56:11ce qui signifie bien que tu es en vie.
00:56:14Bon, si elles n'arrivent pas, c'est que tout est fini, mais alors à jamais.
00:56:23Le plus souvent, celui qu'on cherche habite juste à côté.
00:56:29Ce n'est pas évident à expliquer, il faut d'abord prendre ça comme un fait d'expérience.
00:56:34Celui-ci a des fondements si profonds qu'on ne peut l'empêcher, même si on tient à le faire.
00:56:39Il tient à ceci qu'on ne sait rien de ce voisin que l'on cherche.
00:56:43En effet, on ne sait ni qu'on le cherche, ni qu'on l'est.
00:56:48Mais alors, il est tout à fait certain qu'il habite à côté.
00:56:52Il faut évidemment connaître ce fait d'expérience universelle en tant que tel.
00:56:56Cette connaissance n'est pas le moins du monde gênante,
00:56:59même si on la garde délibérément à l'esprit en permanence.
00:57:04Je raconte un cas de ce genre.
00:57:07Celui qui cherche, ne trouve pas.
00:57:11Celui qui ne cherche pas, est trouvé.
00:57:16Je cherche les trois joueurs de cartes.
00:57:18Ca !
00:57:19Ah non, c'est sans doute une erreur.
00:57:20C'est nous !
00:57:21Ah oui, c'est nous !
00:57:22Tu viens de la direction opposée, maintenant tu rebrousses chemin.
00:57:25Oui, je marchais tout d'abord dans votre direction, et puis j'ai fait demi-tour,
00:57:28parce que l'obscurité était tombée beaucoup plus rapidement que je ne l'attendais.
00:57:31Pourquoi tu lèves les bras au lieu de les serrer autour de nous ?
00:57:33Parce que j'ai peur.
00:57:34Pourquoi tu lèves les bras au lieu de les serrer autour de nous ?
00:57:38Bien que le contact avec un corps humain soit quelque chose de très désagréable pour moi,
00:57:42je ne peux faire autrement que de les prendre dans mes bras.
00:57:45Bonheur d'être avec des gens.
00:58:08Il y a des gens là-bas, imaginez, qui ne dorment pas.
00:58:12Et pourquoi ça ?
00:58:13Parce qu'ils ne sont pas fatigués.
00:58:14Et pourquoi ça ?
00:58:15Parce que ce sont des fous.
00:58:17Les fous ne sont donc jamais fatigués ?
00:58:19Comment des fous pourrait-il l'être ?
00:58:21Je suis souvent somnolent du fait que je suis timide.
00:58:24Se réfugier dans un pays conquis qu'on ne tarde pas à trouver insupportable,
00:58:27car on ne peut se réfugier nulle part.
00:58:29La ferme délimitation des corps humains est épouvantable.
00:58:33La vue même d'un visage connu me détourne rapidement du bon chemin.
00:58:37Sentir qu'on est attaché et sentir en même temps que si l'on vous détachait, ce serait encore pire.
00:58:43Car nous sommes bien installés sur notre terre et nous vivons sur la base de notre entente.
00:58:48Vous savez bien, non, que nous sommes comme les troncs d'arbres dans la neige.
00:58:51On dirait qu'ils sont juste posés, bien à plat,
00:58:54et qu'on pourrait les faire glisser en les poussant un peu.
00:58:58Et non, on n'y arrive pas, car ils sont solidement attachés au sol.
00:59:02Mais voilà, même ça n'est qu'une apparence.
00:59:07Bien, et maintenant partons!
00:59:09Laissez-moi donc!
00:59:10Où part-tu si vite?
00:59:12Ils attendent dehors.
00:59:13Qui attend?
00:59:14Ah, je ne sais pas.
00:59:15Donc tu as menti.
00:59:16Non, adieu donc.
00:59:17Voilà, c'est ici.
00:59:19Oui, c'est ici.
00:59:20C'était pas très loin.
00:59:21C'est ce que j'avais dit, non?
00:59:23Voilà, j'ai fait tout ce chemin.
00:59:25Non, c'est moi qui ai fait tout ce chemin.
00:59:27C'est grâce à moi que tu as fait tout ce chemin.
00:59:28C'est vrai.
00:59:29C'est un miracle que nous ne chantions pas.
00:59:31Il y a un venir et un aller, un partir et souvent pas de revoir.
00:59:36Aujourd'hui, je n'ose même pas me faire des reproches.
00:59:39Lancé dans cette journée vide, il renverrait un écho répugnant.
00:59:44Ce soir, j'ai encore été pleine de facultés anxieusement retenues.
00:59:48Ce soir, après avoir étudié depuis six heures du matin,
00:59:51je me suis aperçu que ma main gauche, par pitié,
00:59:54a brièvement tenu serré les doigts de la droite.
00:59:58Ce soir, par ennui,
01:00:00je me suis lavé les mains trois fois de suite dans la salle de bain.
01:00:02Un fleuve séparait la ville en deux parties.
01:00:04Mais un lac n'a pas d'embouchure.
01:00:06Les oies couraient le long de l'étang, puis elles sautèrent.
01:00:09J'en suis au point où je ne veux plus du tout de certitude.
01:00:12Ce fut un grand plaisir de parler avec vous.
01:00:14J'ai entendu plusieurs choses qui, jusque-là,
01:00:16m'étaient intentionnellement inconnues.
01:00:19Je m'en réjouis.
01:00:20Et cette soirée où tu dois te rendre ce soir?
01:00:24Alors là, cette soirée,
01:00:27vous voyez, à peu de choses près, je l'aurais complètement oubliée.
01:00:30Quel manque de mémoire!
01:00:31C'est à cause de moi.
01:00:32Non, c'est à cause de moi.
01:00:33Comme vous dites.
01:00:34Est-ce que vous m'accompagnerez au moins jusque-là-bas, en échange?
01:00:37Ce n'est pas loin, alors c'est d'accord?
01:00:38Bien sûr.
01:00:39Bien sûr.
01:00:40Et vous montrez avec moi, s'il vous plaît?
01:00:41Ça, encore une fois, non.
01:00:42C'est comme ça, et tu le sais aussi.
01:00:44Et pourquoi, si je vous le demande gentiment, alors c'est d'accord?
01:00:46Allons-y déjà, pour commencer.
01:00:48Il est déjà bien tard.
01:00:49Je ne sais pas du tout si j'irai sans vous à la soirée.
01:00:51Mais viens donc!
01:00:52Allons, viens!
01:00:53Jamais tu ne tireras de l'eau des profondeurs de ce puits.
01:00:56Quel eau? Quel puits?
01:00:58Qui donc pose cette question?
01:01:00Qui le demande?
01:01:05Silence.
01:01:09Quel silence?
01:01:22Applaudissements.
01:01:52Applaudissements.
01:02:22Silence.
01:02:52Silence.
01:02:53Applaudissements.
01:02:54Silence.
01:02:55Silence.
01:02:56Silence.
01:02:57Silence.
01:02:58Silence.
01:02:59Silence.
01:03:00Silence.
01:03:01Silence.
01:03:02Silence.
01:03:03Silence.
01:03:04Silence.
01:03:05Silence.
01:03:06Silence.
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01:03:08Silence.
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01:03:10Silence.
01:03:11Silence.
01:03:12Silence.
01:03:13Silence.
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01:03:17Silence.
01:03:18Silence.
01:03:19Silence.
01:03:20Silence.