Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, était l'invité du Grand entretien de France Inter, vendredi 21 mars, à l'occasion de la publication d'un rapport sur les politiques publiques destinées à la jeunesse.
Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-du-week-end
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00:00France Inter, Alibadou, Marion Lourdes, le 6-9.
00:07Le nouvel âge jeune, pour reprendre une expression consacrée dans le Grand Entretien, ce matin
00:12avec Marion Lourdes, et à l'occasion de la publication du rapport annuel de la Cour des
00:16Comptes, un rapport consacré aux politiques publiques en faveur de la jeunesse, nous allons
00:21nous interroger sur la jeunesse comme enjeu de société et de démocratisation essentielle.
00:27Vos questions, vos interventions, chers auditeurs, que vous soyez jeune ou moins jeune, au 01.45.24.7000
00:34ou sur l'appli Radio France.
00:36Et pour en parler, nous recevons le premier président de la Cour des Comptes, bonjour
00:40Pierre Moscovici.
00:41Bonjour.
00:42Bonjour Président et bienvenue.
00:43Président également du Haut Conseil des Finances Publiques et nous aurons besoin
00:47de votre regard sur ce qu'il se joue en ce moment dans les comptes de la France.
00:52La Cour des Comptes consacre donc son rapport annuel à la jeunesse, 612 pages d'études
00:57des politiques publiques menées en faveur ou en défaveur des 15-25 ans, 9 millions
01:04de Français, c'est à peu près 13% de la population.
01:07Et pourquoi, dites-vous, Pierre Moscovici, que ça a été une évidence de consacrer
01:11tous vos efforts, celles de vos institutions, à cette étude ?
01:15Alors d'abord, le rapport public annuel de la Cour des Comptes, c'est une tradition
01:18qui existe depuis 1830 et jusqu'à une période récente c'était une sorte de
01:22best-of, de mélange de nos travaux, puis maintenant nous publions tous nos travaux.
01:26Il y a à peu près un rapport qui sort de la Cour des Comptes par jour ouvré et dès
01:30lors on ne pouvait plus faire de mélange, alors on a choisi de faire des thèmes.
01:32Et c'est vrai qu'après avoir choisi l'adaptation au changement climatique et d'abord la décentralisation
01:37l'année d'encore avant les suites de la crise Covid, on s'est interrogé collectivement
01:41et on a dit « il faut traiter la jeunesse ». Parce que nous sommes devant un tournant
01:45démographique, alors on peut le traiter par les deux bouts, soit par le vieillissement
01:48de la population, mais il se trouve que nous avons fait aussi un rapport, une mission flash
01:52sur les retraites, soit par l'avenir du pays qui est sa jeunesse.
01:55Et donc oui, ça nous est apparu comme une évidence avec ce que vous dites, c'est-à-dire
01:59d'abord la jeunesse, alors pour nous c'est les 15-25 ans, sorties du collège jusqu'à
02:03entrer dans la maturité fiscale.
02:05Eh bien, qu'est-ce que c'est cette jeunesse ? C'est effectivement 9% de la population,
02:10c'est quand même une dépense publique de 53 milliards d'euros, donc 12% de la dépense
02:15publique et encore on n'y compte pas les collectivités locales et la sécurité sociale,
02:19et donc c'est quand même, si vous voulez, quelque chose d'absolument essentiel, même
02:24si, je parlais de tournant démographique, dans 10 ans, c'est demain, la part des plus
02:29de 75 ans dans la population sera plus importante que celle des moins de 25 ans, de 15-25 ans,
02:34ce qui veut dire qu'il y a là des enjeux démographiques, des enjeux de société,
02:38des enjeux de démocratisation, comme vous l'avez dit, qui sont fondamentaux.
02:41Alors, est-ce que la jeunesse est l'avenir du pays ? Pour reprendre vos mots, parce qu'à
02:44vous lire, on n'a pas le sentiment que ce soit franchement le cas.
02:47Si, c'est un rapport que je trouve en réalité plutôt optimiste, un rapport qui a toujours
02:50des éléments de critique, parce qu'il cherche à améliorer les politiques publiques.
02:53Il n'est pas franchement optimiste ? Il l'est plutôt, je vais essayer d'expliquer
02:57pourquoi.
02:58D'abord, notre jeunesse, oui, elle a ce dynamisme qui reste, et puis surtout, il y a des politiques
03:05publiques en faveur de la jeunesse qui ont quand même une certaine efficacité, qui
03:09ont des réussites.
03:10La jeunesse française, il y a plus de jeunes qui sortent de l'enseignement supérieur
03:13que dans le reste des pays de l'Europe.
03:14On va y venir.
03:15Je vous interromps, Pierre Moscovici, parce que les jeunes, c'est une catégorie qui
03:19est trop générique.
03:20La jeunesse, c'est trop générique.
03:21Je parle des 15 à 25 ans.
03:23Il faut parler des jeunes, décrivez-nous ces jeunes, parce que ce n'est pas du tout
03:27une catégorie homogène et c'est essentiel de le savoir pour comprendre.
03:30C'est très juste, mais avant de dire ce qui ne va pas, je veux dire ce qui va.
03:33D'abord, l'autonomie, 88,5% des jeunes de 15 à 25 ans sont soit en éducation, soit
03:40en emploi, soit en formation.
03:42Ceux qu'on appelle les nits, qui ne sont dans aucune de ces catégories, représentent
03:45à peu près 10%.
03:46C'est trop.
03:47Mais disons que tout de même, c'est une catégorie de la population, je parle démographiquement,
03:53qui a une réussite et les politiques publiques l'y aident.
03:55Après, il y a plusieurs jeunesses et il y a surtout, c'est ce à quoi on s'est intéressé,
03:59des inégalités très fortes entre les jeunes, qui sont les inégalités territoriales.
04:03Je vais prendre un exemple.
04:04Selon que vous êtes un jeune rural ou un jeune urbain, vous avez pour le jeune rural
04:0920% de chance d'accéder à l'enseignement supérieur, 32% pour le jeune urbain.
04:13Il y a des inégalités qui tiennent aussi à l'origine territoriale, par exemple les
04:17quartiers de politique de la ville, où bien sûr la situation est plus compliquée.
04:21Et quand on regarde des problèmes comme le logement, où finalement peu de choses sont
04:25faites pour les jeunes, parce que les jeunes, qu'est-ce qu'ils cherchent ? Des petites
04:28surfaces en zone urbaine, pas cher et pour une durée courte.
04:33C'est précisément ce qu'on ne trouve pas.
04:34Les transports collectifs, je parlais des jeunes ruraux, il y a un manque de ce côté-là.
04:38La pauvreté, 10% des jeunes sont pauvres.
04:41Le sport, il y a un chiffre qui est très spectaculaire, c'est que 75% des jeunes font
04:46du sport, toujours à 15-25 ans.
04:48On en fait beaucoup plus quand on a 15 ans que quand on a 25 ans.
04:51Et pourtant, ça a un lien avec d'autres choses, ça a un lien avec les addictions.
04:54En matière d'addiction, nous ne sommes pas bons.
04:56La France est un des pays où le taux d'addiction est le plus fort.
05:00Il y a 10% des jeunes qui se sentent dépendants.
05:03Il y a 2,6% des jeunes qui boivent de l'alcool tous les jours.
05:06Ça coûte très cher et puis surtout, ça pénalise l'avenir.
05:08Il y a des problèmes...
05:09Enfin, à 25 ans ou à 15 ans, ce n'est pas exactement le même phénomène.
05:12Il y a des problèmes de délinquance qui sont très importants.
05:16Et enfin, il y a le problème aussi de santé publique.
05:18On a fait un chapitre intéressant sur l'obésité en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.
05:23Pas du tout pour stigmatiser, au contraire, mais pour noter qu'il y a 15% des Français
05:27qui sont obèses, les adultes, 38% des Calédoniens, 48% des Polynésiens.
05:31Et ça, ça vient aussi d'une insuffisance de politique publique sur l'information,
05:36la nutrition, la qualité sanitaire, la prévention.
05:39La prévention est une dimension très importante.
05:40Bref, ce que recommande ce rapport surtout, c'est d'améliorer la qualité de la dépense
05:44publique et d'aller vers des politiques qui soient plus ciblées et plus efficaces.
05:48Et c'est ce que ces 16 monographies, au fond, illustrent.
05:51Voilà, si on vous résume, Pierre Moscovici, en gros, 53 milliards, c'est une dépense
05:55conséquente pour les jeunes.
05:56Oui, conséquente, suffisante.
05:57Mais il faut une dépense plus efficace et mieux répartie.
05:59Alors, vous parliez des transports et c'est intéressant parce que vous vous intéressez
06:03à la question des tarifs et de l'accessibilité.
06:05Vous dites en fait, ce qui est important, c'est que ça soit accessible à tous, les
06:08ruraux, les urbains, comme vous disiez tout à l'heure, et vous préconisez de réserver
06:12les réductions tarifaires aux plus modestes.
06:14Ça, ça risque de choquer certains.
06:16Non, parce qu'en fait, la politique des autorités organisatrices de transports sur le fond de
06:21collectivité locale, c'est finalement, on fait des comités tarifaires pour tout le monde.
06:26Ça coûte cher pour tous les jeunes.
06:28Ça coûte cher à l'entreprise, ça empêche d'investir, justement, parce que le vrai
06:33problème pour les jeunes, ce n'est pas le prix en vérité, pas pour tous les jeunes
06:36en tout cas, c'est l'offre, c'est-à-dire, c'est effectivement la disponibilité d'offres
06:41de transports.
06:42Et si vous voulez pouvoir investir plus, il faut retrouver des ressources.
06:44Et par ailleurs, il faut avoir un ciblage social, c'est-à-dire faire en sorte que les
06:48réductions tarifaires soient réservées aux, à ceux qui en ont besoin, c'est-à-dire
06:52aux plus fragiles, les plus vulnérables, les plus pauvres des jeunes.
06:55Ces inégalités, elles sont très, très frappantes dans la jeunesse.
06:57Il y a d'autres thèmes intéressants, on parlait notamment de la refonte du service
07:03national universel.
07:04Elle a été annoncée par le Président de la République, et vous parlez du service
07:06national universel dans ce rapport.
07:08Vous en avez parlé récemment, 2900 euros par jeune, ça coûte, c'était le calcul
07:13de la Cour des comptes il y a quelques mois.
07:15Vous saluez aujourd'hui la volonté de clarification du chef de l'État sur le service national
07:19universel ?
07:20Elle était nécessaire.
07:21Alors ça, c'est pas...
07:22C'est pas dans le rapport.
07:23Dans ce rapport-ci, nous parlons d'autre chose, nous parlons de la journée de citoyenneté.
07:27Et finalement, je trouve que les deux vont bien ensemble, parce que nous sommes dans
07:31un moment...
07:32On parle d'économie de guerre.
07:33C'est pas une expression que j'aime beaucoup, l'économie de guerre, parce qu'il faut
07:37être dans la guerre économique, mais l'économie de guerre suppose qu'on soit directement en
07:41guerre.
07:42Enfin, ça, c'est un autre sujet.
07:43Mais en tout cas, il faut rétablir, conforter ce que j'aurais appelé le lien entre l'armée
07:46et la nation.
07:47C'est fondamental.
07:48Et si on veut le faire, effectivement, le SNU, c'est ce qui permet de former des réservistes.
07:52Disons que ça n'a pas marché, et qu'en l'État, on pense qu'on ne peut pas le généraliser.
07:56Donc, le président de la République a raison de vouloir revoir complètement le dispositif.
08:00S'agissant de la journée de citoyenneté, 800 000 jeunes, 2h45, c'est pas une journée
08:06complète.
08:07Et là, pour le coup, la question évoquée par le ministre de la Défense, Sébastien
08:11Lecornu, de remilitariser cette journée, c'est-à-dire de l'orienter justement sur
08:16la défense, vraiment, encore une fois, nous sommes dans un moment où il faut conforter
08:20le lien entre la jeunesse, la nation et son armée.
08:2315-25 ans, c'est une décennie qui va des premiers baisers au petit boulot, jusqu'à
08:30peut-être et de moins en moins, l'entrée dans un emploi stable et durable, les moments
08:37aussi où on se prépare éventuellement à avoir un enfant, mais la jeunesse dure de
08:41plus en plus longtemps.
08:42Est-ce qu'aujourd'hui, Pierre Moscovici, un jeune doit davantage compter sur les solidarités,
08:47notamment les solidarités familiales, que sur les politiques publiques ? Parce que
08:51quand on vous lit, on se dit qu'il y a tellement de jeunes qui sont laissés de
08:54côté qu'au fond, il vaut mieux avoir sa famille derrière soi pour réussir dans
08:59la vie.
09:00C'est intéressant ce que vous dites, parce qu'on n'a pas exactement la même lecture
09:02du rapport.
09:03Vous voyez le verre plus qu'au trois-quarts vide et moi je le vois plus qu'au trois-quarts
09:07plein.
09:08Je parle des premiers amours, vous n'en parlez pas ?
09:09Non.
09:10La Cour des comptes n'en est pas encore là, elle a beaucoup changé, mais elle n'est
09:14pas encore à parler d'amour.
09:15Mais il faudrait que j'y pense peut-être.
09:17Oui, ça y viendra.
09:18Mais plus sérieusement, disons que nous n'avons pas l'impression que la situation
09:23des jeunes, honnêtement, dans la période récente, se soit détériorée.
09:26Mais les problèmes d'inégalité persistent, perdurent et sont très importants.
09:30Et en effet, ces solidarités familiales sont majeures.
09:32Elles sont majeures et la France est une société d'héritiers, Pierre Moscovici.
09:35Il y a un chiffre qu'il faut donner, c'est que l'âge moyen de départ des jeunes du
09:40foyer de leurs parents, aujourd'hui, est à 23 ans et demi, ce qui est un petit peu
09:43moins que dans l'Europe.
09:44Ce n'était pas le cas dans certaines générations que j'ai connues.
09:46Le syndrome Tanguy ?
09:48Quand vous-même étiez jeune.
09:49Mais je reprends ma question.
09:50La France est aujourd'hui une société d'héritiers, Pierre Moscovici.
09:53Société d'héritiers, sans doute.
09:54Mais vous savez, la solidarité familiale est une donnée qui existe partout.
09:58Par exemple, en Grèce, en Italie, les jeunes restent encore plus longtemps chez leurs parents
10:02et pour le logement, ils dépendent totalement de leurs parents.
10:04Une des questions qui doit être traitée, en réalité, c'est comment le jeune accède
10:08à l'autonomie.
10:09Et cette autonomie, elle doit porter à la fois sur toutes les dimensions.
10:12L'emploi, sans doute, l'éducation, les transports, le logement.
10:16Et au fond, oui, sans doute, il faut compter sur les solidarités familiales, mais il
10:19faut aider les jeunes à l'autonomie et faire en sorte de réduire ces inégalités.
10:23C'est le message central de ce rapport.
10:25Encore une fois, je le trouve plutôt optimiste pour ma part.
10:27C'est intéressant le point que vous souleviez tout à l'heure.
10:30Vous dites qu'on est habitué à raisonner à horizon 2050 pour le climat, pour l'énergie,
10:34pas pour la baisse du nombre de jeunes qui va être compensée par une hausse du nombre
10:38de personnes âgées.
10:39C'est-à-dire que ça va avoir quelles conséquences, en fait, dans notre raisonnement, dans notre
10:44construction ?
10:46Il y a toute une série de conséquences.
10:47C'est tout de même une société qui vieillit.
10:48Ça a des conséquences sociales, c'est des conséquences politiques, c'est des conséquences
10:52financières.
10:53Si on pense, par exemple, au financement des retraites, qui devient de plus en plus important.
10:56On va en parler plus souvent.
10:57Si la dégradation du rapport entre ceux qui sont actifs ou potentiellement actifs ou futurs
11:02actifs, c'est comme la définition du jeune de 85 ans, et ceux qui sont à la retraite
11:06et qui vieillissent de plus en plus, et j'espère de mieux en mieux, au-delà de 75 ans, se
11:11dégrade, alors à ce moment-là, ça pose des problèmes financiers majeurs.
11:13Mais il n'y a pas que les finances publiques derrière ça.
11:15Il y a au fond tout ce qui fait l'équilibre d'une société, il y a tout ce qui fait l'avenir
11:18des sociétés.
11:19Les âges de la vie.
11:20Les âges de la vie.
11:21Et d'ailleurs, ce qui est intéressant...
11:22Ça pose des questions qu'on n'a pas traitées.
11:23Il y a deux questions qu'on n'a pas traitées, parce qu'elles sont hantées, on a choisi de
11:26faire 15 à 25 ans.
11:27On ne traite pas la question de l'école primaire, on va faire un rapport sur l'école primaire
11:30bientôt qui sera important, parce que ça c'est fondamental, parce que les inégalités
11:33dont on parle, en fait, elles naissent avant, bien souvent.
11:36Et puis il y a la question, bien sûr, de la politique de natalité ou de la fertilité.
11:39Malgré tout, avant de retrouver les auditeurs d'Inter, Pierre Moscovici, ce rapport sur
11:45la jeunesse, c'est aussi un rapport sur les âges de la vie, et l'actualité nous y rappelle
11:50éclatement du conclave sur les retraites cette semaine, et on va y revenir, mais est-ce
11:55qu'aujourd'hui, vous diriez à un jeune homme, une jeune femme de 15, 25 ans justement, oublie
12:01l'espoir d'avoir une retraite par répartition ?
12:05Non, je ne lui dirais pas ça, mais simplement...
12:08Mais si vous êtes honnête ?
12:09Non, je vais être honnête.
12:10La Cour des Comptes, je le suis en général, la Cour des Comptes, j'essaie de l'être toujours.
12:15La Cour des Comptes, dans son rapport sur les retraites au premier ministre...
12:17Je le dis par provocation, mais vraiment, parce qu'on a le sentiment que...
12:21Dans son rapport sur...
12:22Je vais vous répondre très précisément.
12:23Nous-mêmes, nous pourrions nous poser la question.
12:25Oui, c'est vrai.
12:26Moi, pas tout à fait, parce que j'y suis assez près, mais...
12:29Retraité.
12:30Mais dans notre rapport sur les retraites, nous sommes arrêtés à 2045, et pas à 2070,
12:37dans les prévisions de déficit.
12:39Pourquoi ? Nous l'avons fait volontairement.
12:41Parce qu'à long terme, on sera tous morts ?
12:42Non, parce que nous sommes incapables, je pense, de faire des prévisions sérieuses sur la démographie.
12:47Et quand on ne fait pas de prévisions sérieuses sur la démographie,
12:49pour le coup, s'il y a une attrition, une réduction trop importante du nombre des jeunes,
12:52alors à ce moment-là, oui, la question se posera de savoir...
12:54On aura toujours des retraites par répartition,
12:56mais que représenteront-elles dans le total des retraites d'ici à 2070 ou 2080 ?
13:00Voilà une question à laquelle je ne peux pas répondre.
13:02Et ça dépend aussi, pour le coup, de la capacité que nous avons à retrouver une jeunesse,
13:06et donc une politique de natalité plus importante et plus d'actifs.
13:10Et à créer plus d'emplois, surtout.
13:12À augmenter le temps d'emploi.
13:13Et justement, à propos de retraite, je vais vous demander un fact-checking en bon français.
13:16Je ne vous demande pas votre avis politique, évidemment,
13:18je demande celui du président de la Cour des comptes,
13:20qui a rendu ce rapport dont vous parliez sur le financement des retraites.
13:23Quand le Premier ministre déclare cette semaine, sur France Inter puis à l'Assemblée,
13:26qu'on ne peut pas revenir à la retraite à 62 ans sans dégrader les comptes,
13:30c'est vrai ou c'est faux ?
13:31Alors, si il dit que c'est sans dégrader les comptes, c'est exact.
13:35Si il dit qu'on ne peut pas le faire du tout, ça je n'ai pas à me prononcer.
13:37Mais je vais vous donner des chiffres précis.
13:39Puisque nous avons fait ce rapport, cette mission flash pour le Premier ministre,
13:41que j'ai présentée au conclave.
13:43Au passage, je ne pense pas que la démarche de négociation soit morte.
13:46Je pense qu'elle change.
13:47Il reste encore des horizons.
13:50Vous êtes optimiste ce matin ?
13:52Non, mais il me semble qu'il y a une volonté de certaines organisations de continuer de discuter.
13:55D'ailleurs, nous allons leur présenter un deuxième rapport à la mi-avril,
13:58sur les questions d'emploi, de compétitivité, etc.
14:01Mais pour répondre à votre question, on l'a chiffré de manière précise.
14:03A la demande d'ailleurs de Sophie Binet, la chef de la CGT.
14:06Si vous voulez passer à 63 ans, ça coûte 5,8 milliards d'euros.
14:12Donc rester à 63 ans, geler les choses ?
14:14Non, passer de 64 à 63.
14:16Ça coûte 5,8 milliards d'euros par rapport à la réforme.
14:19Si vous voulez revenir à 62, ça coûte 10,4 milliards d'euros.
14:23Voilà pour le fact-checking.
14:25C'était insurmontablement un coût.
14:27Ça ne veut pas dire que c'est infaisable, ou alors il faudrait le payer.
14:29Mais je note aussi autre chose quand même,
14:31c'est que l'âge moyen déjà de départ en retraite est proche de 63 ans.
14:34Bon, mais ça, voilà, pour les faits.
14:36Je suis là pour donner des faits.
14:38Bonjour Hector, et bienvenue dans le Grand Entretien de France Inter.
14:42Vous avez une question pour le Président de la Cour des Comptes, Pierre Moscovici.
14:46Oui, en effet, je voudrais avoir son avis comparatif par rapport au budget actuel
14:52et le budget qui a été voté en Commission des Finances en décembre dernier,
14:57et notamment par rapport aux déficits et aux possibilités de politique publique en lien avec la jeunesse.
15:04Merci Hector.
15:06Alors, en lien avec la jeunesse, je pense que là, c'est une politique qui est relativement préservée,
15:10encore qu'elle est importante et dont il faut améliorer le ciblage.
15:12Mais de manière globale, nous avons un problème de finances publiques massif.
15:16Oui, mais Hector emploie un mot important.
15:18C'est possible. Est-ce qu'aujourd'hui, une politique publique majeure est possible encore en France ?
15:23Oui, je le crois vraiment.
15:24Vous savez, en France, on a 57% de dépenses publiques dans le produit intérieur brut.
15:29Avant la crise Covid, c'était 53,8%.
15:32Et je ne pense pas qu'on ait ajouté des strates de services publics merveilleuses.
15:35Je ne suis pas sûr que les Français soient totalement satisfaits de leur éducation nationale, de leur hôpital.
15:39Et donc, il y a un problème de qualité de la dépense publique.
15:42C'est le sujet que nous soulevons dans ce rapport, mais il est général.
15:45Et je crois en effet qu'il est temps que nous examinions la qualité de notre dépense.
15:49Vous savez, 57% de dépenses publiques dans le PIB, c'est 8% de plus que la moyenne de la zone euro.
15:54Alors évidemment, nous avons une préférence, nous, pour la protection, protection sociale, protection étatique, qui est plus marquée.
16:00Et c'est logique qu'on ait ça. C'est un choix collectif.
16:02Mais on peut améliorer les choses.
16:04Et nous donnons de nombreux exemples, pas seulement dans ce rapport.
16:06Si nous donnons un qui attrait aux jeunes, je pense aux politiques d'apprentissage.
16:09Les politiques qui se sont considérablement développées en 2017, et tant mieux parce que le chômage est déjà très élevé.
16:14Mais cette somme a petit à petit été déformée.
16:18C'est-à-dire qu'elle va de plus en plus vers des jeunes qui sont diplômés ou étudiants dans le supérieur.
16:23Et de moins en moins vers des jeunes qui sont éloignés de l'emploi.
16:25Alors que ça devrait être le contraire.
16:26Et donc on peut faire des économies sans dégrader le système de protection sociale.
16:30L'urgence, c'est l'économie de guerre.
16:32Est-ce que vous allez, vous personnellement, Pierre Moscovici, investir, placer plus de 500 euros dans ce produit financier
16:41qu'annonçait Éric Lombard, le ministre de l'économie et des finances, pour financer l'effort de guerre ?
16:46Celui-là, il y en aura d'autres.
16:48Mais oui, pourquoi pas, même si je ne peux déplacer une partie de mon épargne.
16:51Même si vous n'en connaissez pas le taux ?
16:53Oui, parce que de toute façon, ce sera au minimum le taux de l'assurance-vie.
16:56Et vous savez, moi, par définition, je n'ai pas de portefeuille d'action.
17:00Non mais je vous pose la question parce que beaucoup de Français se posent la question en ce moment.
17:03La réponse sera donnée.
17:04Il n'y a pas de doute que ces produits seront raisonnablement attractifs.
17:07Mais le sujet est un peu différent.
17:08Il y a deux choses que je voudrais dire.
17:10J'ai dit tout à l'heure l'économie de guerre.
17:11Ce n'est pas un thème que j'emploie volontiers.
17:13Parce que toute notre économie ne doit pas être tournée vers la guerre.
17:16Elle doit être tournée vers la guerre économique plutôt.
17:18C'est-à-dire vers la compétition économique mondiale.
17:20Mais dedans, il faut accroître notre effort de défense.
17:23Je préfère ça.
17:24Deuxième remarque.
17:25C'est subtil.
17:26Non, je ne crois pas.
17:28Parce que, si vous voulez, il y a des interrogations dans le pays.
17:31Justement, le vocabulaire, le message qu'on donne, il est important.
17:34Oui, nous devons nous défendre.
17:35Oui, nous devons être plus forts.
17:36Oui, il y a une menace russe.
17:38Oui, il faut être aux côtés de l'Ukraine.
17:40Mais tourner toute notre économie vers la guerre,
17:42je ne crois pas que ce soit quelque chose de juste.
17:45Ce n'est pas la formule que j'utilise.
17:46Et la deuxième chose, c'est que...
17:48Moi, je suis très intéressé par ces histoires d'épargne.
17:50Mais on parle de 450 millions pour le fonds BPI.
17:54Il y en aura d'autres.
17:5590 à trouver environ ?
17:57Sur des milliards.
17:58Je ne sais pas quel sera le chiffre final.
18:01Parce qu'il faut être aussi logique.
18:03L'économie de guerre, l'effort de défense, on n'y passe pas en un jour.
18:05Il faut changer beaucoup de choses.
18:07Mais néanmoins, ce que je veux dire, c'est que le vrai problème,
18:10c'est comment, au final, on va financer le budget,
18:13l'effort budgétaire nécessaire.
18:15Et ça, c'est des dizaines de milliards
18:17comparés à des centaines de millions.
18:19Est-ce qu'il faut repenser notre filet de sécurité sociale ?
18:22Peut-être reculer encore à l'âge de départ, à la retraite ?
18:25Réorienter certaines dépenses sociales
18:27pour les mettre dans l'effort de guerre ?
18:29Je pense que ça mérite un grand débat.
18:31D'abord, première chose, il faudra étudier
18:33la montée en puissance réelle du budget.
18:35Parce qu'il ne faut pas seulement voter des budgets,
18:37il faut être capable de les consommer.
18:39Et pour les consommer, il faut avoir aussi des entreprises.
18:41Il faut avoir un appareil industriel.
18:43Deuxièmement, après, il faut un débat sur comment on fait.
18:45Et comment on fait, c'est effectivement, d'une part,
18:47trouver des économies ailleurs.
18:49D'autre part, réfléchir à la question des prélèvements.
18:52Et puis, enfin, à le niveau des déficits.
18:54Moi, ma réponse est simple.
18:56On ne peut pas augmenter le déficit en France d'aujourd'hui.
18:58Rien ne doit augmenter notre dette publique.
19:01Il faut continuer à l'augmenter parce qu'elle est déjà totalement excessive.
19:04Vous savez, il y a un chiffre qui m'obsède,
19:06c'est ce qu'on rembourse chaque année pour la dette.
19:08C'est 20 milliards en 2020, c'est 60 milliards aujourd'hui,
19:10ce sera 100 milliards en 2030.
19:12Et là, parler d'investissement dans la défense,
19:14dans l'éducation, dans l'écologie, quand on a ce service de la dette,
19:16c'est pas possible, c'est pas sérieux.
19:18Et ce sera le premier budget du pays.
19:20Il y a encore une autre question.
19:22Vous ne parlez pas d'amour dans vos rapports, Pierre Moscovici.
19:24Est-ce que vous parlez parfois du bonheur,
19:26entre vous, à la Cour des comptes ?
19:28Il y a le rapport annuel sur le bonheur
19:30que réalise l'ONU chaque année,
19:32la France est 33ème,
19:34elle recule de 6 places.
19:36C'est un indicateur qui vaut ce qu'il vaut,
19:38mais au fond, est-ce que les Français
19:40devraient être jaloux des Finlandais qui sont premiers ?
19:42Écoutez, certains que nous vivons
19:44dans un pays qui est tendu en ce moment.
19:46Il est tendu sur le plan social, il est tendu sur le plan politique,
19:48il est tendu sur le plan psychologique.
19:50Il se cherche.
19:52Mais bonheur privé, malheur public ?
19:54Je pense qu'un peu plus de bonheur public aiderait aussi au bonheur privé.
19:56Et ça, c'est notre contribution au bonheur.
19:58Et ce sera la conclusion de cet entretien.
20:00Merci infiniment Pierre Moscovici d'avoir été l'invité de France Inter.