David Cormand, eurodéputé écologiste, invité de franceinfo le 14 mars
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00:00France Info Soir, l'invité, Aurélie Erbemont.
00:05Bonsoir David Cormand, vous êtes eurodéputé les écologistes, président de la délégation
00:12écologiste au Parlement Européen, il y a de grandes chances que cette guerre terrible
00:16et sanglante en Ukraine prenne enfin fin, ce sont les mots de Donald Trump après les
00:21échanges entre sa garde rapprochée et Vladimir Poutine, est-ce que vous partagez l'optimisme
00:26du président américain ?
00:27Je n'en sais rien parce que vous avez vu que Donald Trump est pour le moins erratique
00:32dans ses déclarations et dans ses impulsions, donc bien sûr je l'espère, on l'espère
00:38tous, c'est un conflit qui est extrêmement meurtrier, qui crée des tensions et des conséquences
00:45extrêmement graves, après je pense qu'il faut être lucide sur une réalité géopolitique
00:50nouvelle, la Russie demeurera, quoi qu'il arrive en Ukraine, une menace durable par
00:55rapport aux démocraties européennes et le retournement d'alliances, c'est de cela
01:00dont il faut parler, le retournement d'alliances des Etats-Unis en faveur de la Russie crée
01:07une situation absolument inédite depuis plus de 80 ans pour l'Europe, donc c'est ça
01:12la réalité globale géopolitique à laquelle on est confronté et qu'il faut regarder
01:17en face, donc il ne faut pas se laisser guider par les aléas conjoncturels des déclarations
01:24allant porte-pièce en l'occurrence de Trump, il faut vraiment comprendre dans quel monde
01:29désormais nous vivons et regarder ce monde en face.
01:31Le Parlement européen a adopté avant-hier une résolution justement sur la défense
01:37européenne qui réclame notamment d'utiliser les 200 milliards d'avoirs russes gelés
01:41pour aider l'Ukraine, est-ce que les 27 peuvent se mettre d'accord là-dessus dans
01:45la mesure où par exemple le gouvernement français est réticent car, dit-il, ça risque
01:49de rendre méfiant les investisseurs étrangers ?
01:52Alors j'ai cru comprendre quand même qu'il y avait une évolution de la position, alors
01:56peut-être pas du gouvernement mais en tout cas des partis politiques qui soutiennent
02:00le gouvernement pour aller vers nous.
02:02On avait été les premiers, sinon parmi les premiers à proposer le fait de réquisitionner
02:07ces avoirs.
02:08On parle d'avoirs d'oligarques, c'est-à-dire qu'en fait c'est le cercle autour de Vladimir
02:14Poutine qui se conduit.
02:16Cercle un peu plus élargi quand même.
02:17Toutes les personnes qui ont fait fortune depuis 25 ans maintenant, où Vladimir Poutine
02:22est haute au pouvoir, font partie de son cercle.
02:24Vladimir Poutine a un exercice de pouvoir de type mafieux.
02:27Donc en fait ces avoirs-là dont on parle, il est légitime de les prendre.
02:31Il y a l'argument du droit international, et est-ce que vous balayez aussi l'argument
02:35de la stabilité financière de l'Europe ?
02:37Mais en fait la stabilité financière de l'Europe, elle est indexée sur la paix.
02:41Donc en fait il faut arrêter de raisonner comme si rien ne se passait.
02:45Par ailleurs, le droit international a bon dos dans cette affaire.
02:48Très franchement, y compris, il y a moyen de dire que c'est une avance sur les frais
02:53de réparation.
02:54Pour l'Ukraine ?
02:55Oui, ensuite.
02:56Donc en fait, il faut arrêter de se dissimuler derrière ces arguments-ci.
02:59Par ailleurs, comment dire, c'est beaucoup plus que 200 milliards qu'il faut dans les
03:03années qui viennent pour construire une architecture de paix.
03:07Pour la défense européenne et pour sécuriser l'Ukraine.
03:10En fait, il faut avoir une vision beaucoup plus large dans notre vision d'architecture
03:13de sécurité que la sécurité territoriale de type militaire.
03:17Bien sûr, c'est un enjeu majeur, surtout avec le retournement d'alliances des Etats-Unis
03:21dont j'ai parlé.
03:22De la mutation, de la métamorphose de l'OTAN, ce que ça s'appelle encore l'OTAN, sachant
03:27que beaucoup de pays européens ont, comment dire, une architecture de défense qui repose
03:31sur l'OTAN.
03:32Sur les Etats-Unis ?
03:33Sur l'OTAN.
03:34Avec les Etats-Unis.
03:35Et donc ils ne peuvent pas se passer tout de suite, parce qu'il y a une charge de centralité.
03:39Il y a la question de l'armement qui, pour beaucoup d'origines américaines, tout ça
03:43ne se change pas.
03:44Mais moi, j'aimerais parler d'autres types de sécurité, parce qu'il n'y a pas que
03:46la sécurité.
03:47Il y a aussi la cybersécurité, par exemple.
03:48Alors, il y a la sécurité de nos démocraties, vous avez raison de le pointer.
03:51Alors, il y a les cybersécurités d'une manière générale, mais aujourd'hui...
03:54En tant que telle, il y a la protection des systèmes d'information, par exemple, pour
03:58éviter les ingérences ou les manipulations.
03:59Exactement, parce qu'il y a plusieurs types d'ingérences.
04:01Il y a l'ingérence via les réseaux sociaux.
04:03Alors, il y a la Chine qui fait ça avec TikTok et avec des hackers russes.
04:07Mais il y a aussi Musk, les Etats-Unis, avec X.
04:10Il y a la question, y compris de médias en France.
04:13Vous savez qu'on avait supprimé la capacité d'émettre de RT, Russia Today, qui était
04:18la chaîne propagande russe.
04:21Mais aujourd'hui, la ligne éditoriale des médias du groupe Bolloré sont-ils bien différents
04:26de ce que disait Russia Today ? Et là, ce n'est pas un oligarque russe, c'est un oligarque
04:29français.
04:30Comment on fait ? Donc, c'est des vrais sujets, et là, il va falloir affronter.
04:33Et autre question, puisqu'on parlait d'Edouard Philippe, il y a la sécurité sociale.
04:36Alors, attendez, justement, on va parler d'Edouard Philippe.
04:39Pas trop, mais un peu.
04:40On va être obligé, puisque d'abord, vous étiez hier, je précise, David Cormand, au
04:44rendez-vous autour de François Bayrou avec les responsables militaires.
04:47Et le ministre Lecornu des armées.
04:50Ce que vous avez entendu dans cette réunion, est-ce que ça justifie d'accroître l'effort
04:54de défense de la France, d'abord, très simplement ?
04:56Oui.
04:57Oui.
04:58Et alors, pour financer cet effort…
04:59Pour plusieurs raisons.
05:00Il faut développer cette affaire, parce que d'abord, on a besoin de capacités plus
05:04importantes en termes de stockage de munitions, mais aussi d'expertise nouvelle, de nouveaux
05:08types d'armements, autour des drones, etc.
05:10Mais surtout, avec le départ des États-Unis, la France va être amenée à devoir jouer
05:15un rôle spécifique au niveau européen.
05:18Ce qui est important, puisqu'on a la dissuasion nucléaire.
05:19Exactement.
05:20Pas que.
05:21Non, non.
05:22Oui, bien sûr.
05:23Mais pas que.
05:24Mais aussi.
05:25Il y a la question de la dissuasion nucléaire, bien sûr.
05:26Mais là, ce n'est pas de ça dont je vous parle.
05:27C'est que, quand je vous disais tout à l'heure qu'un certain nombre de pays européens
05:29devaient s'appuyer sur l'architecture OTAN pour pouvoir déployer leurs capacités
05:34militaires.
05:35Si on part du principe que l'OTAN moins les USA, ce n'est plus tout à fait l'OTAN.
05:40Et donc, qui se substitue en termes d'expertise, d'accompagnement pour que les pays européens,
05:45dans le cadre d'une défense européenne plus fédéraliste, ça peut être nous.
05:48Ça peut être la France.
05:49En partie.
05:50En partie.
05:51Avec la Pologne, avec l'Allemagne, avec la Grande-Bretagne, même s'ils ne sont plus
05:53dans l'Union européenne.
05:54Donc, en fait, c'est en ça que ça va demander des types d'efforts, d'investissements
05:58dans notre défense qui sont plus importants.
06:00Et alors, pour défendre notre liberté, il faudra travailler plus.
06:04C'est ce que dit Édouard Philippe ce soir, qui juge complètement hors sol et totalement
06:07dépassé le conclave sur les retraites.
06:09Est-ce qu'il a raison, l'ancien Premier ministre ?
06:11C'est lui qui est hors sol et d'ailleurs, en tant qu'héritier d'une famille gaulliste,
06:15il devrait reprendre et se renseigner sur les propos même du général De Gaulle, qui
06:20disait au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale qu'il n'y avait pas de sécurité
06:23territoriale sans sécurité sociale.
06:25Vous savez que c'était le moment où on a mis en œuvre en France la sécurité.
06:28Travailler plus, c'est remettre en cause la sécurité sociale ?
06:30Bien sûr.
06:31On est dans l'esprit de ce que disent un certain nombre d'intervenants, comme Édouard
06:34Philippe, en disant qu'en gros, ce serait aux pauvres, aux plus pauvres, parce que c'est
06:38à eux que ça s'attaquerait, de devoir financer la défense de nos démocraties.
06:41Donc d'abord, c'est immoral.
06:43Ensuite, ça ne marche pas parce que ça met en danger…
06:46C'est immoral de dire qu'il faut travailler plus ?
06:48De faire payer aux plus pauvres.
06:49Ce serait tout le monde, dans l'esprit d'Édouard Philippe, qui devrait travailler plus ?
06:53Non, non.
06:54Quand vous faites travailler plus tout le monde, c'est les plus pauvres qui en pâtissent
06:56le plus.
06:57Quand vous êtes riche, vous travaillez plus, vous gagnez, vous êtes riche.
07:00Donc c'est aux plus faibles que vous faites payer l'effort.
07:03Mais comment on atteint l'effort de défense de 100 milliards d'euros à horizon 2030
07:07pour la défense française ?
07:08Par la fiscalité juste.
07:09Alors le gouvernement privilégie plutôt l'épargne, mais augmenter les impôts, c'est pas une
07:17option envisagée par Emmanuel Macron.
07:19Dans tous les phénomènes, dans toutes les périodes historiques un peu intenses, comme
07:23on l'avie, il y avait l'endettement, ce que vous appelez l'épargne, on fait l'appel
07:26de l'épargne de français, on les rembourse.
07:28Donc c'est une forme d'endettement.
07:29C'est pas l'endettement auprès des banques, c'est l'endettement auprès des Français.
07:32Donc c'est une des pistes dont il y a l'endettement, mais ça ne suffira pas.
07:35Il faut aussi faire payer les plus riches, et donc la fiscalité des riches.
07:39Et ça, c'est très important, moi qui suis député européen, parce que je le vois au
07:42niveau européen.
07:43D'ailleurs, dans le livre blanc dont vous parliez, qu'on a voté sur la défense, j'avais
07:47proposé un amendement qui n'a été battu que de quelques voix, de dire qu'il ne fallait
07:50pas s'en prendre au budget de la cohésion européenne et au budget de la politique agricole
07:54commune.
07:55Et j'ai vu qu'y compris des députés européens de droite, Macron, Nice, certains d'extrême
07:59droite, avaient refusé de voter cet amendement.
08:01Pourquoi il était important ? Parce que si vous ne mettez pas une architecture juste
08:05socialement dans ce moment d'effort, vous faites le jeu de Poutine.
08:08Parce que Poutine, comme il l'avait fait d'ailleurs quand on avait fait les sanctions énergétiques,
08:13fait des campagnes de communication en disant « Regardez, vos gouvernants pour un pays
08:17dont vous n'avez rien à faire, qui est l'Ukraine, sont en train d'anéantir ou d'affaiblir
08:22vos droits sociaux.
08:23Pourquoi vous soutenez cette guerre ? » Et donc, on risque de perdre cette guerre sans
08:27même l'avoir amenée, en faisant gagner des forces politiques dans notre pays qui
08:32sont des alliés objectifs de Poutine.
08:34– David Cormand, il y aura peut-être aussi besoin de faire des économies pour financer
08:38l'effort de défense.
08:39Vous craignez en tant qu'écologiste que l'écologie serve aussi de variable d'ajustement.
08:43– C'est déjà le cas, c'était le cas dès l'offensive russe en Ukraine où à
08:48la fois sur les moyens d'investissement et les réglementations, l'écologie a pris
08:54la bairdue, si j'ose dire, dans la circonstance dans laquelle on est, et là aussi c'est
08:58une erreur.
08:59– Les budgets pour l'écologie ont notamment aussi subi des coupes pour ce budget 2025
09:03avant même qu'on parle d'efforts de défense en France.
09:06– Bien sûr, et d'ailleurs pour des raisons idéologiques, mais quand je vous parlais
09:09d'architecture de sécurité globale, pour moi, vous savez, il y a la sécurité territoriale
09:13militaire, on en a parlé, il y a la sécurité sociale, on en dédie un mot, il y a la sécurité
09:17démocratique et il y a la sécurité écologique.
09:20Puisqu'on ne peut pas, et d'ailleurs c'est la vice-présidente, commissaire espagnole
09:24au Parlement européen, qui dit qu'il ne peut pas y avoir de sécurité militaire
09:27sans sécurité climatique.
09:29Pourquoi ? Parce que l'impact des conséquences climatiques sur nos démocraties fragilise
09:33nos économies.
09:34Et donc si on n'arrive pas à être solide sur une économie qui se tourne vers l'avenir,
09:38et notamment les économies d'énergie, songez…
09:40– Mais vous croyez que ça peut encore l'écologie faire partie des priorités du gouvernement
09:44dans ce contexte ?
09:45– Je pense qu'elle le doit.
09:46Moi, je ne suis pas au gouvernement, je ne suis pas le gouvernement, vous m'interrogez
09:49sur ce qu'il faut faire.
09:50Pour moi, la stratégie de sécurité écologique, par exemple les économies d'énergie, songez
09:56qu'aujourd'hui, nous payons l'Europe deux fois plus d'argent à la Russie qu'à
10:01l'Ukraine pour les aides militaires, parce que nous restons dépendants d'elles au
10:04niveau du pétrole, du gaz et de l'uranium au passage.
10:07C'est une folie.
10:08Et donc la question de la sécurité écologique, c'est-à-dire de notre autonomie énergétique,
10:11de notre sobriété énergétique, c'est un pilier indispensable de la paix.
10:16Sinon, nous allons continuer de financer les dictatures, en l'occurrence la Russie, et
10:20donc notre sécurité sera entamée.
10:21Donc en fait, penser par le petit bout de la lorgnette de dire uniquement des armes va
10:26permettre notre sécurité…
10:27– Donc c'est en même temps en fait ?
10:28– Non mais arrêtez de dire en même temps, parce que ce terme a été largement galvaudé
10:32par quelqu'un qui l'a beaucoup utilisé, et c'est en plus.
10:36C'est pas qu'en même temps il y a un côté, il faut basculer de l'un à l'autre.
10:40C'est en fait une architecture de défense, c'est la démocratie, le social, l'écologie,
10:45et bien sûr un dispositif d'armement et d'un bloc.
10:48Et donc oui, ça demandait des efforts, et c'est pour ça qu'ils payent, la fiscalité
10:51juste à l'échelle européenne des plus riches est un pilier essentiel pour notre
10:56sécurité et celle de notre démocratie.
10:57– David Cormand, vous êtes député européen, après le Qatar-Gate il y a deux ans, il y
11:01a des nouveaux soupçons de corruption au Parlement européen, dans le viseur cette
11:05fois l'entreprise de téléphonie chinoise Huawei, on parle de rémunération pour des
11:10prises de positions politiques, des voyages, des places à des matchs de foot, aucun garde-fou
11:14n'a été mis en place ?
11:15– Général Bol, parce que suite à l'affaire du Qatar, notamment le groupe vert avait demandé
11:22des mesures plus contraignantes, de vérification de ce que font… Alors là, visiblement il
11:26n'y a pas de députés qui se sont mis en cause, mais c'est la nuit à ce stade.
11:29– En tout cas, pour l'instant, on parle de collaborateurs.
11:30– C'est ça, c'est ça.
11:31– L'enquête est en cours.
11:33– C'est ça, mais donc les vérifications d'offreurs, y compris auprès des collaboratrices
11:37et des collaborateurs que peuvent avoir les parlementaires bien sûr, parce que dans le
11:41cas de Huawei, en fait on parle d'une ingérence à la fois économique, mais aussi potentiellement
11:47d'espionnage.
11:48Huawei, c'est une entreprise chinoise de tech, de téléphone, dont on soupçonne
11:54beaucoup qu'ils équipent leurs appareils de moyens d'espionnage.
11:57– Donc il va falloir des nouvelles mesures au niveau du Parlement.
12:00– Pas des nouvelles, il faut des nouvelles mesures, parce que la dernière fois, les
12:02principaux groupes, notamment la droite et les socialistes qui avaient un peu la main
12:06sur cette affaire, ont laissé pourrir l'histoire du Qatar-Ghett, et on est passé à autre
12:10chose, et là, rebelote, donc en fait, ça suffit.
12:12Vous savez, il y a beaucoup de pouvoir au Parlement européen et dans l'Union Européenne,
12:16contrairement à ce qu'on entend par ailleurs, et quand on a beaucoup de pouvoir, on a beaucoup
12:19de responsabilités, et donc il faut accepter beaucoup de contrôles pour être à l'abri
12:23de toute tentation de ce type.
12:25– Merci David Cormand.
12:26– Merci à vous.
12:27– Et merci Aurélie Herbemont, à très bientôt dans le 18-20.