Vers une accélération de l'économie de guerre ? Armées européennes sur le sol ukrainien, partage du parapluie nucléaire français, saisie des avoirs russes... Que faut-il attendre de l'allocution d'Emmanuel Macron ? Écoutez l'analyse de Xavier Tytelman, ancien aviateur militaire, spécialiste aéronautique et défense, conseiller sur l'Ukraine aux armées et à l'industrie de défense.
Regardez L'invité de Yves Calvi du 05 mars 2025.
Regardez L'invité de Yves Calvi du 05 mars 2025.
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00:00Bonsoir, Yves Calvi et Agnès Bonfillon.
00:02Il est 18h19, bonsoir Xavier Tittalmann.
00:05Bonsoir.
00:06Vous êtes spécialiste aéronautique et défense et vous conseillez l'armée française,
00:09notamment sur la situation en Ukraine.
00:11Merci beaucoup de prendre la parole en direct sur notre radio.
00:14Emmanuel Macron nous donne donc rendez-vous ce soir dès 20h.
00:18Une allocution qu'il qualifie lui-même, je le cite,
00:20comme un moment de grande incertitude où le monde est confronté à ses plus grands défis.
00:25Qu'attendez-vous de cette prise de parole du chef de l'État ?
00:29L'élément, évidemment, c'est une confirmation de la situation internationale.
00:32Je pense qu'il y aura beaucoup de pédagogie de sa part pour expliquer que,
00:35oui, nous sommes en danger, les États-Unis sont en train de nous trahir
00:39dans cette alliance historique dans laquelle on est maintenant abandonné,
00:43comme le craignait le général de Gaulle il y a 60 ans
00:45et comme on a, nous, choisi l'autonomie contre la main de tous nos voisins.
00:48Donc aujourd'hui, ça veut dire qu'il faut absolument soutenir correctement l'Ukraine
00:52pour éviter que la Russie devienne une menace ouverte directe contre l'Europe,
00:56tel qu'elle le prétend par les conseillers directs de Poutine
00:59qui disent très clairement que les Pays-Bas, par exemple, seront les prochains sur la liste.
01:02Donc, quand l'Élysée parle d'un moment de bascule de l'histoire,
01:04vous estimez qu'il ne dramatise pas et qu'on en est vraiment là.
01:07Vous venez de parler de trahison des Américains.
01:10Ah, c'est une trahison !
01:11On a le président Trump qui répète encore une fois que, d'une manière ou d'une autre,
01:14ils vont indexer le Groenland.
01:16Quand vous en parlez avec les hauts stratèges dans les affaires stratégiques,
01:19ils vous disent, Trump, en fait, avoir une Europe affaiblie,
01:23qui se fait un petit peu dépecer au profit de la Russie avec les Pays-Bas,
01:26mais les États-Unis qui prennent le Groenland,
01:28Trump, dans sa vision à très long terme, il se dit,
01:30finalement, je me débarrasse de ces alliés qui, de toute façon, n'ont pas d'armée
01:34et moi, je récupère le Groenland.
01:36Donc, oui, aujourd'hui, il ne faut plus considérer les Américains comme des alliés.
01:39Le problème, c'est que la moitié de nos partenaires européens
01:42se sont équipés avec ces équipements qui, peut-être,
01:44ne seront plus utilisables en cas de guerre demain.
01:46On est en 1913, un an avant la Grande Guerre,
01:48en 1938, avant la Seconde Guerre mondiale ?
01:51Moi, je dirais plutôt 1910, parce que ce serait plutôt 2 ou 3 ans,
01:54parce qu'aujourd'hui, la Russie n'est pas en mesure de mener une guerre.
01:57Pour que la Russie redevienne une menace,
01:59comme le disent les services de renseignement allemands au bout d'un stag,
02:02il faut 2 à 3 ans de pause opérationnelle de la Russie
02:05pour qu'elle arrête de perdre ses troupes et son matériel en Ukraine.
02:08Et pendant ces 2 à 3 ans, elle lève 800.000 hommes
02:11et si, malheureusement, il y a une levée des sanctions,
02:13ça veut dire qu'elle est capable de produire entre 1.000 et 3.000 blindés par an.
02:17Si dans 3 ans, on a une armée de 800.000 hommes,
02:19avec 10.000 blindés, avec 25.000 missiles de croisière
02:22prêts à fondre sur les Pays-Baltes,
02:24évidemment, là, on sera mal,
02:26et c'est pour ça qu'on a 3 ans pour vraiment s'argemer d'une manière très urgente.
02:29Et ça veut dire que vous nous donnez rendez-vous dans 3 ans
02:31où la France peut avoir vraiment un rôle,
02:33voire une influence dans un conflit qui n'est pas lointain du tout ?
02:37La France doit reprendre son rôle historique de leader de la défense européenne.
02:41On peut regarder tous nos alliés européens en les regardant dans les yeux,
02:43en leur disant, ça fait 60 ans qu'on vous dit,
02:4515 jours peut-être, que les Américains ne seront pas alignés sur nos urgences stratégiques.
02:49C'est aujourd'hui que ça arrive.
02:51Vous avez eu tort, mais avoir raison tout seul pendant des décennies,
02:54finalement, ce n'est pas ça qui est important.
02:56C'est qu'aujourd'hui, tout le monde doit réellement faire l'effort
02:58pour remonter en cadence, pour produire rapidement,
03:01et ne pas partir sur des programmes de défense
03:03qui vont prendre 5 ans avant de commencer à produire un premier boulon.
03:06Il faut appuyer sur le bouton,
03:08et le seul pays en Europe qui a toutes les compétences techniques,
03:10ça veut dire que les autres chaînes européennes vont produire
03:13les avions français, les chars français,
03:15parce que nous, on a continué notre développement en technologie,
03:17ce qui n'est pas le cas de nos voisins.
03:19Des rumeurs font état d'un possible retour du service militaire.
03:21Est-ce que ça vous semble logique, si on veut réarmer,
03:24et à la lumière des rendez-vous que vous nous donnez,
03:26notamment dans 3 ans ?
03:28Pour les pays qui sont sur le premier rideau,
03:30pour les pays baltes, évidemment, pour les pays nordiques,
03:32ceux qui sont sur la frontière, éventuellement pour l'Allemagne,
03:35c'est plus crédible.
03:36Pour la France, j'y crois beaucoup moins,
03:38parce qu'on serait plus sur une armée professionnelle.
03:40Il n'y a pas clairement de menaces existentielles sur notre sol.
03:43Nous, c'est avec nos alliés.
03:45Alors oui, la Russie cherche à organiser des attentats,
03:47elle attaque nos infrastructures,
03:49mais on n'aura pas les chars russes qui vont arriver sur Paris.
03:51Par contre, si on laisse tomber nos alliés,
03:53effectivement, sur le long terme,
03:55on sait que la Russie prépare des frappes sur le territoire français.
03:57Il y a des fuites de documents secrets
03:59dans lesquels leur armée,
04:01y compris avec des armes nucléaires,
04:03fait des frappes préparatoires sur des cibles en France.
04:05Ça a été fuité en novembre dernier.
04:07Donc on sait de toute façon que nous sommes une cible.
04:09Donc il faut de la défense aérienne qui soit capable d'intercepter tout ça.
04:11Il faut des avions de chasse
04:13qui soient capables de bloquer les avancées,
04:15les tentatives russes.
04:17Et il faut des hommes au sol, mais qui seraient projetés.
04:19Et je n'imagine pas qu'on fasse un service militaire
04:21pour projeter des dizaines de milliers de Français dans les Pays-Bas.
04:23Mais par contre, une armée forte,
04:25capable de se déplacer rapidement
04:27et de monter en puissance, si les Russes
04:29prétendent un exercice et mettent des centaines de milliers d'hommes
04:31à la frontière de l'Europe, ça par contre c'est crédible.
04:33Alors je ne sais pas si cette question est totalement incongrue,
04:35mais les tensions internationales étant énormes,
04:37telles que vous les décrivez,
04:39la France peut-elle se permettre de mutualiser
04:41sa protection nucléaire ?
04:43Il ne faut à aucun cas
04:45et dans aucune condition...
04:47Je suis en train de vous demander si on peut couvrir l'Allemagne demain
04:49face à une attaque russe, pour dire les choses simplement.
04:51Alors, moi très clairement,
04:53je pense que l'Allemagne fait partie de nos intérêts vitaux
04:55de la nation, donc s'il y avait une attaque
04:57contre l'Allemagne, nous utiliserions l'arme nucléaire
04:59pour la défendre. L'autre question,
05:01c'est est-ce que d'autres pays pourraient
05:03dépendre de la dissuasion nucléaire
05:05française, par exemple, pour remplacer
05:07les Américains ? La Belgique, les Pays-Bas, l'Allemagne,
05:09l'Italie, la Turquie, ont aujourd'hui
05:11des armes nucléaires américaines, avec des avions
05:13américains. Est-ce que la France pourrait
05:15demain vendre des Rafales avec le package
05:17Rafale plus armes nucléaires en dessous,
05:19de la même manière que les Russes ont violé les accords
05:21nucléaires en remettant leurs armes nucléaires
05:23en Biélorussie ? Ça c'est une autre question.
05:25Dit comme ça, j'allais vous dire, c'est un bon
05:27package, en effet, oui.
05:29C'est un bon package, la France prend un rôle
05:31majeur dans la défense européenne,
05:33nous respectons les accords, enfin,
05:35nous violons les mêmes accords que les Russes ont déjà
05:37violés, et nous remplaçons les Américains.
05:39Donc ça, c'est un potentiel. Mais par contre,
05:41la France doit rester souveraine et autonome, totalement
05:43indépendante pour sa dissuasion nucléaire.
05:45Hier, Ursula von der Leyen a présenté un plan
05:47de 800 milliards pour réarmer l'Europe.
05:49Concrètement, ça va se traduire par quoi ?
05:51Alors, ça va évidemment,
05:53on veut dire, des commandes
05:55publiques, qui aujourd'hui manquaient. Quand vous avez
05:57une volonté de produire plus de missiles,
05:59ça ne se traduisait pas par de la commande publique jusqu'à maintenant.
06:01Il y a quelques domaines dans lesquels on a fait le nécessaire
06:03pour produire des canons César qu'on fournit
06:05à l'Ukraine, pour produire des munitions
06:07d'artillerie, mais par contre,
06:09les avions de chasse, on est en train d'atteindre
06:11trois avions par mois, ce qui est mieux
06:13que par le passé où on était à peine un par mois,
06:15mais on n'est pas encore sur une
06:17production qui serait au niveau.
06:19Nos alliés européens, qui ont des avions qui se vendent
06:21beaucoup moins bien, je pense à l'Eurofighter,
06:23peut-être qu'eux demain, ils pourront participer à l'assemblage
06:25ou à la fourniture de sous-composants.
06:27Peut-être que certaines usines qui aujourd'hui font
06:29des équipements civils, des voitures,
06:31etc., pourraient être transformées, comme on le voit
06:33en Allemagne ou en Belgique, pour produire
06:35de l'armement militaire. On pense par exemple à cette usine
06:37de tramway en Allemagne, qui était à deux doigts
06:39de faire la faillite, et bien maintenant, ils font des blindés.
06:41Donc, il faut être capable d'imaginer une transformation
06:43de notre industrie pour
06:45monter encore une fois en volume et être
06:47capable d'éviter une guerre dans trois ans.
06:49Vous êtes passionnant, mais j'ai 15 secondes
06:51à vous consacrer avec une dernière question
06:53qui est quand même particulière.
06:55Un spécialiste militaire évoquait récemment
06:57que les Françaises ne pouvaient tenir le front que sur
06:5940 kilomètres et à peine quelques jours.
07:01Est-ce qu'on en est là en France ?
07:03Non, on n'a pas la masse.
07:05C'est ça qui est problématique. Il faut imaginer
07:07les Ukrainiens ont la masse, ont des dizaines
07:09de milliers de bus et de drones
07:11qu'ils utilisent par jour, mais ils n'ont pas
07:13les équipements de qualité qui leur permettraient de gagner cette guerre.
07:15Nous, c'est le contraire. On a les éléments
07:17décisifs, mais on n'a pas la masse. Et donc,
07:19il y aura une complémentarité entre les pays de l'Est qui vont faire
07:21de la masse, et nous qui serons peut-être les chirurgiens
07:23qui permettront d'avoir le coup gagnant.
07:25Merci infiniment, Xavier Tittleman, spécialiste
07:27aéronautique et défense, et conseiller
07:29de l'armée française, notamment
07:31sur le terrain ukrainien. Je rappelle que vous
07:33pourrez suivre en direct l'intervention présidentielle
07:35du président
07:37dès 20h sur notre antenne,
07:39suivie d'un débat avec de nombreux spécialistes.
07:41Donc, restez avec nous. Elle a troqué
07:43ses escarpins pour ses bottes. Je parle
07:45de notre nouvelle césarisée,
07:47Maywen Barthélémy, meilleure révélation
07:49féminine, mais elle aussi, mais
07:51par ailleurs, elle est aussi agricultrice.
07:53Allez, agricultrice en Haute-Saône,
07:55rencontre dans un instant au micro
07:57de Samuel Goldschmidt.