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L'Affaire "France Télécom" avec Manon Lamotte, Associée, Eversheds Sutherland.

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00:00On commence tout de suite ce Lex Inside, on va parler de l'affaire France Télécom
00:14avec mon invité Manon Lamotte, associée au sein du cabinet Eversheds Zorland.
00:19Manon Lamotte, bonjour.
00:20Bonjour Arnaud.
00:21Dans un arrêt du 21 janvier 2025, la Cour de Cassation reconnaît le harcèlement moral
00:28institutionnel.
00:29Il marque la fin de la saga judiciaire France Télécom avec la condamnation définitive
00:36de ses dirigeants.
00:37Tout d'abord, pouvez-vous revenir sur les faits qui ont conduit à cette décision de
00:41la Cour de Cassation ?
00:42Bien sûr, vous l'avez dit, c'est effectivement une décision qui marque la fin d'un long
00:46feuilleton judiciaire et médiatique.
00:48Et ce feuilleton a commencé il y a plus de 15 ans, en 2009, lorsque l'organisation syndicale
00:54Sud a déposé une plainte à l'encontre de ce qui s'appelait à l'époque France Télécom,
00:58de certains de ses dirigeants.
00:59Il faut rappeler peut-être un peu le contexte, c'est que France Télécom traversait quand
01:03même une période difficile à cette époque.
01:05Pourquoi ? Parce que c'était quand même un secteur des télécommunications qui connaissait
01:08des mutations massives, technologiques, qui s'ouvraient à la concurrence.
01:14Et donc France Télécom était dans une situation de dette importante.
01:17Et donc ça avait conduit ses dirigeants à adopter des politiques d'entreprise et des
01:22plans qui visaient à réduire les effectifs de près de 22 000 salariés et agents.
01:27Et c'est précisément ce que reprochait l'organisation syndicale Sud à France Télécom et à ses
01:31dirigeants.
01:32Et c'est la raison pour laquelle ils ont été mis en examen.
01:34C'est parce qu'il avait été considéré qu'en réalité, ces politiques d'entreprise
01:39visaient à forcer le départ de certains salariés.
01:42Ça s'était manifesté par plusieurs événements, en tout cas c'est ce qui est relevé dans
01:47la décision de la Chambre criminelle de la Cour de cassation.
01:50Pour donner quelques exemples, des mobilités géographiques ou professionnelles imposées
01:54aux salariés.
01:55On a entendu parler des suicides chez France Télécom.
01:58Un climat globalement très élétaire, très anxiogène.
02:01Des salariés qui avaient une surcharge de travail importante, d'autres qu'on privait
02:04totalement de travail.
02:05Une longue enquête a eu lieu, qui a duré quand même près de dix ans, en tout cas
02:09dix ans avant qu'on ait une décision de première instance, rendue par la Chambre
02:15criminelle du tribunal de grande instance de Paris, et qui a condamné certains dirigeants
02:18de France Télécom et certains cadres supérieurs, également France Télécom en tant que l'entité
02:22juridique, qui les a condamnés pour harcèlement moral.
02:25Ce qui est important, c'est qu'effectivement on avait des personnes physiques qui ont été
02:29condamnées à des peines d'emprisonnement, des peines d'amende, et aussi au versement
02:33de dommages d'intérêt aux salariés qui s'étaient constitués partie civile.
02:37Ce dossier est allé en appel, et c'est la Cour d'appel de Paris qui en 2022 a rendu
02:43une décision qui confirme la condamnation, qui a relaxé certaines personnes physiques,
02:48certains dirigeants, certains cadres supérieurs, qui a allégé les peines d'autres personnes
02:52physiques, mais qui néanmoins sur le principe a confirmé ces condamnations et a consacré
02:57cette notion de harcèlement moral institutionnel.
02:59C'était en cet état que s'est présenté ce dossier devant la Chambre criminelle de
03:03la Cour de cassation, qui en janvier 2025 a confirmé les condamnations, qui sont donc
03:08devenues définitives, et elle aussi a consacré cette notion de harcèlement moral institutionnel.
03:13Alors on va revenir justement sur cette notion de harcèlement moral institutionnel, qu'est-ce
03:19que cela signifie ?
03:20Alors c'est une très bonne question, et la définition que nous en livre la Chambre
03:26criminelle de la Cour de cassation est très longue, très précise.
03:29Je pense que si on devait résumer cette définition de la Cour de cassation, elle nous dit que
03:34le harcèlement moral institutionnel, ce sont des agissements qui élaborent ou mettent
03:39en œuvre une politique d'entreprise, et qui sont porteurs d'une dégradation potentielle
03:46ou effective des conditions de travail des salariés.
03:48Dernier élément, il faut que ces agissements aillent au-delà de l'exercice normal du
03:53pouvoir de direction de l'employeur.
03:54Il y a trois éléments importants dans cette définition.
03:57Premièrement, c'est que ça peut être une politique d'entreprise, les agissements
04:01définissent une politique d'entreprise.
04:02Ça veut dire que ça doit être coordonné par l'entreprise ?
04:05C'est-à-dire qu'en fait, ce ne sont pas des agissements isolés, ça peut être une
04:08politique d'entreprise qui est constitutive d'un harcèlement moral.
04:11L'autre élément important, c'est que ce n'est pas uniquement ceux qui élaborent
04:14la politique d'entreprise qui tombent potentiellement sous le coup de l'infraction de harcèlement
04:18moral.
04:19Ça peut être aussi ceux qui n'ont pas participé à sa définition, mais qui simplement la
04:22mettent en œuvre et c'était le cas justement de certains cadres supérieurs qui ont été
04:26condamnés.
04:27Le deuxième élément important, c'est qu'il faut que cette politique d'entreprise porte
04:32en elle la possibilité d'une dégradation des conditions de travail des salariés.
04:36C'est intéressant aussi parce qu'il n'est pas nécessaire que ça aie effectivement
04:40pour conséquence une dégradation des conditions de travail.
04:42La simple potentialité déjà réunit les caractères de l'infraction.
04:46Et troisième élément, qui est assez rationnel, il faut que ça aille quand même au-delà
04:50de l'exercice normal du pouvoir de direction.
04:52Alors, en quoi cette décision constitue une nouveauté ?
04:56Ce qui est intéressant, je trouve, dans cette décision, c'est que c'est présenté assez
05:00largement comme une nouveauté.
05:01En réalité, ce que nous dit l'accord de cassation, c'est que ce n'est pas une nouveauté,
05:04dans le sens où ce n'est pas une nouvelle infraction qui est créée par le juge.
05:08Et d'ailleurs, le juge n'a pas le pouvoir de créer une nouvelle infraction.
05:10C'est intéressant parce que c'était justement l'argument des personnes mises en cause
05:15dans ce dossier.
05:16C'était de dire, vous ne pouvez pas nous condamner pour harcèlement moral institutionnel
05:19qui est une infraction qui n'existe pas dans le code pénal ou dans le code du travail.
05:22Ce qui existe, c'est le harcèlement moral.
05:24Et ce qu'il défendait, c'était une vision restrictive du harcèlement moral.
05:27C'était de dire, pour que cette infraction soit constituée, il faut qu'une personne
05:32déterminée commette des agissements de harcèlement de manière concrète et directe vis-à-vis
05:37d'une autre personne déterminée.
05:39Et ce que vient de dire l'accord de cassation, l'accord d'appel à Ayn Randel, c'est non,
05:42en fait, ce n'est pas une condition du harcèlement moral.
05:44Le harcèlement moral peut être constitué par une politique d'entreprise qui vise non
05:50pas une personne déterminée, mais un collectif de travail.
05:53Donc, en fait, ce que vient nous dire l'accord de cassation, c'est ce n'est pas une nouvelle
05:57infraction, c'est simplement une nouvelle illustration d'une infraction qui existe
06:01déjà, qui est le harcèlement moral, et donc vient balayer l'argument des personnes
06:04mises en cause qui disaient la loi pénale est d'interprétation stricte, vous ne pouvez
06:07pas nous condamner pour ça.
06:09Elle l'a fait.
06:10Alors, on va s'intéresser maintenant aux conséquences pour les entreprises de cette,
06:14je reprends vos termes, de cette nouvelle illustration du harcèlement moral.
06:17Quels sont les risques pour les entreprises ?
06:20Alors, tout d'abord, ce qui est important, c'est que les risques ne sont pas seulement
06:23pour les entreprises et cette décision, c'est une très bonne illustration.
06:26Les risques sont aussi pour les dirigeants des entreprises, voire pour les cadres supérieurs
06:31des entreprises.
06:32Donc, on le voit bien dans cette décision, ce sont des personnes physiques autant que
06:36la personne morale qui ont été condamnées et sévèrement puisque des peines d'emprisonnement,
06:40même si après, elles ont été converties en peines d'emprisonnement avec sursis.
06:44Mon opinion, c'est qu'il faut prendre quand même du recul sur cette décision.
06:48Première raison, parce que tout d'abord, ça concerne quand même des faits qui étaient
06:52assez extraordinaires, assez inhabituels.
06:54Je conseille tous les jours des entreprises sur des projets de transformation, des projets
06:58de réorganisation.
06:59Les faits qui sont décrits dans cette décision sont particulièrement extraordinaires.
07:04Je les ai décrits tout à l'heure.
07:05On parle de priver complètement quelqu'un de travail, d'énormes surcharges de travail,
07:09de forcer des mobilités.
07:11Donc, certains acteurs, certaines organisations syndicales et certains commentateurs ont
07:18pu voir dans cette décision ou ont voulu voir dans cette décision une condamnation
07:21générale des projets de transformation, des projets de réorganisation d'entreprises.
07:25Je ne partage pas du tout cette opinion.
07:27On demeure libre quand on est une entreprise, quand on est un dirigeant d'entreprise ou
07:31un cadre supérieur, d'élaborer, de mettre en œuvre des politiques d'entreprise, y
07:35compris quand il s'agit de projets de transformation difficiles, par exemple des réductions d'effectifs.
07:40Ce n'est pas du tout ce qui est condamné par la Cour de cassation.
07:42La décision s'expliquait aussi peut-être par la taille de l'entreprise France Télécom
07:46et par l'ampleur du coup du phénomène.
07:48Oui, c'est ça.
07:49Et je pense que ce qui a été condamné surtout, c'est l'abus qui a été commis.
07:52C'est-à-dire que vraiment, ce qui a été condamné, c'est que cette politique d'entreprise
07:55visait à forcer les salariés au départ, ce qui n'est quand même pas une situation
07:59qu'on rencontre très souvent.
08:00Plus généralement, même si je pense encore une fois qu'il ne faut pas trop donner de
08:06portée à cette décision, en tout cas pas plus qu'elle n'en a.
08:09Je pense qu'elle s'inscrit, c'est intéressant de le relever, dans une tendance plus générale
08:13qu'on voit devant les juridictions, devant les administrations, qui est l'attention
08:17portée aux aspects santé, sécurité et aux conditions de travail des salariés.
08:21On le voit beaucoup sur les projets de réorganisation.
08:23C'est un sujet dont très peu d'acteurs se saisissaient il y a une dizaine d'années.
08:26Aujourd'hui, on voit très nettement que c'est un sujet qui est dans le radar des
08:29administrations, des juridictions.
08:30Évidemment, j'invite tous les employeurs à prendre en compte ces éléments dans l'élaboration
08:34de projets de transformation.
08:35On va conclure là-dessus.
08:37Merci Manon Lamotte d'être venue sur notre plateau.
08:40Je rappelle que vous êtes associée au sein du cabinet Evershed Sutherland.
08:44Tout de suite, l'émission continue.
08:46On va parler du devoir de vigilance et notamment de la directive sur le devoir de vigilance.

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