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Dans « le grand témoin » Télématin reçoit Camille Pouponneau, maire démissionnaire de Pibrac en Haute-Garonne.

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00:00Vous savez combien de maires ont démissionné depuis les dernières élections municipales en 2020 ?
00:05Il y en a beaucoup, 2400 précisément, sur 35 000 communes, c'est beaucoup.
00:10Et ils dénoncent en général le manque de marge de manœuvre ou bien l'agressivité des gens face à eux,
00:15et c'est le cas de votre grand-émeu ce matin.
00:17Bonjour Camille Pouponneau.
00:19Bonjour Flavie.
00:19Merci d'être avec nous ce matin.
00:21Vous avez démissionné de votre mandat de maire de Pibrac.
00:23Pibrac, c'est près de Toulouse, le 17 octobre dernier.
00:26Et vous publiez aujourd'hui un livre que j'ai adoré,
00:30qui s'intitule « Mère, le grand gâchis » que l'on peut retrouver chez Robert Laffont.
00:35Parce que « gâchis », ce n'est pas un mot pris par hasard,
00:37c'est ce que vous avez le plus entendu quand au bout de quatre ans, vous avez décidé de jeter l'éponge.
00:41Qu'est-ce qui s'est passé en fait ? Vous êtes allée jusqu'au bout de vos forces ?
00:45Je n'ai pas voulu y laisser ma peau.
00:48Quand je me suis engagée pour être maire, c'est parce que j'aime profondément les gens,
00:51j'aime profondément ma commune,
00:52et au fur et à mesure du temps, je me suis épuisée dans cette fonction.
00:56J'ai ressenti un fort sentiment d'impuissance,
00:59et je me suis dit que ça ne valait quand même pas la peine d'y laisser ma peau,
01:04et j'aime trop la vie pour ça.
01:06Et vous êtes super jeune en plus.
01:08Vous avez pris vos fonctions, vous aviez 35 ans aussi Camille,
01:10donc on peut se dire à 35 ans, on a toute l'énergie, vous avez toujours rêvé de ça.
01:14Exactement.
01:15Et pourtant à un moment donné, vous vous êtes retrouvée face au mur, c'est ça ?
01:18Vous avez dit que c'était impossible ?
01:19Disons que j'avais l'impression de travailler énormément,
01:22j'étais à plus de 70 heures par semaine.
01:24Quand vous êtes maire, vous êtes en alerte permanente,
01:27et j'avais l'impression que ça ne servait pas à grand-chose.
01:29J'avais l'impression de ne pas arriver à faire bouger les lignes,
01:32et du coup au bout d'un moment, j'ai perdu complètement le sens de ce que je faisais,
01:37et ma puissance.
01:38Être maire, c'est appartenir à tout le monde.
01:41C'est être, selon vos termes, à portée d'engueulade.
01:44Qu'est-ce que vous entendez par là ?
01:46Je veux dire que moi, comme le président ou les ministres,
01:49je n'ai pas besoin de cabinet expert pour me dire l'opinion publique.
01:53Il me suffit d'aller au supermarché ou d'aller faire le sport,
01:57et je mesurais immédiatement quel était le problème dans ma commune.
02:00On est tout le temps, à tout moment,
02:03quand on sort sa poubelle, quand on va faire ses courses,
02:05on peut être sollicité au sujet de tout ce qui ne va pas,
02:08et donc forcément, on est toujours à portée d'engueulade.
02:11Et puis vous déplorez aussi le fait qu'on attribue aux maires
02:13un pouvoir qu'ils n'ont pas forcément,
02:15comme si vous aviez un pouvoir magique.
02:17Oui, je l'explique dans le livre.
02:19C'est vrai que très souvent, j'essayais de construire avec mes habitants
02:22les solutions aux problèmes, surtout quand ils étaient difficiles.
02:25Et alors, des fois, il m'arrivait de leur dire,
02:26mais finalement, qu'est-ce que vous proposeriez, vous ?
02:29Et là, j'avais cette phrase régulièrement,
02:31mais madame le maire, ce n'est pas moi qui ai été élue, c'est vous, le maire.
02:34Autrement dit, avec mon écharpe à pompe au doré,
02:37j'ai une baguette magique et j'allais trouver la solution à tous les problèmes.
02:40C'est plus complexe que ça.
02:41Et je dirais même que la vraie problématique,
02:44c'est qu'on a globalement des services publics
02:46qui sont de moins en moins performants
02:49et que les habitants, le maire, il le voit, il est là,
02:52il voit la lumière du bureau allumée, il voit sa voiture devant la mairie
02:55et donc, ils viennent le voir parce qu'il n'y a plus de médecin,
02:57parce qu'il n'y a pas de professeur pour les enfants,
03:00parce qu'il se sent en insécurité.
03:01Autant de sujets sur lesquels le maire n'a pas de pouvoir
03:04et pourtant, c'est bien lui que les habitants viennent voir.
03:06Vous l'écrivez, quand la République nous abandonne,
03:08c'est chaque citoyen qui en paie le prix,
03:09mais on a vraiment le sentiment qu'en premier lieu, c'est le maire qui trinque.
03:14Oui, alors après, je suis très humble par rapport à tout ça.
03:18Les habitants traversent aussi des choses qui sont très difficiles
03:21par rapport à la situation actuelle,
03:23mais là où je vous rejoins, c'est que ce n'est pas normal
03:25que ceux qui servent la République et qui donnent beaucoup de temps,
03:28qui renoncent à leur vie personnelle, à leur vie professionnelle pour s'engager,
03:32ne soient pas mieux protégés.
03:33Aujourd'hui, on n'a pas de statut.
03:34Moi, quand j'ai démissionné, je me suis retrouvée au RSA.
03:37Au bout de trois mois, je n'avais aucun filet de sécurité, plus aucun revenu.
03:42Je pourrais vous parler de ces femmes qui tombent enceintes pendant le mandat.
03:45Il n'y a aucune prise en charge parce que ce n'est pas prévu.
03:47Quand on est maire, on n'est pas payé.
03:48Si, si, quand on est maire, on a une indemnité,
03:50mais juste pour vous donner un ordre d'idée,
03:52je gérais donc 100 agents, un budget de 8 millions d'euros,
03:55et je touchais 1 100 euros de la mairie.
03:57Vous avez parlé de l'agressivité.
03:59Il y a des moments où vous vous êtes sentie un peu en danger, menacée.
04:01C'est quoi la situation la pire que vous ayez vécue ?
04:04La situation peut-être où je me suis sentie le plus en danger,
04:07c'est quand j'ai eu plusieurs personnes qui m'ont appelée
04:09pour me dire qu'une grosse berline a vite retenté,
04:11s'arrêtait dans toute la commune pour savoir où j'habitais.
04:14Et ce jour-là, je me suis dit qu'est-ce que j'ai fait ?
04:16Qu'est-ce qui s'est passé ?
04:18On refait tous les 15 derniers jours dans ma tête
04:20qu'est-ce que j'ai dit, quelles décisions j'ai prises,
04:22parce que c'est vrai que je n'avais pas peur.
04:24J'y allais, même des questions de trafic de drogue,
04:28des questions problématiques dans les logements.
04:30J'étais très volontaire.
04:32Et du coup, on refait tout dans sa tête et on se dit
04:34mais qu'est-ce que j'ai fait ? Qu'est-ce qui va m'arriver ?
04:36Vous avez su ce que c'était ?
04:37Non, je n'ai pas su.
04:38Mais parce qu'en fait, ce que vous soulignez aussi dans votre livre,
04:40Camille Popono, c'est le pouvoir délétère des réseaux sociaux.
04:44C'est-à-dire qu'en fait, à une époque,
04:46on avait le maire dans notre commune,
04:48qui était effectivement dans son bureau.
04:50Maintenant, on peut l'atteindre de plein de façons différentes.
04:52Exactement, comme j'explique dans le livre.
04:54Avant, quand Didier disait une bêtise au café,
04:56il y avait juste ses voisins du café qui l'entendaient.
04:58Aujourd'hui, quand Didier écrit quelque chose de dégueulasse
05:02sur les réseaux sociaux, il y a des milliers de personnes
05:04qui le lisent et donc ça n'a pas du tout le même impact.
05:06Et en plus de ça, il y a quand même globalement,
05:09dès que vous publiez quelque chose,
05:11des haters, même quand c'est positif.
05:14C'est toujours la faute de la mairie, c'est toujours la faute du maire.
05:16Justement, la force de votre engagement,
05:18c'était j'aimais les gens, vous l'avez dit.
05:20Vous les aimez plus ?
05:22Je les aime toujours. Si j'ai écrit ce livre,
05:24parce que vous savez, là vous me voyez toute pimpante,
05:27mais j'étais dans un sale État,
05:29comme m'a dit un administré, on dirait un hérisson écrasé.
05:32Je les remercie de leur bienveillance.
05:34Non, ils étaient très bienveillants en plus.
05:36Mais ce que je veux dire, c'est que si j'ai décidé de nouveau
05:38de m'exposer alors que j'ai été très exposée pendant 4 ans,
05:40c'est parce que je crois que la politique peut changer le monde.
05:43Je le crois profondément.
05:45En écrivant ce livre, je voudrais juste réveiller conscience
05:47et qu'on se dise, bon allez, on se retrousse les manches
05:49et on redonne du pouvoir au local.
05:51Camille Pouponneau, vous le dites aussi,
05:53le maire, c'est l'élu préféré des Français.
05:55C'est celui pour lequel vous votez directement.
05:59Mais en même temps, vous nous expliquez effectivement
06:02que son image, elle est fortement dégradée.
06:04Que les affaires au-dessus, les affaires à un niveau national,
06:09viennent impacter aussi les petits maires de France.
06:12Oui, parce que la relation entre le maire et ses habitants,
06:14c'est une relation de confiance.
06:16Et la confiance, on le sait, c'est comme dans la vie perso,
06:18ça met beaucoup, beaucoup de temps pour s'accorder.
06:20Par contre, ça se défait en quelques secondes.
06:22Et quand vous avez un élu national qui ment
06:25ou qui pique dans la caisse...
06:27Comme l'affaire Cahuzac, par exemple.
06:28Je cite l'affaire Cahuzac, mais il y en a plein d'autres, malheureusement.
06:31Et bien, en quelques secondes, ça vient ruiner
06:34toutes les années de confiance que vous avez essayé
06:37de nouer localement.
06:39Vous avez démissionné en octobre dernier.
06:41Rapidement, un, comment vous allez, et deux,
06:43qu'est-ce que vous faites dans la vie et où est-ce que vous vivez ?
06:45Alors, je vais très bien.
06:47J'ai retrouvé ma joie et mon enthousiasme.
06:49J'étais devenue aigrie et raide.
06:51Donc, je suis très contente de me retrouver.
06:53Mais voilà, je dois le dire avec émotion,
06:56c'est plus compliqué.
06:57Mes habitants me manquent.
06:58Il y a une relation affective qui se noue.
07:00Et ça, c'est plus complexe, d'autant plus que j'habite en Bretagne maintenant.
07:03C'était trop compliqué pour moi de rester dans ma ville.
07:06Et financièrement, je ne pouvais pas aussi rester dans mon appartement.
07:09En tout cas, je voudrais leur dire que je pense à eux.
07:12Le message est passé.
07:13L'émotion est là sur ce plateau,
07:14mais aussi chez ceux qui vous écoutent du côté de Pibrac.
07:17Merci infiniment.
07:18Merci.
07:19J'espère qu'ils liront ce livre et que vous, vous lirez ce livre
07:21parce que nous, on l'a adoré.
07:22Merle Grand Gâchis, c'est chez Robert Laffont.
07:24Merci à vous.
07:25Merci.

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