Michaël Stora, psychologue et psychanalyste, était l'invité du Face à Face ce jeudi 13 février pour évoquer le rapport entre jeux vidéo et violence, après le meurtre de Louise, 11 ans, avoué par Owen L., décrit comme "jouant de manière intensive aux jeux vidéo".
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00:00Il est 8h32 sur RMC et BFM TV, bonjour Michael Stora, merci d'être dans ce studio pour répondre non seulement à mes questions mais aux très nombreuses questions que se posent de nombreux parents de France,
00:12et j'en veux pour preuve tous les appels que j'ai reçus ce matin sur RMC, plusieurs d'ailleurs pourront vous interroger en direct ce matin.
00:19Michael Stora, pourquoi j'ai voulu vous recevoir ce matin ? C'est parce que vous êtes psychanalyste, vous êtes fondateur de l'Observatoire des mondes numériques en sciences humaines,
00:26et vous avez face à vous de nombreux jeunes qui sont parfois eux-mêmes pris dans une sorte d'engrenage du jeu vidéo.
00:34Owen L. a avoué avoir tué la jeune Louise, et voilà les mots du procureur, il a eu une intention, c'est le mot utilisé par le procureur,
00:45l'intention du suspect qui avait déjà abordé une collégienne dans le même secteur le 4 février était, je cite,
00:50de raqueter une personne pour se calmer après une altercation lors d'une partie de jeu vidéo en ligne.
00:57Fortnite, Owen L. fait une sorte de rapport au minimum dans le temps entre sa partie de jeu vidéo, sa colère, la mort de Louise. Est-ce qu'il y a une relation de causalité ?
01:10Alors non, je ne crois pas qu'il y ait une causalité, dans le sens où, sans rentrer dans le détail, puisqu'on n'a pas suffisamment d'éléments,
01:17en tant que psychanalyste, j'ai cette exigence d'avoir un maximum d'éléments pour essayer de comprendre, mais il faut bien comprendre,
01:23ayant énormément reçu de jeunes qui jouaient de manière parfois problématique ou excessive à Fortnite, les colères qu'ils pouvaient avoir étaient plutôt en général liées au fait
01:31qu'on leur disait « ça suffit, tu joues trop ». Et en général, c'était des coups de gueule, c'était des moments un petit peu de colère, de frustration,
01:40mais je dirais que cette séquence que vous nommez montrerait qu'on est dans une problématique, malheureusement, de décompensation psychotique,
01:48voire peut-être psychopathique, si on essaie d'essayer de comprendre, mais de faire une sorte de causalité entre le fait d'avoir été insulté par d'autres joueurs,
01:58ce qui est assez banal à Fortnite là pour le coup, mais dans d'autres jeux en ligne, parfois il y a des communautés qu'on dit « toxiques »,
02:05comme on dit, c'est-à-dire où les gens ne sont pas forcément très cordiaux entre eux, et de se dire qu'on va sortir pour racketter et malheureusement finalement commettre un meurtre,
02:14ça ferait du jeu vidéo une sorte de symptôme ou de maladie en soi.
02:19Ça veut dire que pour vous, quand vous dites que ce n'est pas l'un qui entraîne ou qui provoque ou qui crée le jeu vidéo, ce n'est pas la cause du crime.
02:28Non.
02:29Michael Sorra, est-ce qu'on peut dire que le jeu vidéo est un des facteurs du passage à l'acte, c'est-à-dire de cette colère qui elle-même est ensuite la cause du crime ?
02:40Alors, il faut bien comprendre qu'en effet, la question de la violence et du jeu vidéo est une question qui revient très souvent, d'ailleurs souvent par les politiques, je tiens à le dire,
02:50où on va évidemment tenter d'expliquer des passages à l'acte violent par le jeu vidéo.
02:56Oui mais pardon, pour la première fois, c'est en quelque sorte le meurtrier lui-même qui fait cette relation,
03:02c'est-à-dire c'est le meurtrier lui-même qui donne comme explication mobile ou contexte le fait d'avoir joué,
03:12et d'ailleurs sa soeur, sa petite amie disent de lui qu'il est, je cite, accro au jeu vidéo.
03:18Alors accro, c'est vrai que ce sont des termes très flous, j'aimerais quand même revenir sur la question de la violence.
03:23Prenons le temps justement, c'est vrai.
03:24Oui, alors vous savez, il y a eu des grands massacres de masse.
03:27Columbine, Vetec, Erfurt, qui étaient des joueurs de jeux vidéo et qui ont commis des massacres de masse.
03:32Et ça a été à l'époque vraiment quelque chose qui a en effet dit qu'il y aurait une sorte de causalité,
03:37plus que de la corrélation, une causalité entre jeu au jeu vidéo et finalement tuer.
03:42Bon, après coup, lorsqu'on rentre un peu dans le détail, dans l'après coup justement, où on prend le temps un petit peu de se poser,
03:48on se rend bien compte que ces jeunes n'étaient pas, en disant antérieurement, plutôt dans les problématiques de schizophrénie paranoïaque,
03:55des psychotiques, des gens qui avaient déjà des immenses fragilités.
03:59Et en effet, c'est ce qui peut se passer, c'est-à-dire qu'on verrait un effet de rencontre entre un jeu, peut-être des mots,
04:05et à un moment, un passage à l'acte meurtrier.
04:07C'est-à-dire qu'il faut bien comprendre...
04:09C'est-à-dire que ces jeunes-là vont chercher le jeu vidéo, en quelque sorte, mais leur rapport à l'autre, leur rapport à la société, leur rapport à la violence,
04:19et là, avant, le jeu vidéo vient en quelque sorte combler ou répondre à ça.
04:24Complètement. Et j'irais même l'inverse.
04:26Étrangement, dans les jeunes que moi je reçois, on est plutôt affaire à des personnalités très inhibées,
04:32et en fin de compte, souvent, pourquoi ?
04:34Parce que jouer énormément au jeu vidéo va d'une certaine manière réduire la jauge pulsionnelle.
04:39Ça veut dire quoi, ça ? En langage français, docteur ?
04:42Non, mais jauge, je faisais référence au jeu vidéo.
04:45Il y a des jauges de vie.
04:46En fin de compte, ça va tout simplement baisser, d'une certaine manière, la violence intérieure.
04:50Pourquoi ? Parce qu'il y a un effet cathartique.
04:52C'est-à-dire qu'à force de jouer, finalement, l'espace du jeu, c'est ça qui est important, qui est un espace de mise en scène.
04:59Je dirais qu'au fond, comment l'expliquer clairement ?
05:02Alors, je vais essayer de trouver les bons mots.
05:04Le jeu est un espace de récréation, dans le sens d'une recréation de ses tensions, de ses frustrations, de ses angoisses.
05:11Donc, ça veut dire que ça va calmer, paradoxalement, à l'inverse.
05:14Sauf qu'il peut y arriver, chez certains individus, préalablement, qui ont des grandes fragilités,
05:20faire que ça va déclencher, pourquoi pas, des passages à l'acte meurtrier.
05:24Michel Stora, on va prendre le temps de répondre aux questions que se posent les parents.
05:29D'abord, sur la question de Fortnite, à proprement parler.
05:33Puisque c'est ce jeu-là qui a donc été cité.
05:36C'est le jeu auquel, visiblement, joue énormément, jouait énormément O.N.L.
05:42Fortnite, c'est donc un jeu qui, aujourd'hui, est déconseillé au moins de 12 ans.
05:46C'est-à-dire que ce n'est pas un jeu considéré comme ultra-violent qui serait interdit au moins de 18 ans.
05:51Est-ce que Fortnite, en particulier, est un jeu qui accentue l'addiction ?
05:56Les nombreux appels que j'ai depuis ce matin me disent, notamment, que ce n'est pas tant la violence du jeu,
06:00que le fait que c'est un jeu qui ne s'arrête, au fond, jamais,
06:03et que lorsque vous perdez, on vous met immédiatement dans une partie suivante.
06:07Alors, vous avez évoqué quelque chose, en effet, de très important.
06:10C'est-à-dire, c'est ce qu'on appelle des dark patterns.
06:13Alors, à nouveau, j'ai un autre mot de nom.
06:14Les dark patterns, ce sont des mécaniques dans le jeu
06:17qui vont, de manière assez perverse, vous pousser à consommer au maximum.
06:21Chose qu'on retrouvait sur les réseaux sociaux, mais que, finalement, on retrouve aussi dans certains jeux vidéo.
06:26Et là, vous avez raison.
06:27C'est-à-dire que lorsqu'on finit une partie, alors que, d'habitude, il y avait parfois un panneau qui disait
06:32« voulez-vous recommencer ? », je résume,
06:34eh bien, d'une certaine manière, on va, d'un coup, leur dire
06:37« allez, hop, directement, tu te remets dans le jeu ».
06:40Et ça, c'est vrai.
06:41Ça veut dire qu'il n'y a pas de limite dans le temps ?
06:42C'est un vrai souci.
06:43Qu'il n'y a pas de fin ?
06:44Alors, il y a une fin, puisque une partie dure à peu près 20-25 minutes,
06:48une demi-heure, grand maximum.
06:49Mais alors que, d'habitude, il y aurait une interface qui dirait
06:53« il faut cliquer sur quelque chose pour recommencer »,
06:56là, d'emblée, vous recommencez tout de suite.
06:59Et ça, c'est, en effet, ce qu'on appelle les dark patterns,
07:01qui sont des mécaniques dont la vocation est, malheureusement,
07:04je dirais, comme un mécanisme addictogène
07:07qui va empêcher la personne, qui ne va pas aider la personne à arrêter.
07:11Qui va, au contraire, même, évidemment, tout faire pour que la personne n'arrête pas.
07:16Michael Storrin, est-ce qu'on peut même aller jusqu'à se poser la question
07:21d'une forme de responsabilité des producteurs de jeux vidéo
07:25dans l'addiction dont les jeunes vont ensuite être victimes ?
07:29Alors, écoutez, en effet, ça fait 25 ans que je connais bien ce monde-là.
07:34Je dirais que j'ai tenté à plusieurs reprises d'approcher l'industrie du jeu
07:38en leur disant qu'il faut qu'il y ait une responsabilité citoyenne
07:42par rapport à un échantillon de jeunes qui ont des difficultés.
07:46Comment est-ce qu'on pourrait avoir une responsabilité dans votre capacité à dire
07:51« Oui, il y a certains jeunes de 3 %, semble-t-il, sur les 35 millions de joueurs
07:56qui ont des problématiques d'addiction »
07:58et de se dire « Comment est-ce qu'on peut les aider ? »
08:00Donc, c'est vrai que, finalement, le fait que l'industrie ne reconnaisse pas...
08:04Alors, elle ne reconnaît pas du tout et, effectivement, elle a d'ailleurs réagi hier,
08:08dès hier soir, au récit précis du témoignage, en quelque sorte, de ONL
08:15puisque les éditeurs, le syndicat des éditeurs de logiciels et de loisirs
08:20ont publié le communiqué suivant que je vous lis.
08:24« L'industrie du jeu vidéo est choquée et condamne tous les actes de violence gratuits.
08:28Le meurtre de la petite Louise suscite une vive et légitime émotion dans le pays.
08:32Les jeux vidéo ne rendent pas violents.
08:34Les jeux vidéo restent avant tout des œuvres de divertissement
08:38au même titre que le cinéma, les livres ou la musique. »
08:42Est-ce que vous êtes d'accord avec cette phrase, Michael Storra,
08:44« au même titre que le cinéma, les livres et la musique » ?
08:48Oui, parce que le jeu vidéo est un objet culturel, voire même le onzième art,
08:52il faut le reconnaître, même si, étrangement, le syndicat s'appelle loisirs.
08:56C'est un autre problème.
08:57Mais ce qui est vrai, c'est qu'il ne faut pas confondre, entre autres,
09:00ces deux grandes peurs qui étaient la question de la violence et la question de l'addiction.
09:04Sur la violence, je suis totalement en accord avec eux.
09:06Et je dirais même, de manière étrange, c'est que...
09:09Que c'est une forme de catharsis.
09:10Complètement.
09:11Que c'est une forme, en fait, pour permettre de se défouler de la violence
09:15et donc de ne pas forcément l'exprimer ailleurs.
09:17Défouler ou la transformer.
09:18Parce que défouler, ça veut dire que c'est de la décharge.
09:20Comme si on tapait dans un sac.
09:22Ce n'est pas si simple.
09:23Fortnight est un jeu très dur.
09:24Ce n'est pas évident.
09:25Il faudrait peut-être que vous essayiez pour voir.
09:27Mais ce n'est pas évident du tout comme jeu.
09:29Néanmoins, c'est vrai que la question de l'addiction, c'est un autre problème.
09:32Où là, moi, en tant que psychologue, je suis plutôt inquiet.
09:35Alors, est-ce que vous diriez, malgré tout, de ce point de vue-là,
09:38que, alors pas sur l'angle de la violence, mais sur l'angle de l'addiction,
09:42que les jeux vidéo ne sont pas des œuvres comme le cinéma, les livres et la musique ?
09:47Alors, là où il y a une chose intéressante,
09:49c'est qu'en effet, un film, il y a un début et une fin.
09:52Dans un jeu vidéo, je parle des jeux vidéo en ligne, en général,
09:56la fin est très compliquée.
09:58Parce que finalement, la fin, c'est tout simplement un moment quand on éteint l'ordinateur.
10:02Mais on peut y jouer de manière complètement excessive.
10:04Pourquoi pas ? Sauf que pour certains mineurs,
10:07moi, je pense aux mineurs, un moment,
10:09comment est-ce qu'on peut les aider à accepter l'idée qu'il y a une forme d'addiction ?
10:13Est-ce que ça peut créer une forme de dépendance ?
10:17Et comment sortir de cette dépendance ?
10:19D'abord, comment veiller à ce que cette dépendance ne s'installe pas ?
10:22Et ensuite, comment la gérer ?
10:25Je vous pose aussi la question, parce que j'en reviens quand même à notre point de départ.
10:29Owen, elle, n'a jamais, semble-t-il, rencontré de psy.
10:33Ses parents ont, semble-t-il, été plutôt dans une forme de déni
10:38de ce qui apparaît quand même comme une dépendance.
10:41Est-ce que la psychanalyse comme vous,
10:45est-ce que l'accompagnement peut aussi aider
10:48à désamorcer ce qui fait que le jeune va aller chercher le jeu vidéo ?
10:53Je parle encore de la source, c'est-à-dire avant même le jeu vidéo.
10:56Bien sûr. En effet, déjà, ça fait maintenant 10-15 ans que je reçois dans mon cabinet
11:01certains jeunes, ce sont à 98% des garçons.
11:05En général, il y a des particularités.
11:07Pourquoi ?
11:08Pourquoi des garçons ?
11:09Pourquoi des garçons ?
11:10Alors, c'est intéressant, parce que lorsqu'on interroge beaucoup de filles,
11:12même si ça a évolué,
11:13pourquoi est-ce que tu...
11:14Qu'est-ce que penses-tu des jeux vidéo ?
11:16C'est perdre son temps.
11:17C'est terrible à dire, mais d'une certaine manière,
11:19il serait pris dans une forme de soumission à la règle d'avoir un temps utile.
11:23Oui, enfin, dans un sens, j'ai envie de dire,
11:25ça les éloigne de cet écueil que vous voyez.
11:30Si on est féministe, on pourrait se dire que les filles
11:32auraient le droit de perdre leur temps comme les hommes.
11:34Tout à fait.
11:35Mais peut-être que si on est féministe,
11:36on peut aussi se dire que les femmes, en quelque sorte,
11:38ont repris le pouvoir sur elles-mêmes.
11:39Sûrement.
11:40Mais néanmoins, ce qui est vrai, c'est qu'il faut bien comprendre
11:42que ces jeunes sont en dépression.
11:44L'addiction est une lutte antidépressive.
11:46C'est vraiment ça.
11:47C'est la réponse à une dépression.
11:48Complètement.
11:49Ce n'est pas ce que vous voulez dire,
11:50c'est que ce n'est pas le jeu vidéo qui crée la dépression.
11:52C'est la dépression qui crée la dépendance au jeu vidéo.
11:54Tout à fait.
11:55Et là où on rentre dans le détail, ce n'est pas n'importe quoi.
11:57Ce sont des jeux souvent compétitifs.
11:59Les jeunes que je rencontre sont comme des caricatures
12:01de ce que notre société a engendré.
12:03C'est-à-dire des jeunes pris dans une pression à la réussite à tout prix.
12:06Et dès qu'ils sont confrontés à un échec, ils s'effondrent.
12:09Ils vont continuer à affronter des situations
12:12dans lesquelles ils sont bons, souvent,
12:14et donc de jouer aux jeux vidéo.
12:16Après, là, ce qui se passe concernant la problématique des parents,
12:19c'est vrai que souvent, les parents ont eux-mêmes un avis
12:23très compliqué concernant les jeux vidéo.
12:25C'est-à-dire, même si ça a évolué,
12:27les parents de 40 ans ont connu l'objet jeu vidéo dans leur propre enfance.
12:31Mais finalement, très souvent, d'autant plus avec ces commissions
12:34qui diabolisent les écrans,
12:36en général, il y aura un fossé générationnel.
12:39Évidemment, les jeunes que moi je rencontre
12:42sont à un point où l'addiction,
12:44ce que les Japonais appellent zikikomori,
12:46sont complètement décrochés.
12:47Que pouvez-vous faire pour eux ?
12:49Je vous pose la question aussi parce que ce matin,
12:51j'avais notamment David qui m'appelait.
12:53Et David, il était extrêmement désemparé face à son fils.
12:56Il a cinq enfants.
12:58Et ça n'est que le dernier.
12:59Les autres n'ont jamais eu de problème de limite avec les jeux vidéo.
13:03Son dernier, dit-il, a complètement changé.
13:05Il a 9 ans, il joue notamment à Fortnite.
13:07Et il dit qu'il a changé.
13:09C'est-à-dire que c'était un enfant qui était bon à l'école,
13:11qui était hyper sociable, qui faisait du foot,
13:13et qui aujourd'hui n'a plus envie d'aller faire du foot,
13:16qui a de plus en plus de mal, qui devient extrêmement agressif,
13:19notamment, dit-il, avec sa mère et sa sœur.
13:22Et il dit, je ne sais plus quoi faire.
13:25Il est comme drogué.
13:27C'est le mot qu'a utilisé le père.
13:28Quel conseil vous pouvez lui donner ?
13:29D'abord, 9 ans, Fortnite, est-ce que la limite d'âge
13:32est une limite qu'il faut respecter ?
13:34Est-ce que les parents doivent respecter les limites d'âge ?
13:36Fortnite, c'est interdit aux moins de 12 ans.
13:37Alors, au-delà des limites d'âge, vous avez raison,
13:39c'est important de se dire qu'il y a une limite d'âge
13:41qui est une recommandation.
13:42Il y a la capacité ou non à mettre des limites.
13:44Et là, c'est très compliqué.
13:45Il y a 5 enfants, c'est quand même pas n'importe quoi.
13:48On va dire, à quel point est-ce qu'à un moment,
13:50moi, je le vois, il y a une fragilité parentale
13:52qui fait qu'il est compliqué à certains moments
13:54de mettre des limites.
13:55Pourquoi ? Parce qu'à ce moment-là,
13:57l'enfant va être terriblement frustré.
13:59On subit la colère.
14:00Tout le monde a du mal à supporter cette colère.
14:03Donc, il y a un moment où il faut pouvoir
14:05prendre des décisions qui mettent des limites,
14:07tout simplement.
14:08Et les tenir.
14:09Et les tenir, évidemment.
14:11Mais c'est très dur pour beaucoup de parents.
14:12Ils disent, j'ai fini.
14:14L'expression qui est ressortie souvent
14:16avec les auditeurs que j'ai eu ce matin,
14:17c'était j'ai fini par céder.
14:20Eh bien oui, c'est là où se situe souvent
14:22une problématique compliquée,
14:24c'est-à-dire comment est-ce que le parent,
14:26à un moment, accepte d'être le mauvais objet,
14:30comme diraient certains, d'accepter,
14:31de ne pas être apprécié, aimé, reconnu.
14:34Et ça fait partie du job de parent.
14:36Le job de parent, c'est aussi de temps en temps
14:38d'affronter et de devoir dire non.
14:40Je voudrais qu'on puisse accueillir Tony,
14:42qui nous a joint, justement,
14:44aux standards d'RMC et de BFM TV.
14:46Bonjour, Tony.
14:48Bonjour à toutes, bonjour à tous.
14:49Tony, vous êtes fonctionnaire en Gironde.
14:51Je crois que vous avez 32 ans.
14:53Et vous vouliez aussi nous dire
14:56que vous-même, vous avez beaucoup joué,
14:58mais vous êtes aujourd'hui parent.
15:00Quand vous jouez, comment ça se passe ?
15:02Racontez-nous.
15:04Quand moi je joue ?
15:05Quand moi je joue, ça se passe très bien.
15:08Je ne joue pas à des jeux de Fortnite,
15:12mais je joue à Gran Turismo,
15:14un jeu de simulation de voiture.
15:17Ce que j'explique aux standards,
15:18c'est que moi, quand je perds,
15:20ce n'est pas pour ça que je prends ma voiture
15:21et que je vais faire un rallye
15:22sur la rocade bordelaise
15:23ou en plein centre-ville.
15:24C'est-à-dire ?
15:27C'est-à-dire qu'il y a d'autres moyens
15:29de gérer la frustration.
15:30Au bout d'un moment, j'éteins la console,
15:31je fais autre chose, je prends un bouquin.
15:34Vous gérez votre frustration.
15:36Mais vous dites le mot frustration.
15:38Je voudrais que sur ce mot-là,
15:39Michael Stora, vous puissiez réagir,
15:40parce qu'on a quand même l'impression
15:41que c'est la question de la colère
15:42et de la frustration qu'il faut gérer quand même.
15:44Oui.
15:45Alors, il faut bien comprendre
15:46que c'est bien avant l'apparition des jeux vidéo,
15:48dans le développement de l'enfant,
15:50que la capacité à supporter la frustration
15:52se met en place.
15:53C'est une compétence, disons, entre guillemets,
15:55c'est une compétence émotionnelle.
15:57Et je dirais qu'on voit que certains enfants,
15:59peut-être avec une problématique de limite,
16:01sont justement dans l'incapacité.
16:03Il faut bien saisir que très souvent,
16:05beaucoup des jeunes que moi je rencontre
16:07ont été des enfants aimés de manière inconditionnelle.
16:10Et lorsqu'ils se retrouvent face à une frustration,
16:13ils ne sont plus habitués à la capacité
16:15à pouvoir vivre l'échec comme quelque chose de fécond.
16:18Parce qu'il faut bien comprendre
16:19que justement, je parlais de la société,
16:21mais comment est-ce que les parents,
16:23comme caisse de résonance,
16:24eux-mêmes sont tellement attentifs
16:26au bien-être de leurs enfants,
16:27chose qu'on peut comprendre,
16:28qu'ils ne veulent jamais les frustrer.
16:30En fait, ils ne veulent pas leur dire non.
16:31Ils ont du mal à dire non.
16:32Est-ce que vous êtes d'accord avec ceux qui disent
16:34et vous êtes toujours avec nous, Tony,
16:36vous-même qui êtes père,
16:38est-ce qu'ensuite, vous mettez des limites à vos enfants ?
16:41C'est aussi la question.
16:42Certains disent, et certains de vos confrères,
16:44Michael Stora, disent,
16:45il faut que le cadre soit très précis.
16:47Le jeu lui-même ne donne pas ce cadre,
16:49mais on va dire à notre enfant,
16:51tu as le droit de jouer jusqu'à 16h30.
16:54Et à 16h30, même si tu es au milieu d'une partie,
16:56même si le jeu n'est pas fini,
16:5816h30, c'est 16h30.
16:59Est-ce que vous respectez ce genre de limite
17:01pour vous ou pour vos enfants, Tony ?
17:04Bien sûr, je respecte.
17:05Oui, il y a un temps d'écran établi
17:08avec des jeux sur lesquels j'ai un contrôle,
17:12c'est-à-dire contrôle d'épais guide.
17:14Il ne peut pas télécharger de jeu lui-même.
17:17Tout passe par moi.
17:18Donc, j'ai un contrôle.
17:19Et quand je dis stop,
17:23quand vous parlez de cadre,
17:25vous dites 16h30, c'est fini.
17:27S'il doit finir sa partie,
17:28que ça prend cinq minutes de plus,
17:29ce n'est pas bien grave.
17:30Par contre, il sait qu'à la fin,
17:31il doit couper et il le fait.
17:32Et il le fait, Tony.
17:33C'est précisément là-dessus aussi, Michael Storac.
17:36Je voulais vous poser la question.
17:37Ce qui me frappe, c'est que Tony,
17:38lui, il connaît.
17:39Il sait de quoi il parle.
17:41Il connaît parce qu'il joue.
17:42Et il a commencé par dire qu'il jouait lui-même.
17:44Je sais qu'il y a aussi Thomas
17:46qui nous a appelés à l'instant
17:47qui dit moi j'ai 45 ans,
17:48je joue depuis que j'ai 12 ans
17:49et donc je sais responsabiliser mes enfants.
17:52J'ai presque envie de vous dire,
17:54le problème, c'est ceux qui ne savent pas
17:56de quoi on parle
17:57et qui donc ont plus de mal encore
17:59et qui peuvent être un peu plus promenés
18:00par les enfants.
18:01Première remarque, c'est très intéressant.
18:03Et vous voyez, c'est à nouveau des pères.
18:06Oui, mais c'est vrai que c'est une question
18:08extrêmement masculine.
18:10Et on dit qu'il y a beaucoup moins
18:11de questions clivantes.
18:13Celle-ci est particulièrement clivante.
18:14C'est vrai, malheureusement.
18:15Et en effet,
18:16la plupart des jeunes que je rencontre
18:18sont dans des foyers monoparentaux
18:20vivant seuls avec des mamans
18:21qui ne vont pas forcément très bien.
18:23Compliqué quand on est une maman seule
18:25de mettre des limites
18:26quand on ne va pas très bien.
18:27Ce que vous voulez dire,
18:28c'est que sur ce point-là,
18:29est-ce qu'il y a une forme d'autorité
18:32respectée par l'enfant
18:33sur ces questions-là ?
18:34C'est un peu caricatural,
18:35mais symboliquement, vous avez raison.
18:37Pas d'être une caricature ou pas.
18:39Les faits, quels sont les faits ?
18:40Oui, mais c'est-à-dire
18:41symboliquement la question du père
18:42qui met l'autorité et les limites,
18:44c'est quelque chose
18:45qui est un vieux modèle,
18:46mais qui est toujours là.
18:48Mais est-ce que ça veut dire
18:49que le fait d'avoir...
18:50Quand vous dites que c'est un vieux modèle,
18:51je comprends parfaitement,
18:52mais est-ce qu'au fond,
18:54le fait de ne plus du tout
18:56avoir le père
18:57dans beaucoup de ces foyers
18:59dont vous parlez
19:00est une forme, tristement,
19:03d'explication du contexte ?
19:05Pas que, mais c'est vrai
19:06que ça fait partie
19:07d'un des éléments du contexte.
19:08Et ce qui est vrai,
19:09c'est que l'autre chose
19:10que je trouve intéressante,
19:11c'est que le parent s'intéresse
19:13au jeu vidéo auquel joue son enfant,
19:15voire même partage.
19:17Moi, je pense que dans ce clivage
19:18qui est en train de se passer,
19:20cette forme de polarisation
19:21sur c'est bien, c'est pas bien,
19:22ça serait intéressant
19:23qu'on puisse faire des écrans,
19:25un allié.
19:26Dans la dynamique familiale.
19:28Moi, c'est ce que j'ai fait
19:29avec mes propres enfants.
19:30Ça marche plutôt bien.
19:31Mes enfants ne jouent pas d'ailleurs
19:32aux jeux vidéo,
19:33parce qu'ils ne sont pas très bons,
19:34mais c'est un autre problème.
19:35Mais la réalité, c'est que finalement,
19:36je pense qu'à force
19:37de diaboliser un objet,
19:39on en fait un objet
19:40de convoitise et de transgression.
19:41Donc, c'est intéressant
19:42de pouvoir aussi en faire
19:44un espace de compromis
19:46et de partage.
19:47Merci, Michael Stora,
19:48d'avoir répondu
19:49aux très nombreuses questions
19:50que l'on se pose ce matin.
19:52Il est 8h52.