• avant-hier
Discours à l'occasion du cent cinquantenaire de l'amendement Wallon

Catégorie

🗞
News
Transcription
00:00Il y a 150 ans, jour pour jour, le député du Nord Henri Vallon montait à la tribune de l'Assemblée nationale à Versailles.
00:11Il défendit son amendement qui tenait en trois phrases.
00:16Le Président de la République est élu à la pluralité des suffrages par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale.
00:27Il est nommé pour sept ans, il est rééligible.
00:32Trois courtes phrases qui vont pourtant changer notre destin républicain.
00:38Et il s'en est fallu de peu, de très peu.
00:43Quand à 18 heures passées cet article additionnel est mis au voie, le suspens est à son comble car l'Assemblée est à majorité monarchiste.
00:52Quelques instants plus tard, le résultat tombe.
00:56L'amendement est adopté à 353 voix contre 352.
01:03À une voix près, le mot « République » entre dans les lois constitutionnelles.
01:10Cette voix décisive, selon la légende, fut celle d'un député monarchiste.
01:16Outré par un collègue aristocrate qui lui avait tendu un parapluie et confondu avec un laquet, il aurait voté avec la gauche pour se venger.
01:26Ce qui est certain, en revanche, c'est le rôle décisif que jouèrent les élus de ce que l'on nommait alors la représentation parlementaire coloniale.
01:36Ils votèrent tous pour l'amendement Vallon, à l'exception du représentant de l'Inde.
01:41Sans leur voix, sans ces voix d'outre-mer, la République aurait été rejetée.
01:48« Ma proposition ne proclame pas la République, elle l'a fait », résuma Henri Vallon.
01:55Ce 30 janvier, la République n'est en effet pas proclamée en grande pompe, mais reconnue implicitement au détour d'un complément du nom.
02:06Même si deux autres votes essentiels sur le Sénat républicain et nos lois constitutionnelles ont résultat bien moins serré ce tard en février et en juillet 1875,
02:17ce 30 janvier reste une date charnière de notre histoire républicaine.
02:22Car en 1870, la République était loin d'être une évidence. Elle était là par intérim ou par défaut.
02:33Pour preuve de cette fragilité, la loi du 31 août 1873 dispose que les institutions ne sont que très provisoires,
02:42en attendant qu'elles soient statuées sur les institutions définitives de la France.
02:47En somme, comme le résume avec malice l'historien Serge Bernstein, avec l'amendement Vallon,
02:55une assemblée en majorité monarchiste vient de fonder la Troisième République sans exclure de la transformer un jour en monarchie.
03:05Et c'est pour mieux comprendre ce paradoxe que nous avons replacé ce 30 janvier dans le contexte des débuts de la Troisième République.
03:13Grâce à la richesse des collections, grâce aux archives nationales et aux archives municipales de Valenciennes,
03:20vous pourrez découvrir de véritables trésors, comme le procès verbal authentique de la séance du 30 janvier 1875,
03:28ou alors le manuscrit de l'amendement d'Henri Vallon, écrit de sa main.
03:33Bien évidemment, cette exposition met aussi en lumière la figure trop méconnue d'Henri Vallon,
03:39car l'homme est loin de se réduire à un amendement.
03:43Inclassable et insaisissable. Il est conservateur, mais républicain.
03:50Catholique, mais libre-penseur. Modéré, mais déterminé.
03:55En somme, il incarne le compromis républicain, au sens premier du terme.
04:01Notre exposition nous rappelle aussi qu'en 1847, un an avant la seconde abolition,
04:07Vallon écrit « Une histoire de l'esclavage dans l'Antiquité », salué par Victor Schoelcher en personne.
04:14Schoelcher le nomma ensuite secrétaire de la commission de l'abolition d'esclavage,
04:19et l'aida à devenir député suppléant en Guadeloupe.
04:23Aujourd'hui, nous honorons donc tant un des Pères de la Troisième République
04:28qu'un humaniste et défenseur des droits humains universels.
04:32Pour faire vivre cet héritage, je salue les membres de l'association des amis et descendants d'Henri Vallon présents parmi nous.
04:40Je les remercie d'avoir enrichi nos collections avec le don de ce buste d'Henri Vallon que nous avons le plaisir d'exposer.
04:48Je remercie enfin le comité d'histoire politique et parlementaire pour sa contribution à ce projet.
04:55Mesdames et Messieurs, ce qui s'est joué à une voix près, il y a 150 ans, nous parle encore.
05:04Car oui, le passé continue d'éclairer le présent.
05:08Présidente de l'Assemblée nationale, je vois au moins trois grands enseignements attirés de ce moment Vallon.
05:15Le premier, c'est que chaque voix compte en démocratie.
05:22Il suffit parfois d'une voix, d'une seule voix, pour faire basculer un scrutin crucial et parfois changer le visage de nos démocraties.
05:32Dans notre histoire, un autre vote crucial se joua également à une voix près.
05:37Et pas le moindre, la mort de Louis XVI.
05:40Le 18 janvier 1793, les représentants du peuple doivent décider de la peine à infliger à Louis XVI.
05:48A 361 voix, soit une voix de plus que la majorité requise, ils optent pour la mort.
05:56Trois jours plus tard, le citoyen Capet est guillotiné, place de la Révolution.
06:02Plus près de nous dans le temps et dans un tout autre contexte, la révision constitutionnelle de 2008 fut elle aussi adoptée à une voix près.
06:11Et là aussi, à Versailles.
06:14A une voix près, les droits du Parlement n'auraient pas été renforcés.
06:18A une voix près, la question prioritaire de constitutionnalité, cette révolution juridique et démocratique, aurait été refusée aux Français.
06:26Alors oui, toutes les voix comptent en démocratie.
06:30Tel est le premier enseignement du moment Vallon.
06:34Son deuxième, c'est de nous montrer la force du compromis.
06:38Car cet article additionnel n'aurait jamais vu le jour sans ce que René Raymond appela une conjecture des centres.
06:45Une entente entre des forces que l'on disait irréconciliables et qui pourtant sûrent se rassembler sur l'essentiel, sur la République.
06:55Henri Vallon, homme de dialogue et de nuance, fut un des architectes de ce compromis.
07:01Il aida à bâtir des convergences et à dépasser les divergences.
07:06Il prouvoit que le compromis n'était pas une compromission, mais une ambition.
07:11Et dans notre paysage politique fragmenté, où les divisions pourraient paralyser l'action,
07:18il nous faut aussi pleinement retrouver cet esprit du compromis au fondement de l'idéal tertio-républicain,
07:25pour rassembler au-delà des fractures et agir au-delà des postures.
07:30Mais ce compromis ne se contentait pas d'unir, il stabilisait aussi nos institutions.
07:36Et tel est le troisième enseignement de ce moment Vallon.
07:40Il nous montre la nécessité, comme les bienfaits, de la stabilité institutionnelle pour notre pays.
07:47Car à l'origine de l'amendement, il y avait un besoin impérieux.
07:51Celui, selon les mots même d'Henri Vallon, de sortir du provisoire.
07:56De retrouver, je le cite encore, de la stabilité dans le pouvoir.
08:00Pour lui, cette stabilité institutionnelle n'était pas une fin en soi,
08:05mais le prérequis pour que la France puisse se relever, retrouver sa prostérité et reprendre sa place dans le monde.
08:15Ce besoin de stabilité se comprend bien.
08:18De 1791 à 1875, treize constitutions se succèdent.
08:24Aucune d'elles ne tient plus de quinze ans.
08:28Au contraire, les lois constitutionnelles de 1875 vont perdurer jusqu'en 1940.
08:34Il s'agira du régime républicain le plus durable, jusqu'à l'an dernier, lorsque la Ve République l'a dépassée.
08:42L'avenir aura donc donné raison à Henri Vallon.
08:46Cette stabilité institutionnelle a donné à la France l'élan et l'assise nécessaires
08:51pour adopter des lois qui forment encore aujourd'hui notre socle républicain.
08:56La loi de 1881 sur la liberté de la presse.
08:59La loi de 1881 et 1882 pour l'école gratuite, laïque et obligatoire.
09:07La loi de 1905 sur la séparation de l'Église et de l'État.
09:11C'est ainsi la troisième leçon du moment Vallon.
09:14La stabilité est socle de progrès.
09:18Dans la période tumultueuse et tourmentée que nous vivons,
09:21marquée par le doute, par les divisions,
09:25il est donc de ma responsabilité d'œuvrer pour stabiliser nos institutions.
09:31Aussi fragmentées, aussi clivées soient-elles,
09:35je continuerai ainsi à me battre pour faire fonctionner notre Assemblée nationale,
09:41pour construire des passerelles au-delà des murs,
09:44pour trouver la stabilité par le compromis et le dialogue.
09:49Entendez-moi bien, les institutions stabilisées ne signifient pas des institutions figées.
09:55La stabilité n'est pas l'inertie, bien au contraire.
09:59Elle est le socle sur lequel nous pouvons continuer à moderniser et adapter nos institutions
10:04pour les rapprocher encore de nos concitoyens.
10:08Je pense en particulier à la pratique référendaire,
10:11en sommeil depuis 20 ans, que je souhaiterais réveiller.
10:15D'une part à travers une révision de l'article 11 de notre Constitution
10:19et d'autre part en instituant une journée de la participation démocratique.
10:24Mesdames et Messieurs, transmettre les enseignements de notre histoire,
10:29les rendre vivants, accessibles, dans ce lieu chargé de symboles qu'est l'Assemblée nationale,
10:35voilà une responsabilité et une mission qui me sont particulièrement chères.
10:40Et c'est pourquoi je suis très fière de vous présenter la présente exposition dans cette salle des pas perdus.
10:47Et je suis encore plus fière qu'elle puisse s'ouvrir au plus grand nombre,
10:51en particulier aux étudiants dont je salue ici la présence.
10:55Parce que j'ai une vision.
11:00Je pense que l'Assemblée nationale doit être pleinement la maison du peuple,
11:06qu'elle doit être ouverte, ouverte à tous les citoyens.
11:11L'Assemblée nationale doit être un pont avec les Français,
11:15entre le présent et le passé, entre la mémoire et l'avenir.
11:21Il y a 150 ans prit ainsi fort, me le veut prophétique,
11:25que formula 24 ans plus tôt un autre grand député de notre histoire,
11:30Victor Hugo, et je souhaiterais terminer par ses mots.
11:35Savez-vous ce qu'il fait la République forte ?
11:39Savez-vous ce qu'il a fait invincible ?
11:43Savez-vous ce qu'il a fait indestructible ?
11:47C'est qu'elle est la somme du labeur des générations.
11:51C'est qu'elle est le produit accumulé des efforts antérieurs.
11:55C'est qu'elle est un résultat historique autant qu'un fait politique.
12:00C'est qu'elle est la forme absolue, suprême, nécessaire du temps où nous vivons.
12:08Je vous remercie pour votre attention.
12:12Je vais céder la parole à Madame Fabienne Girard,
12:15qui préside l'Association des descendants et amis d'Henri Vallon.
12:19Et avec vous, nous pourrons dire ensemble,
12:22vive la République et vive la France !

Recommandations