Le 5 mars 1953, Staline meurt. Le culte de la personnalité bat son plein : il est vénéré dans son pays et respecté dans le monde entier pour avoir vaincu Hitler et fait de l'URSS une superpuissance. Mais, en 1961, Nikita Khrouchtchev avait retiré le corps de Staline des côtés de Lénine et révélait ses abus. Brejnev l'en a empêché, craignant que cela ne mine le parti, mais la réticence des Russes à accepter le passé par la désinformation et la manipulation de la vérité n'a jamais disparu. Comment l'héritage de Staline a-t-il été traité par ses successeurs et pourquoi sa dépouille est-elle devenue une arme de propagande ?
Combinant des archives soviétiques rarement vues, un design graphique et des enregistrements audio, notre film propose une nouvelle lecture de l'ère post-Staline, explorant son impact sur la politique et la société russes des décennies après sa mort.
Combinant des archives soviétiques rarement vues, un design graphique et des enregistrements audio, notre film propose une nouvelle lecture de l'ère post-Staline, explorant son impact sur la politique et la société russes des décennies après sa mort.
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00:00Lorsque l'Union soviétique s'est réunie, elle s'est réunie à tous les membres de la partie, à tous les travailleurs de l'Union soviétique.
00:11Mes chers collègues et amis,
00:16j'ai arrêté de me battre pour le cœur de mon collègue et de l'ingenueux continuateur de l'affaire Lénine,
00:23le sage dirigeant et enseignant de la Partie communiste et du peuple soviétique,
00:30Joseph Vissarionovich Staline.
00:39Le 5 mars 1953, Staline meurt.
00:43Le culte de la personnalité est alors à son apogée.
00:47Pour le Parti communiste de l'Union soviétique, pour les partis frères, pour tous les communistes,
00:52Staline est le Wojt, le guide immortel de l'humanité, celui qui, avec Lénine, incarne l'idéal révolutionnaire.
01:02Pour le monde entier, il est celui qui a stoppé les armées nazies à Stalingrad,
01:08celui qui a transformé l'URSS en superpuissance.
01:13Celui qui a donné à l'idée communiste un rayonnement sans précédent.
01:21L'image et le nom de Staline s'affichent partout, des steppes sibériennes jusqu'au capital occidental.
01:28De la Provence à la Flandre, de la Gascogne à la Lorraine, c'est de partout vers Paris que va l'amour pour Staline.
01:41Pourtant, des témoignages existent depuis les années 30 sur les purges, les arrestations arbitraires des camps de travail.
01:49En 1953, le goulag détient 2,5 millions de prisonniers dans des centaines de camps.
01:59La société est étroitement surveillée, embrigadée.
02:04La création artistique est censurée, soumise à la doctrine du réalisme socialiste.
02:10La peur est partout.
02:12Staline fait peser une menace incessante sur ses plus proches collaborateurs.
02:17Et pourtant, sa mort ne provoque aucun soulagement.
02:20Bien au contraire, elle jette les soviétiques dans le désarroi.
02:27Staline est mort, mais la Russie n'en a pas fini avec Staline.
02:32Ses successeurs, à la tête du pays, vont devoir vivre avec la mémoire douloureuse de ce passé brutal.
02:41Et faute de le regarder en face, ils vont laisser le spectre de Staline planer sur le destin de la Russie et du monde.
03:01La Russie est un pays libéral.
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03:38La Russie est un pays libéral.
03:46Dans les jours qui suivent le décès, le pouvoir soviétique a commandité un grand film de propagande sur les funérailles.
03:53Il s'agit de bâtir un tombeau cinématographique,
03:56de faire communier le peuple d'Union soviétique dans le chagrin et la dévotion.
04:11C'est une sorte de divinité qui disparaît, leur père qui disparaît.
04:15Il suffit de voir ces images tournées dans les rues de Moscou.
04:18C'est une mise en scène.
04:20Les émotions que les gens expriment sont, la plupart du temps, des émotions tout à fait sincères.
04:27Et on voit ce désarroi total.
04:31Tout commence par une scène dantesque et invisible.
04:36Le jour des funérailles, des centaines de milliers de moscovites convergent vers la Place Rouge
04:41et se heurtent à un périmètre bouclé par la police.
04:44La bousculade qui s'ensuive fait des dizaines, peut-être des centaines de morts.
04:51Mais aucun film, aucune photographie n'en témoigneront.
04:57Seules sont parvenues jusqu'à nous les images officielles de la Place Rouge,
05:01impeccablement chorégraphiées.
05:10Au son de la marche funèbre, la procession accompagne le cercueil de Staline
05:14jusque sur la Place Rouge, au pied du Kremlin.
05:18La caméra insiste sur la solennité de l'instant, sur l'émotion des simples citoyens.
05:26Puis le corps embaumé est déposé dans le mausolée de Lénine.
05:31Construit trente ans plus tôt pour accueillir le corps du père de la Révolution,
05:35le mausolée est le cœur symbolique du pouvoir soviétique.
05:40Sur son linteau, on a ajouté le nom de Staline à celui de Lénine.
05:45Il semble destiné à y rester pour l'éternité.
05:50Les images qu'on voit des funérailles de Staline,
05:53elles s'en serrent dans tout un imaginaire, dans toute une tradition,
05:58à la fois visuelle, commémorative, rituelle, politique de l'Union soviétique.
06:04Elles font un pendant direct, bien sûr, à la très grande cérémonie des funérailles de Lénine,
06:10qui a forgé une sorte de canon visuel, mais aussi émotionnel.
06:20Et puis, il y a bien sûr le cinéma.
06:22On sait à quel point il a été important dans la communication, la propagande soviétique.
06:27Et donc, on retrouve des images de Staline,
06:30et donc les funérailles qui les ont suivies.
06:37À l'échelle de l'Union soviétique, c'est un enjeu essentiel
06:40de faire participer l'ensemble des populations de cet immense pays
06:44que les bolcheviks sont en train de construire
06:47et qu'ils cherchent à souder par tous les moyens possibles.
06:51Mais le film des obsèques ne sera jamais projeté.
06:54Télamor du Vosgde, des critiques impensables au paravent,
06:58et, d'un autre côté, une grande exposition de la révolution soviétique,
07:02c'est un film qui est à l'origine de tout ce qui est histoire de l'Histoire.
07:05C'est un film qui est un peu l'occasion de regarder
07:08l'histoire de l'Histoire de l'Histoire à l'échelle de l'Union soviétique.
07:12On ne la voit pas, mais on la voit.
07:14C'est le film dont on va explorer l'histoire de l'Histoire.
07:17Dès la mort du Wojt, des critiques impensables auparavant sont apparues.
07:21On parle de culte de la personnalité, d'abus de pouvoir.
07:29La déstalinisation est en marche.
07:32Le parti communiste d'Union soviétique, qui se voulait maître de l'histoire, va réécrire le chapitre sur Staline.
07:40Les enjeux derrière les funérailles du leader sont immenses.
07:44Avant tout, il s'agit d'assurer une succession.
07:48Comment faire en sorte que le régime, un régime quand même très particulier,
07:53très axé sur une personne, un personnage,
07:57comment faire pour que ce régime ne vacille pas ?
08:00Et puis il y a une deuxième dimension dans cette succession, c'est qui va succéder ?
08:07À la tribune du Mausolée, quelques mètres au-dessus des corps embaumés de Lénine et de Staline,
08:12les héritiers potentiels se succèdent pour prononcer l'éloge funèbre.
08:17On entend Molotov, le vieux compagnon, ministre des affaires étrangères,
08:22Malenkov qui préside le conseil des ministres, et puis on entend Lavrenti Beria.
08:30C'est sans doute lui le plus résolu à en finir avec le stalinisme.
08:35Il est pourtant le plus improbable des réformateurs.
08:40Depuis 1938, il est le tortionnaire en chef du régime.
08:44Il est à la tête de la police politique dont le siège, place de la Lubianka,
08:48est devenu le symbole de la terreur.
08:51C'est également lui qui dirige le goulag,
08:53l'énorme administration qui gère les centaines de camps de travail forcés.
09:02Mais Beria a compris que la déstalinisation était une arme puissante
09:06dans la lutte pour le pouvoir qui s'engage.
09:09Il décide d'ouvrir le goulag et fait sortir plus d'un million de prisonniers en quelques mois.
09:15Il voit, comme beaucoup d'autres dirigeants soviétiques,
09:18mais peut-être encore mieux puisqu'il le voit de l'intérieur,
09:22que ce système extrêmement répressif et concentrationnaire que Staline a créé,
09:28ce système s'avère de plus en plus inefficace du point de vue économique et politique.
09:35Il y a une conscience forte de l'impossibilité de continuer comme avant,
09:41qui, très curieusement, vient de l'intérieur de l'appareil répressif.
09:47C'est un livre qui donne son nom à la période qui commence, le dégel.
09:53Son auteur, Ilya Erenburg, y évoque le long hiver que représente la période stalinienne
09:58et ce moment de l'année où la fonte des neiges annonce une saison nouvelle.
10:05Le dégel est aussi une période agitée, dangereuse,
10:08où la glace se change en bout, où les secrets enfouis remontent à la surface.
10:13Et concernant Staline, ce sont des cadavres par millions qui attendent sous la glace.
10:25Ce film de propagande est l'unique trace filmée des libérations massives qui accompagne le dégel.
10:36En faisant partie d'un peuple de travail honnête,
10:39nous assurons notre partie et le gouvernement
10:42que nous allons travailler de bonne foi dans tous les domaines de la construction communiste.
10:47Aujourd'hui, nous disons fermement et honnêtement que c'est fini avec l'ancien.
10:53C'est ce qu'ont dit les libéraux qui sortaient du camp.
11:06Dans les années 1980, j'ai commencé à faire des entretiens avec des survivants du Gulag.
11:12Beaucoup d'entre eux n'avaient pas parlé du passé stalinien depuis des décennies
11:16et j'ai été l'une de leurs premières interlocutrices.
11:20C'était évidemment très difficile pour eux de me faire confiance,
11:23de me confier ces informations et même de se sentir en sécurité pour me répondre.
11:28Mais une fois qu'ils ont commencé à parler, ils ont beaucoup parlé.
11:32Ils ont beaucoup parlé de leur expérience du camp et de ce qui a suivi le camp.
11:37Il y avait une blague dans les années 1950.
11:40Il existe trois classes dans la société soviétique.
11:43Les anciens prisonniers, les prisonniers et les futurs prisonniers.
11:47Donc pour eux, l'arrestation était toujours sur le point de se produire.
11:51Dans sa hâte d'estalinisatrice, Beria va vite.
11:54Trop vite sans doute pour ses collègues du Politburo.
11:57D'autant qu'ils se vantent de détenir des dossiers compromettants sur chacun d'entre eux.
12:02En juin 1953, trois mois après la mort de Staline, Beria est arrêté puis exécuté en secret.
12:09Celui qui a su coaliser les membres du Politburo contre lui s'appelle Nikita Khrouchov.
12:14Ce fidèle collaborateur de Staline n'a pas prononcé de discours lors des funérailles.
12:19Il donne l'image d'un homme simple, d'un bon vivant dont le style et le langage
12:24rappellent avec insistance ses hommes et femmes.
12:27Mais il n'est pas le seul.
12:29Il y a aussi un autre membre du Politburo.
12:32C'est Nikita Khrouchov.
12:34C'est un homme simple, d'un bon vivant dont le style et le langage rappellent avec insistance ses origines populaires.
12:41C'est pourtant lui qui va s'imposer comme le successeur de Staline.
12:46Il poursuit l'ouverture du goulag, mais réhabiliter les anciens détenus pose un problème
12:51à tous ceux qui, comme lui, ont fait leur carrière sous Staline.
12:56Si la personne qui avait langui au goulag pendant 17 ans n'était pas coupable, alors qui l'était ?
13:03Le problème, c'est que la réponse est assez claire.
13:06Le système lui-même était coupable, et ça, c'est un aveu qui n'a jamais été fait.
13:12Il y a donc toujours eu cet entre-deux.
13:14Vous n'êtes pas coupable des crimes pour lesquels vous avez été condamné,
13:18mais il n'y a pas de condamnation du système qui vous a incarcéré.
13:22On s'intéresse aux victimes, mais pas aux responsables, uniquement aux crimes,
13:26jamais au système qui les a commis.
13:44Comment prendre ses distances avec la machine répressive sans être emporté aussi dans l'opération ?
13:49Autrement dit, comment déstaliniser sans trop déstaliniser ?
13:55Khrouchov va tenter ce tour d'équilibrisme politique,
13:58incarner la rupture en dénonçant les crimes de son prédécesseur,
14:02auquel il a pourtant largement participé.
14:20À la tribune du XXème congrès, les orateurs se succèdent.
14:24On évoque la mémoire de Staline, l'industrialisation en marche, la politique étrangère.
14:30Et Khrouchov conclut dans une parfaite orthodoxie soviétique.
14:50Mais c'est quelques jours plus tard que se produit le véritable événement du congrès.
14:54Khrouchov a convoqué les délégués à une session supplémentaire.
14:57Une session secrète, dont il n'existe aucun enregistrement.
15:02Il y prononce un discours de quatre heures,
15:04qui lève un coin du voile sur les répressions staliniennes.
15:09L'un des premiers éléments du discours, et l'un des plus surprenants,
15:12a été la décision de Khrouchov de citer le « Testament de Lénine »,
15:16une lettre de 1923, où il est défavorable à ce que Staline
15:20devienne le nouveau chef du Parti communiste à sa mort.
15:24Dans cette lettre, Lénine accuse Staline d'être brutal,
15:27assoiffé de pouvoir et vulgaire.
15:31Le discours commence par une critique de l'État.
15:34Puis Khrouchov continue en attribuant à Staline
15:37la responsabilité des purges.
15:41Le plus choquant n'est pas tant de mentionner la terreur elle-même,
15:44que de la lier directement à Staline.
15:47Arrestations injustes, décès d'innocents pour la plupart membres de l'élite du Parti,
15:53torture utilisée pour obtenir des avouts forcés,
15:56assassinats, assassinats,
15:59C'est ça le cœur du discours, et c'est extrêmement choquant pour les délégués.
16:04« Il a été établi, » explique Khrouchov,
16:07« que parmi les 139 membres du comité central du Parti, élus en 1934,
16:1298, c'est-à-dire 70% d'entre eux, ont été arrêtés et exécutés. »
16:19Ceci montre bien à quel point les charges de crimes contre-révolutionnaires
16:22et contre-indépendants ne sont pas les mêmes.
16:26Ceci montre bien à quel point les charges de crimes contre-révolutionnaires
16:29inventées contre eux étaient absurdes, délirantes et contraires au simple bon sens.
16:36Sans laisser au délégué le temps de souffler,
16:38il s'attaque au passage-clé de l'agiographie stalinienne,
16:41la Grande Guerre patriotique.
16:56« Pas 220 hommes, mais en tout cas 280. »
17:05Alors que la propagande soviétique avait imposé l'image d'un Staline fin stratège,
17:09Khrouchov parle d'impréparation, d'incompétence militaire.
17:17On pouvait entendre les mouches voler, remarque-t-il dans ses mémoires.
17:21À l'issue de cette session très spéciale,
17:23le texte du discours est repris dans un rapport secret,
17:26distribué à tous les délégués du Congrès.
17:33« Comme on pouvait s'y attendre,
17:35les réactions au discours secret ont été extrêmement variées.
17:38Et il faut reconnaître que les dirigeants, bizarrement, n'ont rien vu venir.
17:42Ils ne s'attendaient pas à ce que ce discours provoque le chaos
17:45et la confusion qu'il a fini par provoquer.
17:48Le plus souvent, les gens avaient juste des questions.
17:51« Quelle a été l'ampleur de la terreur ? Quels sont les chiffres ?
17:55Est-ce que ça concernait uniquement l'élite du parti ?
17:58Est-ce que ça concernait l'élite de l'Union Nationale ?
18:00Est-ce que ça concernait l'élite du Parti ? »
18:02Et, en même temps, les gens se sont rendus compte
18:05que le discours avait été, comme on l'a vu,
18:07un discours qui n'avait pas été enregistré.
18:09Le discours n'a pas été, comme on l'a vu,
18:12un discours qui n'a pas été enregistré.
18:14Est-ce que ça concernait uniquement l'élite du parti ?
18:18Très vite, les autorités ont réalisé que le sujet était potentiellement très dangereux, très subversif,
18:23et que ça pouvait facilement devenir incontrôlable.
18:27Les historiens utilisent souvent l'image de la boîte de Pandore pour décrire le discours secret,
18:32un récit très dangereux, capable de remettre en cause les fondements même du système.
18:38Et bien sûr, ce n'était pas ce que voulaient Khrouchov, ni les dirigeants soviétiques en général.
18:43Ce qu'ils voulaient, c'était simplement ouvrir la voie à des réformes.
18:48Il y a une nouvelle lecture de la période stalinienne, maintenant on passe à autre chose.
18:52Mais la plupart des gens ne vont pas tourner la page comme ça.
18:56En Pologne, la diffusion du rapport secret provoque une insurrection.
19:00Et en Hongrie, presque une révolution.
19:03Les symboles communistes sont détruits, le gouvernement déposé.
19:08Et après une semaine d'hésitation, Khrouchov retrouve les réflexes de la période précédente.
19:13Il envoie l'armée écraser la révolte.
19:17A l'ouest aussi, le rapport secret provoque des remous.
19:21Sa publication par le New York Times en juin 1956 stupéfie les communistes occidentaux.
19:28Beaucoup refusent absolument d'y croire.
19:31Et pourtant le tableau qu'adressait Khrouchov des crimes de Staline est encore très incomplet.
19:37Pour découvrir leur véritable ampleur, il faudra patienter plusieurs décennies.
19:44En attendant, l'opération voulue par Khrouchov semble fonctionner.
19:48Sa truculence fait merveille devant les caméras de télévision.
19:52Il donne aux occidentaux l'image d'un dirigeant simple, bonhomme.
19:56Curieux de l'étranger, aimant le contact.
19:59Tout l'inverse de son prédécesseur.
20:03Un nouveau visage de l'URSS commence à se dessiner.
20:07Plus jeune, moins figé.
20:16Pour la première fois, un film soviétique reçoit la palme d'or au Festival de Cannes.
20:22Il s'agit de « Qu'en passent les cigognes » de Mikhail Kalatozov.
20:29C'est aussi une des premières fois où un film soviétique sur la guerre omet de mettre en scène Staline.
20:41Ce nouveau visage de l'URSS, c'est aussi celui de la jeunesse.
20:45Incarné par Liudmila dans la comédie musicale « La nuit de Carnaval ».
20:52Face à un directeur de conservatoire borné et bureaucratique,
20:56les élèves refusent de se soumettre et imposent leur spectacle.
21:13Le bonheur en technicolor qu'évoque Liudmila laisse croire aux cinéastes soviétiques
21:18qu'un vent de liberté s'est levé.
21:22Mais le parti n'a pas renoncé à écrire l'histoire.
21:26La doctrine a changé.
21:28Mais pour Kochov, le rôle des artistes reste de mettre en application la doctrine.
21:33Aujourd'hui comme hier, c'est au parti qu'appartient la vérité.
21:39Lorsque le film « Lénine » en octobre, sorti en 1937, ressort sur les écrans en 1958,
21:46les spectateurs attentifs remarquent que quelque chose, ou plutôt quelqu'un, manque.
21:58« À l'origine, en 1937, le film de Mikhaïl Rom, « Lénine » en octobre,
22:03avait été produit pour le 20e anniversaire de la Révolution.
22:08Bien sûr, il célébrait le rôle central de Lénine, mais il mettait également Staline en vedette.
22:14On le voit toujours aux côtés de Lénine, c'est son bras droit.
22:18On le présente comme la seconde grande figure de l'histoire de la Révolution.
22:25Et donc, en 1958, Rom a pris la décision de minimiser le rôle de Staline
22:30et de l'effacer visuellement du film.
22:34Dans la version de 1958, Staline a soudain disparu.
22:39Il est masqué par diverses choses, parmi lesquelles un marin,
22:42qui surgit chaque fois que Staline est à l'image.
22:49En 1958, Rom a visiblement décidé que le plus simple pour gérer cette histoire problématique
22:55du rôle de Staline pendant la Révolution, c'était de le faire disparaître complètement.
23:00Et il le fait d'une façon qui, en fait, attire l'attention sur son absence.
23:08Mais effacer Joseph Staline n'est pas chose facile.
23:11L'entreprise bute sur un problème symbolique difficile à ignorer.
23:16Le corps de Staline est toujours là, dans le mausolée,
23:20au cœur du dispositif mémoriel de l'État soviétique.
23:28Quelle est l'une des principales idées et un des principaux slogans du gouvernement de Khrouchov ?
23:34C'est le retour aux sources.
23:37Le retour aux sources du bolchevisme, de la Révolution d'octobre, du léninisme.
23:42Retrouver la parole, l'idée, le projet de Lénine pour tourner la perche
23:50de tout ce qui, pendant le stalinisme, a pu dévier de ce projet
23:56qui, lui, est considéré comme toujours étant juste, humaniste, irréprochable.
24:03Et dans ce retour aux sources, le corps de Staline gêne.
24:17Le 22e congrès du Parti communiste se réunit du 17 au 31 octobre 1961
24:22dans un palais des congrès ultramoderne qui vient d'être achevé dans l'enceinte du Kremlin.
24:27Il faut dire qu'on attend 4799 délégués.
24:34Moscou, Kremlin.
24:38Dans ces jours inquiétants,
24:41ici sont apportés les regards de toute l'humanité
24:44la réunion des constructeurs du communisme,
24:46le plus grand événement de notre pays.
24:50Cette fois-ci, les critiques adressées à Staline sont publiques.
24:54Les témoignages sur la répression se succèdent
24:56et ils culminent avec l'intervention d'une vieille militante
24:59qui vient d'escaper des camps, Dora Lazurkina.
25:13Persuadée qu'elle communique directement avec l'esprit de Lénine,
25:17elle transmet de sa part un message d'outre-tombe.
25:20Il m'est pénible de me trouver à côté de Staline qui a fait tant de mal au parti.
25:26Le congrès vote alors une motion qui expulse Staline hors du mausolée.
25:33Le 1er novembre 1961,
25:35les moscovites découvrent que son nom a disparu du linteau du tombeau.
25:43Son corps repose désormais dans une tombe presque ordinaire
25:46contre le mur du Kremlin,
25:48en compagnie des autres dignitaires soviétiques.
25:52On oublie aujourd'hui, et heureusement d'ailleurs,
25:54à quel point l'image de Staline a été partout dans l'Union soviétique
26:01et cependant à peu près 30 ans.
26:04Le 22e congrès constitue un véritable point de rupture
26:08à l'égard de la présence de Staline dans l'espace public soviétique,
26:12puisque suite à la décision, et puis sa réalisation,
26:16de sortir son corps du mausolée,
26:18l'Union soviétique a décidé de l'abandonner.
26:21Le 22e congrès constitue un véritable point de rupture
26:25à l'égard de la présence de Staline dans l'espace public soviétique,
26:29puisque suite à la décision,
26:31et puis sa réalisation, donc de sortir son corps du mausolée,
26:34c'est une véritable vague de déboulonnage qui commence.
26:39Et donc il se débarrasse de ces monuments
26:42qui laissent bien sûr des pieds de Stal vide,
26:45mais ils ne le resteront pas longtemps,
26:47puisqu'on va se presser d'y dresser soit les statues de Lénine,
26:52soit bientôt les monuments à la mémoire de la Seconde Guerre mondiale.
26:57C'est aussi le nom de Staline qu'on déboulonne.
27:01Les avenues et les places sont débaptisées une à une,
27:04et Stalingrad elle-même,
27:06la ville symbole de la victoire sur le nazisme,
27:08est rebaptisée en un banal Volgograd,
27:11la ville sur la Volga.
27:15La déstalinisation est en marche,
27:17mais de nombreuses résistances apparaissent dans l'appareil du parti.
27:21Inquiets face à ceux qui veulent déjà revenir en arrière,
27:24Evgeny Eftuchenko, un célèbre poète soviétique,
27:28publie un poème intitulé Les héritiers de Staline.
27:32Le marbre était silencieux,
27:34mais un souffle s'élevait du cercueil
27:37alors que la garde extrayait Staline du mausolée.
27:40Staline prépare quelque chose.
27:43Il fait une simple sieste.
27:45Nous l'avons fait sortir du mausolée,
27:48mais comment sortir Staline des héritiers de Staline ?
27:55Nous sommes le 9 mai 1965,
27:59et les héritiers de Staline ont visiblement remporté une bataille.
28:03L'année précédente,
28:05Khrouchov a été remplacé par un dirigeant plus orthodoxe
28:08et moins critique à l'égard de Staline,
28:11Léonid Brezhnev.
28:13Comme son prédécesseur, c'est à Staline qu'il doit sa carrière.
28:17Mais tandis que Khrouchov avait construit son personnage sur la déstalinisation,
28:21Brezhnev lui tire sa légitimité de son statut d'ancien combattant.
28:25Et à l'occasion du défilé qui commémore les 20 ans de la victoire,
28:29on assiste à un basculement de la mythologie soviétique.
28:33Dans la hiérarchie des commémorations,
28:36la victoire de 1945 se hisse au-dessus de la révolution d'octobre.
28:52Dans ce culte de la Grande Guerre Patriotique,
28:55Staline, c'est un personnage incontournable.
28:58On ne peut pas l'éluder, on ne peut pas l'effacer.
29:01Il est là.
29:03Il n'est peut-être pas omniprésent,
29:05comme il l'avait été entre 1945 et 1953, jusqu'à sa mort.
29:08Mais dans ce grand récit qui se met en place,
29:11dans cette grande mythologie de la Grande Guerre Patriotique,
29:14Staline reste un personnage très important, un protagoniste.
29:19Le 9 mai 1965, Brezhnev prononce un discours au Kremlin,
29:24devant des centaines de personnes, où il parle de la guerre.
29:27Et il va mentionner, pour la première fois depuis très longtemps,
29:31le nom de Staline.
29:33Rien que cette mention suffit pour que les gens
29:36se mettent à applaudir, une partie de l'Assemblée en tout cas,
29:39à tout rompre.
29:41Brezhnev lui-même est surpris.
29:43Et c'est le premier signe, très remarqué,
29:46qui fait penser, à ce moment-là,
29:48qu'on va revenir sur la décision de déstalinisation du XXe congrès,
29:52et qu'on va réhabiliter Staline.
29:55Et si on allait revenir à la période des purges ?
29:59En février 1966, 25 personnalités, parmi lesquelles Andrei Sakharov,
30:04le célèbre physicien devenu dissident,
30:06adresse une lettre ouverte à Léonide Brezhnev.
30:09Toute tentative de blanchir Staline, affirme-t-il,
30:12causerait de sérieuses fissures au sein de la société soviétique.
30:16Brezhnev n'ira pas jusqu'à réhabiliter Staline.
30:19Mais le nom et l'image du Vosgde ne sont plus tabous.
30:23Alors qu'il avait disparu des écrans depuis 1956,
30:26il se ferait à nouveau un chemin vers les salles de cinéma.
30:31Dans le contexte de ce culte de la Grande Guerre patriotique,
30:34on va produire des films à gros budgets,
30:38qui vont parler de la guerre.
30:41Très longs films, des films épopés.
30:44Presque une production hollywoodienne.
30:52Pendant longtemps, Staline, on le montrait comme un artisan de 1917.
30:56C'était ça le rôle des cinéastes.
30:58Et après, sous Brezhnev, et jusqu'à Gorbatchev,
31:02Staline au cinéma, c'est l'artisan de 1945.
31:05De la victoire.
31:07Et on voit notamment Staline négocier, discuter,
31:11fermement, pied à pied, avec les occidentaux.
31:14Avec le président Truman, notamment,
31:16pendant la conférence de Potsdam.
31:18On le présente comme étant un homme
31:20qui défend les intérêts de son pays.
31:22Un patriote.
31:26Le cinéma va servir à la diffusion de ce culte de la Grande Guerre patriotique,
31:30et donc, indirectement, faire vivre Staline.
31:38Léonide Brezhnev reste 18 ans au pouvoir.
31:4218 ans durant lesquels la réalité vécue par les citoyens soviétiques
31:46ne semble pas prendre le chemin du paradis communiste promis par Lénine.
31:52Le plus grand succès cinématographique de la période
31:55n'est pas un film de guerre, mais une comédie de Eldar Ryazanov.
32:01Le film tourne en dérision dès le générique,
32:04la standardisation et l'embrigadement de la société.
32:12Sur la Place Rouge, les défilés se répètent à l'identique.
32:18Année après année.
32:22Et la moyenne d'âge du politburo dépasse les 70 ans.
32:27Le parti continue de contrôler étroitement l'économie et la société,
32:31mais plus personne n'y croit.
32:33Ou presque.
32:36L'adhésion au slogan du régime est devenue une façade
32:39derrière laquelle on échange, sous le manteau,
32:42des textes interdits et des blagues sur les dirigeants.
32:48Léonide Brezhnev n'est plus qu'un acteur.
32:51On n'exécute plus les opposants.
32:53On les enferme dans des hôpitaux psychiatriques,
32:56on les place en résidence surveillée
32:58ou on les expulse hors d'Union soviétique.
33:01C'est ce qui arrive à Alexandre Solzhenitsyn,
33:04qui a publié à l'Ouest l'Archipel du Goulag.
33:07Une enquête implacable qui détaille le fonctionnement
33:10de ce qu'il appelle l'industrie pénitentiaire soviétique.
33:14Lorsqu'en 1982, le corps de Léonide Brezhnev
33:17rejoint celui de Staline au pied du mur du Kremlin,
33:20le système est à bout de souffle.
33:23Ni Yuri Andropov, ni Constantin Tchernenko,
33:26qui lui succède à des âges avancés,
33:28ne parviennent à résoudre la question
33:30de l'indépendance de l'Union soviétique.
33:32L'Union soviétique, c'est-à-dire
33:34l'Union soviétique, c'est-à-dire
33:36l'Union soviétique, c'est-à-dire
33:38l'Union soviétique, c'est-à-dire
33:40l'Union soviétique, c'est-à-dire
33:42ne parviennent à résoudre les problèmes économiques et sociaux.
33:48Comme en 1953,
33:50un changement semble inévitable et,
33:52comme en 1953,
33:54c'est un retour critique sur la période stalinienne
33:56qui permet au nouveau leader,
33:58Mikhail Gorbatchev, d'incarner ce changement.
34:13C'était un moment historique, évidemment.
34:15Pour la première fois depuis Khrouchov,
34:17un dirigeant soviétique,
34:19secrétaire général du parti,
34:21déclarait qu'il y avait eu des victimes.
34:23Et même qu'il y avait eu des milliers de victimes,
34:25ce qui était très en dessous de la vérité.
34:27Mais c'est un changement.
34:29C'est un changement.
34:31C'est un changement.
34:33C'est un changement.
34:35C'est un changement.
34:37C'est un changement.
34:39C'est un changement.
34:41Il est parti…
34:44mais il a ouvert la porte aux chercheurs
34:46pour qu'ils découvrent les vrais chiffres.
34:50Et après cela,
34:52il a été possible de trouver des survivants
34:54prêts à raconter leur histoire.
35:05C'est un nouveau dégèle qui commence.
35:07On lui a donné un nouveau nom,
35:09la perestroïka. Ce tournant politique permet à un groupe de militants et d'historiens moscovites
35:15de créer l'association Memorial, présidée par Andrei Sakharov. Il réclame la réhabilitation
35:23complète des victimes du stalinisme, veulent promouvoir une société fondée sur le respect
35:28des droits de l'homme et prévenir le retour du totalitarisme. Leur première action publique
35:36majeure a eu lieu à la fin octobre 1989 pour le jour des prisonniers politiques. Ils ont
35:43organisé une chaîne humaine autour de la Lubyanka, le bâtiment du KGB, en brandissant des bougies
35:50pour commémorer les victimes. Et la chaîne n'a pas été brisée. La police était là,
35:56mais elle a laissé faire. Et ça c'était un signe très important, le signe que le passé ne pouvait
36:02plus être nié. En 1990, leur action probablement la plus marquante a été la création d'un monument
36:17à la mémoire des victimes de la terreur soviétique en plein cœur de Moscou, juste en face de l'immeuble
36:23du KGB. Memorial s'est ensuite agrandi pour devenir un formidable fond d'archives contenant
36:33des milliers de documents de mémoire et d'histoire personnelle. Et c'est aussi devenu l'organisme de
36:39recherche le plus réputé sur le stalinisme. Ce n'était pas assez de nommer seulement les victimes,
36:47ils voulaient aussi chercher les coupables, ce qui était évidemment une question politiquement très
36:53dangereuse. Memorial entame alors un vaste travail pour documenter la terreur stalinienne,
37:04pour retrouver l'histoire et les corps des victimes qui reposent toujours dans de multiples fosses
37:10communes aux abords des grandes villes.
37:40Plus rien ne semble interdit. On raconte les répressions staliniennes, on se moque des figures
38:04sacrées du pouvoir soviétique, on évoque, thème tabou entre tous, le parallèle entre massacre
38:10stalinien et nazi. Et on commence même timidement à ouvrir la porte des archives aux historiens
38:20occidentaux. L'ouverture des archives c'est quelque chose de formidable pour tous ceux qui
38:31travaillent sur l'histoire de l'URSS qui avait été faite quand même pendant 70 ans sans archives
38:38ou presque. En fait j'arrive dans les archives début 91, c'est encore l'union soviétique. La
38:46première année où je suis étudiante en thèse là bas, j'ai une carte d'étudiante soviétique. Les
38:54archives en fait s'ouvrent mais on est encore dans un cadre où il n'y a évidemment aucune pratique de
39:01l'aide aux chercheurs qui vient. On a donc un monde des archives qui a l'habitude simplement de
39:07conserver les archives mais pas de les donner à lire. Et c'est ça qui va petit à petit évoluer
39:13avec donc une ouverture plus massive en 92. Le 25 décembre 1991, Mikhaïl Gorbatchev s'adresse
39:26solennellement à l'ensemble des citoyens soviétiques. Quelques mois auparavant, après un
39:33putsch raté de communistes opposés aux réformes, Boris Yeltsin est devenu président de la république
39:38de Russie. En décembre, il a signé avec l'Ukraine et la Biélorussie un traité qui donne naissance à
39:47une communauté des états indépendants destinée à remplacer l'union soviétique.
39:53La tragédie de Gorbatchev, c'est la tragédie d'un homme qui a fait l'histoire.
40:22Qu'il ne voulait pas faire. Celle d'un homme qui a provoqué l'effondrement de l'union soviétique
40:29alors qu'il ne le voulait pas. Il voulait réformer ce système. Il pensait que ce système était
40:35réformable. Il pensait qu'on pouvait créer un socialisme à visage humain, comme il l'appelait.
40:40Le système a implosé et Gorbatchev s'est retrouvé comme un roi sans royaume.
40:46L'union soviétique a donc cessé d'exister et la rupture avec le passé se veut totale.
40:54On se débarrasse des symboles de l'ère soviétique en même temps que de ses fondements idéologiques.
41:02L'économie bascule vers le capitalisme sauvage et Boris Yeltsin, qui réclame l'interdiction du
41:08parti communiste, fait voter une loi qui déclassifie tous les documents ayant servi de base aux répressions.
41:14Les historiens profitent aussi de cette ouverture. Ils se retrouvent devant un océan d'archives inexplorées.
41:241992, c'est vraiment une année bénie pour les historiens parce qu'on n'a pas encore des lois
41:33qui régissent ce qu'on a le droit de voir et ce qu'on n'a pas le droit de voir. Dans les archives,
41:38on découvre notamment ce qu'on appelle les opérations de masse de la grande terreur,
41:42c'est-à-dire qu'en juillet 1937, le chef de la police politique de l'époque du NKVD,
41:50Yezhov, en lien avec Staline, déclenche des grandes opérations ultra secrètes. Elles ont
41:57toutes des numéros, comme pour les espions. Par exemple, on a le décret 00447 et il s'agit
42:04donc d'éliminer ce qu'on appelle à l'époque tous les éléments socialement nuisibles. Un vaste
42:10mélange de criminels, d'opposants politiques, d'ex-opposants politiques et d'ex-catégories
42:17sociales jugées hostiles au projet communiste. Toutes ces opérations de masse, elles s'organisent
42:23de manière ultra centralisée avec des quotas par région et par république. Des quotas avec
42:31deux catégories. La première catégorie, arrestation. Deuxième catégorie, exécution.
42:36Donc c'est déjà décidé. On aura 1,5 million de personnes arrêtées en chiffre rond et 700
42:44000 exécutions. Ça, c'était quelque chose qu'on ne connaissait pas. C'est-à-dire la dimension
42:49ingénierie sociale, volonté de purifier la société de tout ce qui était considéré comme non conforme
42:57au projet soviétique.
43:04Les archives permettent de rendre un visage aux victimes de Staline.
43:10Des visages disparus un matin et jamais réapparus avant que l'association mémoriale
43:15ne retrouve et ne classe ces photographies d'identité prises par les agents de la police politique.
43:21Les archives permettent aussi d'établir l'ampleur de la répression. Pendant la période
43:31stalinienne, 25 millions de personnes, un adulte sur six, ont connu le camp ou la déportation.
43:38Plus d'un million ont été exécutés.
43:51Nous sommes le 9 mai 2022 et la Russie, en guerre contre l'Ukraine, commémore la victoire de 1945.
44:06Celui qui préside le défilé s'appelle Vladimir Poutine. Ancien colonel du KGB puis directeur des
44:14services secrets, il est à la tête de la Russie depuis plus de vingt ans. La musique sur laquelle
44:20les soldats défilent n'est pas non plus une nouveauté puisqu'on est revenu depuis 2000 à
44:25l'hymne soviétique composé en 1939. Le rythme a un peu ralenti et les paroles ont changé.
44:34Dieu et la patrie éternelle ont pris la place de Staline et de l'énigme.
44:43Le rapport que le nouveau pouvoir russe entretient avec la période stalinienne est pour le moins
44:48ambiguë. Lorsque le cinéaste Oliver Stone l'interrogeait sur Staline en 2015, Vladimir Poutine
44:59adoptait une position qu'il voulait équilibrer.
45:48En dépit de toutes les réserves émises par Poutine sur les crimes commis sous Staline,
45:55ce qui reste déterminant pour lui à propos du stalinisme, c'est la notion de tâche de
46:03naissance. C'est-à-dire quelque chose qui n'est pas un corps étranger mais qui fait
46:10corps avec l'histoire de la Russie. Le régime soviétique était fondé sur la terreur de masse
46:18et la persécution de son propre peuple. Mais pour le gouvernement russe actuel, ce n'est pas ça qui
46:27est important. L'important c'est de marquer la continuité avec l'Union soviétique. En 2020,
46:37ça a d'ailleurs été officiellement inscrit dans la nouvelle constitution russe.
46:43En juillet 2020, une série d'amendements constitutionnels proclame en effet que la
46:50fédération de Russie est le successeur de l'Union soviétique, qu'elle honore la mémoire des
46:56défenseurs de la patrie et protège la vérité historique. Il n'existe aucun autre cas où une
47:07constitution spécifie que l'état défend la vérité historique. Le ministère de la vérité est une
47:16idée obscurantiste tirée du roman d'Orwell, 1984, qui n'est compatible ni avec l'état de droit ni
47:26avec les principes définis par le droit international. Dans la Russie d'aujourd'hui,
47:35l'état est à la fois l'auteur de l'histoire et le gendarme de l'histoire.
47:42Créée en 2012, la société d'histoire de la Russie est présidée par Sergeï Naryshkin,
47:50qui dirige aussi le renseignement extérieur. Cette institution a été chargée d'écrire un
47:58standard historique et culturel unifié auquel doivent désormais se plier tous les manuels
48:03scolaires. On y découvre une histoire soviétique où la place du goulag et du système répressif est
48:10réduite au profit des aspects positifs. Modernisation de l'économie, victoire sur l'Allemagne nazie,
48:17etc. Staline y est décrit comme un manager efficace à qui revient une place importante
48:24dans l'histoire glorieuse de l'URSS et de la Russie. Comme à l'époque stalinienne,
48:32c'est aujourd'hui l'état qui écrit l'histoire de la Russie. Et pour reprendre l'expression de
48:37l'historien Nicolas Vert, c'est Vladimir Poutine son historien au chef. A la veille de l'invasion
48:44de l'Ukraine, il revient sur l'ancienne querelle entre Staline et Lénine. Staline voulait un état
48:51centralisé, mais Lénine, lui, a imposé une vision plus fédéraliste. L'Union soviétique est composée
48:58de républiques indépendantes, enfin, en théorie.
49:01Sans le choix fédéraliste de Lénine, explique-t-il, l'Ukraine n'aurait pas
49:27pu faire sécession. L'état ukrainien n'aurait même pas dû exister.
49:57A côté de l'état historien, l'état gendarme. Plusieurs lois
50:27mémorielles pénalisent les discours non conformes aux récits officiels. Il est par exemple interdit
50:33de porter atteinte à l'honneur des anciens combattants et de diffuser des informations
50:37sciemment fausses quant aux activités de l'URSS pendant la guerre. En décembre 2021,
50:55après des années de pression et d'intimidation, les autorités ont obtenu de la justice russe la
51:00dissolution pure et simple de l'association mémoriale.
51:03En dépit du fait que l'Union soviétique n'existe plus depuis longtemps, son héritage
51:30politique et ses méthodes autoritaires sont toujours présentes, malheureusement, dans
51:34la Russie actuelle. Les violations massives des droits humains aujourd'hui résultent
51:41de l'absence d'un travail de mémoire quant au passé totalitaire soviétique.
51:46Toute la question, c'est en fait la continuité ou pas de l'État. Si on prend l'exemple de l'Astasie,
51:54les archives de la police politique de la RDA sont grande ouverte parce qu'il n'y a pas de
52:01continuité. La RDA est terminée, il n'y a pas de continuité étatique. Dans le cas de la Russie,
52:09sous Yeltsin, il y a eu vraiment à un moment donné une volonté d'établir une rupture claire
52:15entre l'État soviétique et le nouvel État russe, finalement dans une logique de rupture complète
52:21par rapport au passé. Depuis, on a bien compris qu'il y a le retour en force de cette idée que
52:31l'État d'aujourd'hui en Russie est dans la continuité de l'État soviétique et que de ce
52:37fait, le passé ne peut pas être complètement éclairci parce qu'on en est responsable d'une certaine manière.
52:46Le résultat de cette ambiguïté persistante de l'État et des médias officiels, c'est qu'en 2019,
52:5270% des Russes considèrent que Staline a eu un impact globalement positif sur le pays. Un score
53:00meilleur que ceux de tous ses successeurs à la tête de l'Union soviétique et de la Russie.
53:06Comment en finir avec Staline ? 70 ans après sa mort, la question reste posée.
53:15Il y a cette idée que ce qui est fait est fait, que les questions d'histoire appartiennent au passé,
53:25que nous devons aller de l'avant, penser aux problèmes d'aujourd'hui au lieu de fouiller
53:32dans les archives. Mais c'est une illusion parce que l'histoire de notre pays, comme d'ailleurs
53:41celle des autres pays, montre qu'un passé douloureux, qu'on refuse de regarder en face,
53:45se reproduit dans le présent et empoisonne l'avenir.
54:11L'histoire de Staline est l'histoire d'un passé douloureux, un passé douloureux de l'avenir.
54:19L'histoire de Staline est l'histoire d'un passé douloureux, un passé douloureux de l'avenir.
54:29L'histoire de Staline est l'histoire d'un passé douloureux, un passé douloureux de l'avenir.
54:39L'histoire de Staline est l'histoire d'un passé douloureux, un passé douloureux de l'avenir.
54:49L'histoire de Staline est l'histoire d'un passé douloureux, un passé douloureux de l'avenir.
55:19L'histoire de Staline est l'histoire d'un passé douloureux, un passé douloureux de l'avenir.