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00:00Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin l'ex-otage des frères Kouachi, Michel Catalano.
00:04Bonjour Michel Catalano.
00:05Bonjour Dimitri.
00:06Excusez, pardonnez la présentation si sommaire parce que vous êtes bien plus que cela.
00:10En tout cas, pour les français, vous êtes l'imprimeur de Damartin.
00:13Michel Catalano, en ce 9 janvier 2025, il y a 10 ans, on s'en souvient,
00:18les deux assassins de la rédaction de Charlie Hebdo,
00:20Chérif et Said Kouachi, débarquent le matin dans les locaux de votre entreprise.
00:25Et depuis 48 heures, on se souvient, ils sont les fugitifs les plus recherchés de France
00:30et votre vie va basculer en un instant.
00:32Vous racontez ces événements et tout ce qui s'est passé par la suite dans un livre bouleversant
00:36que je montre sur europe1.fr ou sur votre appli Europe 1,
00:39si vous ne regardez l'imprimeur de Damartin, c'est aux éditions du ChercheMidi.
00:43Ce matin-là, du 9 janvier 2015, d'abord, c'était il y a 10 ans,
00:47Michel Catalano, comment vous vous sentez ce matin ?
00:50Alors c'est un peu particulier,
00:52c'est la première fois depuis 10 ans que je parle ce jour-là en fait.
00:56Et aujourd'hui, en fait, le phénomène, c'est comme il y a 10 ans,
01:00j'ai pas dormi de la nuit, en fait, le corps se souvient.
01:03En fait, c'est évident qu'on n'imagine pas ça,
01:06mais mon corps physiquement, je me souviens de cet événement
01:09et je suis encore, effectivement, bouleversé comme je l'étais à l'époque.
01:13C'est assez difficile aujourd'hui de pouvoir parler
01:16parce que tout revient en fait.
01:18C'était pour nous, pour moi,
01:20enfin je dis nous parce que, évidemment, ça a bouleversé,
01:22si vous avez vu dans le livre, toute ma famille,
01:25mais pour moi, c'est extrêmement présent encore.
01:28Votre épouse, vos enfants, évidemment,
01:30on imagine leur angoisse quand ils découvrent
01:33que vous êtes pris en otage par ses frères-coachers.
01:35Racontez-nous ces heures particulières.
01:37Il est 8h25, c'est ça ?
01:39C'est ça.
01:39Quand il déboule dans votre entreprise.
01:41Oui, c'est ça, en fait, à ce moment-là.
01:42Et nous, avec mon collaborateur, on attendait un commercial
01:46et mon collaborateur, Lilian, qui est un garçon formidable,
01:50est arrivé un peu plus tôt,
01:52alors qu'il n'était pas nécessairement à cette heure-là d'habitude,
01:55mais il est arrivé plutôt ce qu'à une journée.
01:57On discutait, on était plutôt, pas dans l'euphorie,
02:00mais bon, il y a quelques jours avant, j'avais mon anniversaire,
02:02on allait boire un petit coup le midi,
02:04on était plutôt bien, malgré le choc qu'on a eu le 7 mai.
02:08Surpris d'une journée sympa, selon vous.
02:10Oui, voilà, on avait quand même, évidemment,
02:12mis ça sur le compte d'une journée sympa
02:14et puis quand on sonne, on s'attend à voir un autre commercial qui venait,
02:18un commercial qui venait nous vendre des machines,
02:20nous présenter des produits, j'avais prévenu mon collaborateur.
02:23Et évidemment, on ouvre sans demander qui est là,
02:26parce qu'il est toujours à l'heure,
02:28bon, il était 25, il était un peu en avance,
02:30on s'est dit, il est peut-être venu avec les croissants,
02:32donc on le laisse entrer.
02:33Et là, effectivement, ils sont rentrés.
02:35Deux types habillés de noir.
02:36Vous les reconnaissez tout de suite, Michel Catalana ?
02:39Alors non, en fait, je dis oui et non,
02:41c'est-à-dire que ça va très très vite.
02:42Mais sur le moment, je ne me suis pas du tout rappelé,
02:46je ne les ai pas reconnus,
02:48j'ai cru que c'était les gendarmes,
02:49ils étaient habillés en noir.
02:50Mais très vite, j'ai vu le lance-roquette derrière
02:54et l'arme qu'ils avaient au point n'était pas du tout celle des gendarmes.
02:56Et là, j'ai compris vite, très très vite.
02:58Et vous racontez dans votre livre que la veille,
03:00vous plaisantiez sur, tiens, s'ils venaient frapper à la porte,
03:03parce qu'on savait qu'ils étaient dans ce périmètre,
03:05dans ce coin-là, du nord-est de Paris,
03:07c'est ce nord de la Seine-et-Marne où vous vous trouvez.
03:10Oui, exactement, vous le dites, on plaisantait.
03:12Enfin, c'était assez incroyable, parce que bon,
03:14il faut aussi dédramatiser quand il y a un drame pareil,
03:18mais on plaisantait.
03:19Et moi, ce que j'ai appris aussi dans la déposition de mon collaborateur,
03:23c'est que lui-même avait envisagé l'endroit où il allait se mettre
03:26si jamais ils étaient là.
03:27Donc, c'est assez effectivement incroyable.
03:29Alors, ils ne savent pas que vous n'êtes pas seul.
03:32Ils vont vous demander si vous l'êtes, seul.
03:35Vous leur répondez que oui,
03:36vous leur montez délibérément dans le but de protéger Lilian.
03:38Vous espérez qu'il est parti se cacher.
03:40Ils vous demandent aussi, les frères Kouachis, si vous êtes juif.
03:43Oui, à un moment...
03:45Alors, moi, je n'ai pas cessé de les regarder dans les yeux,
03:48de regarder un peu comment leur émotion évoluait
03:51tout au long de notre conversation.
03:54Et quand ils m'ont dit ça, évidemment,
03:56là, c'était un moment très difficile, parce que ça...
03:58Juste avant, ils m'avaient dit que...
04:00Bon, j'avais un petit...
04:01ce qu'on appelle un kakémono avec des pin-ups.
04:04Ils m'ont dit ça, c'est blasphème.
04:06Le ton a commencé à monter.
04:08Et ils m'ont dit, vous êtes juif en pointant la kalachnikov
04:11avec une arme et le doigt sur la gâchette.
04:13Parce que tout ça, évidemment, j'ai largement le temps
04:15de me remémorer toutes ces images.
04:17Et là, c'est un moment très, très, très difficile.
04:19Qu'est-ce qu'ils vous disent ? Qu'est-ce qu'ils vous racontent ?
04:21Ça fait 48 heures qu'ils sont les hommes les plus recherchés de France.
04:23Il faut se rappeler ça.
04:24On les imagine un peu à gare et sur les nerfs.
04:26Dans les échanges qu'on a eus, c'est surtout qu'ils me donnaient...
04:28Moi, j'essayais de répondre de façon neutre possible
04:31pour essayer d'être le plus calme possible.
04:33Vous avez peur pour votre vie, Michel Catalano, à ce moment-là ?
04:35Alors, j'ai accepté tout de suite, quand j'ai dit à mon collaborateur
04:38de partir se cacher, j'ai accepté tout de suite que j'allais mourir, en fait.
04:40Et ça m'a permis d'avoir un calme
04:45que j'ai mis du temps à comprendre.
04:47Et surtout, je n'avais qu'une obsession à ce moment-là,
04:50c'est de tout faire pour pas qu'ils trouvent mon collaborateur.
04:52Et donc, ça m'a permis de me mettre dans une espèce de phase d'action
04:56qui fait que non, j'avoue que j'ai pas eu peur.
05:00Étonnamment, la peur, je l'ai eu.
05:04Vous vivez un traumatisme, vous racontez que vous vous coupez en deux,
05:07d'une certaine manière, vous mettez les émotions à distance.
05:09C'est ça.
05:10Et cette phase, ce qui sera le syndrome post-traumatique par la suite,
05:13alors j'accélère un petit peu les événements,
05:15mais les gendarmes vont arriver, il va y avoir une première fusillade,
05:18le plus jeune des frères Kouachi va être blessé à la gorge,
05:21vous allez le soigner, d'ailleurs on va vous féliciter
05:24pour le pansement que vous lui aurez fait après coup,
05:26et vous leur demandez aux frères Kouachi si vous pouvez partir,
05:29s'ils peuvent vous relâcher, ils acceptent,
05:31et vous allez rejoindre les gendarmes,
05:33l'un d'eux vous confessera que quand vous sortez de l'entreprise,
05:36à ce moment-là, ils sont tous en train de vous mettre en joue.
05:38L'un d'eux s'est demandé comment ça se fait quand vous n'avez pas tiré dessus,
05:41Michel Catalano.
05:42Oui, parce qu'en fait, quand je suis sorti, j'ai levé les mains,
05:44j'avais un gros blouson sur moi noir,
05:48et quand je suis sorti, je me suis dirigé vers eux,
05:50j'ai dit que j'étais un otage,
05:52et ils m'ont dit couchez-vous, je tire, première sommation en fait.
05:56Et couchez-vous, je tire, deuxième sommation.
05:58Et en fait, à un moment donné,
06:00quelqu'un a dit non, ne tirez pas, c'est M. Catalano.
06:02Mais effectivement, ils auraient pu me ralentir
06:05en imaginant que j'avais des choses sur moi,
06:08ou que je faisais partie de l'ensemble.
06:11Vous comprenez que votre vie est sauve peut-être à ce moment-là,
06:14ou est-ce que vous êtes encore dans le feu de l'action,
06:16vous dites qu'à tout moment, vous pouvez y passer ?
06:18Non, à ce moment-là, je sais qu'il ne fallait pas que je m'allonge,
06:20parce qu'en fait, j'avais vu quand même installé,
06:23j'entendais les hélicoptères, j'avais vu les snipers en face,
06:26donc tout ça, j'avais senti que ça allait être un moment très difficile pour moi,
06:29et il ne fallait pas que je reste au milieu là.
06:31Et eux étaient derrière moi, et moi j'étais persuadé qu'ils allaient sortir,
06:34parce qu'ils n'avaient qu'une hâte,
06:36c'est d'en découdre,
06:38et tout de suite, on est là pour en finir,
06:40on veut mourir en tuant le maximum de gens.
06:42Donc évidemment, c'est là où, pour moi, dans mon esprit,
06:45j'étais persuadé que je n'allais jamais m'en sortir.
06:47Alors 17h, l'assaut, c'est eux qui le donnent,
06:49ils sortent, ils tentent une percée,
06:50ils vont être abattus par les forces de l'ordre,
06:52donc il y a cette journée folle,
06:54ça se passe après, Michel Catalano,
06:56vous racontez longuement, avec beaucoup de sensibilité,
06:58dans votre vie, dans votre livre,
07:00il y a le trauma, il y a les dégâts,
07:02vous dites, je suis ruiné,
07:04après cette histoire-là,
07:06et personne, Michel Catalano, j'insiste,
07:08personne ne va vous faire de cadeau, derrière.
07:10Oui, pardon,
07:12c'est justement pour ça que j'ai écrit ce livre,
07:16parce qu'il y a le traumatisme de la journée,
07:18qui était violent,
07:20qui a donné le syndrome post-traumatique,
07:22mais l'après a été extrêmement difficile à vivre,
07:24pour moi, mais ma famille.
07:26On vous a beaucoup promis.
07:28On m'a beaucoup promis, ça a été long,
07:30ça a été difficile, il a fallu que je me batte
07:32sur tous les points, on m'a dit des choses,
07:34des fois qui sont, comme le disait mon psy,
07:36des sur-traumatismes, donc on a l'impression
07:38d'avancer, après de reculer,
07:40il a fallu que je me rembatte, et la seule chose
07:42qui m'a permis d'y arriver, c'est ma famille,
07:44mes amis, les gens, j'ai quand même rencontré
07:46des gens formidables tout au long de ce moment-là,
07:48évidemment, je racontais ça parce que
07:50je voulais la vérité, c'est pour ça que je n'ai pas écrit mon livre
07:52tout de suite après, je voulais qu'on
07:54comprenne le cheminement.
07:56Et comment vous allez aujourd'hui, Michel Catalano ?
07:58Votre épouse est derrière la porte du studio.
08:00Oui, elle a toujours été,
08:02sans elle je ne serais jamais arrivé à
08:04m'en sortir, mais aujourd'hui
08:06je vais mieux, la preuve, aujourd'hui
08:08le 9 janvier je suis ici,
08:10c'est la première fois depuis dix ans que je témoigne
08:12le jour même, et donc ça veut dire que je suis
08:14capable d'avancer un peu plus,
08:16et j'essaye de me frayer
08:18un chemin vers le meilleur.
08:20Merci de l'avoir partagé en tout cas avec les auditeurs d'Europe 1.
08:22Votre livre, L'imprimeur de Damartin,
08:24c'est aux éditions du Cherche-Midi. Merci Michel Catalano.
08:26Bonne journée à vous, bonne commémoration également.