La majorité des salariés veulent travailler moins, quitte à gagner moins

Sud Radio

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Transcript

00:00Le Grand Matin Sud Radio, 7h-10h, Maxime Liédo.

00:04On vous retrouve Frédéric Dhabli, Directeur Général Opinion de l'IFOP, bonjour.

00:08Bonjour Maxime, bonjour à tous.

00:09On va s'intéresser pendant ces vacances et depuis le début de la semaine

00:13aux grandes préoccupations des Français et ça a été à nouveau un fil rouge

00:17encore plus ces derniers mois, c'est la notion du travail Frédéric.

00:20Oui tout à fait, c'est une notion centrale et qu'il faut voir à deux niveaux.

00:23Le travail en termes de politique publique, la lutte contre le chômage,

00:26on est sur une évolution absolument sidérante.

00:29En 2018, ce n'est pas il y a si longtemps que cela Maxime,

00:32dans notre enquête annuelle IFOP-Fiducial pour Sud Radio,

00:35la lutte contre le chômage était la première préoccupation des Français.

00:38Cette dimension s'est effondrée, le chômage a baissé,

00:41les Français voient, entendent la petite musique des emplois.

00:44Ça ne les intéresse plus les Français.

00:45Ils se disent, il y a du travail.

00:47Rappelez-vous, on parlait d'Emmanuel Macron récemment,

00:50comme certaines de ses phrases ont pu choquer,

00:52celles de 2018, traverser la rue pour trouver un emploi,

00:55ça n'a pas choqué plus que cela.

00:57Les Français écoutent aussi la petite musique,

01:00je reprends cette thématique, sur l'assistanat,

01:02avec la fameuse phrase que lit FOBtest depuis une vingtaine d'années,

01:05les chômeurs pourraient trouver du travail s'ils le voulaient vraiment.

01:08On a maintenant quasiment trois quarts d'adhésion,

01:10c'est majoritairement.

01:11Trois quarts des Français pensent ça.

01:12Tout à fait.

01:13Et puis, l'idée d'assistanat,

01:15cette imaginaire que certains sont payés à rien faire,

01:17qui peut être jugée très injuste, mais je ne suis pas là pour juger,

01:19mais pour voir, non pas les réels, mais la perception du réel.

01:23Et puis troisièmement, l'injustice suprême pour les Français,

01:26et ça résonne avec ce mouvement des gilets jaunes il y a quelques années,

01:29ce n'est pas être au chômage, c'est avoir un travail qui paye mal.

01:32Donc la question de la lutte contre le chômage

01:34est maintenant la douzième préoccupation du Français,

01:36mais la question plus micro du rapport au travail devient centrale.

01:41Avec ce rapport au travail,

01:43il y a aussi la place qu'a le travail de plus en plus dans la vie des gens.

01:46On a l'impression que la vie ne tourne plus autour du travail

01:50comme ça a pu être le cas pendant des années.

01:52Vous avez complètement raison, je rappelle quelques chiffres

01:54de grandes enquêtes de l'IFOP.

01:56Ça devait être en 93, je vous donne les chiffres à un point près,

01:59je n'ai plus ça en tête.

02:01En 93, on avait en gros 88% des Français qui disaient

02:06le travail est très important dans ma vie.

02:10On repose la question pour la Fondation Jean Jaurès en 2022,

02:13on passe à 84%.

02:16On se dit 88, 84, c'est l'épaisseur du trait.

02:19Mais la part de ceux qui disent c'est très important dans ma vie

02:22a reculé de 34 points entre 93 et 2022.

02:27Est-ce qu'on peut dire carrément que c'est secondaire ?

02:29Ce n'est pas secondaire, mais le travail a perdu sa centralité.

02:32Il y a aussi un phénomène qui est la perte d'étanchéité

02:36entre sphère professionnelle et sphère personnelle

02:38avec les personnes concernées par le télétravail

02:40qui passent du pro au perso,

02:42qui sont maintenant dans une sacralisation de leur vie personnelle,

02:45qui sont moins prêts à être au chef.

02:48À travailler peut-être le week-end, tôt, tard.

02:50Exactement.

02:51Rappelez-vous le leitmotiv de la campagne de 2007 de Nicolas Sarkozy.

02:55Travailler plus, gagner plus.

02:56Exactement, c'est toujours le cas.

02:58Mais en 2008, on avait 62% des Français qui disaient

03:02je suis prêt à travailler plus pour gagner plus,

03:07quitte à avoir moins de temps pour moi.

03:08Maintenant, c'est l'inverse.

03:10On a une majorité de salariés qui disent

03:12je suis prêt à avoir plus de temps pour moi, quitte à gagner un peu moins.

03:16Regardez qu'en à peine 15 ans, les choses se sont complètement inversées.

03:19Le travail n'est pas secondaire.

03:21Le travail est toujours vu comme un accomplissement,

03:23comme un élément de la méritocratie, notamment républicaine.

03:26Un moyen de gagner sa vie aussi, accessoirement.

03:27Bien sûr, tout simplement.

03:28Mais il a perdu de sa centralité parce qu'il y a eu toute une série d'évolutions.

03:33Comme d'habitude, le Covid n'a rien créé,

03:35mais il a amplifié notamment l'appétence au télétravail,

03:38même si les Français, on pourrait y revenir,

03:40en sont revenus de ce télétravail.

03:41Mais oui, parce que de plus en plus,

03:43il y a finalement l'idée que le télétravail, c'était bien pendant quelques temps,

03:46mais ce n'est pas plus mal non plus de sortir de chez soi,

03:48d'avoir un bureau, d'avoir des collègues.

03:50Vous avez une vraie vie d'entreprise.

03:51Tout à fait, puisque l'entreprise est vue comme une communauté au sens allemand,

03:55un Gemeinschaft, si je puis dire.

03:56On fait des enquêtes annuelles avec la Société foncière lyonnaise et Evidence.

04:01On voit très bien que dès qu'on dépasse un jour et demi ou deux jours de télétravail,

04:04les salariés se sentent plus stressés, moins sûrs d'eux.

04:08Moins productifs.

04:09Exactement, ils perdent le sel des relations de l'informel.

04:13J'avais qualifié le télétravail de poison délicieux,

04:16sans mitridatiser les choses, si je puis dire.

04:18Un jour, un jour et demi, c'est bien.

04:20Dès qu'on dépasse, les Français sont perdus.

04:23Et puis, il y a un nouveau rôle, une nouvelle dimension.

04:26L'entreprise est de moins en moins vue comme un lieu d'alignation,

04:30mais comme une communauté.

04:31Il y a un chiffre que je vous donne.

04:32On a désormais quasiment une majorité de salariés qui répondent oui à la phrase suivante.

04:37Mes collègues sont avant tout mes amis.

04:39C'est deux tiers chez les jeunes salariés.

04:41Et dans cette idée que le travail n'est plus forcément central dans la vie,

04:44est-ce que ça traverse toutes les générations ?

04:46Ou est-ce que, comme on l'entend un peu souvent peut-être par cliché,

04:48ça ne concerne que les jeunes qui ont moins envie de travailler,

04:51qui sont plus attentifs à leur vie de famille,

04:52ou quand même, c'est en train de prendre chez peut-être les personnes 40, 50 ans, 60 ans ?

04:56Alors, c'est parti des jeunes.

04:57Il y avait un clivage générationnel qui est de moins en moins vrai.

05:00Les jeunes ont été diffusionnistes.

05:02Dans mon précédent livre, La Fracture,

05:03je montrais qu'il y avait des fractures très jeunes entre les générations

05:06sur la question de la laïcité, sur les questions du blasphème,

05:10sur les questions sociétales, sur le travail.

05:12Les jeunes ont été diffusionnistes.

05:13Ils ont imposé leur point de vue.

05:15Ils veulent travailler.

05:17Ils veulent un travail instagrammable qui puisse être racontable.

05:20Il y a la quête de sens, le sens du travail.

05:22Avoir un narratif sur ce qu'on fait.

05:23Exactement, un narratif.

05:24Alors, c'est un thème un peu de communication,

05:26mais je le prends pour moi également.

05:28Le narratif compte énormément.

05:29Et cette vision d'une communauté de l'entreprise

05:32a maintenant gagné l'ensemble du salaire français.

05:35Frédéric David, directeur général opinion de l'IFOP.

05:37Merci beaucoup.

05:38On peut poursuivre le débat en librairie en achetant votre dernier livre.

05:40Parlons-nous tous la même langue.

05:42C'était écrit avec Brice Socol.

05:43C'était aux éditions de l'Aube.

05:45Et on vous retrouve demain.

05:46Même antenne, même heure.

05:47Avec plaisir.

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