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Abou Mohammad al-Jolani, le chef islamiste de la coalition rebelle à l'origine d'une offensive fulgurante en Syrie qui a provoqué selon ses combattants la chute dimanche du président Bachar al-Assad, est passé d'un vocabulaire fondamentaliste à une parole qui se veut modérée pour parvenir à ses fins. Le leader de Hayat Tahrir al-Sham (HTS), ex-branche d'al-Qaïda en Syrie, s'était fixé comme objectif de renverser le président Assad, au pouvoir depuis 2000. Dimanche, les rebelles sont entrés dans la capitale et ont proclamé "la ville de Damas libre".

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00:00Patrick Sauss est toujours avec nous, éditorialiste politique internationale de BFM TV,
00:09et on est avec Fabrice Balanche, maître de conférence à l'université Lyon 2, spécialiste du Moyen-Orient.
00:14Bonjour et merci d'être avec nous. Trois images ce matin du nouvel homme fort de Damas, Abu Mohamed Al-Jolani.
00:20Il est à la tête de l'organisation de libération du Levant.
00:23Trois images et même trois visages du même homme. C'est le même homme que vous voyez là sur cet écran.
00:29Et il a parlé il y a quelques heures à CNN, il a accordé une longue interview,
00:35après s'être exprimé lors d'un long discours à la grande mosquée des Omeyad à Damas.
00:43Personne n'a le droit d'effacer un autre groupe.
00:46Ces mouvements coexistent dans cette région depuis des centaines d'années, et personne n'a le droit de les éliminer.
00:52Il doit y avoir un cadre juridique qui protège et garantisse les droits de tous,
00:57un système qui ne sert qu'à un seul mouvement, comme l'a fait le régime d'Assad.
01:03Vous savez, en vous écoutant parler, vous avez vécu toute une transformation.
01:07Autrefois, vous étiez un chef d'Al-Qaïda, puis votre groupe a eu des affiliations avec Al-Qaïda et l'État islamique.
01:14Et maintenant, vous projetez l'image d'un leader et d'un groupe modéré.
01:18Qu'est-ce que le groupe Hayat Tahrir al-Sham en ce moment ?
01:22Hayat Tahrir al-Sham est l'une des factions de la région, comme toutes les autres.
01:27Maintenant, nous parlons d'un projet plus vaste. Nous parlons de construire la Syrie.
01:32Hayat Tahrir al-Sham n'est qu'un détail de ce dialogue, et il peut se dissoudre à tout moment.
01:39Donc, discours rassurant à l'égard des autres communautés.
01:42Fabrice Balanche, mais au fond, qui est cet homme ?
01:45C'est un chef militaire ? C'est un chef religieux ? Ou autre chose ?
01:49J'ai lu la formule, un djihadiste grimé en homme politique.
01:53Oui, c'est assez bien résumé, un djihadiste grimé en homme politique,
01:57ripolliné par les services de communication, sans doute de la Turquie et du Qatar,
02:02pour lui donner une image acceptable.
02:04Mais en fait, comme vous l'avez souligné, c'est un membre d'Al-Qaïda.
02:09Certes, il s'est éloigné d'Al-Qaïda en 2016 pour des raisons tactiques.
02:13Il avait besoin d'un soutien arabe, d'un soutien occidental,
02:16lors de la païtârie d'Alep, lorsque Alep est tombé entre les mains des Russes.
02:20Mais idéologiquement, il a conservé évidemment ses liens avec Al-Qaïda.
02:27Les groupes qui sont autour de lui sont toujours membres d'Al-Qaïda.
02:31Je pense à Houla Seddine, les gardiens de la religion,
02:34ou les oïgours du parti islamique du Turquestan,
02:36qui pratiquent allègrement l'attentat suicide avec des enfants et des adolescents.
02:40C'est d'ailleurs eux qui ont enfoncé les défenses d'Alep
02:43en se faisant exploser sur les défenses de l'armée syrienne.
02:47On a vu ce qu'il a fait à Idlep.
02:49Il a instauré un totalitarisme islamique.
02:51Alors, il dit protéger les chrétiens.
02:53C'est vrai qu'il y a quelques dizaines de personnes âgées
02:56qui vivent toujours dans un village chrétien à côté d'Idlep.
02:59Il les protège un peu comme une réserve indienne pour montrer qu'il est tolérant.
03:03Mais il a éradiqué les chiites, les alaouites qui se trouvaient dans la province d'Idlep.
03:09Il a éliminé tous les opposants laïcs qui étaient à Idlep.
03:12Il a chassé et éliminé physiquement les islamistes modérés
03:16de groupes comme Hararecham ou Soukouresham,
03:19qui ont dû fuir sa dictature.
03:22Donc, on voit très bien ce qu'il a fait à Idlep ces dernières années.
03:26Ce n'était pas il y a 50 ans.
03:28C'est la même chose qu'il veut faire à l'échelle de la Syrie.
03:32Vous voulez dire que tout ça est de l'habillage
03:34et que le projet final est d'instaurer la charia en Syrie ?
03:39Bien sûr, il l'a souligné qu'il allait installer la charia en Syrie.
03:43Une charia pas aussi rigoriste que ce qu'avait fait Daesh à Raqqa.
03:50Vous avez le droit de fumer à Idlep, vous avez le droit d'écouter de la musique.
03:53Mais enfin, c'est tout.
03:55En fait, il a beaucoup appris des erreurs de l'État islamique.
03:58Il ne fait pas d'exécution en public.
04:01Il ne publicise pas ses exactions parce qu'il a compris que ça attirait sur lui,
04:06évidemment, la foudre de la communauté internationale.
04:10Pour que nos spectateurs comprennent bien,
04:12vous voulez bien nous rappeler ce qu'est le régime de la charia ?
04:15Vous dites qu'on pourra écouter de la musique, on pourra fumer dans les rues, mais ?
04:19Le régime de la charia, c'est l'application très stricte de la loi islamique,
04:24telle qu'elle est définie par le Coran et par la Sunna.
04:29Il ne laisse pas de marge de manœuvre, évidemment,
04:32pour une société laïque qui minore les chrétiens, les juifs,
04:39qui élimine ceux qui sont les mauvais musulmans, les kuffars, les chiites, par exemple,
04:45ou ceux qui ne se rendent pas tous les vendredis à la mosquée.
04:49Mais Fabrice, on a vu tous les Syriens en exil, évidemment,
04:51fêter, se réjouir du départ de Bachar al-Assad.
04:54Est-ce que vous dites en substance qu'un régime sanguinaire
04:59risque de succéder à un régime sanguinaire ?
05:04Effectivement, on peut se réjouir du départ de Bachar al-Assad,
05:0950 ans de dictature de la famille Assad, une guerre terrible,
05:14400 000 morts, 500 000 morts, 8 millions de personnes réfugiées à l'étranger.
05:18Ça a été assez épouvantable, ce qui s'est produit en Syrie.
05:21Et donc tous ceux qui sont à l'étranger rêvent évidemment de retrouver leur famille, leur pays.
05:25Je ne pense pas qu'ils vont retourner y habiter,
05:28en particulier ceux qui sont en Europe,
05:29parce que les conditions de vie restent absolument épouvantables.
05:32Et il y a des inquiétudes sur la stabilité du pays,
05:36surtout si Hayat al-Hilasham prend le pouvoir.
05:41Ensuite, vous avez bon nombre de personnes qui sont en Europe,
05:45qui sont des musulmans convaincus,
05:48et pour qui un régime islamiste en Syrie, cela leur convient parfaitement.
05:55Alors vous avez nommé cet homme Abu Mohamed al-Hilasham.
06:00Pardonnez-moi. Hayat al-Hilasham, c'est son nom de naissance,
06:05alors que Abu Mohamed al-Jolani, c'est son nom de guerre.
06:08D'ailleurs, il ne veut plus qu'on l'appelle avec son nom de guerre, n'est-ce pas ?
06:11Oui, tout à fait. Il veut faire oublier sa période al-Qaïda.
06:15Il veut faire oublier qu'il était ami avec al-Baghdadi, le calife de l'État islamique,
06:22avant évidemment de s'en séparer pour des querelles d'égo en 2013-2014.
06:27Il y a eu une guerre assez sanglante entre les deux factions djihadistes,
06:32mais ce n'était pas parce que l'un était plus modéré que l'autre.
06:35C'était juste parce que l'un voulait prendre le pouvoir en Syrie.
06:39C'était uniquement pour cela.
06:41Donc il essaie effectivement de se donner une image modérée.
06:44Il a invité depuis plusieurs années des journalistes, des chercheurs à Idleb,
06:49sur les conseils évidemment de ses amis turcs,
06:52parce que pour rentrer à Idleb, il faut avoir l'autorisation de la Turquie.
06:55Donc on ne laissait pas rentrer n'importe qui non plus.
06:58Et puis on leur faisait faire un petit tour pour montrer combien c'était stable,
07:01combien il aimait les chrétiens, puisqu'il y avait cette église à Yakoubiye
07:05qui n'avait pas été détruite, et où on pouvait faire la messe
07:08sans sonner les cloches et sans boire du vin de messe.
07:11Par contre, ça participe à cette stratégie de communication
07:17pour le faire accepter par les Occidentaux et par les pays arabes.
07:22Patrick, il va y avoir un vrai test, c'est la constitution de l'équipe dirigeante.
07:26Oui, et au moins d'une transition démocratique qui sera sous surveillance.
07:30Il a garanti ça, la transition dite démocratique ?
07:33Il l'a garantie, mais encore une fois, c'est le chef d'un groupe qui est toujours...
07:36Dans un état multi-confessionnel ?
07:37Multi-confessionnel, multi-religieux, multi-régional aussi.
07:42Tout ça a été dispersé sous la dictature du clan Assad.
07:46Il y a d'abord une surveillance des Turcs, qui sont les grands vainqueurs de ce week-end.
07:50Ils n'ont pas vocation à ce qu'il y ait un état islamiste, si je puis dire,
07:54qui s'inscrive sur la durée.
07:57On a vu les Américains qui ont bombardé les positions d'Daesh dans le Nord-Est.
08:02On a vu les Israéliens prendre position sur le Golan.
08:05Golan en arabe, ça veut dire Jolanie.
08:07C'était là aussi le nom de combat de Mohamed Al-Shara, son nouveau nom.
08:11Et puis, si la situation est aussi terrible économiquement en Syrie,
08:15c'est aussi parce qu'il y a eu des sanctions.
08:18Et on l'a bien compris à travers son portrait, le nouvel homme fort,
08:21c'est un malin. Déjà, il a survécu aux bombardements alliés.
08:24Sa tête est toujours mise à prix.
08:26Mais s'il veut bien se faire voir, parce que c'est encore l'économie de la rue qui compte,
08:31il va falloir qu'il montre des gages pour que ces sanctions disparaissent.
08:35Est-ce que le nouveau drapeau affiché par les rebelles islamistes
08:38lorsqu'ils sont entrés à Damas, on va le voir sur ces images,
08:41dit quelque chose ?
08:43Le drapeau de la révolution des rebelles, c'est celui qui est à droite
08:46avec trois étoiles, les trois districts.
08:48Celui d'Alep, de Damas et de Deir ez-Zor.
08:50L'autre, il y a deux étoiles non seulement, mais en plus...
08:53C'est le drapeau de la dynastie Assad.
08:55Voilà, le drapeau en plus avec les couleurs égyptiennes
08:57qui voulaient dire quelque chose.
08:59Effectivement, on voit des étoiles, mais on ne voit pas de croissant.
09:02On ne voit pas de signaux pour l'instant musulmans, encore moins islamistes.
09:06Mais tout ça peut changer.
09:08Je peux vous dire, depuis la fin du mandat français,
09:10j'ai compté quasiment une douzaine de drapeaux différents
09:13du côté syrien, mais c'est très important.
09:15Pour l'instant, tout ce qu'on a vu, ce sont des drapeaux étoilés.
09:18Merci beaucoup.
09:20Merci à tous les deux.
09:21Merci d'avoir été en direct avec nous de Lyon, Fabrice Balanche.

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