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00:00– De retour dans votre émission Angle de vue en compagnie de Daniel, René Corail.
00:08Et pour cette troisième partie, nous allons évoquer votre casquette d'administrateur culturel.
00:14On l'a dit, vous passez avec aisance de la lumière des projecteurs à un rôle de l'ombre
00:19puisque vous êtes donc administrateur culturel de l'association Créole
00:23et depuis plus de 20 ans, vous menez un combat, à savoir la défense des droits des intermittents
00:29du spectacle et vous me racontiez que c'est votre propre expérience au sein de Taxi Créole
00:34qui vous a fait vous intéresser en fait à la condition d'artiste.
00:37Est-ce que vous pouvez nous raconter ça ?
00:39– Alors bon, quand le succès arrive et que tous les jeudis, vendredis, jeudis,
00:44jeudis déjà au Golfe, on brasse beaucoup de monde, donc on brasse de l'argent,
00:51on est organisateur, là il faut aller chercher les licences, il faut se mettre…
00:55J'aime bien en fait ne pas devoir dormir sous mes deux oreilles et avoir raison,
01:06ne pas me retrouver à voir quand mes temps ne ressortent pas.
01:10Donc j'ai été chercher les infos et on a créé à l'époque une association
01:15qui s'appelait Téca Productions et avec Richard Marie-Claire,
01:18comptable encore plus rigide que moi, qui n'est plus là aujourd'hui,
01:22il m'a formée à ce truc et il m'a dit, on va faire ce qu'il faut,
01:27on a légalisé l'histoire et on a fait les fiches de paye.
01:29– Parce que concrètement en fait à l'époque ça se passait comment ?
01:31C'est-à-dire on se faisait payer comme ça ?
01:33– Pour reprendre l'expression des jeunes, c'était à la « when I get ».
01:35– D'accord.
01:36– Voilà, ça dépend de qui est producteur, de qui est organisateur,
01:40il y avait beaucoup d'espèces, donc beaucoup de blacks
01:44et il n'y avait pas assez de détenteurs de licences,
01:49mais franchement en 20 ans ça s'est vraiment bien amélioré
01:55et ça va encore s'améliorer.
01:57– En sachant que, donc ça vous me le disiez,
01:59le nombre d'intermittents ne cesse d'augmenter,
02:01la France en compte à peu près aujourd'hui 300 000
02:04donc à l'échelle de tous ces territoires, un nombre qui augmente,
02:08mais il y en a encore beaucoup qui ne sont pas déclarés, notamment en Martinique.
02:12– Oui, parce qu'en fait c'est un système très intéressant,
02:17quand on met le pied dedans, c'est vraiment très intéressant,
02:20c'est une couverture sociale, c'est un statut, c'est une fiche de paye,
02:23c'est vraiment être intégré à la société et au statut,
02:28ça porte son nom, c'est un statut.
02:31Mais il reste compliqué à mettre en place
02:33parce que ce sont des organismes différents pour les charges sociales,
02:38les charges patronales, donc l'organisateur il est toujours…
02:42ça lui donne, ça le stresse.
02:45– Et c'est quoi, c'est un problème véritablement de phobie administrative
02:48ou c'est aussi un problème d'accompagnement et d'information ?
02:50– Il y a la phobie administrative et il y a surtout le nombre de prestations,
02:55vu la petitesse de l'île, nous dépendons des lois françaises
03:01et on demande à un intermittent de faire au moins 4 spectacles déclarés par mois,
03:124 dates déclarées par mois.
03:15– Et ça c'est difficile à atteindre, toute l'année.
03:18– C'est très difficile, même si c'est vrai qu'il y a beaucoup de musiciens,
03:22il y a un foisonnement de prestations,
03:24mais il n'y en a pas assez, comment dirais-je, de déclarés.
03:29Un restaurant devrait déclarer, un hôtel devrait déclarer.
03:33– Qu'est-ce qu'ils risquent ces artistes justement,
03:35qui ne sont pas déclarés, de vivre dans une grande précarité ?
03:40– Complètement, le Covid c'était vraiment l'exemple
03:44où seuls ceux qui avaient le statut pouvaient être aidés,
03:49même si c'était une petite somme, et en fait, quand tout s'arrête,
03:53il n'y a plus vraiment plus rien, il n'y a plus de rentrée d'argent,
03:56mais il n'y a plus non plus de couverture.
03:58Tandis que quelqu'un qui a le statut, s'il n'y a plus de date,
04:02tous ceux qui avaient le statut ont été un peu couverts et indemnisés,
04:06ce qui est tout à fait normal, puisqu'ils avaient le statut.
04:10C'est vraiment compliqué.
04:12– Vous avez d'ailleurs, avec Orlan, durant la pandémie,
04:15créé l'association Le Camp, justement pour aider ces artistes.
04:19– Voilà, c'était dans l'urgence, et Le Camp existe encore,
04:22et on se bat pour, justement,
04:24professionnaliser vraiment au maximum les intermittents du spectacle.
04:28– Et comment ça se passe, justement, pour tenter de les professionnaliser ?
04:32Vous allez à leur rencontre ?
04:33– On va à leur rencontre, et on a…
04:36Alors bon, c'est pas toujours évident,
04:38parce qu'on a perdu, malheureusement, notre secrétaire dans l'année, là.
04:43Donc elle a été remplacée, à la rentrée, on va redémarrer.
04:47Donc il y a toutes les AG qui vont être mises en place,
04:50et puis les messages qu'on fait passer pour les récupérer.
04:53Et surtout, on se bat pour que le nombre d'heures n'augmente pas.
04:58Parce qu'on exige 507 heures, et on parle d'augmenter,
05:03alors qu'avec les 507, on ne s'en sort déjà pas.
05:06Donc on se bat vraiment pour que ça diminue,
05:11ou qu'il y ait une spécificité pour les Antilles.
05:13– Où en sommes-nous des aides, justement, portées au milieu artistique ?
05:17On a souvent tendance à présenter la France
05:19comme le pays de la culture par excellence.
05:22Est-ce que vous êtes d'accord avec ça ?
05:24Est-ce que c'est toujours vrai,
05:26au vu des aides qui, notamment, sont allouées à nos artistes locaux ?
05:29– Alors, il y a des aides, c'est vrai.
05:33Mais le problème, c'est l'État-département.
05:38Il faut vraiment qu'il y ait des spécificités outre-mer.
05:44Là, malheureusement, on rentre un peu dans un peu de politique.
05:48Un artiste, je prends mon cas, je suis, je ne sais pas,
05:53allez, hier, je suis à la Balousa,
05:58je ne peux pas me retrouver la semaine prochaine,
06:01même configuration, à Saint-Anne.
06:06Ce n'est pas possible, parce que, vous m'avez déjà vue.
06:10Et je prends le cas de, bon, et encore moi,
06:13sur les jeunes artistes qui arrivent en Pomerane,
06:17si elle fait un appât à la Balousa, là, c'est le cas de Meryl, en décembre,
06:23il ne faut pas qu'on voit Meryl pendant tous les mois qui viennent avant.
06:26– Donc, ce seraient des aides au voyage, aussi, pour justement…
06:29– Non seulement le transport, on a les compagnies aériennes,
06:32on n'a aucun soutien de ce côté-là, et au niveau des kilos non plus,
06:37mais c'est ce qu'il faut vraiment,
06:40diminuer le nombre d'heures pour avoir ce statut,
06:43pour que l'artiste ait deux prestations par mois,
06:47ou deux prestations, trois par mois, pour qu'il puisse avoir ce statut,
06:51parce qu'il ne peut pas se produire toutes les semaines, quelque part,
06:55par rapport à la petitesse de l'île.
06:58– Qu'est-ce qui est fait, aujourd'hui, pour faire entendre ce discours, justement ?
07:01– Nous, nous parlons à nos élus, alors, Mme Konkon avait déjà pris le bébé en main,
07:09et là, on va y retourner, on va…
07:12mais c'est vraiment un statut qui est tellement bien ficelé,
07:16et qui est tellement arrangeant, que même au niveau du gouvernement,
07:20je pense qu'il dérange, et qu'ils vont tout faire pour l'affaiblir,
07:23parce qu'il est vraiment bien, ce statut, quand le terme est temps,
07:29là, on ne va pas dire qu'il est tranquille,
07:31mais il a vraiment une couverture qui est beaucoup plus intéressante.
07:33– Il a un filet de sécurité. – Voilà, il a un filet de sécurité.
07:36– Vous évoquiez, tout à l'heure, la pandémie de Covid-19,
07:39qui a achevé de fragiliser, malheureusement, certains artistes non déclarés,
07:44on le sait, à cause des différents confinements,
07:47il y a eu aussi énormément d'annulations de spectacles.
07:49– Et les derniers événements, aussi.
07:51– Alors, justement, c'est là que j'en venais,
07:53j'allais vous demander, d'une part,
07:55est-ce que nos artistes ont réussi à retrouver un rythme de croisière post-Covid,
07:59mais aussi, est-ce que le climat social que nous vivons actuellement
08:03est à nouveau en train de fragiliser la profession ?
08:05– Alors, à peine, on va dire, certains se sont professionnalisés dans la foulée,
08:10c'est bien, on a réussi à en récupérer quelques-uns,
08:14et au moment, on va dire, où il y avait une petite tenue de route,
08:19il y a les nouveaux événements, qu'on ne blâme pas,
08:21mais nous sommes toujours les premiers lésés,
08:25avec les entreprises qui sont concernées.
08:28– C'est ce que j'allais vous dire, sans vouloir vous interrompre,
08:30c'est que c'est vrai qu'on évoque souvent,
08:32notamment quand il y a des périodes de couvre-feu,
08:34les restaurateurs qui sont impactés, les salles de spectacle,
08:36mais les artistes, en fait, en premier lieu.
08:39– C'est-à-dire qu'en octobre, on devait faire une prestation avec Coaxy,
08:44elle n'est même pas reportée, elle a été annulée,
08:47et on ne sait pas quand on pourra la refaire,
08:49parce que la configuration même de ce qui s'était avec un artiste
08:53qui venait de la Guadeloupe, la salle n'est plus disponible,
08:56enfin bon, entre-temps, les choses se mettent en place,
08:59on ne sait pas quand on pourra la refaire.
09:01– Pour parler des organisateurs,
09:03je ne vous ai pas encore posé la question,
09:07quand on est dans une période où tout va bien,
09:09il n'y a pas de couvre-feu, on peut fonctionner normalement,
09:11est-ce que les organisateurs eux-mêmes jouent le jeu,
09:14c'est-à-dire soutiennent nos artistes,
09:16ou bien est-ce qu'au contraire, parfois, c'est les arranges aussi,
09:19que certains de nos artistes ne soient pas déclarés,
09:21donc ne soient pas bien couverts ?
09:23– La plupart, vraiment, ça a évolué, la plupart, ils font…
09:27alors je ne sais pas si c'est parce qu'ils savent que je m'en occupe,
09:30mais la plupart, ils font le nécessaire.
09:32Là, aujourd'hui, avec l'association, on est passé vraiment…
09:35le nombre de déclarations augmente,
09:38on a vraiment beaucoup, beaucoup, beaucoup plus de travail.
09:40– On en a combien aujourd'hui en Martinique ?
09:42– De déclarations, je ne peux pas vraiment les chiffrer,
09:46mais en tout cas, je ne sais pas, là où on déclarait…
09:52en tout cas, moi, je sais que les chiffres, les payes sont plus importantes,
09:56on déclare beaucoup, beaucoup, beaucoup d'événements,
09:59c'est ce que je veux dire,
10:01plein d'événements qui ne se déclaraient pas se déclarent aujourd'hui.
10:04Donc, c'est pas… ah oui, ça va nettement mieux,
10:09et je pense qu'on peut même prévoir qu'il y ait une autre structure aussi
10:14qui en fasse les mairies, les collectivités,
10:18tout le monde se met à jour, c'est obligatoire.
10:22– Aujourd'hui, Daniel, René Corail, on fait de la musique avec des ordinateurs,
10:26c'est beaucoup plus facile de composer des morceaux,
10:30l'intelligence artificielle s'invite également,
10:33on peut demander à Tchad GPT,
10:35compose-moi un morceau de zouk que le public va apprécier et ça fonctionne.
10:41Comment vous vous appréhendez l'avènement des nouvelles technologies
10:44dans le milieu de la création musicale, menace ou opportunité ?
10:48– Je dirais plus menace, mais je me dis que l'art, non.
10:54On ne peut pas… il faudrait tuer l'humain, pour vraiment…
10:59– Pour vous, l'intelligence artificielle ne remplacera jamais un chanteur, un compositeur.
11:03– J'espère, vraiment, c'est dangereux, parce que c'est vrai que tout…
11:09j'ai écouté, il y a des choses incroyables qui se font,
11:12on peut tricher, mais vraiment…
11:14et c'est là où je me dis qu'il faut peut-être qu'on remette vraiment les valeurs,
11:19parce que pour moi c'est tricher, c'est voler.
11:21– Est-ce que vous connaissez…
11:22– Si je mets quelqu'un à ma place, qui chante à ma place,
11:24c'est que je triche, c'est que je vole et que je mens au public.
11:28Donc allons remettre en place les petites valeurs,
11:31comme Maman nous a apprises, ne triche pas, ne vole pas.
11:33– Est-ce qu'il n'y a pas une réflexion à mener
11:35sur comment intégrer ce paramètre qui est là dans des compositions ?
11:40– C'est déjà le cas, les séquences sont déjà en place sur beaucoup de groupes,
11:44les séquences c'est au niveau des instruments, au niveau des voix,
11:49il y a des choses qui se font, même dans tous les domaines,
11:51ce n'est pas qu'avec la musique, mais c'est vrai que nous,
11:54on va vraiment, excusez-moi l'expression, prendre une tape.
11:58On est déjà en train de l'apprendre.
11:59– Mais est-ce que malgré tout, Daniel René Corail,
12:00vous restez optimiste pour la suite et pour nos artistes ?
12:03– Complètement, je suis une optimiste, je suis une optimiste née,
12:06angoissée, mais optimiste, et stressée, pas angoissée,
12:10parce qu'en fait, j'aime bien que les choses se fassent
12:14et bon, je peux stresser tant que ce n'est pas fait.
12:17Et je suis très optimiste parce qu'il faut y croire
12:22et ce n'est pas possible qu'on puisse tout remplacer,
12:27cette machine, la machine humaine, parce que c'est nous la machine,
12:32c'est un humain qui a pensé l'IA,
12:35donc pour moi, j'espère vraiment, voilà, donc je reste convaincue.
12:41– Il reste la scène, non ?
12:42– Il reste la scène, on peut tricher sur la scène, c'est déjà le cas,
12:47oui, puisqu'il y a des correcteurs sur scène, de voix,
12:50il y a plein de choses qui existent, que vous ne savez pas,
12:53mais bon, ça existe, ça se fait déjà.
12:56Donc, en fait, il va falloir vivre avec son temps et avec ces technologies-là.
13:04Ce genre de conversation, j'ai eu ces échanges-là avec Morane, par exemple,
13:09où j'ai vu le truc venir, et rien qu'avec le portable et Internet et tout ça là-haut,
13:13où je lui ai dit, ah, je ne saurais pas faire, fait !
13:18Et même à ce niveau-là, je me dis, embauchons, transmettons,
13:22faisons les plus jeunes le faire à notre place, parce qu'ils savent le faire.
13:27– C'est assez paradoxal parce que dans le même temps,
13:29on a le sentiment aussi qu'un certain public veut revenir à la musique vintage,
13:35au live, aux vraies sonorités, donc finalement, tout n'est pas perdu.
13:38– C'est pour ça que je me dis qu'on ne peut pas tout…
13:42ce n'est pas possible qu'on supprime tout, je reste optimiste.
13:47Il y aura… on est vraiment la génération qui aura tout vu,
13:52mais vraiment, là, je pense que, en tout cas,
13:55jusqu'à ce que, tant que je suis vivante, l'IA va prendre peut-être plus de place,
13:59mais on aura toujours ce live et cette vérité.
14:02C'est vraiment cet instant tête sur scène, et je pense qu'il y aura les deux.
14:07– Et c'est sur cette vérité que, malheureusement,
14:10nous devons refermer cette émission.
14:12Daniel René Corail, merci d'avoir partagé un peu de votre optimisme avec nous.
14:18Merci à vous, bien sûr, chers téléspectateurs et chers auditeurs,
14:21de nous avoir accompagnés pour cette dixième émission Angle de vue.
14:25Cet entretien, vous le savez, est à retrouver sur les ondes,
14:28dans les colonnes de votre quotidien et en ligne sur nos trois médias,
14:31via atv.tv, rci.fm et françonti.fr.
14:36Et nous vous disons à très vite pour un nouveau portrait.