Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Mardi 26 novembre 2024 : l’astrophysicien et directeur de recherche au Commissariat à l'énergie atomique, David Elbaz. Il publie une BD, "Alma - Voyage d'un astronome en terre inca", avec Mathieu Fauré aux dessins, aux éditions Alisio Sciences.
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00:00Bonjour David Elbaz. Bonjour Élodie. Vous êtes astrophysicien, directeur de recherche au commissariat de l'énergie atomique, donc au CEA SACLE,
00:07où vous dirigez le laboratoire cosmologie et évolution des galaxies. Vous êtes également conseiller auprès de l'agence spatiale européenne
00:14et membre du comité d'évaluation sur la recherche et l'exploration spatiale pour le CNES, donc le Centre National d'Études Spatiales.
00:21Vous êtes en plus, et parce qu'il vous reste un peu de temps, directeur de la rédaction du journal européen Astronomie et Astrophysique,
00:28et vous contribuez à travers vos ouvrages à la diffusion des connaissances scientifiques. En quelques mots, vous êtes la tête dans les étoiles
00:36et vous avez les pieds sur Terre. Spécialiste de l'étude de la formation des galaxies, vous êtes aussi passionné que passionnant et aimez transmettre,
00:43expliquer, raconter. Aujourd'hui, vous publiez Alma avec Mathieu Fauré au dessin. Alma, c'est une BD, un voyage initiatique d'un astronome
00:52en Terre 1K, paru chez Alizio Science. Il y a également un spectacle qui est prévu le 10 novembre prochain à 22h, je précise, au théâtre de la GTM en Martre.
01:01Montparnasse. GTM Montparnasse, pardon. Alma est le plus grand observatoire astronomique du monde, situé au cœur du désert d'Atacama,
01:12le désert le plus aride, proche de la planète Mars, on va dire. Daniel, astrophysicien, proche de réaliser une découverte décisive sur la naissance des galaxies,
01:20doit affronter la concurrence. Cette BD nous apprend dans quel monde nous vivons, ce qu'il y a au-dessus, finalement, et autour de nous.
01:29C'est la rencontre entre l'astrophysique et la culture indienne, ancestrale, menacée d'extinction. Vous démarrez cet ouvrage en écrivant
01:37Il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rencontres. Ça veut dire quoi ? Alors, c'est vrai parce que je suis allé dans le désert d'Atacama.
01:43J'ai rencontré ces Indiens, un chaman, un chef de communauté indienne. Et ils m'ont dit ces phrases. Il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rencontres.
01:50Ils m'ont dit aussi une phrase qui m'a marqué, que je n'ai pas du tout compris quand ils m'ont dit au début. Ils m'ont dit ici, il n'y a rien.
01:55Et en même temps, il y a tout. Et puis, c'est resté dans ma tête jusqu'à ce que je réalise que dans leur sous-sol, il y a l'avenir de la planète,
02:02parce qu'il y a du lithium qui sert à faire les batteries pour les voitures électriques, pour sauver la planète.
02:07Vous aimez à dénoncer, d'ailleurs. En tout cas, vous en parlez.
02:10Oui, parce qu'on sacrifie effectivement leurs réserves d'eau. Ils ne vont plus pouvoir vivre pour pouvoir continuer à surproduire.
02:17Et puis, leur regard, leur regard millénaire, en fait, porte une vérité qu'on ne connaissait pas.
02:24Et vous savez, quand je les ai rencontrés, ils ne voulaient pas normalement parler à un Blanc parce que là-bas, les Blancs prennent les richesses du sous-sol.
02:31Et ils m'ont dit, nous, quand on regarde le ciel, il faut que ça serve à quelque chose. Il faut que ça serve aux hommes.
02:35Et vous, quand vous regardez le ciel, à quoi ça sert ? Moi, je suis astrophysicien, je regarde la naissance des étoiles.
02:39Ça ne sert pas vraiment. Alors je leur ai dit, en fait, vous, quand vous regardez le ciel, c'est comme l'œil gauche.
02:44Vous le voyez d'une certaine façon. Nous, c'est comme l'œil droit.
02:47Et quand on accepte deux regards différents sur le monde, alors on peut avoir une autre vision, une autre profondeur sur le monde.
02:52Ils ont le sourire. C'est là que cette rencontre a eu lieu.
02:55Ils ont d'autres noms de planètes que celles que vous leur avez donné en tant que scientifiques.
02:59Oui. Et au final, tout se recoupe.
03:01C'est assez extraordinaire. Il y a une espèce de magie qui s'est opérée dans cette rencontre,
03:05qui montre effectivement que les étoiles appartiennent à tout le monde.
03:08Exactement. Et troublante, d'ailleurs, parce qu'il y a des coïncidences étranges.
03:11Juste des coïncidences, je ne veux pas aller plus loin.
03:14Mais on construit le plus grand télescope du monde sur leur Terre.
03:17ALMA.
03:18ALMA, à 5 millimètres d'altitude. ALMA, qui signifie âme en espagnol.
03:22Or, ce télescope a pour objectif de voir naître des planètes comme la Terre et des étoiles dans des nuages de poussière interstellaire.
03:30Qui sont considérées, ces nuages, par les Indiens, comme l'âme des animaux.
03:35C'est-à-dire qu'eux, dans leur légende, parlent de ces nuages qui ont la forme du lama, du renard, etc.
03:42comme étant l'âme des animaux terrestres.
03:44Et par une étrange coïncidence, on construit un télescope qui s'appelle ALMA pour regarder ça.
03:48Et qui valide le fait qu'effectivement, la vie vient bien de là.
03:51C'est juste une coïncidence, mais c'est magnifique.
03:53L'homme qui regarde les étoiles aujourd'hui, qui les étudie, qui les recherche, était avant tout un petit garçon.
03:59Et vous étiez touché, vous, par le système de l'infini.
04:04En tout cas, vous vous êtes toujours posé cette question-là.
04:07L'infini, c'est quoi ? Effectivement, ça renvoie à la mort.
04:10Ça vous a hanté pendant très longtemps, David Elbaz.
04:12Est-ce que c'est ce qui vous a donné envie de devenir astrophysicien ?
04:14Oui, vous mettez vraiment le doigt en plein cœur de mon identité profonde.
04:19Vous avez tout à fait raison.
04:21En fait, tout petit, effectivement, tous les soirs, je me posais cette question-là.
04:25Je me disais, en fait, c'est pas possible qu'on ait une durée de vie, qu'on meurt, que nos parents disparaissent, etc.
04:31Alors je me disais, c'est pas possible, donc ça doit pas être vrai, on va pas mourir.
04:36Et puis, je me disais, je vais pas mourir parce que je ne peux pas imaginer la mort.
04:41Sauf que j'avais entendu parler du fait qu'il y avait un univers infini et que j'arrivais pas à imaginer.
04:46Alors tous les soirs, avant de m'endormir, j'essayais d'imaginer l'infini.
04:50J'essayais de le visualiser.
04:51Je voyais des étoiles, je le voyais jusqu'à une certaine distance, puis j'arrivais à une limite au-delà de laquelle je n'y arrivais pas.
04:56Et là, je comprenais que j'allais mourir, je filais direct dans le lit de mes parents.
05:00Je leur disais pas, mais voilà.
05:02J'ai oublié ça, et je crois qu'inconsciemment, à travers le métier d'astrophysicien,
05:08j'essaye de reprendre cet exercice qui consiste à essayer de dépasser ça.
05:14Et finalement, ce que j'ai découvert, c'est autre chose, que je n'attendais pas du tout.
05:17C'est qu'en fait, l'univers, il n'est pas éternel du tout, il n'arrête pas de changer.
05:20Il a eu un commencement.
05:21C'est lui qui est comme nous.
05:22Et donc, c'est une leçon de vie et d'humilité de se rendre compte qu'en fait, tout change en permanence.
05:27Cette idée d'éternité, d'immutabilité, en fait, c'est un mythe.
05:31C'est rigolo parce que quand vous étiez enfant, l'école, ce n'était pas votre truc au début.
05:38Vous avez l'air doublé deux fois.
05:39Non, mais réellement...
05:40Ce n'était pas mon truc, mais j'ai doublé deux fois, donc ça veut dire que j'aimais.
05:42Mais ça montre justement que quand on a une passion, on peut y arriver.
05:48Oui, ça, c'est très important.
05:49C'est ce qui vous a tenu, en fait, le rêve, les étoiles, la vie.
05:54Voilà, ça montre qu'il y a toujours une source d'espoir, finalement.
05:58Bien sûr, il y a un mythe, en particulier en France.
06:01C'est des fois, on caractérise les gens de intelligents ou pas intelligents.
06:06À l'école ou les parents ou les copains, etc.
06:09Ou le QI, etc.
06:11L'histoire des sciences montre que les plus grandes découvertes n'ont pas été faites par des gens dont on allait dire
06:17qu'ils étaient les plus intelligents.
06:19C'est du courage.
06:20C'est de la curiosité.
06:22C'est de l'esprit d'innovation.
06:24C'est des capacités d'écoute.
06:26J'ai un collègue argentin.
06:27Un jour, il est arrivé en France.
06:28Il a voulu prendre un étudiant et on lui a dit non, ne prends pas lui.
06:31Alors, il a dit pourquoi?
06:33Ce n'est pas un des plus intelligents.
06:34Il n'a pas fait la plus grande école.
06:36Il y a bon.
06:37Et ça sert à quoi, ça?
06:38Alors, on lui a dit mais parce que c'est eux qui savent le mieux répondre aux questions.
06:42Il dit oui, mais ce n'est pas ça que je cherche.
06:44Moi, je cherche quelqu'un qui sait bien poser les bonnes questions.
06:48Et c'est tout été là.
06:50Et donc, effectivement, aujourd'hui, parmi ceux qui nous écoutent, il y a des jeunes
06:54qui se disent moi, la science, ce n'est pas pour moi.
06:56Des jeunes femmes à qui on dit beaucoup de jeunes femmes à qui on dit mais une femme,
07:02ce n'est pas vraiment ça, pas vraiment le cerveau fait pour la science.
07:06On ne dit pas comme ça.
07:07En fait, ce qu'on leur dit, c'est que quand elles disent qu'elles aiment la science,
07:11on leur dit rien.
07:12Et quand elles disent qu'elles aiment autre chose, on leur dit c'est bien.
07:14Juste ça.
07:15On ne leur dit pas que ce n'est pas bien, mais ça suffit pour faire qu'à la fin,
07:17quand j'enseigne et que j'ai 18 élèves, j'ai une femme.
07:20Donc, ça veut dire quoi?
07:21On sacrifie 50% de la population mondiale.
07:22Ça veut dire qu'il y a des découvertes extraordinaires qu'on n'a pas eues parce
07:25qu'on n'a pas eu ces femmes.
07:26L'histoire montre que des femmes ont transformé notre vision du monde.
07:28D'ailleurs, si on enlève ces femmes, l'univers n'est plus ce qu'il est.
07:30Il n'est plus en 3D, etc.
07:31C'est incroyable.
07:32Et donc, c'est fondamental d'être capable de retrouver cette capacité qui est au-delà
07:40de simplement du jugement homme, intelligent ou je ne sais pas quoi.
07:44Non, on a besoin de tout le monde et à tout moment, quelqu'un qui a un esprit curieux
07:49peut changer tout.
07:50Est-ce que c'est difficile de trouver un langage commun de manière à pouvoir justement
07:56être entre guillemets ludique et de pouvoir réussir à traduire des mots très scientifiques,
08:03très difficiles à comprendre pour le citoyen lambda?
08:07Oui, alors oui, c'est difficile.
08:09C'est-à-dire que ça demande beaucoup de temps.
08:12Et pour moi, je crois que ce qui parle le plus aux gens, c'est les histoires.
08:17C'est-à-dire que de la même manière que si je vous donne du sucre blanc ou si je vous
08:21donne un ananas, dans les deux, il y a du sucre.
08:24Mais bon, l'ananas a un goût différent.
08:26C'est plus facile à digérer.
08:28On voudrait donner du sucre aux gens en leur disant, voilà, le second principe de la thermodynamique
08:34dit que l'univers tend vers plus d'entropie.
08:38Pardon?
08:39Ah, excusez-moi, je vous le dis autrement.
08:41L'histoire de l'univers est l'histoire d'un monde qui ne cesse de se structurer
08:45en créant des sources de lumière.
08:47Parmi ces sources de lumière, il y a l'être vivant, dont l'être humain.
08:50Ah, attendez, je vais vous le dire autrement.
08:53On n'est pas des poussières d'étoiles, on est des étoiles.
08:56Et on n'est pas un bug dans l'histoire de l'univers.
08:58Ah, pardon.
09:00C'est la même histoire.
09:02Mais il y en a un, c'est l'ananas, l'autre, c'est le morceau de sucre.
09:05Et c'est ça, pour moi, qui est important.