• l’année dernière
"Quand on joue, on n'est pas censé maîtriser nos émotions."
Dans Vice-Versa 2, Adèle Exarchopoulos double l'ennui, Pierre Niney la peur et Gilles Lellouche la colère.
Avec eux, notre journaliste Cécile Guthleben a évidemment parlé émotion, de la plus facile à jouer à la plus difficile.
Transcription
00:00Jamais au théâtre, ça t'est arrivé de tétaniser mes surscènes ?
00:03Énorme track avant, énorme track la première réplique.
00:07Je me rappelle que quand j'ai joué Fèdre la première fois à la Comédie Française,
00:10j'avais genre 22 ans et que je commençais par dire la première réplique
00:14et que je me disais il me reste 3800 vers et si j'en rate un ça se voit direct
00:17parce que ça rime et c'est une cata et c'est que des alexandrins.
00:21Le vertige de la première, j'ouvrais la pièce, ce vertige-là,
00:24je crois que j'ai jamais re-eu ça quoi.
00:27Je regardais le tennis là parce qu'en ce moment il y a Roland Garros,
00:29je regardais et je me disais mais le stress, je voyais le stade,
00:32leur premier service les gars, le silence et tout.
00:34Puis c'est un peu comme nous en fait, je crois qu'une fois que tu commences,
00:36après les premières balles, heureusement t'es dans ta passion,
00:39dans le plaisir de ton truc et t'oublies quoi.
00:41Et t'oublies tout.
00:42C'est quoi l'émotion la plus facile à jouer ?
00:44Est-ce qu'il y en a une ?
00:46C'est une bonne question ça.
00:47Moi je trouve la plus difficile, j'ai pas la réponse,
00:49je trouve que c'est la surprise.
00:51Ouais.
00:53Grosse surprise ou petite surprise ?
00:55Grosse surprise c'est d'avoir peur, ouais voilà.
00:56Tu vois, tu vois.
00:57Franchement.
00:58Franchement.
01:01Un peu moins bien.
01:02Surprise, ah ouais pourquoi ?
01:04Aucune explication.
01:06Genre, tu te rappelles de scènes où t'as dû jouer...
01:09Ah, vraiment comme dans un film noir genre ?
01:11Ouais.
01:12Ah ouais non, ça va moi ça.
01:13Ok, super.
01:14Je suis très fort là-dedans.
01:16Beau.
01:17Non, le plus facile.
01:18Le plus facile ou le plus difficile ?
01:19En fait pour moi c'est pas une histoire d'émotion aussi,
01:21c'est qui t'as en face de toi et comment et qu'est-ce que tu dis ?
01:26Tu vois, quels sont tes dialogues, est-ce que c'est bien écrit ?
01:27Moi je sais que je suis vachement dépendante des gens que j'ai en face de moi,
01:30à comment la personne elle t'écoute,
01:32plutôt qu'une émotion, je sais pas, j'ai pas d'émotion, je trouve c'est facile.
01:36Puis dans la vie t'as pas qu'une émotion, des fois t'es, enfin je sais pas.
01:38C'est vrai.
01:39Au théâtre on dit beaucoup, mais je sais pas si ça répond à votre question,
01:42mais au théâtre je me rappelle qu'il y avait toute une problématique
01:44autour de jouer l'ennui,
01:45parce que Chekhov ça traite beaucoup de l'ennui par exemple,
01:47et justement ça rejoint à ton personnage,
01:49c'est comment représenter l'ennui sans être ennuyeux,
01:52comment jouer l'ennui en tant qu'acteur sans que ce soit ennuyeux,
01:54c'était une question que je trouvais intéressante.
02:02Le film fait aussi, et c'est ce qui est intéressant,
02:04la différence entre la peur, qui peut être un moteur, comme dit Adèle,
02:07c'est-à-dire qui te pousse à avoir des réactions, à faire des choses,
02:11et l'anxiété qui te paralyse.
02:12Et justement on bascule dans un truc qui est nettement moins constructif
02:16et qui est vraiment un handicap, qui est l'anxiété,
02:18donc qui est un grand sujet aujourd'hui,
02:20la santé mentale chez les jeunes, notamment l'anxiété qui est en croissance,
02:24qui connaît des pics énormes,
02:26et effectivement l'anxiété ce n'est pas fun du tout,
02:28parce que ça te bloque complètement, ça bloque absolument tout.
02:32Donc c'est deux choses très différentes,
02:33et c'est intéressant que le film justement,
02:35jusque-là il y avait cette peur qu'on trimballe depuis l'enfance,
02:37mais qui crée des choses,
02:39et on bascule dans cette anxiété un peu plus adolescente
02:41qu'il faut savoir gérer, qu'il faut soigner quand même carrément.
02:44En tant qu'acteur, comment vous gérez vos émotions sur un plateau ?
02:47Est-ce que vous avez l'impression de les gérer mieux aujourd'hui
02:50qu'à vos débuts ?
02:51Non, moi j'ai toujours peur avant un film, très peur.
02:53Je me dis mais pourquoi ?
02:54Mais la veille, et après ça va mieux ou pas ?
02:56Ça dépend, je trouve qu'il y a des scènes que tu t'anticipes en te disant
03:00celle-là, et bizarrement c'est celles qui sont les plus fluides,
03:02et d'autres où tu avais cru que ce serait facile.
03:05Maintenant ça me fait rire parce que je me les reconnais complètement.
03:07Tu vois, mais j'ai toujours peur.
03:10Non mais vous...
03:12Mais vous parlez du sentiment de l'acteur avant de jouer ou pendant qu'on joue ?
03:16Les deux.
03:17Parce que pendant qu'on joue justement,
03:18normalement on n'est pas censé maîtriser nos émotions en fait,
03:20c'est tout le contraire, donc peut-être que ça nous aide l'un et de l'autre.
03:23La méthode de l'acteur studio, Lee Strasberg,
03:25c'est d'utiliser ses propres émotions pour nourrir un personnage.
03:28Est-ce que vous, vous êtes adepte de ça ?
03:30Ou au contraire, est-ce que vous construisez avec votre imagination
03:34les émotions des personnages que vous incarnez ?
03:35Moi pas vraiment, parce qu'en fait je me suis rendu compte que les scènes
03:37par exemple où tu dois jouer l'ivresse alors qu'il est 14h
03:41et que tu es avec toute l'équipe,
03:42où que tu dois jouer un gros chagrin comme ça d'un coup,
03:45en fait c'est des choses où souvent dans la vie,
03:47quand tu es ivre, tu n'as envie de pas apparaître ivre,
03:49quand tu pleures dans un endroit public, tu as envie de crever
03:51parce que tu aurais tout sauf aimer que tes larmes elles jaillissent à ce moment-là,
03:54donc j'essaye plus de me dire des choses comme ça
03:57que de fouiller en moi des blessures intimes.
04:00Moi je n'ai pas vraiment de méthode appliquée à chaque,
04:03comme les Américains ont pu le faire effectivement en créant l'acteur studio et tout ça,
04:06une méthode qui s'applique à chaque film,
04:08j'ai l'impression que le plaisir,
04:10enfin en tout cas pour moi c'est très personnel,
04:12mais le plaisir c'est de à chaque fois faire un peu différemment
04:14en fonction du personnage, du script et du metteur en scène
04:16avec qui tu travailles aussi, sentir un peu la vibe dans laquelle il est
04:20et ajuster un peu à chaque fois.
04:22Il n'y a jamais aucun projet où vous vous êtes dit
04:24« Oh waouh, non ça, ça me fait trop peur, je ne vais pas y aller. »
04:26Non, heureusement.
04:28Non, c'est un peu même tout le contraire,
04:31plus on avance, plus on a envie d'aller vers des choses qui nous font peur,
04:33en fait le track est un moteur absolument inouï,
04:36donc je pense que justement rester dans sa zone de confort,
04:39c'est ça le pire en fait,
04:42la peur est un moteur génial pour moi je pense.
04:44Vous pensez que vous osez plus aujourd'hui qu'à vos débuts ?
04:46Quand il y a une bonne histoire, un bon rôle,
04:48aussi stressant ou flippant que ça puisse être,
04:52on a envie d'y aller parce qu'en fait on a envie de raconter une super histoire,
04:55faire un truc qu'on n'a jamais fait,
04:57donc je pense que ce soit au début ou maintenant,
05:00on y va, si on a l'impression qu'il y a un truc cool à faire,
05:02ce serait triste de refuser des challenges par peur, je ne pense pas.
05:06Ouais, au contraire, je suis d'accord.
05:08Nous sommes des émotions à réprimer !
05:10J'aime !
05:12L'opération Nouvelle Railay commence !
05:14Venez, Railay a besoin de nous !

Recommandations