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"Un acte galant, c’est une façon de prendre soin de l’autre, d’avoir envie de créer du lien."

C’est une manière d’être en société qui a vu le jour au 17e siècle. Mais comment a évolué la galanterie et peut-on encore être galant ? Réponse avec Jennifer Tamas, professeure de littérature.

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Transcription
00:00Le vrai galant, je veux dire, n'importune pas, ne revient pas à la charge,
00:05alors que le fait d'insister, de revenir, de ne pas entendre ce que dit l'autre,
00:10c'est de la galanterie récupérée, de la mauvaise galanterie,
00:14celle qui est dénoncée par les femmes.
00:19Jennifer Tama, je suis professeure de littérature française à l'université de Rutgers.
00:23Je m'intéresse à la société du XVIIe siècle, à l'histoire de sexualité,
00:28histoire du genre, mais aussi au théâtre.
00:30Le dernier livre s'appelle « Peut-on encore être galant ? »
00:33Une critique fréquente de la galanterie, c'est qu'elle perpétuerait l'idée
00:36que les femmes sont inférieures aux hommes. Qu'est-ce que vous en pensez ?
00:39Ce que je dis, c'est qu'il faut reconsidérer la complexité de la galanterie.
00:44Historiquement, la galanterie se construit contre la violence
00:47et contre le fait d'être trop appuyée, trop lourde.
00:51Le mot existe depuis longtemps, depuis le Moyen-Âge,
00:55mais ce qui est intéressant, c'est qu'au XVIIe siècle,
00:57ce n'est pas juste un mot, c'est une manière de vivre,
00:59une manière d'être, un mode de vie, une façon de vivre ensemble
01:02et une façon d'aimer, un art d'aimer qui peut conduire éventuellement
01:06à des relations amoureuses, mais pas forcément.
01:09La galanterie est une forme de contre-pouvoir par rapport à une société patriarcale
01:14où le devenir du corps féminin, c'est de passer de la maison du père
01:20à la maison du mari, ou alors, avec des variantes, par le couvent,
01:23ou alors, la prostitution.
01:25Et en fait, la galanterie, qu'est-ce que c'est ?
01:27C'est essayer d'avoir des relations conversationnelles,
01:31des débats d'idées, à une époque où on prescrit aux femmes le silence.
01:35Vraiment, la galanterie, c'est quelque chose qui est co-construit
01:38par les hommes et par les femmes.
01:39Une façon de se comporter, c'est un savoir-faire, un savoir-vivre
01:43qui va être aussi un champ de bataille,
01:46un champ de bataille, c'est-à-dire de la rivalité dans le domaine littéraire.
01:51Par exemple, au théâtre, on va dire qu'on ne veut plus voir de viols sur scène,
01:54on ne veut plus voir de crimes sur scène, mais un champ de bataille aussi,
01:57puisqu'en fait, ce que vont exposer les femmes,
02:00c'est une espèce de virilité brutale qu'elles vont refuser.
02:03Les blagues grivoises, les comportements brutaux, etc., on n'en veut pas.
02:08Et donc du coup, comme ça expose quelque part la fragilité de la virilité,
02:13la réaction de certains hommes, ça va être au contraire,
02:16d'instrumentaliser, de récupérer cette façon d'interagir pour piéger les femmes.
02:24– Aujourd'hui, quelqu'un va dire,
02:26Edgalan, c'est les hommes qui payent un restaurant aux femmes,
02:29qui ouvrent la porte, etc.
02:30Vous parlez de consentement, de quelque chose de bien plus subtil,
02:34donc comment est-ce qu'on a eu, on peut dire, un retour en arrière,
02:38peut-être sur cette notion-là ?
02:40Elle a été récupérée en fait, et c'est à quel moment historique ?
02:43– C'est plusieurs facteurs qui expliquent qu'on hérite d'une galanterie pot-chagrin,
02:48en réalité, et qu'on perd, en fait, ce dialogue,
02:51parce que la galanterie, c'est un dialogue.
02:53Il y a la première chose, qu'on a effacé plusieurs œuvres des femmes.
02:56Par exemple, aujourd'hui, on redécouvre les contes de Madame d'Aulnoy,
02:58on relit ce que dirait, etc.
03:00Mais dans les anthologies littéraires, tout ce matrimoine a été effacé.
03:04Mais il y a aussi, ça c'est un deuxième point qui est très important,
03:08c'est qu'on a introduit une distinction entre la galanterie et la précieusité.
03:13C'est-à-dire qu'à partir du moment où les femmes veulent s'émanciper,
03:17qu'elles critiquent l'institution du mariage,
03:19qu'elles veulent échapper à la gouverne des hommes,
03:21qu'elles prétendent au savoir, à la conversation,
03:24à partir du moment où certaines femmes peuvent parler à des hommes,
03:27qu'elles peuvent les recevoir, il va y avoir des sous-entendus sexuels.
03:30Et c'est une façon de salir les femmes.
03:32Vous avez Molière qui va écrire « Les précieuses ridicules »
03:35ou « Les femmes savantes ».
03:36En fait, vous allez avoir aussi d'autres hommes comme Boileau
03:39qui vont se moquer des femmes, qui vont les traiter de précieuses.
03:42Et donc, on va hériter de cette distinction entre précieuses et galants.
03:47La précieusité va devenir quelque chose de féminin et de ridicule.
03:50Et la galanterie va devenir quelque chose de masculin,
03:53de l'ordre de la séduction où les femmes n'ont plus aucune part d'agentivité, si vous voulez.
03:57– Et aujourd'hui, si on voulait s'inspirer du modèle de la galanterie,
04:00ce serait quoi un acte galant, du coup ?
04:02– Un acte galant, c'est une façon de prendre soin de l'autre,
04:08de s'enquérir de ce qu'il pense, d'avoir envie de créer du lien.
04:13Mais sans non plus être trop insistant.
04:17C'est-à-dire que ça prend du temps.
04:19Déjà, la galanterie, ça prend du temps.
04:21Ce n'est pas vous rencontrer quelqu'un et tout de suite,
04:23on doit aller jusqu'au bout ou aller dans des conversations qui durent des heures.
04:28C'est prendre le temps aussi de se domestiquer, de s'apprivoiser,
04:32de comprendre l'autre, de laisser l'autre se positionner aussi.
04:37C'est d'abord être à l'écoute de soi pour mieux être à l'écoute de l'autre
04:40et ne jamais être dans la force et de s'enquérir toujours
04:43qu'on est bien sur la même longueur d'onde.
04:45Et encore une fois, ça prend du temps.

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