Après les annonces destinées à enrayer le narcotrafic, écoutez l'interview de Jacques Dallest, ancien juge, ancien procureur de Marseille entre 2008 et 2013.
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00:00RTL Matin, avec Stéphane Carpentier.
00:02A 8h48, c'est RTL Matin face à l'actualité, et l'actualité, c'est donc la lutte contre le narcotrafic
00:09érigé en cause nationale hier à Marseille par les ministres Didier Migaud et Bruno Rotaillot.
00:14Un plan contre la criminalité organisée, renforcement des effectifs, création d'une cellule de coordination nationale
00:21et des mesures sur lesquelles nous allons nous pencher ce matin avec Jacques Daleste
00:26qui nous fait la gentillesse d'être en direct avec nous, magistrat honoraire, bonjour.
00:30Bonjour M. Carpentier.
00:31Ancien procureur de la République, notamment à Marseille,
00:34j'avais envie, Jacques Daleste, de vous demander si tout ça, ça peut être utile,
00:38mais je lisais en préparant cette interview cette nuit vos propos d'hier,
00:42et vous dites qu'il ne faut pas se faire d'illusions car aucun pays dans le monde
00:45n'a réussi à éradiquer le trafic de drogue.
00:47J'avais peur de comprendre que c'est un combat déjà perdu.
00:51Alors, c'est difficile de dire cela dans ces termes.
00:54Évidemment, le combat est extrêmement difficile, extrêmement long.
00:57Aucun pays n'a réussi à éradiquer ce fléau, malheureusement.
01:01On le voit en Europe, on le voit en Amérique du Sud, en Amérique du Nord.
01:06Néanmoins, un État ne peut pas laisser les choses sans rien faire,
01:09d'où l'importance de ce type de plan qui peut permettre aussi
01:13de s'adapter aux nouvelles réalités du trafic qui sont extrêmement inquiétantes aujourd'hui.
01:18C'est quoi ces nouvelles réalités ?
01:20La diffusion massive des lieux de trafic sur tout le territoire français.
01:24Toutes les villes sont touchées, on le voit aujourd'hui,
01:27dans des villes moyennes, des petites villes,
01:28ce qui d'ailleurs donne lieu à des règlements de comptes
01:31qui endeuillent ces villes qui ne connaissaient pas ce phénomène auparavant.
01:34Il y a aussi un autre phénomène inquiétant, c'est le rajeunissement des victimes.
01:39J'en avais connu déjà des victimes très jeunes quand j'étais en poste à Marseille,
01:43il y a plus d'une dizaine d'années, mais aussi des auteurs,
01:46des assassins dont on voit qu'il s'agit quelquefois de mineurs.
01:50Et ça, c'est un phénomène nouveau auquel il faut aussi s'adapter.
01:53Alors, le gouvernement veut agir, on l'a entendu hier,
01:56c'est un plan de plus, disent certains.
01:58Il y aura plus d'effectifs, un renforcement,
02:00ça veut dire 95 policiers de plus, 25 enquêteurs supplémentaires.
02:04Est-ce qu'il faut traiter aujourd'hui ces affaires de drogue
02:07comme on traite les dossiers de terroristes ?
02:09Le ministre de la Justice, par exemple, le souhaite
02:11avec des cours d'assises spéciales composées uniquement de magistrats professionnels
02:15et plus de jurés. Est-ce que ça, c'est bien ?
02:17Oui, ça, je pense que c'est une bonne chose,
02:19avec maintenant, il n'est pas simple pour des jurés sur des procès qui dureront longtemps,
02:23ces procès où sont impliqués une bande de malfaiteurs.
02:27Il faut une juridiction de professionnels qui sait appréhender ces dossiers
02:32qui sont assez techniques.
02:33Ça repose sur des écoutes téléphoniques, c'est assez complexe.
02:36Et il faut aussi que les jurés ne soient pas intimidés de cette manière.
02:39D'où l'intérêt, je pense, de faire en sorte qu'ils soient jugés par des cours sans jurés.
02:43C'est un progrès.
02:44Ce ne sera pas non plus absolument déterminant, mais c'est utile.
02:47Jacques Dallais, est-ce qu'il faut mener la guerre aux trafiquants
02:49qui gèrent leur petit business ou même gros business, pardon,
02:52depuis leurs cellules de prison ?
02:54Est-ce qu'il faut renforcer drastiquement le brouillage, par exemple, le téléphone, tout ça ?
02:58Bien sûr.
02:58Pas simple, le brouillage, parce que vous le savez, quand on brouille sur une maison d'arrêt,
03:02ça peut toucher le voisinage, ce qui n'est pas facile.
03:06Là, on le sait, depuis longtemps, des trafiquants continuent à diriger le trafic depuis leurs cellules.
03:11Certains même commanditent des règlements de compte, je l'ai déjà connu.
03:15On est aussi dans une époque où le téléphone portable est un outil qu'on a du mal à maîtriser.
03:20D'ailleurs, avec ce téléphone, on peut faire des commandes de drogue,
03:23on peut se faire livrer, on peut recruter des soldats, des fers-chlores, comme on dit.
03:29Et ça, c'est une réalité technologique, là aussi,
03:32auquel la France doit faire face avec les moyens qu'elle peut elle-même développer.
03:36Justement, qu'est-ce qu'on fait dans les prisons, dans les cellules, pour que ça soit mieux ?
03:40J'ai noté avec intérêt que le garde des Sceaux parlait de quartiers spéciaux au sein des établissements.
03:46Il faut aussi qu'on ait une maîtrise carcérale des individus qui sont les organisateurs,
03:52les mettre de côté, faire en sorte qu'ils soient contrôlés régulièrement,
03:56que l'usage des téléphones ne soit le plus canalisé possible,
04:00même si je crois qu'on aura toujours, malheureusement, des téléphones qui y rentreront en prison.
04:04Ce n'est pas simple.
04:05Il faut aussi un traitement pénitentiaire, comme un traitement policier,
04:09un traitement judiciaire de tout ce phénomène.
04:10C'est nécessaire.
04:11Vous parliez justement de ces trafiquants,
04:13et c'est ce qu'on fait depuis maintenant plusieurs minutes ensemble, Jacques Dallès, ce matin.
04:16Est-ce qu'il ne faut pas évoquer aussi et combattre le phénomène de la consommation,
04:20d'une clientèle abondante aujourd'hui ?
04:23Oui.
04:24On agit depuis des années sur l'offre de drogue,
04:27et c'est normal, la vente, la revente, le commerce, le blanchiment,
04:30mais il est beaucoup plus complexe d'agir sur la demande de drogue.
04:34Pourquoi ? Parce que là, ça touche des millions de consommateurs.
04:37On sait que les consommateurs de hashish, de cocaïne, sont extrêmement nombreux.
04:41On touche à tous les milieux sociaux,
04:43et là, on est sur un angle mort.
04:46On sait que ce n'est plus seulement une question de santé publique,
04:48puisque un grand nombre de consommateurs n'ont pas de dépendance à ces produits.
04:52Mais comment les dissuader-t-on de faire usage de ces produits
04:56lorsqu'on a 15 ans, 18 ans, c'est peut-être possible ?
05:00À 20, 30, 40, 50 ans, c'est beaucoup plus compliqué.
05:03Et ça, c'est aussi une question d'ordre sociétal
05:07qui se pose à tous les gouvernants.
05:08Justement, le gouvernement, il veut lancer une espèce de campagne de communication
05:12pour créer un électrochoc dans la population.
05:16Oui, bien sûr, la prévention.
05:18Vous savez, il y a de la prévention contre l'alcoolisme, contre le tabac.
05:22C'est toujours des bonnes choses.
05:23Il faut aller sur la prévention contre l'usage des produits stupéfiants.
05:27Je suis un peu inquiet quand même, parce que revenir en arrière
05:30sur des pratiques un peu festives, récréatives, ce ne sera jamais simple.
05:33Est-ce qu'il faut s'attaquer, Jacques Dallest,
05:35au pays producteur, diffuseur de drogue, avec des mesures ?
05:38Je ne vais pas prendre des sanctions contre ces États, par exemple.
05:41Va y avoir un magistrat de liaison à Bogotá ?
05:44La Colombie, c'est un pays source de trafic.
05:46Est-ce qu'on peut prendre aujourd'hui des mesures
05:48contre ces pays-là qui diffusent la drogue ?
05:50Là aussi, il faut le faire.
05:51Alors là, on sait que le Maroc est un pays producteur de cannabis.
05:55Des pays d'Amérique du Sud, producteurs de cocaïne.
05:57Pas simple, il faut travailler avec ces pays dans la coopération internationale
06:00pour eux-mêmes, qu'ils combattent leurs producteurs, leurs exportateurs.
06:04Là, vous voyez qu'on a affaire à des questions d'ordre géopolitique
06:08qui sont aussi très délicates.
06:11Ça progresse petit à petit, mais c'est un combat qui sera extrêmement long
06:16et relativement incertain.
06:1710, 15, 20 ans, disait Bruno Retailleau hier, le ministre de l'Intérieur.
06:20Bien sûr, bien sûr.
06:22Je crois que ça peut durer encore très longtemps.
06:23Et un pays ne peut pas ériger des frontières hermétiques.
06:26La drogue circule, la France est au cœur de l'Europe.
06:29Ce sera très complexe d'arriver à bloquer les importations, le trafic.
06:34Vous savez, vous pouvez descendre à Barcelone,
06:37acheter 50 kilos de cannabis et vous pouvez vous transformer
06:40en revendeur chez vous, d'une certaine manière,
06:42sans pour autant que vous soyez un très gros trafiquant.
06:44Ça, ce sera compliqué.
06:45Jacques Dallais, je vous posais la question il y a six minutes.
06:47Est-ce que le combat est perdu ?
06:48Six minutes plus tard, vous me dites quoi ?
06:51Non, on ne peut jamais dire qu'un combat est perdu.
06:53Il faut essayer de canaliser, de maîtriser, de cantonner, de combattre,
06:57évidemment, sans non plus espérer éradiquer un phénomène
07:01qui me semble largement dépasser une action policière et judiciaire.
07:06C'est passionnant de vous écouter en tous les cas.
07:08Merci d'avoir expliqué les choses aux auditeurs de RTL,
07:10magistrats honoraires et anciens procureurs de la République,
07:12notamment de la Cité Focé.
07:14L'entretien qu'on va retrouver en détail, bien sûr, sur notre site rtl.fr.