Un récit bouleversant par deux acteurs virtuoses : Mickael Pelissier et Yuming Hey - nominé aux Molières 2024.
La vie d’Herculine serait passée inaperçue si elle n’avait pas rédigé ses souvenirs - feuillets d’une thèse de médecine du XIXème siècle - et si ceux- ci n’avaient pas été exhumés par M. Foucault. Il les publie avec une préface titrée: « Avons-nous vraiment besoin d’un vrai sexe? ». Cette question prend toute son acuité aujourd’hui. Celui de l'irruption de la question du genre sur l'avant-scène de la société, faisant que ce qui était souterrain jusque-là s'affichait dorénavant comme une question essentielle. J'ai été si absorbée par la lecture des Souvenirs d’Herculine Barbin, journal intime d’une jeune femme ayant été obligée de changer de sexe au XIXème siècle qu'une évidence m’est apparue : les questions que je désirais poser étaient déjà contenues entre ses mots. Elle qui craignait tant être un monstre - une fois reconnue comme homme - disant qu'elle n'avait plus aucune place dans ce monde, s'était donné comme tâche de raconter son histoire comme on lance une bouteille à la mer. Ils sont très rares les récits d'hermaphrodites - comme on les appelait à l'époque, les personnes intersexes aujourd'hui - et ce témoignage rédigé à la première personne l'était avec l'idée manifeste que cet écrit allait lui survivre. Alors « prenons-la au mot», laissons-lui la parole, elle est de nature à produire en chacun le questionnement souhaité. Ainsi l'extraordinaire empathie que provoque le personnage d’Herculine m'a définitivement convaincue que le cœur du spectacle devait être son récit à elle, nulle nécessité de le mettre en parallèle avec des témoignages contemporains. Au départ je pensais effectivement qu'il y aurait d'autres témoignages à mettre en regard pour «réfléchir» la situation vécue par Herculine. Et puis j'ai constaté que le texte était assez fort pour porter à lui seul les problématiques. Néanmoins, Yuming Hey interprétant Herculine [acteur qui se revendique genderfluid] ne sera pas seul sur le plateau, il sera accompagné de Mickael Pelissier qui sera à la fois le récitant des rapports médicaux, d'autopsie, d'état civil modifié, mais aussi d'extraits des Métamorphoses d'Ovide, et le passeur entre l'époque d'Herculine, celle de Michel Foucault et la nôtre.
La vie d’Herculine serait passée inaperçue si elle n’avait pas rédigé ses souvenirs - feuillets d’une thèse de médecine du XIXème siècle - et si ceux- ci n’avaient pas été exhumés par M. Foucault. Il les publie avec une préface titrée: « Avons-nous vraiment besoin d’un vrai sexe? ». Cette question prend toute son acuité aujourd’hui. Celui de l'irruption de la question du genre sur l'avant-scène de la société, faisant que ce qui était souterrain jusque-là s'affichait dorénavant comme une question essentielle. J'ai été si absorbée par la lecture des Souvenirs d’Herculine Barbin, journal intime d’une jeune femme ayant été obligée de changer de sexe au XIXème siècle qu'une évidence m’est apparue : les questions que je désirais poser étaient déjà contenues entre ses mots. Elle qui craignait tant être un monstre - une fois reconnue comme homme - disant qu'elle n'avait plus aucune place dans ce monde, s'était donné comme tâche de raconter son histoire comme on lance une bouteille à la mer. Ils sont très rares les récits d'hermaphrodites - comme on les appelait à l'époque, les personnes intersexes aujourd'hui - et ce témoignage rédigé à la première personne l'était avec l'idée manifeste que cet écrit allait lui survivre. Alors « prenons-la au mot», laissons-lui la parole, elle est de nature à produire en chacun le questionnement souhaité. Ainsi l'extraordinaire empathie que provoque le personnage d’Herculine m'a définitivement convaincue que le cœur du spectacle devait être son récit à elle, nulle nécessité de le mettre en parallèle avec des témoignages contemporains. Au départ je pensais effectivement qu'il y aurait d'autres témoignages à mettre en regard pour «réfléchir» la situation vécue par Herculine. Et puis j'ai constaté que le texte était assez fort pour porter à lui seul les problématiques. Néanmoins, Yuming Hey interprétant Herculine [acteur qui se revendique genderfluid] ne sera pas seul sur le plateau, il sera accompagné de Mickael Pelissier qui sera à la fois le récitant des rapports médicaux, d'autopsie, d'état civil modifié, mais aussi d'extraits des Métamorphoses d'Ovide, et le passeur entre l'époque d'Herculine, celle de Michel Foucault et la nôtre.
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TVTranscription
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00:01:48Musique sombre
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00:04:54J'ai beaucoup souffert et j'ai souffert seul, seul, seul.
00:05:07Abandonné de tous, ma place n'était pas marquée dans ce monde qui me fuyait, qui m'avait maudit.
00:05:20Mais un être vivant ne devait s'associer à cette immense douleur qui me prit au sortir de l'enfance, à cet âge où tout est beau parce que tout est jeune et brillant d'avenir.
00:05:35Cet âge n'a pas existé pour moi. J'avais dès cet âge un éloignement instinctif du monde, comme si j'avais pu comprendre déjà que je devais y vivre étranger.
00:05:54Soucieux et rêveur, mon front semblait s'affaisser sous le poids de sombre mélancolie. J'étais froid, timide et en quelque sorte insensible à toutes ces joies bruyantes et ingénues qui font épanouir un visage d'enfant.
00:06:14J'aimais la solitude, cette compagne du malheur, et lorsqu'un sourire bienveillant se levait sur moi, j'en étais heureuse comme d'une faveur inespérée.
00:06:28Comme mon enfance, une grande partie de ma jeunesse s'écoula dans le calme délicieux des maisons religieuses. Et plus tard, au milieu des orages et des fautes de ma vie, ces souvenirs m'apparaissaient comme autant de visions célestes dont la vue fut pour moi un baume réparateur.
00:06:50J'ai à peine connu mon malheureux père, qu'une mort foudroyante vint ravir trop tôt à la douce affection de ma mère, dont l'âme, vaillante et courageuse, essaya vainement de lutter contre les envahissements terribles de la pauvreté qui nous menaçait.
00:07:05Sa situation avait éveillé l'intérêt de quelques nobles cœurs. On l'applainit vivement, et bientôt des offres généreuses lui furent faites, par la dîne supérieure de l'orphelinat de Saint-Jean d'Angélie, où je fus admise. J'avais alors sept ans.
00:07:25Les religieuses qui m'entouraient, offrant à mes regards d'enfant leur sourire d'ange, semblaient tant m'aimer. J'étais sans crainte à leurs côtés, et si heureuse lorsque l'une d'elles, me prenant sur ses genoux, m'offrait à baiser son doux visage.
00:07:49Je vis bientôt mes jeunes compagnes, et je les aimais bien vite. Et puis un jour, une bonne sœur me prévint que j'allais être confiée à d'autres soins. Elle avait obtenu que je fusse placée au couvent des Ursulines, pour y recevoir une éducation plus soignée. « Là ! » me dit l'excellente femme.
00:08:16« Vous partagerez l'existence de jeunes filles riches et nobles pour la plupart. Vos compagnes d'études et de jeux ne seront plus les enfants sans nom avec lesquels vous avez vécu jusqu'à ce jour. »
00:08:29Et quelques jours après, je faisais mon entrée au couvent de Saint-Jean d'Angélie, en qualité de pensionnaire. Je n'oublierai jamais l'impression que je ressentis à la vue de la supérieure du couvent. Au jour où j'écris ces lignes, elle a cessé d'exister, et je sens que je la regretterai toujours. Son souvenir est encore l'un des plus doux qui me soit resté.
00:08:55Bientôt je fus à l'aise dans cette sainte maison, sous l'égide d'une affection dont instinctivement j'étais aussi fière que j'en étais heureux. Les études étaient sérieuses et confiées à des mains réellement intelligentes.
00:09:10Mes progrès furent rapides et excitèrent plus d'une fois l'étonnement de mes excellentes maîtresses. Mais il n'en fut pas de même des travaux manuels pour lesquels je montrais la plus profonde aversion et la plus grande incapacité. Je passais mon temps à la lecture. Cette occupation chérie avait aussi le privilège de me distraire des tristesses vagues qui alors me dominaient tout entier.
00:09:36Je m'étais fait, parmi mes brillantes compagnes, une amie de la fille d'un conseiller à la cour royale.
00:09:44Léa ?
00:09:46Oui, Léa. Je l'aimais à première vue. J'avais deviné en elle un être souffrant voué à une mort prématurée. A peine âgée de dix-sept ans, elle courbait déjà vers la terre un front où se lisait des souffrances sourdes, qui ne tarderaient pas à prendre un développement effrayant.
00:10:05À cette même époque, j'étais moi-même faible et d'une santé débile, ce qui m'explique certains regards des bonnes religieuses qui m'entouraient. J'étais comme Léa, l'objet de soins constants et la salle de l'infirmerie nous réunit plus d'une fois.
00:10:20J'entourais Léa d'un culte idéal et, passionnée tout à la fois, j'étais son esclave, son chien fidèle et reconnaissant. Je l'aimais avec cette ardeur que je mettais en toute chose. J'aurais presque pleuré de joie en la voyant abaisser vers moi ses longs cils d'un dessin parfait, dont l'expression était douce comme une caresse.
00:10:44Léa ?
00:10:46Léa ?
00:10:47Léa ?
00:10:49Je t'aime.
00:10:53Un soir du mois de mai ?
00:10:56Oh, je me rappelle.
00:10:57Oui ?
00:10:58Oui. J'avais réussi à tromper la surveillance de Sœur Marie de Gonzague. Je traverse doucement le dortoir et j'atteins le vestiaire, et de là j'atteins la cellule que je savais être celle de Léa.
00:11:14Je me penchais sans bruit vers son lit, et l'embrassant à plusieurs reprises, je passais autour de son cou un petit Christ d'ivoire, d'un fort joli travail, qu'elle m'avait paru envie.
00:11:31Tiens, mon ami, accepte ceci et porte-le pour moi.
00:11:36Seigneur Marie-Joseph !
00:11:38Mais dis sèchement, la bonne religieuse !
00:11:39Mademoiselle, je ne vous inflige pas de punition. La mère et Léonore s'en chargeront demain.
00:11:44Cette menace portait en elle la peine la plus terrible pour moi. La pensée d'avoir encouru son mécontentement m'était insupportable. Je dormis mal cette nuit-là, et le réveil fut pénible.
00:11:56Mon enfant, j'ai su votre infraction au règlement, et si ce n'était en considération de la mère supérieure qui vous a confié à mes soins, je n'hésiterai pas à vous rayer pour cette année de la première communion.
00:12:10Puis, changeant de ton, et me faisant un signe que je compris, je m'assis à ses pieds sur un petit tabouret. Je pleurais silencieusement, la tête appuyée sur un de ses bras qu'elle ne retira pas.
00:12:32La première communion.
00:12:34Oui, je l'ai faite. La cérémonie touchante du soir était suivie d'une procession dans le jardin. Le lieu était admirablement choisi. On ne saurait rien imaginer de plus imposant que cette longue file d'enfants vêtus de blanc à travers les magnifiques alètes de ce modeste Eden.
00:12:53Les chants religieux, répétés par des voix fraîches et pures avec quelque chose de vraiment poétique, qui remuaient le cœur.
00:13:09Deux ans après mon départ de Saint-Jean d'Angélie, j'appris que ma pauvre amie Léa avait succombé à une oeuvtisie des plus caractérisées.
00:13:18Ainsi fut brisée la première affection de ma vie.
00:13:24J'entre ici dans une phase de mon existence, qui n'a plus rien de semblable avec les jours calmes et tranquilles passés dans cette riante demeure.
00:13:32J'éprouve quelques hésitations au moment de commencer la partie la plus pénible du récit que je me suis imposé.
00:13:41J'ai à parler de choses qui, pour beaucoup, ne seront que d'incroyables absurdités, car en effet, elles dépassent les limites du possible.
00:13:50Il vous sera difficile, sans doute, de vous rendre un compte exact de mes sensations, au milieu des bizarreries exceptionnelles de ma vie, mais je ne puis vous demander qu'une chose, c'est que vous soyez avant tout convaincu de ma sincérité.
00:14:03J'avais quinze ans alors, et il faut se rappeler que depuis l'âge de sept ans, j'ai été enceinte.
00:14:10Mon arrivée à La Rochelle, dans la maison où elle se trouvait, avait toujours été fêtée comme s'il se fût agi d'un des membres de la famille, et cette fois, j'y rentrais définitivement, comme camériste de la fille cadette.
00:14:23Euh, mademoiselle...
00:14:25Mademoiselle, je vous en prie, ne vous inquiétez pas.
00:14:28Je l'habillais ensuite.
00:14:30La blancheur de sa peau n'avait pas d'égal.
00:14:33On ne saurait imaginer des formes plus gracieuses sans en être ébloui.
00:14:37C'était la première fois que je l'ai vu.
00:14:40C'était la première fois que je l'ai vu.
00:14:43C'était la première fois que je l'ai vu.
00:14:46C'était la première fois que je l'ai vu.
00:14:49C'était la première fois que je l'ai vu.
00:14:52C'était la première fois que je l'ai vu.
00:14:55C'était la première fois que je l'ai vu.
00:14:58Et c'est ce qui m'arrivait.
00:15:00Le chef de cette maison, un vénérable vieillard à cheveux blancs, était bien la personnification de l'honneur et de la loyauté.
00:15:08J'avais chez lui mes grandes et mes petites entrées.
00:15:11J'étais sa lectrice, son secrétaire, et je dévorais ainsi une quantité d'ouvrages, tous entassés dans les rayons d'une bibliothèque attenant à ma chambre.
00:15:20J'avoue que...
00:15:23je fus singulièrement bouleversée par la lecture des métamorphoses d'Ovid.
00:15:28Cette trouvaille avait une singularité que la suite de mon histoire prouvera clairement.
00:15:35Écoutez.
00:15:37Là.
00:15:39Dans les antres du mont Ida,
00:15:42fut jadis nourrie par les naïades, un enfant fruit des amours d'Hermès et Aphrodite.
00:15:50On pouvait assez très facilement reconnaître les auteurs de ces jours.
00:15:54Il tira son nom de tous les deux, Hermaphrodite.
00:15:58À quinze ans, l'honneur et la loyauté,
00:16:01se plaît à vagabonder dans des lieux inconnus,
00:16:04l'ardeur qui les mettait lui faisant oublier la fatigue.
00:16:07Là,
00:16:09il trouve un étendo diaphane.
00:16:12Une nymphe y habite.
00:16:14Salmacis.
00:16:15Salmacis, oui.
00:16:17Souvent, elle cueille des fleurs, et peut-être ce dernier soin l'occupait lorsque le jeune Hermaphrodite s'offrit à ses regards.
00:16:23À peine vue,
00:16:25elle l'aima.
00:16:27Elle ne s'approche pas encore, mais, pressée de l'aborder, elle arrange sa parure.
00:16:32Elle compose son visage, et son regard, et son maintien,
00:16:35elle brille enfin de tout l'éclat de ses attraits.
00:16:38La nymphe implore.
00:16:40Au moins, ces baisers innocents qu'une sœur donne et reçoit d'un frère,
00:16:44déjà, c'est de l'amour,
00:16:46de l'amour,
00:16:48de l'amour,
00:16:50de l'amour,
00:16:51de l'amour,
00:16:53de l'amour,
00:16:54de l'amour.
00:16:56Cessez,
00:16:58dit-il,
00:16:59où je fuis,
00:17:00et j'abandonne, et ces lieux, et vous-même.
00:17:02Salmacis affrémit.
00:17:06Jeune étranger, répond-elle,
00:17:09je te laisse,
00:17:11sois libre et maître dans ces lieux.
00:17:14À ces mots,
00:17:16elle feint de s'éloigner,
00:17:18et se glissant sous un épais feuillage,
00:17:19épéfeuillage, elle regarde et voit, sans pouvoir être vue.
00:17:30Lui, se croyant seul et sans témoin au milieu du désert d'herbe, va et vient, et dans
00:17:36les eaux qui jouent, plonge le bout du pied jusqu'au talon.
00:17:40Aussitôt pris par la caresse des eaux, il ôte le linge doux de son corps tendre.
00:17:46Il plaît à Salmacis, du désir de la forme nue, elle brûle, les yeux de la nymphe s'enflamment.
00:17:54Hermaphrodite frappe légèrement son corps de ses mains et s'élance dans les flots.
00:17:59Il les divise de ses bras et brille dans l'onde limpide comme une statue d'ivoire.
00:18:04« Il est à moi », s'écrit la nymphe.
00:18:11À l'instant même, dégagée de sa robe légère, elle est au milieu des flots.
00:18:15Elle saisit Hermaphrodite qui résiste, elle ravit des baisers qu'ils disputent,
00:18:19écarte et retient ses mains, malgré lui presse son sein sur son sein, l'enlace dans ses bras,
00:18:25s'enlace elle-même dans les siens, rend enfin inutile tous les efforts qu'il fait pour s'échapper.
00:18:30La nymphe s'attache à lui.
00:18:32« Tu te défends vain, ingrat, tu ne m'échapperas pas.
00:18:35Dieu, déniez l'ordonné ainsi, que rien ne me sépare de lui, que rien ne le détache de moi. »
00:18:46Les dieux ont exaucé sa prière.
00:18:50Au même instant, sous une seule tête, les deux corps se sont unis.
00:18:56Tels deux jeunes rameaux liés l'un à l'autre croissent sous la même écorce et ne font qu'une tige.
00:19:03Hermaphrodite et la nymphe ne sont plus ni l'un ni l'autre, et sont les deux ensemble.
00:19:08Ils paraissent avoir les deux sexes, mais ils n'en ont aucun.
00:19:15Hermaphrodite s'étonne d'avoir perdu dans cette onde limpide son sexe et sa vigueur.
00:19:20Il lève les mains au ciel et s'écrit « Divinité, dont je porte le nom, vous, auteurs de mes jours,
00:19:26accordez-moi la grâce que j'implore, que tous ceux qui viendront après moi se baigner dans ces eaux,
00:19:32y perdent la moitié de leur sexe. »
00:19:34Hermès et Aphrodite, touchés de sa prière, dénièrent l'exaucer.
00:19:47Et sur ces eaux, répandant une essence inconnue, leur donnèrent la vertu de rendre les sexes indécis.
00:20:05Les années s'écoulaient.
00:20:09J'atteignais ma dix-septième.
00:20:13Mon état, sans présenter d'inquiétude, n'était plus naturel.
00:20:18Le médecin consulté reconnaissait chaque jour l'inefficacité des remèdes les plus significatifs.
00:20:24Il avait fini par ne plus s'en préoccuper, attendant tout du temps.
00:20:29Pour mon compte, je n'en étais nullement effrayée.
00:20:32Mlle Clotilde de Heer se maria avec un de ses cousins, héritier par sa mère d'une brillante fortune.
00:20:38Un changement allait s'accomplir dans ma destinée.
00:20:41Il me fallait une nouvelle occupation.
00:20:45L'excellent curé de la paroisse, un ami de la famille et mon guide spirituel,
00:20:51me donna l'idée de me vouer à l'enseignement.
00:20:54Cette proposition me déplaisait souverainement.
00:20:57J'avais pour cette profession une antipathie, non raisonnée mais profonde.
00:21:03Mais la perspective d'être ouvrière ne me flattait pas davantage.
00:21:07Je croyais mériter mieux que cela.
00:21:09Camille, tu as reçu un bon commencement d'instruction.
00:21:13Tu es intelligente.
00:21:15Il ne tient qu'à toi d'entrer bientôt à l'école normale d'Oléron.
00:21:18Avec ta facilité, tu en sortiras d'ici deux ans muni d'un brevet de capacité.
00:21:23Nulle carrière ne peut mieux convenir à tes idées et à tes principes.
00:21:29Ces paroles m'avaient touchée.
00:21:32Ma résolution fut aussi prompte que ma réponse.
00:21:35Je le remerciais avec effusion,
00:21:37lui promettant de justifier la bonne opinion qu'il avait de moi.
00:21:41Ma mère fut heureuse de cette réponse.
00:21:43C'en était fait.
00:21:45Mon sort était fixé.
00:21:48Cette soirée avait décidé du reste de ma vie.
00:21:52Mes seigneurs, qu'il fut bien différent de ce que l'on en attendait.
00:21:58Dire que j'étais heureuse de la perspective que m'offrait cette carrière serait parfaitement faux.
00:22:03Je l'embrassais sans dégoût, il est vrai, mais aussi sans attrait.
00:22:07Je ne soupçonnais pourtant pas alors les difficultés sans nombre d'un état,
00:22:12le plus servile de tous, celui d'institutrice.
00:22:15Certes, tout le monde sait aujourd'hui
00:22:17dans quelle honteuse dépendance pour notre époque sont placés les maîtres et maîtresses de pension.
00:22:22En but à la calomnie, à la médisance d'une population qu'ils doivent régénérer,
00:22:27il leur faut subir aussi l'influence fatale et despotique d'un prêtre jaloux de son pouvoir.
00:22:32Oui, qui, s'il ne peut en faire ses esclaves,
00:22:35les écrasera bientôt sous le poids des haines qu'il aura soulevées sous leurs pas.
00:22:38Ce que j'ai vu me permettrait d'en citer plus d'un exemple.
00:22:41Après le curé de la commune,
00:22:42l'institutrice n'a pas de plus terrible ennemi que l'inspecteur primaire.
00:22:46C'est son chef immédiat.
00:22:47C'est l'homme qui tient en ses mains tout son avenir.
00:22:49Un mot de lui à l'académie…
00:22:51Un rapport au préfet…
00:22:52Peut la mettre au banc de tout le corps enseignant.
00:22:54Supposer que l'institutrice soit jolie…
00:22:57Et que M. l'inspecteur en ait été touché.
00:22:59Oui, car ces messieurs peuvent être doués d'une certaine perspicacité…
00:23:03Perspicacité, oui, on peut bien leur accorder celle-là.
00:23:05Sous le coup d'une disgrâce, la pauvre jeune fille…
00:23:07Pour ne pas se voir retirer le morceau de pain qu'il a fait vivre,
00:23:10elle et son vieux père se fera plus sensibles…
00:23:14Plus petites.
00:23:14Face à l'arrogance de son supérieur.
00:23:16Celui-ci, enchanté d'avoir fait trembler une enfant,
00:23:19s'apaise un peu et finit par un compliment.
00:23:22Enfin, qui dans la bouche d'un autre pourrait ressembler à une insulte.
00:23:24Oui, mais peut-on répondre impoliment à M. l'inspecteur ?
00:23:28Non.
00:23:29Non ?
00:23:30Il le sait bien.
00:23:31On ne peut pas non plus rester indifférente
00:23:33aux promesses d'avancement qu'il veut bien faire.
00:23:35On est arrivé dans le petit salon.
00:23:37Là, il n'est plus question d'enseignement.
00:23:39Il cause familièrement.
00:23:40Ce terrain lui est plus familier.
00:23:41Ses paroles mielleuses se font de plus en plus claires.
00:23:44Après avoir menacé, il promet.
00:23:46Mais il demande.
00:23:47Hélas, son langage est tout à fait significatif.
00:23:51Sous peine d'encourir sa haine,
00:23:52il peut parfaitement arriver qu'on soit généreux à son tour.
00:23:55Il peut arriver aussi que l'on prie poliment M. l'inspecteur de passer la porte,
00:23:59en le priant de ne plus la franchir.
00:24:01Et dans ce cas-là, il arrive toujours que l'institutrice soit perdue.
00:24:04Oui.
00:24:06Ira-t-elle lutter contre un homme dont la haute moralité est proverbiale ?
00:24:10Elle y répugne d'abord,
00:24:11parce que ce serait se compromettre sans le perdre lui.
00:24:14Elle se tait donc.
00:24:16J'ai vu ce passer sous mes yeux,
00:24:18de ces scènes horribles,
00:24:19de bassesses indignes et d'abus de pouvoir,
00:24:23trop révoltantes pour que j'essaie de les raconter.
00:24:27Mais cependant,
00:24:30j'étais admise à l'école normale d'Oléron.
00:25:41Quelques lieux à peine me séparaient d'Oléron,
00:25:45mais ce voyage néanmoins était un événement pour moi.
00:25:49Il fallait traverser l'océan.
00:25:58Je ne sais quel trouble inexprimable va me saisir
00:26:01lorsque je franchis le seuil de cette maison.
00:26:06C'était de la douleur.
00:26:08Non,
00:26:10de la honte.
00:26:13Ce que je ressentais,
00:26:14nulle parole humaine ne pourrait l'exprimer.
00:26:18Mais cela paraîtrait incroyable, car enfin je n'étais plus une enfant.
00:26:21J'avais dix-sept ans,
00:26:23et j'allais me trouver en face de certaines jeunes filles qui en avaient à peine seize.
00:26:28L'accueil si chaleureux de la bonne religieuse m'avait laissé insensible.
00:26:32Et chose étrange,
00:26:34lorsque, conduite par elle,
00:26:36j'arrivais à la classe des élèves maîtresses,
00:26:39la vue de ces frais et charmants visages qui me souriaient déjà
00:26:43me cira le cœur.
00:26:45Sur tous ces jeunes fronts, je lisais la joie, le contentement,
00:26:48et je restais triste, épouvantée.
00:26:52Quelque chose d'instinctif se révélait en moi,
00:26:54semblant m'interdire l'entrée de ce sanctuaire de virginité.
00:26:59Les aspirantes aux brevets de capacité étaient au nombre de vingt à vingt-cinq.
00:27:04Un immense dortoir nous réunissait toutes,
00:27:06de chaque côté, un lit garni de rideaux blancs,
00:27:10chacun occupé par une religieuse.
00:27:12L'heure du lever, surtout.
00:27:15C'était un supplice pour moi.
00:27:17J'aurais voulu me dérober à la vue de mes charmantes compagnes.
00:27:20Non pas que j'aie cherché à les fuir, je les aimais trop pour cela, mais
00:27:24instinctivement, j'étais honteux
00:27:26de l'énorme distance qui me séparait d'elles, physiquement parlant.
00:27:30À cet âge où se développent toutes les grâces de la femme,
00:27:34moi je n'avais ni cette allure d'abandon,
00:27:37ni cette rondeur de membres qui révèle la jeunesse dans toute sa fleur.
00:27:42Mon teint, d'une pâleur maladive,
00:27:45dénotait une souffrance habituelle.
00:27:48Mes traits avaient une certaine dureté qu'on ne pouvait s'empêcher de remarquer,
00:27:53et un léger duvet, qui s'accroissait tous les jours,
00:27:57recouvrait ma lèvre supérieure et une partie de mes joues.
00:28:00Mais on le comprend, cette particularité m'attirait souvent des plaisanteries,
00:28:04que je voulais éviter en faisant un fréquent usage de ciseaux en guise de rasoir.
00:28:08Mais je ne réussis, comme cela devait être, qu'à l'épaissir davantage,
00:28:12à le rendre plus visible encore, j'en avais le corps littéralement couvert.
00:28:15Aussi évitais-je soigneusement de me découvrir les bras,
00:28:18même dans les moments de forte chaleur, comme le faisaient mes compagnes.
00:28:21Et quant à ma taille, elle était d'une maigreur vraiment ridicule.
00:28:24Tout cela frappait l'œil, je m'en rendais bien compte.
00:28:30Mais je dois le dire pourtant,
00:28:33j'étais aimée de mes compagnes et de mes maîtresses,
00:28:37et cette affection, je la leur rendais bien,
00:28:40mais d'une façon presque craintive.
00:28:42J'étais née pour aimer.
00:28:45Toutes les facultés de mon âme m'y poussaient.
00:28:47Sous une apparence de froideur et presque d'indifférence,
00:28:51j'avais un cœur de feu.
00:28:54L'été ?
00:28:57L'été ?
00:29:02Quand le temps le permettait,
00:29:04nous faisions après le souper des promenades en bord de mer.
00:29:08Les orages avaient sur ces côtes arides un caractère vraiment effrayant.
00:29:12J'ai assisté une fois à une de ces scènes horribles,
00:29:16dont le souvenir ne m'a jamais laissée.
00:29:18C'était vers le milieu du mois de juillet.
00:29:21La journée avait été accablante.
00:29:23Pas un souffle n'était venu rafraîchir l'air qui, le soir encore, était brûlant,
00:29:27quand soudain,
00:29:29un changement subit d'atmosphère se fit.
00:29:32De violentes rafales venant de la mer s'élevèrent,
00:29:35en même temps que de sombres nuages se montraient à l'horizon.
00:29:38On se disposait à nous faire entrer quand un éclair vint me clouer à ma place.
00:29:41J'étais terrifiée.
00:29:42Cependant, l'ouragan n'était pas encore dans toute sa force.
00:29:45Vers minuit, il redoubla d'intensité.
00:29:47Personne ne dormait.
00:29:49Les religieuses avaient ouvert leurs rideaux
00:29:51et faisaient à voix haute des prières auxquelles se joignaient certaines de mes compagnes.
00:29:54Rien n'était plus triste que le son monotone de ces voix,
00:29:57mêlées aux éclats grossissants du tonnerre.
00:29:59Moi, la tête enfouie sous les couvertures, je ne respirais plus qu'à peine,
00:30:03quand soudain, la fenêtre au-dessus du lit s'ouvrit avec fracas.
00:30:06Aaaaaaaaaaaah !
00:30:08Aaaaaaaaaaaah !
00:30:10Aaaaaaaaaaaah !
00:30:12Aaaaaaaaaaaah !
00:30:14Aaaaaaaaaaaah !
00:30:16Aaaaaaaaaaaah !
00:30:18Aaaaaaaaaaaah !
00:30:20Aaaaaaaaaaaah !
00:30:22Aaaaaaaaaaaah !
00:30:24Aaaaaaaaaaaah !
00:30:26Avant qu'on eût pu se rendre compte de ce qui s'était passé,
00:30:28j'avais franchi, je ne sais comment, le lit qui me séparait de la bonne religieuse.
00:30:32Mû comme par un ressort électrique, j'étais tombée anéantie dans les bras de Sœur Marie des Anges,
00:30:37qui ne put se défaire de mon étreinte imprévue.
00:30:39Ses deux bras s'attachaient à mon cou,
00:30:41tandis que ma tête s'appuyait avec force contre sa poitrine,
00:30:45vêtue seulement d'un vêtement de nuit.
00:31:03Le premier moment de frayeur apaisé,
00:31:06Sœur Marie des Anges me fit remarquer doucement
00:31:09l'état de nudité dans lequel je me trouvais.
00:31:25Une sensation inouïe me dominait tout entier,
00:31:29et m'accablait de honte.
00:31:32Ma situation ne saurait s'exprimer.
00:31:35Autour de moi, certains élèves entouraient le lit,
00:31:38et regardaient cette scène ne pouvant attribuer qu'au sentiment de la peur,
00:31:41le tremblement nerveux qui m'agitait.
00:31:43Je n'osais maintenant ni me relever,
00:31:45ni affronter les regards fixés sur moi.
00:31:48Mon visage était couvert d'une pâleur livide,
00:31:50mes jambes pliaient sous le cou d'une émotion difficile à décrire.
00:31:56Je n'entendais plus l'orage qui grondait encore sourdement.
00:32:00Mon imagination était sans cesse troublée
00:32:04par le souvenir des sensations éveillées en moi,
00:32:08et j'arrivais à me les reprocher comme un crime.
00:32:11Mais cela se comprendra.
00:32:13J'étais, à cette époque,
00:32:15dans la plus grande ignorance des choses de la vie.
00:32:18J'ignorais tout des passions qui agitent les hommes.
00:32:21Le milieu dans lequel j'avais vécu,
00:32:23la façon dont j'avais été élevée m'avait préservé
00:32:26jusque-là d'une connaissance qui, sans nul doute,
00:32:30m'eût poussée au plus grand scandale,
00:32:32à des malheurs déplorables.
00:32:35Et ce qui venait de se passer ne fut pas pour moi une révélation,
00:32:39mais un tourment de plus dans ma vie.
00:32:49À partir de ce moment,
00:32:52ma réserve naturelle s'augmenta de beaucoup vis-à-vis de mes compagnes.
00:33:02J'éprouve
00:33:04quelque hésitation.
00:33:10J'éprouve quelque hésitation.
00:33:12Une préoccupation constante
00:33:15s'était emparée de mon esprit.
00:33:18J'étais dévoré du terrible mal inconnu.
00:33:21Quel que rigoureux que soit l'arrêt
00:33:24auquel me condamnera l'avenir,
00:33:31je veux continuer mon pénible récit.
00:33:51Je veux continuer mon pénible récit.
00:33:54L'époque des vacances arriva.
00:34:23C'était en même temps celle des examens.
00:34:26Et sur dix-huit aspirantaux brevets, j'arrivais première.
00:34:29Ma mère était dans le ravissement.
00:34:31Mais assurément, personne n'était plus heureux que mon bienfaiteur,
00:34:34M. de Saint-Aime.
00:34:35Mon succès lui était aussi sensible que s'il fût arrivé à l'un de ses enfants.
00:34:41J'attendais qu'il plûte à M. l'inspecteur de m'assigner un poste.
00:34:44Mon enfant, je crois que vous serez contente.
00:34:46J'ai à vous offrir un poste dans un pensionnat que je connais et où,
00:34:50je n'en doute pas, vous serez à merveille.
00:34:53Mme A. est une personne d'un rare talent,
00:34:56en même temps que d'une honorabilité incontestable.
00:35:00Veuve depuis quelques années, Mme A. s'était vouée à l'enseignement
00:35:04et dirigeait avec sa plus jeune fille, Mlle Sarah, le pensionnat d'Archiac.
00:35:10À ma descente de voiture, Mme A. m'attendait
00:35:13et m'embrassa avec une effusion qui témoignait de sa sincérité.
00:35:19Ma pâleur maladive avait frappé.
00:35:21On me questionna amicalement sur mon état de santé et Mme A.,
00:35:25entrant en des détails tout à fait intimes,
00:35:27me fit promettre de la considérer désormais comme une seconde mère.
00:35:31Son plus cher désir, disait-elle, était de me voir avec sa fille
00:35:35dans les termes d'une affection fraternelle.
00:35:40Tout me faisait penser que j'allais être heureuse dans cette maison
00:35:43qui me considérait déjà comme un de ses membres.
00:35:47Sarah ?
00:35:52Sarah.
00:35:55Oh, rien de remarquable.
00:35:59Rien en elle n'attirait le regard.
00:36:03Quelque chose d'ironique flottait sans cesse sur ses lèvres
00:36:06et donnait à ses traits une certaine dureté,
00:36:09mais que venait tempérer par intervalles la prodigieuse douceur de son regard,
00:36:13qui sous-solisait l'ingénuité de l'ange qui s'ignore.
00:36:18Sa taille était au-dessus de la moyenne.
00:36:21Avec un peu d'habileté, on aurait pu deviner une nature impétueuse,
00:36:24ardente que la jalousie devait pousser au plus grand excès.
00:36:28Élevée par une mère qui poussait jusqu'à la plus austère rigidité
00:36:32ses principes religieux, Sarah était véritablement pieuse,
00:36:36mais d'une piété éclairée, exempte de ce rigorisme outré
00:36:42qui ne pouvait s'empêcher de déplorer chez les autres.
00:36:47Elle avait dix-huit ans, alors.
00:36:50Pas l'ombre d'une pensée mauvaise n'était venue troubler la sérénité de son âme candide.
00:36:57De ce jour enfin est née notre liaison,
00:37:00qui ne tarda pas à devenir une affection réelle.
00:37:05Nous sommes au 1er novembre 1858,
00:37:08époque fixée pour la rentrée annuelle du pensionnat.
00:37:12Mes fonctions commençaient.
00:37:14J'étais chargée des élèves les plus avancés,
00:37:16Sarah s'occupait des plus jeunes.
00:37:18Une fois la prière faite et les élèves couchés,
00:37:20nous causions souvent de longues heures, mon ami et moi.
00:37:24J'allais la rejoindre à son lit,
00:37:26et mon bonheur était de lui rendre ces petits soins qu'une mère donne à son enfant.
00:37:32Bientôt, j'ai pris l'habitude de la déshabiller.
00:37:34Haute est-elle une épingle sans moi, j'en étais presque jalouse.
00:37:40Ces détails vous paraîtront futiles sans doute,
00:37:44mais ils sont nécessaires.
00:37:48Je m'agenouillais près d'elle,
00:37:50mon front effleurant le sien,
00:37:52ses yeux se fermaient sous mes baisers.
00:37:56Elle dormait,
00:37:58je la regardais avec amour.
00:38:00Ne pouvant me résoudre à m'arracher de là,
00:38:02je la réveillais, Sarah.
00:38:06Camille,
00:38:08je vous en prie, allez dormir.
00:38:10Vous auriez froid et il est tard.
00:38:20Ce que je ressentais pour Sarah,
00:38:24ce n'était pas de l'amitié.
00:38:26Ce n'était pas de l'amitié.
00:38:30C'était une véritable passion.
00:38:32Je ne l'aimais pas,
00:38:34je l'adorais.
00:38:36Un peu avant huit heures,
00:38:38Sarah allait au dortoir pour échanger son peignoir
00:38:40contre d'autres vêtements.
00:38:42Nous étions seules alors.
00:38:44Je la lassais,
00:38:46je lissais avec un bonheur indicible
00:38:48les boucles de ses cheveux, naturellement ondées,
00:38:50appuyant mes lèvres tantôt sur son cou,
00:38:52tantôt sur sa belle poitrine nue.
00:38:56Pauvre et cher enfant,
00:38:58que de fois je fis monter à son front
00:39:00la rougeur de l'étonnement et de la honte.
00:39:04Tandis que sa main écartait la mienne,
00:39:06son œil clair et limpide
00:39:08s'attardait sur moi,
00:39:10comme pour pénétrer la cause d'une conduite
00:39:12qui lui paraissait être le comble de l'égarement.
00:39:14Et par moments, elle restait frappée de stupeur.
00:39:18Il était difficile en effet
00:39:20qu'il en fût autrement.
00:39:26Comme une pierre
00:39:30que l'on jette
00:39:34dans l'eau vive d'un ruisseau
00:39:40et qui laisse derrière elle
00:39:44des milliers de ronds dans l'eau
00:39:50comme un manège de lune
00:39:52avec ses chevaux d'étoile
00:39:56comme un anneau de Saturne
00:40:00un ballon de carnaval
00:40:04comme le chemin de ronde
00:40:08que font sans cesse les heures
00:40:12le voyage autour du monde
00:40:16Cela faisait quelque temps déjà
00:40:18que j'étais à Archiac
00:40:20et par une splendide journée d'hiver
00:40:22nous avions projeté, mon ami et moi,
00:40:24de visiter un petit hameau
00:40:26distant à peu près de deux kilomètres.
00:40:28Sarah me donnait le bras
00:40:30devant nous les élèves s'en donnaient à cœur joie.
00:40:34Nous nous étions arrêtés à un petit bois de chêne
00:40:36et mon amie s'était assise
00:40:38sur un terre très levé
00:40:40d'où elle pouvait voir tout l'agile troupeau.
00:40:42Quand tout à coup
00:40:44dans un mouvement que je fis
00:40:46sa coiffure se dérangea
00:40:48ses cheveux en se déroulant
00:40:50vinrent minonder les épaules
00:40:53et une partie du visage
00:40:55j'y appliquai mes lèvres brûlantes.
00:40:59J'étais violemment émue
00:41:01Sarah s'en aperçut
00:41:03De grâce Camille, qu'avez-vous ?
00:41:05N'avez-vous donc plus confiance en votre amie ?
00:41:07N'êtes-vous pas ce que j'aime
00:41:09le plus au monde ?
00:41:11Sarah
00:41:13du fond de l'âme je t'aime
00:41:15comme je n'ai jamais aimé
00:41:17mais je ne sais pas ce qui se passe en moi
00:41:19Je sens que cette affection
00:41:21ne peut plus me suffire désormais
00:41:23Il me faudrait toute ta vie
00:41:25J'envis parfois le sort de celui qui sera ton époux
00:41:39Frappée de l'étrangeté
00:41:41de mes paroles
00:41:43Sarah eut peur
00:41:45Son extrême pâleur le disait assez
00:41:47Le calme de cette existence
00:41:49jusque-là si pure
00:41:51venait de recevoir
00:41:53un choc terrible
00:41:55Le retour à la maison
00:41:57se fit silencieusement
00:41:59et d'horribles douleurs physiques
00:42:01étaient venues depuis
00:42:03se joindre à mes mots intérieurs
00:42:05C'étaient des douleurs sans nom
00:42:07intolérables
00:42:09qui je l'ai su depuis
00:42:11constituaient un danger imminent
00:42:13Ces douleurs se manifestaient
00:42:15surtout la nuit
00:42:17émotées jusqu'à la possibilité
00:42:19de pousser le moindre cri
00:42:21mais qu'on juge de ma frayeur
00:42:23Je pouvais mourir ainsi
00:42:25sans articuler une plainte
00:42:27Alors un soir
00:42:29trop heureuse de ces prétextes
00:42:31qui n'étaient que trop vrais
00:42:33je priais mon amie
00:42:35de partager mon lit
00:42:37et elle accepta avec plaisir
00:42:39Dire le bonheur dans lequel
00:42:41j'étais folle de joie
00:43:11Le jour où j'allais mourir
00:43:13j'allais mourir
00:43:15j'allais mourir
00:43:17j'allais mourir
00:43:19j'allais mourir
00:43:21j'allais mourir
00:43:23j'allais mourir
00:43:25j'allais mourir
00:43:27j'allais mourir
00:43:29j'allais mourir
00:43:31j'allais mourir
00:43:33j'allais mourir
00:43:35j'allais mourir
00:43:37j'allais mourir
00:43:39j'allais mourir
00:43:51...oh mon dieu
00:43:53et j'étais coupable
00:43:57Dois-je donc ici m'accuser d'un crime
00:44:00non
00:44:02cette faute ne fut pas la mienne
00:44:03mais celle d'une fatalité
00:44:05sans exemple à laquelle je ne pouvais résister
00:44:07Sarah m'appartenait désormais, elle était à moi.
00:44:12Oui, ce qui, dans l'ordre naturel des choses,
00:44:15devait nous séparer, nous avait unis.
00:44:18Et qu'on se fasse, s'il est possible,
00:44:21une idée de notre situation à tous deux,
00:44:23destinée à vivre dans la perpétuelle intimité de deux sœurs.
00:44:27Il nous fallait désormais dérober à tous
00:44:30le secret foudroyant qui nous liait l'un à l'autre.
00:44:32C'est là une existence qui ne saurait être comprise.
00:44:35Le bonheur auquel nous allions goûter ne pouvait-il pas,
00:44:38par quelques circonstances imprévues, éclater au grand jour
00:44:41et nous marquer au front de la réprobation publique ?
00:44:45Pauvre Sarah !
00:44:47Que de terribles angoisses je lui ai causées.
00:44:51Le lendemain de cette nuit, la trouva anéantie.
00:44:55Ses yeux rougis par les larmes
00:44:57portaient l'empreinte d'une insomnie cruellement tourmentée.
00:45:00Nos ombres avaient le regard clairvoyant d'une mère.
00:45:03Elle ne vit la sienne qu'au déjeuner.
00:45:07Oui, naturellement, j'étais moins émue.
00:45:11Mais je n'osais lever les yeux sur Mme A,
00:45:14pauvre femme,
00:45:16qui ne voyait en moi que l'ami de sa fille alors que j'étais son amant.
00:45:25Une année s'écoula de la sorte.
00:45:28Oh, certes, je le voyais bien.
00:45:30L'avenir était sombre.
00:45:32Il me faudrait, tôt ou tard,
00:45:34rompre avec un genre de vie qui n'était plus le mien.
00:45:36Mais comment faire ?
00:45:38Où trouver la force ?
00:45:40J'occupais dans une famille,
00:45:42la plus honorable de la localité,
00:45:44un poste de confiance excessivement délicat.
00:45:46J'avais une autorité entière, absolue.
00:45:48De plus, une affection sincère,
00:45:51dont je recevais tous les jours de nouvelles preuves,
00:45:53m'avait été vouée par tous les membres de cette famille.
00:45:56Et cependant, je la trompais.
00:45:59Ce pauvre enfant qui avait été mon ami,
00:46:02ma sœur,
00:46:04j'en avais fait ma maîtresse.
00:46:18Eh bien, j'en appelle ici
00:46:21au jugement de la postérité qui me lira.
00:46:25Ai-je été coupable ?
00:46:28Criminel ?
00:46:31Parce qu'une erreur grossière m'avait assigné dans le monde une place
00:46:34qui n'aurait pas dû être la mienne.
00:46:37J'aimais d'un amour ardent, sincère,
00:46:40une enfant qui m'aimait avec toute la fougue dont elle était capable.
00:46:43Mais, me dira-t-on,
00:46:46s'il y avait eu méprise, il fallait la révéler,
00:46:48non pas en abuser ainsi.
00:46:53Eh bien, j'engage tous ceux qui pensent de la sorte
00:46:56à bien vouloir réfléchir à la difficulté de la situation.
00:47:00Un pareil aveu ne saurait me sauver d'un éclat
00:47:03dont les suites étaient nécessairement fatales à tout ce qui m'entourait.
00:47:06Dans le monde, on avait admiré d'abord,
00:47:09puis critiqué ensuite.
00:47:11L'intimité établie entre Sarah et moi,
00:47:13comme étant un peu exagérée,
00:47:15pour ne pas dire suspecte.
00:47:17Évidemment, on était à son lieu de la vérité.
00:47:21Madame A, qui craignait avant tout pour sa maison,
00:47:23en fut violemment atteinte.
00:47:25N'osant m'en parler, elle appela sa fille.
00:47:27Sarah,
00:47:29j'ai à te prier d'être à l'avenir
00:47:31un peu plus réservée dans tes rapports avec Mlle Camille.
00:47:34Vous vous aimez beaucoup, et j'en suis pour ma part très heureuse,
00:47:37mais il est des convenances que même entre jeunes filles,
00:47:40on est tenu d'observer.
00:47:43Ce commencement d'attaque nous fit trembler pour l'avenir.
00:47:47Que serait-ce donc quand la vérité serait connue ?
00:47:56Nous n'en continuâmes pas moins à partager le même lit.
00:48:00Cela n'était pas entré dans les recommandations de Mme A,
00:48:02qui l'ignorait.
00:48:04Camille !
00:48:18Dans nos délicieux tête-à-tête,
00:48:20nous nous retrouvions,
00:48:22dans nos délicieux tête-à-tête.
00:48:25Sarah se plaisait à me donner une qualification masculine.
00:48:29Mon chère Camille,
00:48:35je vous aime tant.
00:48:41Pourquoi vous ai-je connue
00:48:43si cet amour doit faire le malheur de toute ma vie ?
00:48:53Un jour, Sarah me fit une confidence,
00:48:55dont je fus atterrie.
00:48:58Les larmes la suffoquaient.
00:49:00Mais si ces craintes étaient fondées, nous étions perdus l'un et l'autre.
00:49:03Une véritable épée de Damoclès était suspendue sur nos têtes.
00:49:07Sarah craignait sa mère,
00:49:09autant qu'elle la respectait, l'idée d'avoir à rougir devant elle.
00:49:13C'était la première fois que je l'entendais,
00:49:15et je l'entendais toujours.
00:49:17Sarah craignait sa mère,
00:49:19autant qu'elle la respectait, l'idée d'avoir à rougir devant elle.
00:49:22Il m'était chose insupportable.
00:49:24Je me figurais parfois
00:49:26le courroux, l'indignation, la fureur d'une mère
00:49:29apprenant la honteuse grossesse de sa fille.
00:49:33Mais j'avoue que,
00:49:36tout en redoutant un pareil événement,
00:49:39je l'appelais de tous mes voeux.
00:49:42Et cela étant,
00:49:44plus rien ne pourrait s'opposer à notre mariage avec Sarah.
00:50:03Mais que d'amers reproches j'aurais eu à endurer !
00:50:07À quelques temps de là,
00:50:09les douleurs que j'avais déjà ressenties se firent plus fréquentes, plus intenses.
00:50:12Sarah s'en inquiétait,
00:50:14insistant toujours pour que je voie un médecin.
00:50:16Mais pour rien au monde je n'y aurais consenti.
00:50:21La violence du mal fut telle
00:50:25qu'il fallut s'y résigner.
00:50:33Je n'ai pas oublié cette visite.
00:50:37Les moindres détails me sont encore présents à l'esprit.
00:50:43Il était près de six heures du soir.
00:50:46On n'avait pas encore allumé.
00:50:49L'appartement dans lequel je me trouvais avec le médecin
00:50:52était plongé dans une semi-obscurité dont je ne me plaignais pas.
00:50:55Les réponses que j'ai faits à ces questions étaient pour lui une énigme au lieu d'être un éclaircissement.
00:50:58Il voulut me sonder.
00:51:00On le sait, vis-à-vis d'une patiente,
00:51:02un médecin jouit de certains privilèges que personne ne songerait à contester.
00:51:06Pendant cette opération, je l'entendais pousser des soupirs
00:51:08comme s'il n'eût pas été satisfait de son examen.
00:51:13Madame A était là,
00:51:15attendant une réponse.
00:51:18J'attendais aussi,
00:51:20mais dans une disposition d'esprit toute différente.
00:51:23Debout près du lit, le médecin m'observait avec une attention pleine d'intérêt.
00:51:26Des exclamations sourdes lui échappaient.
00:51:28Mon Dieu, serait-ce possible ?
00:51:30Je compris à ses gestes qu'il eût voulu prolonger un examen d'où jaillirait la lumière.
00:51:34Ma couverture était relevée.
00:51:36Mes vêtements en désordre laissaient paraître la partie supérieure de mon corps.
00:51:43La main du docteur s'y promenait,
00:51:46indécise,
00:51:48tremblante,
00:51:50jusqu'à l'abdomen, siège de mon mâle.
00:51:52Et à force de tâtonnement, elle venait de s'y appuyer,
00:51:54sans doute car je jetais un cri perçant tout en la repoussant vigoureusement.
00:51:57Le médecin s'assit près du lit et me demanda de reprendre du courage.
00:52:00Il en avait sans doute besoin lui-même.
00:52:02Son visage trahissait une agitation extraordinaire.
00:52:04Je vous en prie, laissez-moi !
00:52:05Vous me tuez !
00:52:06Mademoiselle, je ne vous demande qu'une minute et ce sera fini.
00:52:09Déjà, sa main glissait sous les couvertures et s'arrêtait à l'endroit sensible,
00:52:11et elle s'y appuya à plusieurs reprises,
00:52:13comme pour trouver la solution d'un problème difficile.
00:52:15Elle ne s'arrêta pas là.
00:52:31Il avait trouvé l'explication qu'il cherchait.
00:52:37Mais il était facile de voir
00:52:39qu'elle dépassait toutes ses prévisions.
00:52:44Madame Anne y comprenait absolument rien.
00:52:46Par pitié pour moi, elle voulut abréger cette scène fatigante en entraînant le docteur.
00:52:53Mademoiselle Camille,
00:52:57là.
00:53:04J'ai envoyé chercher les remèdes prescrits par le docteur.
00:53:09Mais il ne reviendra pas.
00:53:13Je m'y suis formellement opposé.
00:54:09Quand nous fûmes coucher,
00:54:13Sarah m'apprit que le médecin avait eu une longue conférence avec sa mère.
00:54:18Il lui avait posé une foule de questions fort délicates auxquelles celle-ci répondit à peine,
00:54:23ne pouvant croire à la pensée qui les motivait.
00:54:27Le soupçon ne pouvait entrer dans son âme.
00:54:30Il eût été terrible à le repousser énergiquement.
00:54:32Alors, face à une si aveugle obstination,
00:54:35le médecin ne crut pas devoir prendre l'initiative que lui commandait son titre et sa foi d'honnête homme.
00:54:40Il se contenta de l'engager à m'éloigner de la maison et au plus vite,
00:54:43croyant par là se dégager de toute responsabilité.
00:54:46Mais je le répète, son devoir lui traçait une autre ligne de conduite.
00:54:51En pareille circonstance, l'indécision était une faute grave,
00:54:55non seulement vis-à-vis de la morale, mais aux yeux de la loi.
00:54:58Épouvanté du secret qu'il avait découvert, il préféra l'ensevelir à jamais.
00:55:02Et loin d'en vouloir au docteur,
00:55:04madame A aurait dû le remercier et trouver un moyen de me sortir de là.
00:55:08Mais elle n'en fit rien, pour plusieurs raisons qui, tout était mauvaise.
00:55:13Elle poussait la naïveté jusqu'à croire que j'étais dans une ignorance complète de ma situation.
00:55:18C'était l'absurde poussé au dernier degré.
00:55:22Je n'ai jamais compris qu'une femme de son âge, de son expérience,
00:55:28pût conserver une telle illusion.
00:55:34Ma pauvre tête était un véritable chaos, duquel je ne pouvais rien démêler.
00:55:43M'ouvrir à ma mère, mais il y avait de quoi la tuer.
00:55:52Mais prolonger indéfiniment la situation, c'était m'exposer au plus grand malheur.
00:55:59C'était outrager la morale dans ce qu'elle a de plus inviolable, de plus sacré.
00:56:07Et plus tard, ne pouvait-on pas me reprocher un silence coupable
00:56:12et faire peser sur moi les tristes conséquences que d'autres auraient dû prévoir ?
00:56:16Les vacances approchaient.
00:56:21J'allais me séparer de ma bien-aimée.
00:56:24Oh ! Triste, triste était mon âme.
00:56:35Nos adieux furent tristes.
00:56:38À cause, à cause d'une femme.
00:56:44Les miens surtout.
00:56:47Je ne me suis pas consolée.
00:56:55Je la laissais ainsi, sans lui faire part de mes projets.
00:57:06J'arrivais à la Rochelle, la mort dans l'âme.
00:57:12Ma tristesse faisait mal à ma mère.
00:57:15Sans la comprendre, elle prévoyait quelques catastrophes.
00:57:20Son inquiétude était augmentée encore par le silence pénible dans lequel je me renfermais obstinément.
00:57:28Elle attendit ainsi un aveu qui ne vint pas.
00:57:34Camille, tu as compris, n'est-ce pas, que tu ne peux t'éloigner ainsi de nous ?
00:57:39Tes paroles, ta conduite inconcevable exigent une explication que je te supplie de m'accorder.
00:57:50Tu veux savoir ?
00:57:54Et c'est bien.
00:57:57Tu sauras tout.
00:57:59Mais pas aujourd'hui.
00:58:01Attends jusqu'à demain, c'est tout ce que je te demande.
00:58:05À cinq heures, j'étais agenouillée dans la chapelle de l'Évêché.
00:58:09Monseigneur Debais disait tous les jours la messe à cette heure-ci.
00:58:12À l'issue de la messe, on pouvait le trouver au confessionnal.
00:58:16J'avais compris que là seulement, je trouverais conseil et protection.
00:58:21Mon pauvre enfant, je ne sais encore comment tout cela doit se terminer.
00:58:26Autorisez-vous à user de vos secrets, car,
00:58:29bien que je sache à quoi m'en tenir sur votre propre compte,
00:58:33je ne puis être juge en pareille matière.
00:58:35Aujourd'hui même, je verrai mon médecin.
00:58:38Je m'entendrai avec lui sur la conduite à tenir.
00:58:41Revenez donc demain matin, et soyez en paix.
00:58:44Le lendemain, à la même heure, j'étais à l'Évêché.
00:58:49Monseigneur m'attendait.
00:58:51J'ai eu une entrevue avec le docteur Chenet.
00:58:54Trouvez-vous dans son cabinet, aujourd'hui,
00:58:57avec votre maman et votre père.
00:59:00Je vous en prie.
00:59:01Trouvez-vous dans son cabinet, aujourd'hui, avec votre mère.
00:59:06J'avais prévenu celle-ci la veille.
00:59:09Son anxiété ne peut se décrire.
00:59:12À l'heure dite, nous étions chez le docteur.
00:59:15Il avait compris toute la gravité de la mission qui lui était confiée.
00:59:19Elle le flattait dans son orgueil tout naturellement,
00:59:22car c'était la première qu'il avait de ce genre.
00:59:24Mais je ne m'étais pas attendue néanmoins à une investigation aussi sérieuse de sa part.
00:59:29Cela me déplaisait de le voir s'initier de lui-même à mes plus chers secrets,
00:59:33et je répondis en termes peu mesurés à certaines de ses questions qui me paraissaient une violation.
00:59:38Ici, vous ne devez pas seulement voir en moi un médecin, mais un confesseur.
00:59:42Si j'ai besoin de voir, j'ai aussi besoin de tout savoir.
00:59:45Le moment est grave pour vous, plus que vous ne le pensez peut-être.
00:59:48Je dois pouvoir répondre de vous en toute sécurité à mon seigneur d'abord,
00:59:52et sans doute aussi devant la loi, qui en appellera à mon témoignage.
00:59:56La science s'inclina, convaincue.
01:00:02Je, sous-signé, docteur en médecine, demeurant à La Rochelle, département de la Charente inférieure,
01:00:10expose acquis de droit ce qui suit.
01:00:13Camille Alexina, préoccupée d'une sorte de mystère dont elle entrevoyait qu'elle était l'objet,
01:00:19commença à porter sur elle-même plus d'attention qu'elle ne l'avait encore fait.
01:00:23En rapport, tous les jours, avec des jeunes filles de 15 à 16 ans,
01:00:27elle éprouvait des émotions dont elle avait peine à se défendre.
01:00:31Plus d'une fois, la nuit, ses rêves étaient accompagnés de sensations indéfinissables.
01:00:37Elle se sentait mouillée et trouvait, le matin sur son linge, des tâches grisâtres et comme empesées.
01:00:44Surprise autant qu'alarmée, Camille Alexina confia l'état si nouveau de son âme à un éclaté.
01:00:50Camille Alexina confia l'état si nouveau de son âme à un ecclésiastique
01:00:54qui me chargea d'examiner avec soin cette jeune fille et de donner mon avis sur son véritable sexe.
01:01:02De cet examen résultent les faits suivants.
01:01:06Camille Alexina, qui est dans sa 22e année, est brune.
01:01:11Sa taille est d'un mètre cinquante-neuf centimètres.
01:01:14Les traits du visage n'ont rien de bien caractérisé et restent indécis entre ceux de l'homme et ceux de la femme.
01:01:20La voix est habituellement celle d'une femme, mais parfois, dans la conversation ou dans la toux,
01:01:25il s'y mêle des sons graves et masculins.
01:01:28Un léger duvet recouvre la lèvre supérieure.
01:01:31Quelques poils de barbe se remarquent sur les joues, surtout à gauche.
01:01:35La poitrine est celle d'un homme. Elle est plate et sans apparence de mamelle.
01:01:40Les règles n'ont jamais paru.
01:01:42Les membres supérieurs n'ont rien des formes arrondies qui caractérisent ceux des femmes bien faites.
01:01:47Ils sont très bruns et légèrement velus.
01:01:50Les seins, les hanches sont ceux d'un homme.
01:01:53Des faits si dessus, que concluons-nous ?
01:01:57Camille Alexina est-elle une femme ?
01:02:00Elle a une vulve, des grandes lèvres, un urètre féminin, indépendant d'une sorte de pénis imperforé.
01:02:06Ne serait-ce pas un clitoris monstrueusement développé ?
01:02:09Il existe un vagin, bien court à la vérité, bien étroit, mais enfin, qu'est-ce si ce n'est un vagin ?
01:02:15Ce sont là des attributs tout féminins, oui, mais Camille Alexina n'a jamais été réglée.
01:02:20Tout l'extérieur du corps est celui d'un homme.
01:02:23Mes explorations n'ont pu me faire trouver la matrice.
01:02:26Ses goûts, ses penchants l'attirent vers les femmes.
01:02:30Pour tout dire, enfin, on sent manifestement en palpant un corps un peu moins développé que chez l'homme adulte,
01:02:37mais qui ne nous paraît pas pouvoir être autre chose que le testicule.
01:02:41Et c'est selon toute apparence le passage tardif du testicule qui a causé les vives douleurs dont se plaignait Hercule.
01:02:47Voilà les vrais témoins du sexe.
01:02:51Nous pouvons donc conclure et dire, Camille Alexina est un homme,
01:02:56hermaphrodite sans doute, mais avec prédominance évidente du sexe masculin.
01:03:07Franchement, votre marraine a eu la main heureuse en vous appelant Camille.
01:03:12Donnez-moi la main, mademoiselle.
01:03:17Avant peu, je l'espère, nous vous appellerons autrement.
01:03:21Puis il adressa quelques paroles d'encouragement à ma pauvre mère,
01:03:25dont la stupeur était à son comble.
01:03:28Vous avez perdu votre fille, c'est vrai, mais vous retrouvez un fils que vous n'attendiez pas.
01:03:34Par moments, je me demandais si je n'étais pas le jouet d'un rêve impossible.
01:03:41Ce résultat inévitable que j'avais prévu, désiré même,
01:03:47m'effrayait maintenant comme une énormité révoltante.
01:03:52En définitive, je l'avais provoqué, je le devais sans doute, mais qui sait,
01:03:57peut-être avais-je eu tort.
01:03:59Ce brusque changement qui allait me mettre en évidence d'une façon si inattendue.
01:04:07Ne blessait-il pas toutes les convenances ?
01:04:11Deux jours après, j'étais à Archiac.
01:04:13Je racontais brièvement ce qui venait de se passer à la Rochelle à Sarah.
01:04:19Elle ne parla pas, mais son regard éteint semblait me reprocher comme une faute
01:04:26l'importante détermination que j'avais prise sans elle.
01:04:30« Si tu l'avais voulu », disait ce regard, « nous aurions pu être heureux encore de longs jours.
01:04:38Mais je ne te suffis plus, sans doute.
01:04:40Tu as soif d'une existence libre, indépendante, que je ne puis te donner. »
01:04:52Mon départ se fit sans bruit.
01:05:00Il était près de sept heures du matin.
01:05:06J'avais le cœur affreusement serré.
01:05:11De son côté, Mme A souffrait atrocement.
01:05:14La douloureuse contraction de ses trailes le disait assez.
01:05:19Il y avait beaucoup de choses dans son silence.
01:05:23Du regret, d'abord, parce qu'avant tout elle m'aimait, sincèrement, loyalement.
01:05:31Mais à côté de cette affection spontanée, il y avait du ressentiment, je n'en doute plus.
01:05:36Je n'en doute plus.
01:05:38Elle y voyait clair, alors.
01:05:42Mais pouvait-elle me pardonner ?
01:05:44Le rôle mystérieux que j'avais joué dans cette maison, auprès de sa fille, dont la pureté lui était si chère.
01:05:51Ainsi, chère Camille, il me faudra un jour peut-être vous appeler Monsieur.
01:05:58Non, cela ne sera pas dit.
01:06:01Cela sera pourtant Madame, et avant peu, sans doute.
01:06:04Mais enfin, que dira le monde ?
01:06:07L'éclat qui en résultera retombera nécessairement sur ma maison, et alors…
01:06:11C'était là sa plus grande préoccupation, son cauchemar.
01:06:15Elle voyait son pensionnat perdu, sa réputation gravement atteinte.
01:06:19Allons, adieu, chère fille.
01:06:27J'avais pressé dans mes bras, une dernière fois,
01:06:31celle que j'appelais ma sœur, et que j'aimais avec toute l'ardeur d'une passion de vingt ans.
01:06:41Mes lèvres avaient effleuré les siennes.
01:06:45Nous nous étions tout dit.
01:06:49Je partais maintenant,
01:06:52en portant dans mon âme tout le bonheur dont j'avais joui,
01:06:56le premier, l'unique amour de ma vie.
01:07:10Je crois avoir tout dit, concernant cette phase de mon existence de jeune fille.
01:07:17De retour à la Rochelle, il fallut s'occuper des démarches relatives à mon apparition dans le monde civil,
01:07:23comme sujet du sexe masculin.
01:07:27Le docteur Chenet avait déjà préparé un volumineux rapport,
01:07:31un chef-d'œuvre de style médical destiné à provoquer devant les tribunaux une requête en rectification,
01:07:38laquelle devait être ordonnée par la cour de Saint-Jean d'Angélie,
01:07:43le lieu de ma naissance.
01:07:54Le tribunal de Saint-Jean d'Angélie ordonna que rectification fût faite sur les registres de l'État civil,
01:08:01en ce sens que je devais y apparaître comme appartenant au sexe masculin,
01:08:06en même temps qu'il substituait un nouveau prénom, Abel.
01:08:11Je n'avais pas l'intention d'y apparaître,
01:08:14et je n'avais pas l'intention d'y apparaître.
01:08:17Je n'avais pas l'intention d'y apparaître,
01:08:19substituer un nouveau prénom, Abel, à ce féminin reçu à ma naissance.
01:08:28C'en était donc fait.
01:08:32Le monde civil m'appelait désormais à faire partie de cette moitié du genre humain appelée le sexe fort.
01:08:41Moi, élevée pendant 21 ans, dans les maisons religieuses, auprès de compagnes timides,
01:08:49j'allais comme Achille, laisser derrière moi tout un passé délicieux,
01:08:55et entrer dans l'Alice, armée de ma seule faiblesse et de ma profonde inexpérience des choses et des hommes.
01:09:14Déjà, il ne fallait plus songer à dissimuler.
01:09:18La petite ville de Saint-Jean-d'Angélie retentissait de ce singulier événement,
01:09:23bien fait d'ailleurs pour exciter la critique et la calomnie.
01:09:28Comme toujours, on ajoutait considérablement à la chose.
01:09:31Les uns allaient jusqu'à accuser ma mère d'avoir caché mon véritable sexe pour me sauver de la conscription,
01:09:38et les autres me portaient en véritable don Juan,
01:09:42ayant porté partout la honte et le déshonneur.
01:09:47Et profitaient effrontément de ma situation pour entretenir secrètement des liaisons amoureuses avec des femmes consacrées au Seigneur.
01:09:58Je savais tout cela, et n'en étais nullement émue.
01:10:08À La Rochelle, ce fut bien autre chose.
01:10:11On me vit un matin assister à la messe en costume d'homme.
01:10:14Toute la ville fut en rumeurs.
01:10:18Même les journaux se mirent de la partie.
01:10:22Comme il n'est bruit dans notre ville que d'une métamorphose tritrante,
01:10:26nous allons en dire quelques mots d'après des renseignements pris à bonne source.
01:10:30Une jeune fille âgée de 21 ans avait vécu pieuse et modeste jusqu'à ce jour dans l'ignorance.
01:10:37Appel a été fait à la science et une erreur de sexe a été reconnue.
01:10:41Les livres de médecine n'en contiennent plus d'un exemple.
01:10:42L'erreur est reconnue et un jugement rendu.
01:10:45Son apparition en habitum dans l'église de Saint-Jean,
01:10:49quelques personnes connues par leur fiété ne puent retenir en plaidre.
01:10:52D'un pareil travestissement dans un semblable lieu,
01:10:56sortir de l'église pour répandre la nouvelle,
01:10:59bientôt tout le quartier fut en émoi.
01:11:02Les histoires les plus ébouriffantes circulèrent dans toute la ville,
01:11:06mais les plus bizarres.
01:11:08La jeune fille était tout simplement un jeune homme.
01:11:10Voilà toute l'histoire.
01:11:14Je ne sais trop pourquoi,
01:11:16mais l'idée m'était venue d'entrer au chemin de fer.
01:11:19J'en parlais au préfet qui ne me désapprouva pas
01:11:22et me promis de faire une demande à la compagnie de chemin de fer d'Orléans.
01:11:25Vous savez quelle tempête vous avez soulevé
01:11:29et les nombreux méfaits dont on vous accuse.
01:11:32N'y prenez donc pas garde, marchez tête levée.
01:11:35Vous en avez le droit.
01:11:37Cela vous sera difficile peut-être
01:11:38qui ne le comprendrait pas.
01:11:40Aussi, c'est un bon conseil que je vous donne,
01:11:44résignez-vous à abandonner ce pays pour quelque temps.
01:11:49Je vais m'occuper de cela.
01:11:52Mieux que personne,
01:11:54j'appréciais la justesse de ce conseil.
01:11:57Je sentais la nécessité d'un éloignement momentané.
01:12:01Je le désirais vivement.
01:12:04Ainsi que je l'avais craint,
01:12:05des bruits odieux circulaient sur l'intimité de mes relations avec Mlle Sarah.
01:12:09Selon les uns, elle était véritablement déshonorée.
01:12:13Je l'avoue, ce coup me fut le plus sensible.
01:12:17Voir cette pauvre enfant,
01:12:19victime de la fatalité qui m'accablait, m'était insupportable.
01:12:22Stupid aveuglement de la foule qui condamne
01:12:25quand il faudrait absoudre.
01:12:28Elle seule m'aimait.
01:12:31Pendant longtemps,
01:12:32son souvenir adoré m'a donné la force de vivre.
01:12:36Mais aujourd'hui que tout semble m'avoir abandonné,
01:12:39et que l'affreuse solitude s'est faite autour de moi
01:12:42comme si mon malheur dut être fatal à tout ce qui me touche,
01:12:46j'éprouve quelques douces joies
01:12:48à penser qu'un être en ce monde
01:12:51a daigné s'associer à ma misérable existence
01:12:54et offre au pauvre délaissé un peu de tendre pitié.
01:12:56Ou peut-être n'est-ce qu'une illusion,
01:12:59mais peut-être au moment où j'écris ces lignes,
01:13:02a-t-elle pour jamais chassé de son cœur
01:13:05celui dont elle fut l'unique bonheur ?
01:13:09Que me reste-t-il alors ?
01:13:12Rien.
01:13:14La froide solitude,
01:13:16le sombre isolement,
01:13:19le désespoir,
01:13:21le désespoir,
01:13:23le désespoir,
01:13:24l'isolement
01:13:26porter en soi
01:13:28d'ineffables trésors d'amour et être condamné à les cacher
01:13:31comme une honte,
01:13:33comme un crime.
01:13:36Ma mère avait versé des larmes en se séparant de moi
01:13:39et, malgré tous mes efforts,
01:13:41je l'avoue, je l'imitais,
01:13:43dans vingt-quatre heures, un espace de deux sans lieu allait nous séparer.
01:13:48Deux années se sont écoulées depuis ce jour.
01:13:54Dans la rue, des tenues charmantes, maquillées comme en fiancée,
01:14:18garçon-fille, l'allure stupéfiante, habillée comme ma fiancée,
01:14:34cheveux blonds, cheveux longs colorés, toutes nues dans une boîte en fer,
01:14:47il est bel, il est beau d'écrier l'outrager, mais j'en ai rien à faire,
01:15:01j'ai pas envie de le voir nu, j'ai pas envie de l'avoir nu,
01:15:12et j'aime cette fille aux cheveux blonds, et ce garçon qui pourrait dire non.
01:15:21Va, maudit, poursuis ta tâche, le monde que tu invoques n'était pas fait pour toi,
01:15:38tu n'étais pas fait pour lui, dans ce vaste univers où toutes les douleurs ont place,
01:15:45tu y chercheras en vain un coin pour y abriter la tienne, elle y fait tâche,
01:15:50elle renverse toutes les lois de la nature et de l'humanité, le foyer de la famille
01:15:56t'est fermé, ta vie même est un scandale.
01:16:01Parmi ces femmes avilées qui m'ont sourie, dont les lèvres ont effleuré les miennes,
01:16:11il n'en est pas une sans doute qui ne se soit retirée de honte sous mes étreintes,
01:16:15comme au toucher d'un reptile.
01:16:19Et bien moi, je ne maudirai personne, oui, j'ai passé au milieu de vous sans y laisser
01:16:25l'ombre d'un souffle, mais homme, je n'ai pas souillé mes lèvres de vos parjures et
01:16:31mon corps de hideux accouplements, je n'ai pas vu mon nom traîné dans la boue par une
01:16:36épouse infidèle, toutes ces plaies infectes que vous étalez au grand jour m'ont été
01:16:40épargnées, de cette coupe dorée je n'en ai aspiré que le parfum, vous en avez bu
01:16:46jusqu'à la lit, toutes les hontes, tous les déshonneurs, sans être encore satisfait,
01:16:50gardez donc votre pitié, elle vous appartient, plus qu'à moi peut-être, je plane au-dessus
01:16:57de toutes vos misères sans nombre, participant de la nature des anges, car vous l'avez dit,
01:17:03ma place n'est pas dans votre étroite sphère, à vous la terre, à moi l'espace sans borne.
01:17:08Qui pourrait dire les élans de pure ivresse d'une âme, que rien de terrestre n'attache
01:17:18à l'humanité, et de quel oeil elle contemple cet horizon fermé où s'agitent tant de passions,
01:17:24tant de haine scolaire, tant de matérialité, et c'est à moi que vous jeteriez votre insultant
01:17:29dédain, comme à un déshérité, à un être sans nom, en avez-vous bien le droit, ce serez-vous,
01:17:36homme dégradé, mille fois avili et à jamais inutile, joué méprisable et méprisé de
01:17:41créatures corrompues dont vous vous parez comme d'une conquête, ce serez-vous qui viendriez
01:17:47me jeter à la face le sarcasme et l'outrage ? Oui, soyez fiers de vos droits, oui, je vous
01:17:53plains, car vous n'avez pas souffert. Pour souffrir, il vous a manqué un cœur noble,
01:17:58grand, une âme généreuse, mais l'heure de l'expiation viendra, si déjà elle n'est venue,
01:18:03et alors vous serez effrayé du vide afro de tout votre être. Je vous le dis, moi,
01:18:08que vous avez foulé à vos pieds. Je vous domine de toute la hauteur de ma nature immatérielle,
01:18:14virginale, de mes longues souffrances. Je dis « longues souffrances », et je dis vrai,
01:18:20profondément dégoûté de tout et de tous. J'endure sans en être ému. Les injustices des hommes,
01:18:28leur haine hypocrite, elles ne sauraient m'atteindre dans le surretranchement où je
01:18:31m'enferme. Il y a entre eux et moi un abîme, une barrière infranchissable. Je les défie de tous.
01:18:37J'ai prié, j'ai supplié pour que l'on me veuille en aide. J'ai connu les angoisses de la misère,
01:18:52les tortures de la faim. Vous qui me lirez, puissiez-vous ne jamais savoir ce qu'il y a
01:18:59d'horrible dans cette parole. Une pareille situation en se prolongeant peut amener le
01:19:05malheureux calacable aux plus affreuses extrémités. De ce jour, enfin, j'en arrivais à comprendre le
01:19:13suicide à l'excuser. Ceci n'a pas besoin de commentaires. Pourquoi, Seigneur, pourquoi avoir
01:19:29prolongé une vie inutile à tous est si écrasante pour moi ? C'est l'un des mystères qui ne convient
01:19:38pas à l'homme de sonder. Mais toujours la solitude, l'abandon, le mépris outrageant. En pitié, Seigneur,
01:19:54pitié, car je succombe à cette lente et épouvantable agonie, car mes forces m'abandonnent,
01:20:01la goutte d'eau s'est faite océan, elle a envahi toutes les puissances de mon être. Cette lutte
01:20:07incessante de la nature contre la raison m'épuise chaque jour davantage et m'entraîne à grands pas
01:20:12vers la tombe. Ce ne sont pas des années qu'il me reste, ce sont des mois, des jours peut-être.
01:20:18Et combien cette pensée douce, consolante pour mon âme. Là est le trépas, l'oubli. Là, le malheureux
01:20:36exilé du monde trouvera une patrie, des frères, des amis. Là, il y aura une place pour le proscrit.
01:20:57Ce jour arrivé, quelques médecins feront un peu de bruit autour de ma dépouille. Ils
01:21:03viendront en briser tous les ressorts éteints, y puiser de nouvelles lumières, analyser toutes
01:21:10les souffrances amassées sur un seul être. Eh bien, prince de la science, chimiste éclairé
01:21:17dont les noms retentissent dans le monde, analysez donc, s'il est possible, toutes les douleurs qui
01:21:25ont brûlé, dévoré ce cœur jusque dans ses dernières fibres, ces larmes brûlantes qui l'ont
01:21:32noyé, desséché sous leurs sauvages étreintes. Et sachez combien de pulsations lui ont imprimé
01:21:38les mépris sanglants, les amers sarcasmes, les injures, les railleries infâmes. Et alors vous
01:21:44aurez trouvé le secret que garde impitoyablement la pierre du tombeau. Et alors enfin on donnera
01:21:52une pensée au malheureux que pendant sa vie on a injustement repoussé, rougissant parfois de lui
01:21:57accorder un serment de main à qui même l'on a refusé du pain et jusqu'au droit de vivre.
01:22:57Lorsqu'un homme s'éloigne d'une pierre, l'autre s'éloigne d'une pierre, l'autre s'éloigne d'une pierre, l'autre s'éloigne d'une pierre, l'autre s'éloigne d'une pierre, l'autre s'éloigne d'une pierre, l'autre s'éloigne d'une pierre, l'autre s'éloigne d'une pierre, l'autre s'éloigne d'une pierre, l'autre s'éloigne d'une pierre, l'autre s'éloigne d'une pierre, l'autre s'éloigne d'une pierre, l'autre s'éloigne d'une pierre, l'autre s'éloigne d'une pierre, l'autre s'éloigne d'une pierre, l'autre s'éloigne
01:23:27d'une pierre, l'autre s'éloigne d'une pierre, l'autre s'éloigne d'une pierre, l'autre s'éloigne d'une pierre, l'autre s'éloigne d'une pierre, l'autre s'éloigne d'une pierre, l'autre s'éloigne d'une pierre, l'autre s'éloigne d'une pierre, l'autre s'éloigne d'une pierre, l'autre s'éloigne d'une pierre, l'autre s'éloigne d'une pierre, l'autre s'éloigne d'une pierre, l'autre s'éloigne d'une pierre, l'autre s'éloigne d'une pierre, l'autre s'éloigne d'une pierre, l'autre s'éloigne d'une pierre, l'autre s'
01:23:57éloigne d'une pierre, l'autre s'éloigne d'une pierre.