Un meurtrier sous mon toit S02E06 Mon cauchemar secret
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00:00Il m'a écrit une lettre quand j'habitais chez une de mes tantes. Je ne l'ai reçue
00:14que des années après. Il dit, Tiffany, je t'aime, tu me manques, tu me manques tellement
00:26si tu savais, je suis désolée pour tout, je sais que ça n'arrangera pas les choses,
00:32rien ne pourra réparer ce que j'ai fait, rien. Tiffany, je n'ai jamais voulu te faire
00:37du mal, je t'aime plus que tout, je donnerai tout pour revenir en arrière et effacer ce
00:41cauchemar de nos vies. Tout ça, ce ne sont que des mots, ça ne vaut absolument rien.
00:48Ça fait maintenant dix ans qu'on attend qu'il reçoive la punition qu'il a demandé
01:11et qu'il mérite. Il n'a pas encore complètement disparu. Je veux être présente quand il
01:20sera exécuté, si jamais ça arrive un jour. Je n'ai pas spécialement envie de le voir
01:27mourir, mais je veux mettre tout ça derrière moi, je veux tourner cette page, je veux
01:32être sûre qu'il ne sera plus jamais une menace pour qui que ce soit, qu'il ne pourra plus
01:35faire de mal, qu'il est parti pour de bon.
02:05Pensez-vous que votre père vous aimait? Non, je n'ai jamais senti qu'il m'aimait.
02:33Je ne crois pas que mon père ait été capable d'aimer quelqu'un. Jamais.
02:45Et vous l'aimiez? Oui, j'adorais mon père. Vraiment. Et je pense que je l'aimerais
02:57toujours. Il a fait des choses horribles et il n'a que ce qu'il mérite. Mais on ne peut pas
03:06s'arrêter d'aimer quelqu'un comme ça. J'ai vécu pendant 12 ans avec lui et si j'en retiens
03:12surtout des choses horribles, on a aussi eu des bons moments. On allait à des foires,
03:27on construisait des châteaux de sable, on peignait, on faisait plein d'activités. Mon
03:39père était très charmant, très beau, très drôle, très intelligent, bourré de talent. Il avait
03:47plein de qualités. Quand j'étais petite, j'avais beaucoup d'admiration pour lui.
04:09Mes parents étaient divorcés et ma mère voulait emménager avec son nouveau copain. On a dû aller
04:28vivre avec notre père. J'adorais aller le voir les week-ends. On s'amusait tout le temps quand
04:36on le voyait. C'était génial, mais vivre avec lui et le voir de temps en temps, ça n'avait rien à voir.
04:54On ne mangeait jamais à notre faim quand on était petite. On avait un énorme pot de beurre
05:02de cacahuètes et on se faisait des sandwiches avec ça et de la confiture. C'était la base
05:08de notre alimentation, mais le pot était toujours rempli de fourmis. On n'avait que ça à manger,
05:25il ne voulait jamais nous acheter autre chose. Soit on le mangeait, soit on mourrait de faim.
05:35Lui, il se faisait des steaks. Nous, on sentait l'odeur du steak en train de cuire. Ça donnait
05:44envie, on avait vraiment envie d'en manger, mais il nous en donnait jamais. On n'avait que du
05:49beurre de cacahuètes et des toasts. Et après, on était obligés de nettoyer la poêle pleine de
05:59graisse dans laquelle il avait fait cuire son steak. C'était vraiment affreux. C'est terrible
06:06de faire la vaisselle pour un super plat qu'on n'a même pas pu goûter. C'est horrible.
06:20Il se justifiait en disant qu'il était l'homme de la maison, qu'il ramenait l'argent et que s'il
06:24voulait manger un steak, il était en droit de le faire. Si vous voulez vous dégoter un boulot
06:28et vous payer à manger, pas de problème. Sinon, vous prenez ce que je vous donne.
06:42Par contre, il nous achetait toujours plein de jouets. On avait les dernières consoles de jeu,
06:48la télévision dernier cri, des super vélos. Il voulait montrer aux autres qu'il dépensait
06:55beaucoup d'argent pour nous, qu'il était sympa avec ses enfants, alors qu'on n'avait rien de
07:02première nécessité. Si on avait assez d'objets matériels, il pouvait faire croire à tout le
07:07monde que tout allait bien.
07:18On a déménagé chez mon père. Et pendant la première année, je le trouvais super cool.
07:25Personne n'avait un père comme le mien. J'ai commencé à fumer vers 9 ou 10 ans. Je me souviens
07:34qu'il nous achetait de l'alcool et des cigarettes, ça le rendait encore plus sympa. Mais notre vie
07:42était réglée comme du papier à musique, et chacun devait respecter sa partition. On savait
07:49ce qu'on avait à faire, comment on devait se comporter, ce qu'on devait dire, porter,
07:54penser et ressentir. On devait avoir une apparence irréprochable en toutes circonstances. Si on
08:03sortait en famille, on devait être coiffé d'une certaine façon, porter une certaine tenue. On
08:09devait parler d'une façon spécifique. On jouait constamment un rôle. Et si ça ne se passait pas
08:16comme il l'avait prévu, il devenait fou et tout le monde en prenait pour son grade.
08:30Une fois, je me suis réveillée en retard pour aller à l'école.
08:39Mon père était hors de lui, pour je ne sais quelle raison. On a essayé de sortir pour aller
08:47à l'école et il hurlait en nous jetant des objets.
09:00Ça n'était pas comme il l'avait prévu, donc ça le mettait en rage. Tout ce qui pouvait sortir de
09:06l'ordinaire provoquait une colère. Je ne disais rien et j'acceptais. J'avais l'impression de le
09:15mériter parce que j'étais en retard. Je n'aurais pas dû être en retard ce jour-là et j'en ai payé
09:19les conséquences. C'est ce que je me disais.
09:22En vivant avec lui, je me suis rendue compte qu'il n'aimait pas qu'on remette en question son
09:39autorité ou sa façon de faire. Il fallait l'accepter ou s'attendre à recevoir des coups.
09:52Je me comportais comme n'importe quel enfant. Je faisais du bruit, je répondais, je criais dans
10:01ma chambre en jetant des trucs. Il nous frappait très violemment. Il nous mettait des coups à la
10:13tête. Il nous fouettait les pieds et les jambes. Il disait arrête de pleurer, arrête de pleurer,
10:23on ne pleure pas dans cette maison. Il ne supportait pas les pleurs. Il était interdit de pleurer dans
10:32la maison, ce qui est dur à respecter quand on se fait tabasser. Plus on pleurait, plus il était
10:41énervé. J'étais petite, je ne pouvais pas m'en empêcher. Je pleurais parce que je ne savais pas
10:52quoi faire d'autre. Je pouvais pas me retenir. Au bout d'un moment, il voyait que je pouvais pas
10:59m'arrêter de pleurer donc il nous enroulait dans les draps. On était très serrés, on ne pouvait
11:04plus bouger. On avait les bras collés le long du corps. Je ne pouvais plus bouger du tout. Je
11:13n'arrivais plus à respirer et il prenait un oreiller pour m'étouffer.
11:35Je me souviens encore de mon père qui me crie dessus, de la pression de l'oreiller, du fait que
11:41je ne pouvais plus respirer et de la honte que je ressentais parce que je n'arrivais pas à m'arrêter
11:45de pleurer. Je ne comprenais pas pourquoi je n'arrivais pas à faire ce qu'il voulait.
11:54J'avais honte de pleurer comme ça mais je n'arrivais pas à me contrôler.
12:16Avec ma soeur, on a très vite appris à cacher nos émotions.
12:22Encore aujourd'hui, c'est très rare que je pleure ou que je sois submergée par mes émotions comme
12:32avant. J'ai été programmée comme ça. On m'a littéralement martelée que je ne devais jamais
12:42montrer mes émotions. J'ai appris à porter un masque totalement neutre.
12:52Quand on était petite, ma soeur et moi, on était inséparables. On prenait soin l'une de l'autre,
13:09on s'aidait mutuellement, on formait une vraie équipe. On faisait en sorte que l'autre n'ait
13:15jamais de problème car on savait qu'il était violent. Sa simple présence m'aidait à tenir.
13:23Je ne voulais pas la laisser seule et elle ne voulait pas m'abandonner.
13:27Mais tant qu'on vivrait avec lui, on aurait peur.
13:45Mon père était réparateur pour une compagnie téléphonique. Il faisait des réparations à
13:55domicile, je crois, ou il réparait des lignes extérieures. Il partait au travail très tôt le
14:00matin, il faisait encore nuit. Parfois, il ne rentrait pas avant 21h, 22h ou 23h. À l'époque,
14:12je me disais qu'il avait des longues journées et qu'il était occupé. Mais en y repensant,
14:17quel réparateur téléphonique fait ce genre d'horaire ? Ce n'est pas logique.
14:37Parfois, il nous laissait seuls et il barricadait la maison pour qu'on ne puisse pas sortir.
14:42Il clouait toutes les fenêtres et fermait les portes à clés de l'extérieur. On ne pouvait
14:51rien faire, il n'y avait pas d'échappatoire, on était coincé à l'intérieur. Notre maison
14:55devenait une prison. Il disait que le monde extérieur était rempli de gens méchants qui
15:09essayaient de nous faire du mal et qu'on ne devait pas leur faire confiance. On ne connaissait
15:15absolument rien d'autre. C'est tout ce qu'il nous laissait voir, donc on n'avait aucune raison
15:23d'en douter. Alors, on l'acceptait comme si c'était normal. Il nous mettait en garde contre
15:32les gens mal intentionnés, mais il était lui-même une horrible personne, je n'aurais pas dû lui faire
15:38confiance et j'ai du mal à me le pardonner. On adorait inviter des amis à des soirées pyjama
15:59et nos amis adoraient venir parce que quand notre père n'était pas un tyran, il était super sympa.
16:09On était dans le salon et on faisait semblant de donner un concert de rock,
16:15on mettait de la musique et on faisait semblant de tourner un clip. Il nous aidait à nous déguiser.
16:21Il nous mettait des tenues très suggestives, des hautes très très courts qui m'arrivaient
16:34au-dessus du nombril, des mini-shorts ou des robes qui laissaient absolument tout voir.
16:45À l'époque, on trouvait ça drôle, mais avec du recul, il nous habillait comme des prostituées en gros.
16:58On sautait dans tous les sens, on faisait n'importe quoi, on se prenait pour des rock stars et mon
17:08père était toujours dans un coin à nous regarder.
17:11Tous les soirs, mon père nous préparait du chocolat chaud. On était assis dans le salon
17:31et il nous donnait du chocolat chaud avant qu'on aille se coucher. Ma sœur me disait tout le temps,
17:40le bois pas, il a un goût bizarre. Je me souviens qu'il avait un goût bizarre,
17:44mais ça ne me dérangeait pas. Je pensais juste que c'était du chocolat premier prix. On le buvait
17:50et juste après, on avait envie de dormir et on allait se coucher. Et le lendemain, on se réveillait.
18:00Ils nous droguaient. On ne se demandait pas pourquoi on ne se souvenait de rien. On était
18:12en train de dormir, c'est tout. J'ai l'impression que quelqu'un a effacé la majeure partie de mes
18:20souvenirs. C'est le but ces drogues, c'est fait pour qu'on ne se souvienne de rien.
18:30C'était horrible. Je n'ai pas envie de m'en rappeler. C'est pas pour rien que votre corps
18:41et votre esprit bloquent ce genre de souvenirs.
19:00Ils nous droguaient presque tous les jours. Donc, je ne me souviens de pas grand-chose de
19:16ce qui se passait. Seulement de bribes. Encore aujourd'hui, je ne me souviens pas de tout ce
19:22qu'il nous a fait. C'est dur de créer du sens à partir de quelques bribes. J'étais dans les
19:44vapes à moitié consciente. Mais je me souviens que j'étais entièrement nue et qu'il me faisait
19:53des choses. Un jour, je me suis réveillée pendant et j'ai fait semblant de dormir parce que j'avais
20:04peur. S'il voyait que j'étais réveillée, j'avais peur qu'il me fasse du mal. S'il ne
20:14savait pas que j'étais consciente, je ne risquais rien. S'il savait que je savais,
20:20je devenais alors une menace à éliminer. Je ne savais pas quoi faire. Il était plus grand et
20:34plus fort que nous. Et il restait mon père. Donc, je faisais comme si de rien n'était.
20:42Je n'en parlais à personne parce que j'avais honte. J'espérais secrètement que ça ne soit pas vrai.
20:56J'essayais de ne pas y penser. Je pensais que si je ne lui en parlais pas, je la protégeais.
21:15Mon père disait toujours que j'étais la plus jolie, la plus intelligente, sa fille préférée.
21:25Et il traitait ma sœur avec beaucoup moins d'égard. Je ne voulais pas qu'il lui fasse
21:32la même chose. Je ne voulais pas qu'elle vive ça. Je ne sais pas combien de fois c'est arrivé,
21:47combien de fois j'ai été inconsciente. Je pensais que je le méritais d'une certaine façon.
21:52Je me suis sentie coupable toute ma vie. À chaque fois que mon père abusait de moi,
22:01je me sentais responsable. J'avais fait quelque chose de mal et c'était ma punition. Tout ce
22:07que je voulais, c'était devenir l'enfant modèle qu'il voulait que je sois. Et quand je faisais
22:15des bêtises, je me sentais coupable et je pensais être punie en conséquence.
22:22À l'école, nos professeurs ont remarqué que ma sœur et moi, on avait des hématomes et qu'on
22:45n'avait jamais de quoi manger à midi. Ils ont eu peur qu'on soit maltraités. Ils ont donc
22:50alerté les services sociaux. Mon père nous a dit qu'il venait et il nous a raconté des choses
22:57horribles. On était convaincus qu'il voulait nous faire du mal, que c'était des personnes
23:04malveillantes qui voulaient détruire notre famille et nous séparer de nos parents pour
23:10nous mettre dans une famille d'accueil horrible avec des gens méchants. On serait séparés et
23:16je ne reverrais plus jamais ma sœur. C'était grâce à elle que je tenais. Je n'avais qu'elle
23:23et vice-versa. Je ne voulais surtout pas me retrouver toute seule. Il nous a dit quoi dire.
23:35S'il posait telle question, on devait répondre ça. On a travaillé notre histoire ensemble,
23:42on était raccords. Il avait préparé un ragoût pour que ça sente bon dans la maison et que ce
24:08soit accueillant. On avait de jolis habits, on devait avoir le sourire collé aux lèvres. De
24:18l'extérieur, on ressemblait à une famille parfaitement saine. Il a fait le plus gros de la conversation.
24:39Oh, je suis désolée pour vous. Vous n'aviez aucune raison de vous déplacer. Tout va très bien à la
24:45maison. Il jouait très bien la comédie. J'ai dit tout ce qu'il m'avait dit de dire à l'assistante
24:53sociale, que tout se passait bien, qu'on avait à manger, qu'il nous aimait et nous choyait. J'ai
25:01récité mon texte. C'était une vraie performance de faire croire que tout était parfait. Elle
25:23n'avait aucune raison de creuser un peu plus. Et il n'y a pas eu de suite. On nous forçait à
25:40rester avec lui parce qu'il avait l'air gentil comme ça, de l'extérieur.
25:54J'étais désespérée. Il n'y avait aucune issue. On serait coincé là à vie et ça allait empirer.
26:11C'est à peu près à cette époque que j'ai commencé à avoir des tendances suicidaires.
26:24Je n'avais plus envie de vivre. Je n'avais pas l'impression que quelqu'un m'aimait ou s'inquiétait
26:34pour moi. Ça m'est arrivé plusieurs fois de m'enfermer dans la salle de bain avec des couteaux,
26:45mais je n'ai jamais eu le courage de me tuer. Un jour, j'étais à la maison et mon père n'était
26:53pas là. J'avais vu des reportages sur des rock stars qui faisaient des overdoses de
26:57barbituriques. J'en ai trouvé. Et j'ai tout avalé d'un coup.
27:15Mon père m'a simplement fait un sermon en disant que je ne devais pas être déprimée et que je ne
27:43devais jamais recommencer. Le pire, ce n'est pas que j'ai voulu me tuer, mais ça a été de me rendre
28:01compte que même après ma tentative de suicide, il s'en fichait complètement. J'avais essayé de me
28:07tuer et il n'en avait rien à faire. J'ai dit à ma sœur à quoi ça sert de vivre si mon propre père
28:17se fiche que je sois morte ou vivante. Mais ma sœur ne s'en fichait pas. Elle voulait que je
28:25reste avec elle, que je ne la laisse pas seule avec lui. Il était très énervé. Il disait « si tu
28:48ne les prends pas, tu ne les verras plus jamais ». Un été, mon père a appelé ma grand-mère pour
29:11savoir si ma sœur et moi on pouvait aller chez elle. Il voulait épouser celle qui était devenue
29:20notre belle-mère et il voulait se débarrasser de nous pour qu'ils aient leur lune de miel sans nous
29:29avoir dans leurs pattes. C'était l'idée. Ma grand-mère lui a dit que ce n'était pas le bon
29:35moment. Il est devenu fou. C'était tout lui. Il s'attendait à ce qu'elle lui dise oui et elle
29:46a été à l'encontre de ses plans. Il a vu rouge et il lui a répondu « si tu ne les prends pas,
29:51tu ne les verras plus jamais ». Et finalement, peu de temps après, on y est allé. On est
30:06parti pour la Californie avec une valise chacune, à peine deux tenues de rechange et c'était tout.
30:12On pensait rentrer à la maison un mois après. On n'y est jamais retourné.
30:42Ma tante avait discuté avec mon père du fait de prendre ma soeur chez elle pour un semestre car
30:52elle avait de mauvaises notes et j'avais peur de me retrouver seule avec lui. Je n'allais pas pouvoir
31:07supporter ça sans elle. Je ne pourrais plus compter sur elle en cas de coup dur. Et ça,
31:15ce n'était pas possible. J'avais très peur qu'il me tue si on se retrouvait tous les deux. J'étais
31:24terrifiée. J'étais dans un tel état de nerfs que j'ai fondu en larmes et je lui ai tout dit.
31:30Je lui ai dit « S'il te plaît, non, ne me laisse pas seule avec lui. Il nous fait mal,
31:43il m'a touchée. Je ne veux pas vivre avec lui. Quand Amber était là, ça allait, on était
31:47ensemble. Ne me l'enlève pas, s'il te plaît. Ne me laisse pas seule avec lui ». J'avais peur
31:53qu'elle ne me croit pas, c'était son frère après tout. Elle m'a promis de faire tout ce qui était
32:10en son pouvoir pour que ça n'arrive plus. Ma tante a appelé ma grand-mère qui en a parlé à ma
32:25sœur. Ma sœur a raconté à ma grand-mère tout ce qu'il avait fait. On était toutes les deux
32:42assises par terre. Elle pleurait en disant « Je ne savais pas qu'il te faisait ça aussi ». Aucune
32:55de nous deux ne savait qu'il agressait sexuellement l'autre. Elle se sentait tellement coupable. Elle
33:10répétait « Je pensais que j'étais sa seule victime, qu'il ne le faisait qu'à moi et qu'il ne te
33:16toucherait jamais ». Je me suis pris tout ça en pleine face. J'ai appris que la seule personne
33:30qui tenait à moi à cette époque, celle que j'essayais de protéger, ne l'était pas. Malgré
33:38tous mes efforts et tous mes sacrifices, j'étais complètement dévastée. Les services sociaux se
33:49sont chargés du reste. Ma grand-mère a parlé à une assistante sociale et a été portée plainte. La
33:57police est venue nous voir pour qu'on leur raconte ce qu'il se passait. Ce n'était pas facile de
34:03mettre des mots là-dessus, mais les officiers de police qui sont venus étaient très gentils et
34:08compétents. Ils ont tout fait pour nous mettre à l'aise. Ma grand-mère nous a immédiatement emmenés
34:15voir un psychologue. On y allait deux fois par semaine. J'en ai vu quatre ou cinq avant de
34:22trouver celui qui me correspondait vraiment et avec qui je pouvais parler librement. Avec le temps,
34:29on apprend à accepter que ces choses terribles qui nous sont arrivées ne nous définissent pas
34:34en tant que personnes, que du malheur peut ressortir quelque chose de positif. Face à
34:43ces accusations, il se défendait en disant que j'étais une traînée aguicheuse, que j'avais
34:53couché avec plein de garçons de mon école et que ma sœur était lesbienne et avait des relations
34:59sexuelles avec la fille des voisins. J'étais censée être une traînée aguicheuse alors que je n'avais
35:07que onze ans. Et ma sœur en avait douze. Il tournait en ridicule tout ce dont on l'accusait.
35:23Il n'a pas purgé une grosse peine de prison. Il a dû y rester quelques mois à peine. On vivait
35:40dans l'angoisse constante de le voir réapparaître un jour. On avait peur qu'il se venge. On n'a plus
35:49jamais été en contact avec lui depuis. On avait peur des représailles. Ma sœur et moi on s'est
36:09éloignés petit à petit. Elle a fugué à l'âge de 15 ans. Elle disait qu'elle ne supportait pas
36:16les murs autour d'elle. Elle ne voulait pas rester chez ma grand-mère parce qu'elle était
36:20stricte. Ma sœur ne voulait plus obéir à des règles. Elle voulait être libre. J'avais des
36:28nouvelles d'elle tous les deux ans à peu près. Je m'inquiétais beaucoup pour elle.
36:31J'étais très peu en contact avec ma sœur et un jour elle m'a appelée. C'était bizarre qu'elle
36:49m'appelle car ça ne lui arrivait jamais. J'ai décroché et là elle m'a dit directement sans
37:04tourner autour du pot « est-ce que tu as regardé les infos ? » ou un truc du genre. J'ai répondu que
37:12non et elle m'a dit « ah ben papa est un tueur en série ». C'est comme ça qu'elle l'a dit. Papa
37:18est un tueur en série. Et j'ai répondu « d'accord comment ça c'est un tueur en série ? » Elle
37:29m'a dit « tout le monde en parle à la télé. Il est soupçonné d'avoir tué plusieurs femmes à
37:37Houston. » On a raccroché et j'ai allumé la télé.
37:48C'était la vérité.
38:19C'était irréel. J'avais l'impression d'être sortie de mon corps. J'entendais tout ça. Je
38:35voyais ce qui se passait mais j'étais déconnectée. Ça avait l'air si loin de la réalité. J'ai
38:41intériorisé. Voilà les femmes qu'il a assassinées. Il y a des enfants. Elles avaient entre 9 et 21
39:04ans. Je vois leur visage et ça me détruit. Ça me fait mal parce qu'elles étaient si jeunes. Elles
39:16ne pourront jamais être des adultes. Ça aurait pu être nous. Ma sœur et moi on aurait pu être
39:30ses victimes. Elles étaient toutes brunes avec les yeux marrons. Elles étaient très jeunes. Il était
39:40attiré par des petites filles qui ressemblaient à ma sœur et moi. Il a tué toutes ces filles à
39:49l'époque où on vivait avec lui. Est-ce qu'il cherchait des filles qui nous ressemblaient
39:55parce qu'il voulait nous tuer? Ça m'a déjà traversé l'esprit. Si c'est le cas, à quel point
40:02avait-il envie de nous tuer? Combien de temps ça aurait duré avant qu'il nous étrangle à mort?
40:07C'est terrifiant. Un mois de plus? Un an? Est-ce que j'aurais été adulte un jour? Ça me glace le
40:15sang. Je suis heureuse d'être en vie. Ça aurait pu être une d'entre nous. À chaque fois que je suis
40:29déprimée, j'essaie de m'en rappeler. On ne peut jamais se remettre d'une chose pareille. Jamais.
40:46Quand tout a été révélé au grand jour, des souvenirs enfouis ont commencé à refaire surface.
40:52Des petites choses qui prenaient toute leur importance. À Houston, on avait un van. Il n'y
41:01avait pas de siège à l'arrière. Il avait un van un peu cliché, le van typique des tueurs en série.
41:09Et on voyageait dedans. Mon père prenait des filles en autostop. Je trouvais ça bizarre
41:28qu'il fasse monter des étrangères qui étaient au bord de la route et qu'il les laisse monter
41:32dans la voiture. Qui sait? J'ose même pas imaginer ce qu'il leur faisait.
41:51Il y avait des signes avant-coureurs qui indiquaient qu'il n'était pas normal. Mais
41:56personne, personne ne les a remarqués. Il a réussi à convaincre tout le monde que c'était
42:04quelqu'un de bien. Les voisins disaient, il était si gentil, on ne l'a pas vu venir.
42:18Quand j'ai appris qu'il écopait de la peine de mort, j'étais presque soulagée. Enfin!
42:24Il allait disparaître. J'allais pouvoir mettre tout ça derrière moi. J'aurais plus à me
42:31soucier de ce qu'il peut dire ou de ce qu'il risque de faire à des innocentes. Il ne pourrait
42:35plus nous manipuler. Je veux qu'il disparaisse. Et c'est frustrant. Ça fait maintenant dix ans
42:49que je compte les jours. J'ai hâte de passer à autre chose. J'ai quand même de bons souvenirs
42:57avec mon père. Il n'a pas toujours été si horrible. Mais ce qu'il a fait est impardonnable. Il a
43:06demandé la peine de mort et il la mérite. Maintenant, il n'y a plus qu'à attendre. Quand
43:15il sera enfin parti, je pourrai à nouveau respirer. Je n'ai pas eu de nouvelles de ma
43:27soeur depuis des années. Je ne sais pas si elle est encore en vie, je ne sais pas si elle est
43:31morte, je ne sais pas si elle est en prison ou si elle va bien. Je ne sais pas. Je ne sais pas
43:36ce qu'elle devient. Elle ne voulait pas qu'on la trouve. Donc, on l'a perdue.