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Et si les lois anti-corruption américaines étaient un moyen d'espionner nos entreprises, voire de les racheter ?

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00:00Alstom a appelé des coupables des charges de corruption. Elle a admis sa conduite criminelle.
00:23Elle va payer une amende de plus de 772 millions de dollars.
00:27Une entreprise française, Alstom, est frappée d'une amende record par la justice américaine.
00:34630 millions d'euros. La plus forte amende jamais infligée dans une affaire de corruption internationale.
00:41Cette journée représente une étape très importante dans la lutte contre la corruption.
00:46Cela montre la détermination du ministère à combattre le versement des pots de vin à l'étranger.
00:51Les individus comme les entreprises doivent rendre des comptes quand ils violent notre loi anticorruption.
00:57Alstom n'est pas la seule société sanctionnée pour avoir versé des pots de vin à l'étranger.
01:03Ces dernières années, une centaine d'entreprises dans le monde ont payé une lourde amende au gouvernement américain.
01:09Parmi elles, Total, Technip, Alcatel, des fleurons industriels français.
01:17La corruption est choquante. Elle affecte toute la société.
01:20Si vous enfreignez la loi américaine, nous vous poursuivrons où que vous soyez.
01:25En poursuivant des entreprises pour corruption, les Etats-Unis sont devenus le shérif du monde.
01:34Veulent-ils assainir les pratiques commerciales ou est-ce un moyen de favoriser leur propre société ?
01:40Si vous utilisez cette loi intelligemment, et Dieu sait s'ils le font bien, vous allez mettre une entreprise étrangère à genoux.
01:47C'est des concurrents qui sont éliminés, c'est de l'argent, c'est du cash qui rentre dans les caisses du trésor américain.
01:53Cette croisade anticorruption permettrait aussi aux Etats-Unis d'infiltrer nos entreprises et de récolter un maximum d'informations confidentielles.
02:03Ce n'est pas de l'espionnage parce que l'espionnage est illégal. Là où c'est fabuleux, c'est génial.
02:07Ils le font de manière légale, ils ne font qu'appliquer leur droit.
02:11C'est l'histoire d'une guerre de l'ombre, sans morts ni blessés, où tous les coups sont permis pour gagner des contrats, affaiblir des concurrents ou même les racheter.
02:22Une guerre économique où la justice est utilisée comme une arme.
02:37Mon enquête commence par un chiffre astronomique.
02:53338 millions de dollars, soit 275 millions d'euros.
02:58C'est ce qu'a payé Technip aux autorités américaines en 2010.
03:03Technip, un nom dont vous n'avez sans doute jamais entendu parler.
03:07Pourtant, c'est une société française, un géant de l'énergie.
03:12Technip construit des raffineries et des plateformes pétrolières.
03:16Elle est présente partout dans le monde.
03:18Mais pour conquérir de nouveaux marchés, l'entreprise a eu recours à des pots de vin, en particulier au Nigeria.
03:37En 1994, la société veut construire un terminal de gaz dans le delta du Niger, à Boney Island, le paradis des pétroliers.
03:47Un marché colossal à 6 milliards de dollars.
03:51Pour l'emporter, Technip verse avec trois autres entreprises 180 millions de dollars de dessous de table.
03:58L'argent est destiné au président du Nigeria, le dictateur Sani Abacha.
04:05Etienne Gori était le directeur commercial de Technip en Afrique.
04:10Il nous explique que payer des bacs chiches pour remporter un marché, à l'époque, c'était légal en France.
04:17Il y avait même un bureau au ministère de l'Economie pour justifier ces transferts d'argent.
04:22Il y avait un guichet à Bercy où nous allions pour expliquer les commissions que nous versions aux différents agents.
04:30En fait, son rôle, c'était de vérifier que les commissions étaient d'un montant raisonnable, c'est-à-dire de l'ordre de 3% du montant du contrat.
04:41C'était un peu la règle générale. Si c'était beaucoup plus, le guichet n'était pas très content.
04:49Ça paraît incroyable.
04:51Ah, c'était une autre époque.
04:55Pour les Américains, en revanche, verser des pots de vin à l'étranger, c'est illégal.
05:00En 2006, le cadre de Technip est convoqué à Washington.
05:05La justice américaine et le FBI enquêtent sur les pratiques de la société au Nigeria.
05:11Et quand j'ai été convoqué par eux, ils me montraient un mail en me disant vous vous rappelez en 95, vous avez envoyé ce mail ou vous avez reçu ce mail.
05:22Evidemment que je me le rappelais pas.
05:24Mais ils avaient un dossier impressionnant, impressionnant.
05:29Etienne Gori est entendu à deux reprises par les enquêteurs du FBI.
05:34C'est le bras armé de la justice américaine.
05:39Quelles sont ces méthodes ?
05:42Pour le savoir, nous partons aux États-Unis, à Washington.
05:53Le puissant bureau fédéral d'investigation dispose d'un service consacré à la lutte contre la corruption.
06:01Donc là, on est devant un des bâtiments du FBI.
06:06On a rendez-vous avec le supervisory special agent Ren MacEachern.
06:11C'est le patron de la section anti-fraude.
06:13Et donc, on va aller lui poser quelques questions.
06:15On y va.
06:20Hello, Emmanuel.
06:22Désolée, on ne peut pas vous laisser entrer avec la caméra.
06:26Mais vous pourrez filmer à l'intérieur.
06:28Bon, là, il faut couper la caméra.
06:31C'est la première fois que cet agent spécial répond à une équipe de télévision française.
06:38Merci de nous accueillir.
06:40Ah, mais vous avez un pistolet ?
06:42Oui.
06:44C'est courant pour un agent du FBI, nous sommes tout le temps armés.
06:47En permanence ?
06:48Oui.
06:49Même pendant les interviews ?
06:51Tout le temps, oui.
06:53Intéressant.
06:55En 2015, le nombre d'agents dédiés à la lutte contre la corruption internationale a été multiplié par 3.
07:02Ces derniers mois, nous avons enquêté sur des cas de corruption avec des agents infiltrés, des écoutes téléphoniques.
07:09Encourager la corruption, c'est choquant.
07:12Corrompre, c'est choquant.
07:13Cela affecte toute la société.
07:16La corruption s'attaque à nos valeurs essentielles, à l'équité.
07:21Quand on ne respecte pas cela, quand on agit au mépris des règles, selon moi et pour le FBI, c'est choquant.
07:28Dans l'affaire Technip, les autorités américaines ont enquêté sur les accusations de corruption au Nigeria.
07:35A l'époque, Technip accepte de collaborer et d'ouvrir ses portes.
07:42Les investigations sont conduites par un cabinet d'audit privé, FRA, Forensic Risk Alliance, une société américaine présente dans plus de 75 pays.
07:54A Paris, ces bureaux se situent à deux pas des Champs-Elysées.
08:02Nous avons rendez-vous avec la responsable, Caroline Fagar.
08:06Ses équipes épluchent les documents internes des entreprises soupçonnées de corruption.
08:15Nous, notre rôle va être d'aider l'entreprise et ses avocats à mettre la main sur les documents demandés par les autorités.
08:25Chez Technip, comment sont-ils parvenus à réunir des preuves de la corruption ?
08:32En 2008, une équipe d'experts de FRA se rend dans les locaux de l'entreprise.
08:41Ils arrivent avec de grosses valises.
08:44A l'intérieur, des ordinateurs super puissants, capables de recueillir des millions de données.
08:52On veut tous les e-mails, toutes les factures, tous les documents financiers, tous les documents qui existent chez vous, tous les accords, tous les contrats, toutes les bases de données financières.
09:05C'est une liste qui est très importante.
09:08Ils vont se brancher directement sur les serveurs de l'entreprise ou alors ils vont brancher leur ordinateur sur le téléphone mobile.
09:22Ça dépend en fait, ça dépend du support sur lequel, dont on part.
09:26Et pour faire le tri dans cette masse de documents, la justice américaine fournit une liste de mots-clés.
09:32Je vais vous montrer un exemple de mots-clés.
09:39Donc il va y avoir des mots comme commission.
09:43Là, on a d'ailleurs le mot pot de vin, boisson, même boisson.
09:47En quoi ça peut vous aider d'avoir le mot-clé boisson pour enquêter sur des histoires de corruption ?
09:51C'est pour voir si par exemple, on a cherché à inviter une personnalité importante dans un pays et qu'on lui aurait offert un bon restaurant.
10:04On a, vous voyez le mot charity ici, parce que souvent, en fait, les pots de vin sont versés à travers le paiement de fonds à des oeuvres soi-disant caritatives
10:14qui finalement vont être des paiements déguisés qui permettent de verser un pot de vin à un agent potentiel, par exemple.
10:22Chez Technip, la pêche est fructueuse.
10:25Une masse considérable de données est partie chez les avocats de l'entreprise avant d'être transmise aux autorités américaines.
10:33Si elle ne coopère pas, c'est pire.
10:35Parce que là, effectivement, il peut y avoir des perquisitions, les descentes, en attendant l'impossibilité de répondre à des appels d'offres sur des marchés américains.
10:47Donc je dirais qu'elle a vraiment intérêt à coopérer.
10:50Comme à chaque fois dans cette procédure, c'est l'entreprise, donc Technip, qui a payé l'enquête.
10:56La justice américaine n'a pas déboursé un dollar.
11:00Au final, Technip paie au gouvernement américain une amende de 338 millions de dollars, soit près de 5% de son chiffre d'affaires.
11:11Ça, ça a été un choc pour l'ensemble de la société.
11:14On ne s'attendait pas à des montants aussi gigantesques compte tenu des commissions qui avaient été versées.
11:21Mais je crois que Technip n'avait pas l'embarras du choix.
11:24S'il voulait continuer à travailler dans le domaine pétrolier, qui est un domaine tout de même assez américain, il fallait passer par les fourches codines de la justice américaine.
11:38Aux États-Unis, la lutte anticorruption, c'est une vieille histoire.
11:43Dans les années 70, le président Jimmy Carter veut moraliser la vie des affaires.
11:48Le résultat, c'est une loi adoptée au Congrès en décembre 1977.
11:54Le Foreign Corrupt Practices Act interdit le versement de pots de vin à l'étranger.
12:00Vingt ans plus tard, les États-Unis parviennent à étendre leur loi au monde entier.
12:0638 pays, dont la France, adoptent une convention internationale contre la corruption.
12:13Désormais, c'est un crime passible de sanction pénale.
12:19Avec ce texte, les États-Unis deviennent le shérif du monde.
12:24Prenons le cas d'une entreprise française soupçonnée de corruption.
12:28Si un employé effectue des paiements en dollars, qu'il envoie un mail qui transite par un serveur américain comme Google,
12:35ou qu'il utilise pour ses appels un téléphone contenant la puce d'un opérateur américain, alors les États-Unis peuvent poursuivre la société.
12:45Depuis 2008, 105 entreprises ont été sanctionnées dans le monde.
12:536,5 milliards de dollars sont tombés dans les caisses du trésor américain.
12:58Selon Éric Denessé, le directeur du Centre français de recherche sur le renseignement, ces amendes pour les États-Unis, c'est tout bénef.
13:07Les Américains ne moralisent pas les affaires internationales pour plaisir de moraliser les affaires internationales.
13:13Ils disent qu'ils moralisent les affaires internationales parce que ça leur apporte un avantage compétitif.
13:18C'est de l'argent, c'est du cash qui rentre dans les caisses du trésor américain.
13:22C'est-à-dire que nous finançons à travers ces amendes le budget de défense, le budget social, le budget de l'éducation américaine.
13:34Ce document représente les sanctions américaines à l'encontre des entreprises dans le monde.
13:44Le plus frappant, c'est que la France paye le plus lourd tribut.
13:48Ces six dernières années, nos entreprises ont versé à elles seules près d'un tiers des amendes, 1,6 milliard de dollars.
13:58Pourquoi nos sociétés sont-elles particulièrement visées ?
14:03Les entreprises françaises, c'est à la fois une proie privilégiée et une proie facile.
14:07Pourquoi privilégiée ?
14:08Il faut oublier que dans la compétition économique actuelle, la France est le seul pays européen,
14:13et donc le seul autre pays occidental, qui est positionné sur ce qu'on appelle les technologies de souveraineté.
14:18Les technologies de défense au sens large, air-terre-mer, cette capacité à fabriquer des armements, des bateaux, des avions, de l'arme nucléaire.
14:25Des technologies liées à l'énergie.
14:28La loi anticorruption permet de se débarrasser d'absolument tous les concurrents.
14:33Comment les Américains parviennent-ils à se débarrasser de leurs concurrents ?
14:39Il y a quelques années, une entreprise française a été victime de cette stratégie, Alcatel.
14:46Dans les années 90, c'était l'un des leaders du marché des télécommunications.
14:51En 2001, la société gagne un contrat de téléphonie mobile au Costa Rica.
14:56Mais très vite, la presse révèle que la filiale d'Alcatel a versé 2,5 millions de dollars de pot de vin,
15:03entre autres au président du Costa Rica, Miguel Angelo Rodriguez.
15:10Lorsque le scandale éclate, la justice américaine brandit sa loi anticorruption.
15:15Pour le groupe français, c'est le début d'un long calvaire.
15:19Comme chez Technip, c'est un cabinet privé qui mène l'enquête.
15:23Il saisit des documents et surtout, il convoque les salariés soupçonnés d'être mêlés aux affaires de corruption.
15:30Les syndicats s'insurgent contre ces pratiques qu'ils considèrent illégales.
15:36Dans ce tract, ils dénoncent des interrogatoires poussés qui incitent à la délation.
15:43Et l'inquisition s'installe avec la quasi-obligation pour les interroger
15:47de céder à de la délation sur leurs collègues, leur hiérarchie.
15:55Nous avons retrouvé l'auteur de ce tract.
15:57Bonjour Pierre Chanson.
15:58Bonjour.
15:59Merci.
16:00Au revoir.
16:01Merci.
16:02Merci.
16:03Au revoir.
16:04Au revoir.
16:05Au revoir.
16:06Merci.
16:07Au revoir.
16:08Au revoir.
16:09Bonjour Pierre-Chanson.
16:11Bonjour.
16:12Merci.
16:13Pierre-Chanson a passé 20 ans chez Alcatel.
16:17C'est la mémoire de l'entreprise.
16:20Vous parlez d'inquisition.
16:21L'inquisition s'installe avec la quasi-obligation, pour les interroger,
16:25de céder à de la délation sur leurs collègues, leur hiérarchie.
16:28Qu'est-ce que ça veut dire, ça ?
16:30Ça veut dire qu'en plus, dans les questions qui ont été posées,
16:33non seulement eux-mêmes ont été mis en cause,
16:36mais en plus, on les sommet de faire de la délation sur leurs collègues,
16:40de dire ce qu'ils faisaient, où ils étaient.
16:42Enfin, c'est...
16:44Globalement, on va dire vichy, quoi.
16:46C'était la même chose.
16:47Si vous répondiez pas, on considérait que vous étiez,
16:50eh ben, de mèche, et donc dans une situation délicate.
16:54C'est le système américain, tout ça.
16:57Dans les mois qui suivent, les Américains vont plus loin
17:00pour généraliser ce système de délation.
17:04Ils mettent en place chez Alcatel une hotline éthique.
17:07En clair, une ligne téléphonique
17:09pour dénoncer les comportements frauduleux des employés.
17:14Un système de délation géré par Ethics Point,
17:17une société basée aux Etats-Unis.
17:21Pour effectuer un signalement en ligne, rien de plus simple.
17:24Il suffit d'indiquer le lieu de l'infraction,
17:27ainsi que le nom et prénom de la personne impliquée.
17:30L'opération peut être réalisée de manière anonyme.
17:41Nous contactons plusieurs salariés d'Alcatel.
17:44L'un d'entre eux accepte de me rencontrer.
17:47J'enregistre notre conversation en caméra cachée.
18:00...
18:25En 2009, sur le conseil de ses avocats américains,
18:29Alcatel se sépare de centaines d'agents commerciaux
18:32opérant à l'étranger.
18:34Une mesure radicale.
18:36L'impact ?
18:37Tous les contrats en cours sont annulés.
18:41Le 27 décembre 2010,
18:44Alcatel signe un accord avec la justice américaine.
18:48Il prévoit la levée des poursuites
18:50en échange du paiement d'une amende de 137 millions de dollars.
18:55Mais ça ne s'arrête pas là.
18:59L'entreprise va être placée sous surveillance.
19:02Dans la décision de justice,
19:04il est mentionné qu'Alcatel accepte la présence d'un monitor.
19:11Un monitor, ça veut dire quoi, au juste ?
19:15D'après Wikipédia, c'est un type de petit canonnière
19:19se déplaçant lentement.
19:24Les Américains n'ont pas envoyé leur marine de guerre chez Alcatel,
19:28mais un homme, l'œil de Washington.
19:32Le rôle du monitor,
19:34vérifier qu'il n'y a pas de nouveaux actes de corruption dans l'entreprise.
19:38Il décortique les activités du groupe dans le monde entier
19:42et a accès à toute sa stratégie.
19:44Régulièrement, le monitor envoie des rapports
19:47sur l'entreprise à la justice américaine.
19:51Quelles informations transmet-il dans ces rapports ?
19:57Nous avons rendez-vous avec l'une des rares personnes
20:00qui a eu accès à ces documents.
20:02C'est l'ancienne patronne à l'intelligence économique.
20:06Les rapports sont épais.
20:08Vous avez un nombre d'informations extraordinaires.
20:11Concrètement, les contacts d'entreprises,
20:14avec d'autres entreprises, avec les noms,
20:17qui fait quoi, les voyages, les missions, etc.
20:20On sait très bien que dans telle filiale,
20:23M. Machin, directeur, est allé à tel moment dans tel autre pays
20:27à rencontrer à haut niveau M. Machin, etc.
20:30Ça donne des informations sur les contacts de l'entreprise.
20:33Vous voulez dire que les Américains collectent des secrets industriels.
20:37Parmi ces informations, il peut y avoir des secrets industriels.
20:40C'est une évidence.
20:42On est en plein espionnage économique.
20:44Ce n'est pas de l'espionnage, parce que l'espionnage est illégal.
20:47Alors que là, ils le font, là où c'est fabuleux, c'est génial.
20:50Ils le font de manière légale.
20:52Ils ne font qu'appliquer leurs droits.
20:54Il fallait y penser, quand même.
20:56C'est extrêmement... C'est génial.
21:01Dans l'affaire Alcatel, le monitor, c'est Laurent Cohen-Tannoudji,
21:05un avocat français.
21:07Selon son site Internet,
21:09il dirige un cabinet boutique international
21:12centré sur les dossiers stratégiques.
21:16Ses bureaux sont situés à deux pas des Invalides.
21:22Là, on a un rendez-vous avec Laurent Cohen-Tannoudji.
21:25L'idée, c'est de comprendre quelles sont ces méthodes.
21:28Et surtout, on est très curieux de savoir
21:30s'ils espionnent les entreprises françaises
21:32pour le compte des Américains.
21:34Vous étiez le moniteur de l'entreprise Alcatel.
21:37Qu'est-ce que vous faisiez au quotidien ?
21:39Alors...
21:41J'aimerais couper le nom de l'entreprise.
21:43C'est public, mais je ne souhaite pas que l'entreprise soit mentionnée.
21:46Je me suis permis, parce que la liste est publique.
21:48Oui, mais je sais.
21:50Dans le cadre de cet entretien,
21:52je vous fais part de l'ensemble de mon expérience,
21:55qui n'est pas limitée à ce moniteurship-là.
21:58Donc, je préférais qu'on...
22:01Donc, reprenons.
22:03Laurent Cohen-Tannoudji a bien contrôlé
22:05toutes les activités d'Alcatel
22:07avec l'aide d'une dizaine d'auditeurs.
22:09Et ça, pendant 3 ans.
22:11Mais quand on lui pose des questions précises,
22:13le moniteur botte en touche.
22:15Est-ce que vous pouvez nous montrer
22:17un rapport de monitoring ?
22:19C'est un rapport qui est totalement confidentiel.
22:21C'est-à-dire ?
22:23C'est-à-dire qu'il y a un rapport
22:25qui est totalement confidential.
22:27C'est-à-dire qu'il y a un rapport
22:29qui est totalement confidentiel.
22:31Pourquoi c'est confidentiel ?
22:33Parce que c'est confidentiel.
22:35Dans ces rapports, on détaille quand même
22:37un certain nombre de choses,
22:39d'organisations d'entreprises
22:41qui ne regardent pas la place publique.
22:43Vous, ça ne vous pose pas de problème
22:45le fait de savoir que toutes ces informations
22:47confidentielles passent entre les mains
22:49des Américains ?
22:51Vous pouvez nous le dire,
22:53il y a des secrets dans ces rapports.
22:55Non, il n'y a pas de secrets.
22:57C'est un produit que nous avons,
22:59les gens qui n'y connaissent rien.
23:01Pour les parlementaires français,
23:03les inquiétudes sur le rôle du monitor
23:05sont loin d'être un fantasme.
23:07En 2014,
23:09la délégation aux renseignements
23:11publie son rapport annuel.
23:13À propos du monitor,
23:15ils évoquent un espionnage
23:17paré des vertus de la légalité.
23:19Leur crainte ?
23:21La fuite d'informations
23:23vers les entreprises américaines.
23:25La communauté du renseignement étatsunienne,
23:27fort impliquée dans la vie économique du pays,
23:29dispose potentiellement
23:31d'informations concurrentielles précieuses.
23:39Dans le cas d'Alcatel,
23:41la procédure anticorruption
23:43aurait permis aux Américains de prendre
23:45le pouvoir dans l'entreprise.
23:47Au moment où la justice américaine
23:49s'intéresse au groupe français,
23:51elle fusionne avec l'Américain Lucent,
23:53son principal concurrent.
24:13L'objectif officiel ?
24:15Devenir un géant mondial des télécoms,
24:17mieux armé face à la concurrence.
24:19Mais selon ce rapport
24:21de l'école de guerre économique,
24:23la fusion entre les deux groupes
24:25ne s'est pas faite d'égal à égal.
24:27La procédure anticorruption
24:29contre Alcatel
24:31aurait précipité la fusion.
24:33L'affaire de la corruption
24:35est l'un des éléments que Lucent
24:37a utilisé comme un point de faiblesse d'Alcatel
24:39lors de la négociation de la fusion.
24:41On ne peut s'empêcher
24:43de penser que cette arme juridique
24:45a pu être utilisée
24:47comme une épée de Damoclès.
24:51Ce soupçon,
24:53un homme le partage.
24:55Et ce n'est pas n'importe qui.
24:57Alain Juillet est l'ancien directeur
24:59des renseignements.
25:01Il a aussi dirigé plusieurs entreprises
25:03françaises et étrangères.
25:05Alcatel, on lui dit que vous allez avoir
25:07une amende énorme à payer.
25:09Comment il fait ?
25:11Il regarde ses comptes, il dit
25:13je ne peux pas m'en sortir.
25:15Il a une solution.
25:17Et la solution, c'est de faire une fusion.
25:19Avec une société américaine.
25:21Parce qu'à ce moment-là,
25:23les Américains vous disent
25:25on pourra revoir l'amende à la baisse.
25:27Et puis il n'y aura plus de poursuite.
25:29Parce que vous êtes avec les Américains
25:31et que les Américains qui arrivent
25:33vous disent qu'à partir du moment
25:35où tu es avec moi, tu vas voir.
25:37Dans cette histoire,
25:39les Américains ont gagné sur tous les tableaux.
25:41A l'origine, c'est Alcatel
25:43qui possède 60% de la nouvelle entité.
25:45En réalité, ce sont les Américains
25:47qui vont occuper les postes-clés.
25:49Alcatel-Lucent
25:51est dirigé par l'Américaine
25:53Patricia Russo.
25:57Nous avons appelé
25:59plusieurs salariés français.
26:01L'un d'eux a vu les changements
26:03à la direction.
26:05Une fois que la fusion a été faite,
26:07tous les Français
26:09du bord, quasiment tous,
26:11ont été virés.
26:13Remerciés.
26:15Quasiment tous les Français.
26:17Tous ceux qui étaient au bord
26:19ont été remplacés
26:21pour les postes les plus stratégiques
26:23par des Américains.
26:25Et puis restaient
26:27quelques postes RAH.
26:29Tous les postes opérationnels,
26:31tous les postes décisionnaires
26:33étaient attribués à des Américains.
26:41Ce qui est intéressant aussi,
26:43c'est qui est le directeur de sécurité
26:45du groupe Alcatel-Lucent ?
26:47Un Américain, comme par hasard.
26:49On nomme tout de suite un Américain.
26:51Pourquoi c'est intéressant de voir
26:53que le directeur de la sécurité du groupe...
26:55Parce que le directeur de la sécurité
26:57a accès à tout. C'est bel et bien
26:59le contrôle par les Américains
27:01de la société Alcatel.
27:03Le mariage entre le Français Alcatel
27:05et l'Américain Lucent
27:07a tourné au fiasco.
27:09L'Américain Lucent a fait
27:11le tour du monde
27:13avant d'être absorbé par Nokia en 2016.
27:15Parmi les entreprises françaises
27:17visées par les autorités américaines,
27:19il y en a une qui a tenté de résister.
27:21Mais elle l'a payé très cher.
27:23Cette entreprise,
27:25c'est Alstom.
27:27Un fleuron national.
27:29Des rames de métro, des trains,
27:31des TGV,
27:33Alstom, c'est surtout un géant de l'énergie.
27:35Ses technologies permettent
27:37de transformer le monde.
27:39Numéro 1 mondial de l'hydraulique,
27:41leader sur le marché des turbines,
27:43elle équipe nos centrales nucléaires
27:45et nos navires de guerre.
27:47Des secteurs stratégiques.
27:49Alstom, ce sont des technologies
27:51que nous, les Français, nous sommes
27:53les seuls à produire.
27:55Des technologies vendues dans plus de 100 pays.
27:57En 2010,
27:59la justice américaine soupçonne
28:01Alstom de corruption.
28:03Cette fois, ça se passe à Tarahan,
28:05dans le sud de l'Indonésie.
28:07Les Américains reprochent à Alstom
28:09d'avoir versé plusieurs millions
28:11de dollars de pots de vin
28:13à des dirigeants indonésiens
28:15pour équiper une centrale à charbon.
28:17Mais à la différence
28:19de Technip et d'Alcatel,
28:21Alstom refuse de plaider coupable.
28:23Pas question de livrer
28:25des documents internes
28:27ou d'accueillir des enquêteurs dans ses locaux.
28:29Tout ça accroît, finalement,
28:31l'agressivité des Américains
28:33qui, dans un côté chevalier blanc,
28:35veulent absolument faire le ménage
28:37et faire payer ceux qui contreviennent
28:39à ce qu'ils considèrent comme étant
28:41la morale, en tout cas,
28:43leur morale des affaires.
28:45À Washington,
28:47les autorités américaines
28:49déploient l'artillerie lourde.
28:51Elles mobilisent
28:53les agents du FBI.
28:55Nous interrogeons
28:57le patron de l'anticorruption
28:59sur l'enquête menée sur Alstom.
29:01Mais visiblement,
29:03nos questions dérangent.
29:05Combien d'agents du FBI
29:07ont travaillé sur ce cas?
29:09Je ne peux pas vous donner
29:11le nombre précis d'agents
29:13qui travaillaient sur cette enquête.
29:15Mais vous avez mis les moyens sur Alstom.
29:17C'était une grande enquête?
29:19À nouveau, je ne peux pas
29:21rentrer dans les détails.
29:23Comment avez-vous obtenu
29:25cette information?
29:27Bref, pas facile
29:29de tirer les vers du nez
29:31d'un agent du FBI.
29:33À force d'insister,
29:35il reconnaît que l'enquête
29:37a duré 4 ans
29:39et mobilisait de nombreux agents.
29:41Vous imaginez
29:43le nombre de pays
29:45dans lesquels Alstom intervient,
29:47chaque contrat signé,
29:49en quoi consiste tel accord
29:51avec tel consultant,
29:53donc vous avez probablement
29:55dépensé des millions sur cette enquête.
29:57Je ne peux pas vous donner des chiffres.
29:594 ans, c'est long.
30:01Oui, c'est une longue période,
30:03mais je ne suis pas autorisé
30:05à vous donner des chiffres.
30:07Nos dépenses ne sont pas limitées.
30:09Nous voulons obtenir la vérité.
30:11Peu importe le coût,
30:13on va jusqu'au bout.
30:15Et pour le FBI,
30:17tous les moyens sont bons.
30:19D'après nos informations,
30:21ils auraient aussi procédé
30:23à des écoutes téléphoniques
30:25et ont même engagé une taupe
30:27au sein d'Alstom.
30:29Un employé qui, sous la pression du FBI,
30:31a remis des enregistrements
30:33de conversations confidentielles.
30:35Le journaliste
30:37Jean-Michel Quatrepoint
30:39a épluché le dossier judiciaire d'Alstom.
30:41Pour faire encore plus
30:43pression sur Alstom,
30:45on est en l'enquête
30:47non plus seulement
30:49à aucun Indonésien,
30:51mais à des tas d'autres cas.
30:53Alors, en Arabie saoudite,
30:55en Égypte, dans un certain
30:57nombre de pays. Et donc,
30:59le dossier grossit encore.
31:01Les Américains ne se contentent pas
31:03d'agiter la menace d'une forte amende.
31:05Ils vont cibler les dirigeants
31:07d'Alstom et ainsi déstabiliser
31:09l'entreprise.
31:11Le 14 avril 2013,
31:13Frédéric Pierucci,
31:15l'un des vice-présidents du groupe,
31:17est en voyage d'affaires aux Etats-Unis.
31:19A son arrivée à l'aéroport
31:21de New York, il est arrêté
31:23par des agents du FBI.
31:29Andrew Weissman
31:31est le patron de la lutte contre la fraude
31:33au ministère de la Justice qui a ordonné
31:35l'arrestation de Frédéric Pierucci.
31:37Ok.
31:39Il y avait
31:41un mandat d'arrêt contre lui.
31:43Nous avions une idée assez précise de ses déplacements.
31:45On savait qu'il allait poser le pied
31:47sur le sol américain et quand il a traversé
31:49la frontière, nous étions en mesure
31:51de l'arrêter. Ah, vous le suiviez ?
31:53Dans une certaine mesure, oui.
31:55On ne le suivait pas jour après jour,
31:57mais on savait quand il allait venir aux Etats-Unis.
32:03La justice américaine accuse
32:05le Français d'être l'un des responsables
32:07du versement de pots de vin
32:09à des officiels indonésiens.
32:11Frédéric Pierucci
32:13est transféré
32:15à la prison de Wyatt,
32:17un centre de haute sécurité
32:19à 300 km au nord de New York.
32:21Et à Wyatt,
32:23ça n'est pas drôle tous les jours.
32:25Il va être détenu
32:27pendant 14 mois et demi
32:29dans une prison de haute sécurité.
32:31Ce n'est pas le régime Strauss-Kahn.
32:33C'est-à-dire qu'un citoyen français,
32:35dirigeant d'entreprise,
32:37est détenu pendant 14 mois et demi
32:39dans une cellule
32:41avec 50 criminels de droit commun,
32:43des violeurs, des assassins, des psychopathes.
32:49Que ce soit des hauts dirigeants
32:51ou les membres d'un gang,
32:53il n'y a pas de traitement de faveur.
32:55On ne fait pas de différence
32:57entre les escrocs en col blanc
32:59et les criminels impliqués
33:01dans des fusillades
33:03ou dans le crime organisé.
33:05En France, au siège d'Alstom,
33:07l'emprisonnement de ce haut dirigeant
33:09est vécu comme un traumatisme.
33:11Qui sera la prochaine cible du FBI ?
33:13Frédéric Pierucci
33:15est un proche de Patrick Cron,
33:17le PDG du groupe.
33:21Il y a une véritable panique qui s'installe
33:23quand vous vous rendez compte
33:25que vous n'êtes pas au-dessus de les lois
33:27et que c'est vous qui pouvez terminer
33:29entre 4 murs en communisme orange.
33:31Le comportement psychologique
33:33et la prise de conscience
33:35sont des éléments extraordinaires
33:37auxquels nous avons pu assister.
33:39Alstom décide finalement
33:41de collaborer avec la justice américaine.
33:43A l'automne 2013,
33:45l'entreprise reconnaît
33:47l'effet de corruption.
33:49Elle sait qu'elle va devoir
33:51payer une amende colossale.
33:53Cette fois, on commence à dire
33:55que ce n'est plus
33:57une petite amende.
33:59On commence à évoquer
34:01des chiffres considérables,
34:03mais on ne peut pas dire
34:05que c'est une amende de 2 dollars.
34:07Est-ce que Alstom a les moyens
34:09de payer cette amende ?
34:11Difficilement, non.
34:13Ça lui pose un problème.
34:15Pourquoi c'est compliqué
34:17pour Alstom de payer cette amende ?
34:19Parce qu'ils n'ont pas d'argent.
34:21Les carnets de commandes d'Alstom
34:23sont pleins,
34:25mais l'entreprise a des problèmes
34:27de trésorerie.
34:29Elle doit rembourser
34:31l'argent d'Alstom.
34:33C'est pour ça qu'une entreprise
34:35propose de racheter
34:37sa branche énergie,
34:39comme dans l'affaire Alcatel,
34:41une société américaine,
34:43General Electric.
34:45En anglais,
34:47ça se prononce G.I.
34:49Derrière ces initiales,
34:51il y a un groupe superpuissant.
34:53305 000 salariés,
34:55146 milliards de dollars
34:57de chiffre d'affaires,
34:59elle produit des moteurs d'avion,
35:01de l'équipement médical.
35:03C'est aussi un géant de l'énergie.
35:13General Electric se présente
35:15comme une entreprise irréprochable.
35:19Sur Internet,
35:21la firme n'hésite pas à dénoncer
35:23ses concurrents impliqués
35:25dans des affaires de corruption.
35:29Les députés de l'entreprise
35:31ont tous fait la même erreur,
35:33mais en fin de compte,
35:35ceux qui brisent la loi
35:37finissent en même endroit.
35:45À la tête de cet empire,
35:47Jeffrey Melt,
35:49l'un des hommes les plus puissants
35:51des Etats-Unis,
35:53le conseiller pour l'emploi
35:55de Barack Obama.
35:57En France, son bras droit,
35:59c'est une femme influente,
36:01Clara Guémard,
36:03l'épouse de l'ancien ministre
36:05Hervé Guémard.
36:09Jean-Philippe Tanguy a été
36:11le conseiller de Clara Guémard
36:13pendant 3 ans.
36:15Il connaît bien la stratégie
36:17de General Electric.
36:19Est-ce qu'Alstom est une cible
36:21pour General Electric ?
36:23Oui, parce qu'Alstom est
36:25l'élément industriel parfait
36:27pour General Electric.
36:29Il est un conglomère
36:31extrêmement important
36:33qui couvre l'essentiel
36:35des métiers énergétiques mondiaux,
36:37mais ils ont des trous
36:39et des manquements
36:41notamment sur des technologies
36:43très importantes.
36:45Dans le spectre de la concurrence
36:47mondiale, il y a 2 technologies.
36:49Il y a Siemens et Alstom.
36:51Siemens est rarement une proie,
36:53mais on fera tout pour l'avoir.
36:57Les déboires judiciaires d'Alstom,
36:59c'est l'occasion rêvée
37:01pour General Electric.
37:03Les 2 PDG,
37:05le français Patrick Kron
37:07et l'américain Jeffrey Immelt
37:09se rencontrent à plusieurs reprises
37:11dans le plus grand secret.
37:13Le 9 février 2014,
37:15ils dînent ensemble à l'hôtel Bristol à Paris.
37:17Le 24 mars, Patrick Kron
37:19se rend à New York.
37:21Les 2 dirigeants se voient à Chicago.
37:23Le deal est conclu en 2 mois.
37:25Un temps record.
37:31Là, c'est la signature définitive.
37:33Au préalable, Jeffrey Immelt
37:35a présenté le deal à son conseil d'administration
37:37et est donc engagé sur le prix.
37:39Le principe, c'est quoi ?
37:41Le principe, c'est
37:43Alstom vend l'intégralité
37:45de son activité énergie
37:47à General Electric
37:49pour 12,35 milliards d'euros.
37:51On a appris ce matin
37:53que ce fleuron de l'industrie française
37:55pourrait être racheté par son grand rival
37:57américain, General Electric.
37:59Et dans son offre d'achat,
38:01General Electric a un argument de poids.
38:03Une clause précise
38:05que le groupe américain
38:07s'engage à supporter
38:09tous les passifs et risques associés.
38:11En clair,
38:13la firme américaine
38:15s'engage à payer les centaines de millions
38:17d'euros d'amende à la place d'Alstom.
38:23Le deal, c'est...
38:25Vous vous rendez compte, ils nous libèrent de l'amende.
38:27Cette amende, si vous voulez,
38:29en fait, elle joue un rôle.
38:31C'est comme le fil conducteur.
38:33C'est le fil conducteur de toute cette opération.
38:35Le 22 décembre 2014,
38:37les autorités américaines
38:39annoncent le montant
38:41de l'amende qu'Alstom va payer.
38:43772 millions de dollars.
38:45La plus forte amende
38:47jamais infligée à une entreprise.
38:49Cette journée représente
38:51une étape très importante
38:53dans la lutte contre la corruption.
38:55Au final,
38:57le groupe français a tenté de résister
38:59à la justice américaine,
39:01mais il a tout perdu.
39:05Il y a toujours des conséquences
39:07pour les individus et les entreprises
39:09qui choisissent de ne pas coopérer.
39:11On ne vous oblige pas
39:13à coopérer, mais il faut savoir
39:15qu'il y a un intérêt à le faire.
39:17Vous prenez un risque
39:19quand vous choisissez de ne pas collaborer.
39:21Le risque
39:23de ne pas pouvoir conclure
39:25un arrangement favorable avec nous.
39:27Et Alstom a pris ce risque ?
39:29Oui. Ils ont fait un pari
39:31et ils l'ont payé très très cher.
39:33Ils n'ont pas bénéficié
39:35de la clémence qu'ils auraient eue
39:37s'ils avaient livré des informations
39:39spontanément,
39:41s'ils avaient coopéré,
39:43s'ils avaient assaini leurs pratiques
39:45ou vérifié que leurs politiques d'intégrité
39:47étaient conformes.
39:49Ils ont fait un choix.
39:51À la fin de la conférence de presse,
39:53la ministre adjointe de la Justice
39:55se félicite du rachat d'Alstom
39:57par General Electric.
39:59On se reposera sur le programme
40:01d'intégrité de General Electric
40:03pour fliquer le comportement
40:05de l'entreprise Alstom.
40:07Vous avez bien entendu,
40:09la justice américaine s'en remette
40:11à General Electric pour fliquer Alstom.
40:13Alors,
40:15la firme américaine
40:17et le département de la justice
40:19sont-ils de mèche ?
40:23C'est ce que pense
40:25une journaliste du Wall Street Journal.
40:27À New York,
40:29elle nous donne rendez-vous devant
40:31l'un des plus hauts gratte-ciels de la ville,
40:33le Rockefeller Center.
40:35Il y a quelques mois,
40:37c'était le siège social
40:39de General Electric.
40:43Bonjour Emmanuel,
40:45enchantée de vous rencontrer.
40:47La journaliste est persuadée
40:49que General Electric
40:51était au courant
40:53de toute la procédure judiciaire.
40:55Elle s'est particulièrement intéressée
40:57à ce jour crucial
40:59où Alstom et la justice américaine
41:01parviennent à un accord.
41:03Au cours de cette audition au tribunal,
41:05des points clés ont été discutés
41:07avec le juge.
41:09Ces points clés
41:11révélaient qu'Alstom manquait d'argent.
41:15Ce jour-là au tribunal,
41:17aux côtés d'Alstom,
41:19il y avait un représentant de General Electric.
41:23Dans le compte-rendu de l'audience,
41:25l'avocat d'Alstom
41:27affirme que General Electric
41:29était parfaitement renseigné
41:31à la procédure judiciaire du groupe français
41:33alors que la vente d'Alstom
41:35n'était pas encore conclue.
41:37General Electric a passé en revue
41:39tous les documents
41:41à toutes les étapes
41:43de la préparation et de la négociation.
41:45General Electric est familier
41:47avec le contenu de cet accord.
41:49Ils ont confirmé
41:51qu'ils ont participé
41:53à toutes les étapes
41:55de la préparation.
41:57En affirmant cela,
41:59le journaliste a publié
42:01une information dans le Wall Street Journal.
42:11Durant notre enquête,
42:13nous découvrons que la firme américaine
42:15n'en est pas à son coup d'essai.
42:17Avant Alstom,
42:19General Electric a racheté 5 entreprises
42:21poursuivies pour corruption.
42:29Si on constate que c'est la quatrième
42:31ou la cinquième opération,
42:33on peut se poser la question
42:35d'une stratégie délibérée de General Electric.
42:37En tout cas, ça fait quand même
42:39beaucoup de faisceaux convergents
42:41pour considérer que c'est uniquement
42:43le fait du hasard ou de l'opportunité.
42:45Mais comment General Electric
42:47a-t-il réussi à faire main basse
42:49aussi facilement sur un fleuron
42:51de l'industrie française ?
42:53C'est la question que se posent
42:55certains députés.
42:57Les parlementaires mènent une série d'auditions
42:59pour faire la lumière sur cette affaire.
43:07Ils convoquent le PDG d'Alstom,
43:09Patrick Cron, pour l'interroger
43:11sur cette vente précipitée et secrète.
43:13Face à lui,
43:15un député est en première ligne.
43:23Ça m'a frappé.
43:25C'est très nerveux.
43:27Plusieurs de mes collègues l'avaient remarqué.
43:29Très déstabilisé.
43:31Au début de l'audition,
43:33il était très mal à l'aise.
43:35Pourquoi cette vente précipitée
43:37et secrète sans enchaire
43:39avec l'américain General Electric ?
43:41Et pourquoi ne pas avoir recherché
43:43une solution française ?
43:45D'abord,
43:47cette opération n'a été ni précipitée
43:49ni sans mise en concurrence.
43:51C'est exactement l'inverse.
43:53Quand on dit
43:55à la Jérôme Cahuzac
43:57qu'il n'y a jamais eu
43:59de mise en concurrence,
44:01c'est complètement faux.
44:03Quand il dit que ça n'a pas été précipité,
44:05il ne dit pas la vérité.
44:07Le choix de GE
44:09était définitif
44:11dès le départ.
44:13Quel a été le rôle
44:15des pressions
44:17de la justice américaine
44:19dans ce dossier ?
44:21Les théories complotistes
44:23ou conspirationnistes
44:25et l'influence
44:27du Department of Justice américain.
44:29Je voudrais que ce soit
44:31parfaitement clair.
44:33Les autorités américaines
44:35n'ont été informées
44:37de l'existence
44:39de ce projet
44:41au même moment que vous.
44:43Renoncez à ce fantasme
44:45de la mainmise
44:47des autorités judiciaires américaines.
44:49Il n'y a eu ni complot,
44:51ni collusion, ni quoi que ce soit.
44:53Il n'y a eu ni complot,
44:55ni collusion, ni quoi que ce soit.
44:57Quel culot !
44:59Est-ce que Patrick Kron
45:01a cédé aux pressions de la justice américaine ?
45:03Patrick Kron, oui,
45:05a sans doute paniqué
45:07et pour mettre fin à ses procédures,
45:09il a trouvé la solution
45:11qui était la vente
45:13d'Astom à General Electric.
45:15Le comble
45:17dans cette histoire,
45:19c'est que General Electric n'a pas payé l'amende
45:21comme promis.
45:23C'est Alstom qui a réglé l'ardoise
45:25de 630 millions d'euros.
45:27En France,
45:29l'affaire Alstom tourne au scandale d'Etat.
45:31Pourquoi le gouvernement
45:33n'a-t-il pas empêché la vente
45:35de ce floron industriel ?
45:37Retour en arrière.
45:39En avril 2014,
45:41quand on apprend que General Electric
45:43veut racheter Alstom,
45:45Arnaud Montebourg, le ministre de l'économie,
45:47est mis devant le fait accompli.
45:49Pourtant, Alstom n'est pas
45:51une entreprise comme les autres.
45:53Elle vit de la commande publique.
45:55C'est l'Etat qui l'a sauvée de la faille,
45:57dix ans plus tôt.
45:59Pour Arnaud Montebourg,
46:01Patrick Kron, le PDG d'Alstom,
46:03l'a trahi.
46:05Et depuis le mois de février,
46:07j'interroge M. Patrick Kron,
46:09président de cette entreprise
46:11qui est notre floron national.
46:13Et M. Patrick Kron,
46:15alors que je l'ai interrogé dûment,
46:17solennellement et sérieusement,
46:19m'a toujours dit qu'il n'avait aucun
46:21projet d'alliance.
46:23Est-ce que le ministre de l'économie
46:25doit aller installer un détecteur
46:27de mensonges dans son bureau
46:29pour les présidents du CAC 40
46:31qui n'ont pas le civisme élémentaire
46:33d'avertir leur gouvernement ?
46:35Le défenseur du
46:37Made in France est furieux.
46:39Il veut empêcher la vente d'Alstom
46:41à la générale électrique.
46:43Il tente de trouver une solution européenne,
46:45un rapprochement
46:47avec l'allemand Siemens.
46:49Et surtout, il dégaine
46:51une arme inédite,
46:53un décret pour bloquer la vente.
47:03Il négocie le décret d'Alstom
47:05dans la confidentialité totale.
47:07C'est top secret.
47:09C'est une arme de dissuasion,
47:11parce que l'Etat, à ce moment-là,
47:13a la possibilité d'empêcher
47:15l'acquisition d'Alstom par G.
47:19Seulement, Arnaud Montebourg
47:21n'est pas seul dans ce dossier.
47:23Face à lui,
47:25il y a le secrétaire général adjoint
47:27de l'Elysée.
47:31Le secrétaire général adjoint
47:33de l'époque, Emmanuel Macron,
47:35ne veut pas utiliser ce décret
47:37Emmanuel Macron, ce décret favorable
47:39à un rachat sans condition
47:41d'Alstom par G.
47:45Finalement, c'est l'option Macron
47:47qui l'emporte.
47:49Le 5 novembre 2014,
47:51une fois devenu ministre de l'économie,
47:53à la place d'Arnaud Montebourg,
47:55Emmanuel Macron autorise la vente
47:57de la branche énergie d'Alstom
47:59qu'il présente comme une alliance industrielle.
48:01Emmanuel Macron
48:03ment quand il dit que c'est une alliance.
48:05Ce n'est pas une alliance,
48:07c'est une absorption, une disparition
48:09d'Alstom Energy au profit
48:11de General Electric.
48:13Je n'ai pas peur de le dire.
48:15Lors des auditions de mars 2015,
48:17le ministre de l'économie,
48:19Emmanuel Macron, est lui aussi
48:21entendu par les députés.
48:25Il va justifier la décision
48:27de vendre Alstom aux Américains.
48:29Quand on l'a interrogé
48:31dans le cas des auditions à l'Assemblée nationale,
48:33à aucun moment, il n'a marqué le moindre remord
48:35quant à la solution
48:37de fond qui était choisie.
48:39Premier point, le contexte
48:41de l'opération Alstom General Electric
48:43et de l'action du gouvernement.
48:45Je le résumerai de manière simple.
48:47D'abord pour dire que le gouvernement
48:49a été mis devant le fait accompli
48:51sur ce sujet, mais qu'in fine,
48:53l'analyse qui a été faite a été
48:55que le statu quo n'était pas une solution viable.
48:57Il n'a jamais, à aucun moment,
48:59remis en cause le fait qu'Alstom
49:01devait être vendu à General Electric.
49:03Il a même trouvé ça absolument formidable.
49:05Et donc oui,
49:07c'est sans état d'âme qu'il a signé
49:09l'arrêt de mort d'Alstom.
49:15C'est une défaite cinglante,
49:17et pour Alstom, et pour la France.
49:19C'est une défaite catastrophique.
49:21Nous avons été rouler dans la farine.
49:23General Electric et les Américains
49:25ont roulé quand ils voulaient,
49:27et probablement en mettant moins d'argent
49:29et en rencontrant moins de difficultés
49:31que ce qu'ils avaient prévu.
49:33L'erreur de l'Etat français,
49:35c'est de ne pas avoir compris
49:37que la guerre économique est une réalité,
49:39et que les Américains
49:41font la guerre économique.
49:43Pour moi, c'est un scandale d'Etat
49:45au niveau de la France,
49:47mais je salue les Américains
49:49parce que je trouve
49:51ce qu'ils ont fait extraordinaire.
49:53Notre grand gagnant, c'est Patrick Cron.
49:55Le PDG d'Alstom quitte l'entreprise
49:57avec un bonus de 4 millions d'euros,
49:59en plus de sa retraite chapeau
50:01de 10 millions.
50:03Les perdants, les salariés.
50:05En janvier 2016,
50:07General Electric a annoncé
50:09la suppression de près de 800 postes
50:11en France.
50:13La compagnie américaine s'était pourtant
50:15engagée au moment du rachat d'Alstom
50:17à en créer 1 000.
50:19La seule question que je me pose
50:21aujourd'hui, c'est quelle est la prochaine
50:23entreprise française qui va être accusée
50:25de corruption et qui sera rachetée par les Américains.
50:27Je prends les paris que dans les 2 ans
50:29à venir, il y en a une qui va se faire attaquer
50:31exactement de la même méthode,
50:33et qu'elle partira sans encombre
50:35de la même méthode chez les Américains.
50:37Une fois de plus, on dira
50:39que ce n'est pas de chance.
50:43En ce moment, il y a des sociétés
50:45françaises qui sont sous le coup d'une enquête ?
50:49Je ne veux ni confirmer ni vous dire
50:51que c'est faux. Nous, on va là où nous
50:53mènent les preuves de corruption.
50:55Nous ne ciblons pas des pays en particulier,
50:57nous allons là où il y a des versements
50:59de pots de vin.
51:03Selon nos informations,
51:05la prochaine cible est un poids
51:07lourd de l'industrie européenne,
51:09Airbus, qui comme par hasard
51:11a un seul concurrent sérieux,
51:13l'américain Boeing.
51:49Abonnez-vous !

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