Affaire n° 2024-1107 QPC

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Code général des collectivités territoriales
Article L. 4135-28

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00:00Passons tout de suite à la seconde question prioritaire de constitutionnalité, sous le numéro 2024-1107.
00:10Elle porte sur l'article L4135-28 du Code général des collectivités territoriales. Madame la greffière.
00:20Merci, M. le Président. Le Conseil constitutionnel a été saisi le 17 juillet 2024 par une décision du Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. François Damerval,
00:31portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit, de l'article L4135-28 du Code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction,
00:41résultant de la loi n°2000-647 du 10 juillet 2000, tendant à préciser la définition des délits non intentionnels. Cette question relative à la protection fonctionnelle du Président du Conseil régional
00:53ou du Conseiller régional, le suppléant ou ayant reçu une délégation en cas de poursuite pénale, a été enregistrée au requêtariat général du Conseil constitutionnel sous le numéro 2024-1107-QPC.
01:06La SCP Foussard-Froger a produit des observations dans l'intérêt de la partie requérante les 7 août et 14 août 2024. Le cabinet Buc-Laman-Robillot a produit des observations dans l'intérêt de la région Île-de-France partie à l'instance le 6 août 2024.
01:20Le Premier ministre a produit des observations le 2 août 2024. Seront entendues aujourd'hui l'avocat de la partie requérante, l'avocat de la partie à l'instance et le représentant du Premier ministre.
01:30Merci Madame. Maître Froger, vous êtes avocat au Conseil. Vous représentez M. Damerval, partie requérante. Nous vous écoutons.
01:40Merci M. le Président, Mesdames, Messieurs les membres du Conseil constitutionnel. La vie publique est émaillée régulièrement, se fait l'écho des poursuites pénales, des agressions, des injures, des outrages dont les élus locaux peuvent faire l'objet.
01:58La Commission des lois avait mené une vaste enquête en 2020 qui recensait un accroissement exponentiel de ces risques pour les élus locaux et on était en 2020 à un peu plus de 1720 agressions par an.
02:16L'État a à cœur de protéger les élus locaux. Il le fait à travers divers dispositifs. On le voit, le législateur d'abord et récemment encore, une loi en 2023 a facilité la constitution de parties civiles, des associations qui peuvent représenter les intérêts des élus locaux.
02:33On le voit à travers des circulaires qui ont été régulièrement émises, notamment 2019-2020 par le garde des Sceaux, sur les mesures à prendre pour faire face à toutes ces difficultés.
02:43Le cœur de cette protection, c'est évidemment la protection fonctionnelle. Cette protection fonctionnelle pour les élus locaux et pour, je parle spécialement des régions, puisque M. Damerval est élu de la région Île-de-France, elle s'est faite en deux temps.
02:57On a d'abord la loi du 10 juillet 2000 qui vient instituer l'article L4135-28 qui est l'objet de notre QPC et qui prévoit une protection fonctionnelle pour les membres de l'exécutif local, régional ici, en cas de poursuite pénale.
03:14Et puis deuxième temps, la loi du 27 février 2002 qui élargit cette protection fonctionnelle et vient prévoir cette fois cette protection pour les outrages, les violences, les menaces, les injures, mais toujours seulement pour les membres de l'exécutif.
03:30La question qui vous est donc posée aujourd'hui, c'est de savoir si, au regard des droits et libertés garantis par la Constitution et particulièrement au regard du principe d'égalité, il est suffisant d'avoir prévu cette protection fonctionnelle pour les exécutifs locaux, vous l'avez compris à travers le texte sur les poursuites pénales, parce que l'autre n'était pas applicable au litige, mais je crois qu'on peut considérer que la solution que vous apporterez vaudra certainement pour les deux.
04:00De ce point de vue, ce choix du législateur fait de limiter cette protection fonctionnelle aux seuls exécutifs locaux me paraît poser deux difficultés. En tout cas, j'ai deux éléments dans l'argumentation de l'État qui viendraient justifier ce traitement différencié.
04:17Première difficulté, c'est que nous invoquons donc, vous l'avez bien compris, une méconnaissance du principe d'égalité entre les élus locaux, entre ceux qui sont chargés des fonctions exécutives et ceux qui ne le sont pas.
04:28L'État nous objecte. Objection classique en matière de principe d'égalité, oui, mais il se trouve dans une situation différente. Pourquoi ? Parce que l'intention du législateur, en limitant la protection fonctionnelle aux seuls exécutifs locaux,
04:42c'était tenir compte du fait que seuls l'exécutif ou les membres délégués par lui qui ont des fonctions de délégation de compétences de signature vont représenter la collectivité.
04:56Et donc ils sont les plus exposés aux poursuites pénales dont acte. Je ne conteste pas ici que l'exécutif local est certainement plus exposé à des poursuites pénales qu'un autre élu.
05:08Mais la question n'est pas celle-là. La question, c'est lorsqu'il y a des poursuites pénales, et des poursuites pénales peuvent être engagées même si je ne suis pas exécutif local,
05:18est-ce qu'il est justifié que là où l'exécutif a une protection fonctionnelle, l'autre élu n'en ait pas ? Je crois que ça n'est pas justifié pour deux raisons.
05:28La première, c'est la question qui a été posée tout à l'heure en écho avec la QPC. Vous évoquiez le fonctionnement des commissions permanentes. Mais quid des commissions d'appel d'offres ?
05:38Vous avez des élus locaux qui siègent au sein des commissions d'appel d'offres. On sait que siéger au sein d'une commission d'appel d'offres peut donner lieu à des poursuites pénales.
05:46Pourquoi un élu qui siège au sein d'une commission d'appel d'offres ne bénéficie pas de la même protection fonctionnelle que l'exécutif pour les mêmes faits ?
05:54Au-delà de ça, et plus généralement, on voit bien qu'en réalité, il n'y a pas de lien entre cette différence de situation – l'exécutif représente sa collectivité territoriale – et le traitement différencié qui a été institué.
06:08Si j'ai des poursuites pénales qui sont engagées, je dois protéger de la même manière les élus. Et un mot sur le cas d'espèce tout de même. Je sais que vous êtes saisi d'une QPC in abstracto,
06:18mais le cas d'espèce illustre parfaitement cette difficulté. Il ne faut pas oublier à propos de quoi est née ce litige. Ce litige, c'est un exécutif régional qui engage une action en diffamation contre un élu de l'opposition.
06:34Cet exécutif se voit octroyer la protection fonctionnelle quand il engage la procédure. L'élu n'a pas la protection fonctionnelle. L'élu obtient sa relaxe en première instance, en appel, et la cour de cassation vient confirmer.
06:50Résultat, vous voyez bien le traitement inégalitaire. Vous voyez bien ce à quoi la loi aboutit, une inégalité de traitement qui est sans lien aucun avec l'objectif poursuivi par le législateur.
07:00Ça, c'est ma première observation. Je crois que la rupture d'égalité est caractérisée. Ma seconde et donc dernière observation, elle porte sur la justification que l'État apporte au-delà de cette différence de situation qui est invoquée.
07:16À tort, j'espère vous en avoir convaincu. Cette idée d'un risque économique pour les collectivités territoriales si jamais vous considérez que le législateur doit étendre cette protection fonctionnelle, je crois que cet argument est à la fois infondé et en réalité assez inacceptable.
07:38Il est infondé d'abord parce que la réalité du risque économique qui est allégué ne me semble pas du tout avérée. Alors je pourrais prendre les choses de manière un peu étroite et vous dire la seule question qui vous est posée ici, c'est la protection fonctionnelle des élus de la région en cas de poursuite pénale.
07:55On est très limité et le gouvernement argumente plutôt sur le risque pour les communes. Mais je ne vais pas le prendre comme ça parce que comme je l'ai dit tout à l'heure, ce que vous allez juger pour mon cas va certainement devoir s'appliquer à tous les élus locaux.
08:08Et en tout cas, c'est ce que je vous invite à faire. Au-delà de ça, je veux quand même juste rappeler que sur la réalité de ce risque économique, premièrement, les communes désormais ont l'obligation de souscrire une assurance.
08:19Donc il y a une assurance qui est là pour ça. À partir du moment où le législateur prévoit l'obligation de souscrire une assurance, c'est bien qu'il considère qu'on peut prendre en charge ce risque économique.
08:27Il le considère d'autant plus que vous savez qu'une compensation est prévue par l'État au bénéfice des communes de moins de 3 500 habitants. Donc on a pris en compte ces difficultés éventuellement financières.
08:38Et pour conclure sur ce point, j'ajoute que rien n'interdit à la collectivité territoriale qui a octroyé la protection fonctionnelle si l'élu, effectivement, est une finée relaxée,
08:51si son action prospère, d'aller récupérer les fonds qu'elle a avancés auprès de celui qui est à l'origine de cette action. Donc la protection fonctionnelle, en pratique, concrètement,
09:01c'est avant tout une avance. Ce ne sont pas des fonds perdus. Mais au-delà de ça, et c'est mon dernier point, c'est que je crois qu'en réalité, ça rejoint le débat sur l'existence
09:13d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République ou non. Je ne vais pas revenir là-dessus. Mais c'est très intéressant quand vous prenez par exemple
09:20les conclusions du président Collin sur une décision du Conseil d'État du 8 février 2011, qui vous explique parfaitement que l'État a toujours eu cette volonté de protéger
09:34ses élus, ses agents publics bien sûr, mais ses élus plus largement, et ce de manière continue depuis la Révolution française. Et donc je crois qu'on ne peut pas entendre
09:43qu'il ne faudrait pas étendre la protection fonctionnelle à tous les élus locaux, et pas simplement ceux de l'exécutif, parce qu'il y aurait un coût financier. Je crois que c'est au contraire
09:52fondamentalement l'obligation de l'État que de veiller pour le bon fonctionnement de la démocratie locale à ce que ses élus locaux puissent être protégés en cas de poursuite. Je vous remercie.
10:03Merci Maître. Maintenant nous allons écouter Maître Robillot, qui est avocat au Conseil, qui représente la région Ile-de-France. Partez à l'instance. Maître.
10:19Merci M. le Président. Mesdames, Messieurs les Conseillers. La QPC, qui est appelée devant vous ce matin, appellera deux séries d'observations de ma part.
10:29La première, qui est importante, c'est de revenir sur la nature de la protection qui est accordée par le texte du CGCT qui vous est déféré, ce qui permettra ensuite d'écarter assez rapidement
10:41les griefs qui lui sont opposés par M. Damerville. La nature de cette protection, qui est vraiment l'élément fondamental, j'ai la conviction très forte, très établie,
10:54que la protection offerte par l'article L413528 du CGCT est et doit rester une protection fonctionnelle, à raison des missions assimilables à celles d'un agent public
11:08qui sont exercées par les exécutifs locaux, ou les gens, les suppléants ou les délégués. Mais surtout pas, ça n'est pas et ça ne doit pas être une protection politique
11:19à raison d'un statut d'élu local. Et c'est pourtant dans cette voie que M. Damerval essaie de vous engager. Pourquoi une protection fonctionnelle à raison des missions d'agent public ?
11:32La genèse de la loi du 10 juillet 2000 nous y emmène. A la base, on a des lois, effectivement, de la première moitié du XXe siècle et un principe général du droit dégagé
11:42par le Conseil d'État qui considère que tout fonctionnaire ou agent non titulaire qui fait l'objet de poursuites pénales, ou peut-être plus largement que des poursuites pénales,
11:52l'objet d'une procédure pénale, doit obtenir la protection de son administration, sauf faute personnelle détachable. Très bien. On part de là.
12:04Arrive après la loi du 13 juillet 1983, portant droit et obligation des fonctionnaires, où, dans l'article 11, le législateur emboîte le pas à cette jurisprudence
12:17et reconnaît donc la même protection que celle qui a été reconnue par la jurisprudence. Et le Conseil d'État, dans ses décisions depuis la loi 83,
12:26dit à chaque fois qu'il y a un principe général de protection fonctionnelle et que ce principe est réaffirmé par l'article 11 de la loi de 83.
12:38Qu'est-ce qui s'en est suivi ? D'autres lois, plus éparses, qui reconnaissent encore le bénéfice de la protection fonctionnelle à des personnes qui sont assimilables
12:48à des agents publics. On a les magistrats, on a les militaires. Puis le Conseil d'État a encore aussi poursuivi son œuvre sur le principe général du roi
13:01en l'élargissant aux maires, déjà, et également à des présidents d'établissements publics comme les présidents de chambres de commerce et d'industrie.
13:12Et là encore, le critère pour reconnaître à toutes ces personnes la protection fonctionnelle, c'est l'exercice de fonctions assimilables à celles d'un agent public.
13:22Et pour un maire, c'est-à-dire la fonction de représentation de la commune, d'agir au nom de la commune ou pour le compte de la commune.
13:30Et c'est dans ce contexte qu'arrive la loi du 10 juillet 2001. Pas du tout avec un objectif différent. On n'a pas beaucoup de travaux parlementaires
13:40sur la loi et le texte qui vous est aujourd'hui déféré, mais on a quand même le rapport au Sénat de Pierre Fauchon qui nous dit
13:48« L'Assemblée nationale a prévu, en ce qui concerne les maires ou les élus municipaux, les suppléants ou ayant reçu une délégation,
13:55que l'État devrait leur accorder la protection prévue pour les fonctionnaires par l'article 11 de la loi du 13 juillet 83 lorsqu'ils agissent en tant qu'agents de l'État.
14:03De fait, il est logique que les élus municipaux reçoivent une protection de la commune lorsqu'ils agissent en tant que représentants de celle-ci
14:11et une protection de l'État lorsqu'ils agissent en tant qu'agents de celui-ci. »
14:15On a exactement le même fondement que le principe général du droit dégagé par le Conseil d'État.
14:21On a une référence directe à l'article 11 de la loi 83, reprise depuis dans le Code général de la fonction publique, et on a encore une référence directe à la qualité d'agent public.
14:33C'est le même principe, la même règle, et la loi ne se départit pas de ces règles générales.
14:41Et depuis, on retrouve encore dans la jurisprudence du Conseil d'État, depuis un arrêt de section faré de 2011 jusqu'à aujourd'hui,
14:49de manière systématique, quand le Conseil d'État rappelle le principe général du droit de la protection fonctionnelle,
14:55il dit systématiquement que ce principe a été réaffirmé par l'article 11 de la loi 83.
15:01Mais également, il procède à une énonciation d'articles du Code général des collectivités territoriales, dont l'article 4135-28, dont vous êtes aujourd'hui saisis.
15:13La protection est donc bien centrée sur la qualité d'agent public. C'est le critère de la loi. Bien sûr, en dehors de fautes détachables.
15:31Alors évidemment, les hypothèses, tout le monde les connaît, elles sont variées, pour lesquelles effectivement les exécutifs locaux sont exposés à un risque pénal.
15:40Les marchés publics. Il suffit qu'un exécutif local, la jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation considère que,
15:47en position de maire ou de président d'un conseil général ou régional, on est censé connaître les règles de passation des contrats de la commande publique,
15:55et il suffit qu'on soit convaincu qu'un contrat a été passé en violation d'une règle de mise en concurrence pour que l'exécutif puisse être condamné pour délit de favoritisme.
16:06On peut encore avoir des exemples plus propres au maire en matière d'urbanisme, sur des permis de construire qui vont être délivrés,
16:13où on pourra soupçonner que le maire ait eu quelques largesses vis-à-vis du pétitionnaire. Et le risque se retrouve encore pour les exécutifs locaux,
16:23puisqu'ils sont aussi chefs de service, qu'ils ont des agents, pour le coup là des agents publics, des fonctionnaires sur leurs ordres,
16:29et un agent qui va se plaindre d'être sujet de harcèlement moral et de ne pas avoir été suffisamment défendu par son exécutif,
16:37l'exécutif peut encore se retrouver pénalement sanctionné. C'est dire donc la pertinence du texte et la pertinence de ce critère.
16:50Il reste, et un petit peu pour rebondir peut-être aux objections de monsieur le conseiller Mézard de tout à l'heure, il reste que le texte manque peut-être de quelques précisions.
17:02Dans le bénéfice de la protection, on a effectivement une énonciation du président de région, de son suppléant, ou d'une personne ayant reçu délégation.
17:13Peut-être que cette seule énonciation est insuffisante à couvrir tout le champ des élus locaux que l'on peut considérer comme exerçant des missions comparables ou assimilables à celles d'un agent public.
17:28Mon confrère Froger tout à l'heure évoquait le cas des commissions d'appel d'offres, effectivement les membres des CAO locales sont élus par l'Assemblée délibérante,
17:37et au sein des commissions ils exercent des fonctions au nom ou pour le compte de la collectivité.
17:45Alors peut-être que pour respecter l'esprit de la loi du 10 juillet 2000, qui est bien fondée sur les critères ancestraux de la protection fonctionnelle,
17:55une réserve d'interprétation pourrait être opportune pour préciser que le texte doit se lire comme accordant une protection à l'exécutif local et à tout élu régulièrement habilité,
18:08lorsqu'il exerce des fonctions de représentation assimilables à celles d'un agent public.
18:16Ce qui permettrait de restaurer sans doute l'esprit de la loi en conformité avec ce qu'est la protection fonctionnelle.
18:27Et cette réserve vous pourriez d'autant plus facilement l'émettre que finalement ce n'est pas un terrain sur lequel la QPC de M. Damerval va ce que veut M. Damerval,
18:37c'est l'extension d'une protection à tout élu local. Mais du coup on est sur une protection qui est de nature politique.
18:47Pourquoi ? Parce qu'un élu local, je dirais un simple élu qui n'a pas de fonction exécutive, que fait-il ?
18:54Il a un droit d'information sur les affaires qui intéressent la collectivité, il a le droit de participer au débat et il a le droit de vote.
19:03C'est une fonction purement politique. On nous dit souvent mais oui mais comme un exécutif, un conseiller d'une assemblée locale représente le peuple,
19:15les citoyens et défend leurs intérêts. C'est exact. Mais le critère pour bénéficier de la protection fonctionnelle, c'est la représentation d'une personne morale de droit public
19:25et en l'occurrence une collectivité territoriale. Ça n'est pas un objet politique. Alors lorsque la QPC évoque les questions d'intérêts de démocratie locale,
19:35de liberté d'expression, de pluralisme des courants de pensée, certes, ça ce sont des éléments purement politiques qui sont absents de la loi du 10 juillet 2000.
19:43Alors il serait loisible pour l'égislateur de se saisir, de l'étendre cette protection et d'en faire une protection politique.
19:51On a une loi du 21 mars 2024 qui montre que le législateur s'intéresse à cette question et envisage d'étendre la protection à tous les élus.
19:59Mais pour l'instant, ce n'est pas le cas. Et ça n'est pas l'esprit de la loi du 10 juillet 2001. Il n'y a donc pas d'enjeu.
20:11Le critère, c'est l'exercice de fonction en tant qu'agent public. Un simple élu local ne remplit pas ces conditions, ce qui justifie qu'il ne bénéficie pas de la protection fonctionnelle.
20:25À partir de là, les griefs formulés ne vont pas retenir longtemps sur le principe d'égalité. Il y a de manière évidente une différence de situation entre un élu local et l'exécutif
20:36ou un élu qui exerce une mission comparable à celle d'un agent public. Et la différence de traitement qui en résulte est en rapport direct avec l'objet de la loi.
20:48Sur les questions de liberté d'expression et de pluralisme, encore, il n'y a pas de difficulté, puisque la loi en elle-même ne traite pas directement de ces questions.
20:57La loi ne restreint pas d'aucune manière que ce soit la liberté de parole d'un élu. Pas directement, pas expressément, pas implicitement et même pas non plus indirectement.
21:08Un élu a toujours la possibilité de s'exprimer. Seulement, s'il se livre à des outrages, des injures, des diffamations, il doit en répondre et il doit en répondre à ses frais.
21:21Et il n'y a pas plus d'accès au juge que ce qu'on a pu voir dans le problème d'accès au juge, puisqu'on a toujours la possibilité d'avoir recours à un avocat.
21:30S'il y a un problème de moyens, possibilité d'avoir recours à l'aide juridictionnelle. Et en cas de relax, toujours la possibilité de se retourner contre l'auteur d'une plainte pour une dénonciation calomnieuse.
21:42Donc il n'y a pas de difficultés. J'ajouterai même sur ce point, et ce sera ma conclusion, je crois même que sur ces questions de liberté d'expression et de pluralisme des courants de pensée,
21:55il est même préférable de ne pas accorder de protection fonctionnelle aux élus locaux. Pourquoi ? On voit assez souvent ces derniers temps des séquences à l'Assemblée nationale
22:09qui sont assez peu plaisantes sur des outrages, des débordements de la part de députés. Qu'est-ce qui leur permet de faire ça ? C'est qu'eux aussi, ils ont une protection
22:19qui est inscrite au premier alinéen de l'article 26 de la Constitution. Et ce n'est pas une protection fonctionnelle, c'est une immunité, c'est une irresponsabilité pénale
22:28pour tous les votes et les opinions qu'ils vont exprimer dans l'exercice de leurs fonctions. Et ça donne lieu à ce genre de débats et de démonstrations dont on se repasserait bien.
22:41Alors à l'échelle des élus locaux, si l'absence de reconnaissance de la protection fonctionnelle est un gage d'une certaine retenue des élus lors des débats, ce qui ne fait pas obstacle
22:54à ce que les débats soient animés, mais qui restent courtois, alors je crois que la liberté d'expression et le pluralisme des courants de pensée n'ont absolument rien à y perdre.
23:02C'est pourquoi je vous invite à déclarer l'article du Code général des collectivités qui vous est déféré conforme à la Constitution.
23:16Merci Maître. M. Canguilhem pour le Premier ministre.
23:20Merci M. le Président. Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, le Président du Conseil régional, le Conseil régional de suppléant et celui ayant reçu délégation
23:28se voient accordés sur le fondement du deuxième alinéa de l'article L4135-28 du Code général des collectivités territoriales la protection de la région lorsqu'ils font l'objet de poursuites pénales
23:39à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère de fautes détachables de l'exercice de leurs fonctions.
23:45Alors vous l'avez compris, la seule question que pose cette QPC est relative à une question de la méconnaissance du principe d'égalité.
23:56Mais il est vrai, il est incontestable qu'il résulte une différence de traitement de ces dispositions du L4135-28 entre d'une part les catégories d'élus précitées
24:07et les autres membres de l'Assemblée régionale délibérante. Mais contrairement à ce qui est soutenu, cette différence de traitement ne méconnaît pas les exigences constitutionnelles du principe d'égalité.
24:17Les dispositions contestées offrent donc cette protection en cas de poursuites pénales, donc le répétons, au Président du Conseil régional, son suppléant et aux élus ayant reçu délégation,
24:28élus qui ne sont pas placés dans une situation identique à celle des autres conseillers régionaux et qui n'y sont pas placés essentiellement au regard de la différence de fonction et de rôle
24:40qui attribue à ces différents élus. C'est effectivement cela, la logique, le soubassement de la protection fonctionnelle comme cela vient d'être rappelé.
24:49Ils n'ont pas les mêmes fonctions. En effet, le législateur a attribué au Président du Conseil régional des pouvoirs propres qu'il exerce à titre exclusif.
24:56Il est compétent pour préparer et exécuter les délibérations du Conseil régional. Il est seul chargé de l'administration, ce qui fait quand même du point de vue de la question de la protection fonctionnelle
25:05et de la différence de fonction une différence importante. Il est également l'ordinateur des dépenses de la région. Il gère son domaine. Il peut se voir confier des missions supplémentaires
25:15par délégation du Conseil régional. Cela a été déjà largement rappelé, une compétence pour prendre, selon les dispositions du L42.31-8 du Code général des collectivités territoriales,
25:28de prendre toute décision concernant la préparation, la passation, l'exécution et le règlement des marchés. Et au terme de l'article L42.31-3 du Code général des collectivités territoriales,
25:38le président du Conseil régional peut également déléguer, sous sa surveillance et sa responsabilité, l'exercice d'une partie de ses fonctions à d'autres membres du Conseil auquel il aurait donné délégation.
25:49Cette différence de situation, donc cette différence de fonction attribuée aux uns et non pas aux autres, est en lien direct avec l'objet de la loi qui est justement de protéger
26:01certains élus en raison des fonctions exécutives propres qui leur sont confiées. La protection fonctionnelle repose, veuillez pardonner cette tautologie,
26:11sur une logique fonctionnelle et non statutaire. Ainsi, ce sont les compétences et suggestions particulières qui traduisent un pouvoir de décision propre de certains élus
26:21qui justifient que la protection puisse leur être octroyée et non leur seul statut d'élu. La restriction du champ des élus pouvant donc bénéficier de cette protection fonctionnelle
26:32en matière de poursuite pénale s'explique par le rôle particulier des exécutifs locaux et des élus qui y participent directement du fait de la loi.
26:43Donc dans ces conditions, la différence de traitement induite par les dispositions contestées repose sur une différence de situation en lien avec l'objet de la loi
26:51qui est, je me permets de le rappeler, non pas d'offrir une protection générale mais bien une protection en fonction des fonctions exercées.
26:57Vous pourrez donc écarter ce grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité. Un mot toutefois très rapidement sur les conséquences qu'aurait une censure de ces dispositions
27:09sur le fondement du principe d'égalité, cela a été brèvement évoqué par Maître Frauger. Ces conséquences sont importantes et elles ne se limiteraient pas au seul deuxième alinéa
27:18de l'article L41-35-28 du Code Général des Collectivités Territoriales. Une censure sur le fondement de la méconnaissance du principe d'égalité imposerait alors de revoir
27:28le champ de la protection fonctionnelle en ce qui concerne les élus municipaux, départementaux, les membres des conseils de communautés d'agglomération,
27:34des communautés urbaines, des métropoles et des communautés de communes. Et une censure sur un tel fondement imposerait également d'étendre le bénéfice de la protection fonctionnelle
27:45à l'ensemble des élus victimes de violences, de menaces ou d'outrages à l'occasion de leurs fonctions. Aucune exigence concernant l'égalité m'est connue.
27:55Je vous invite toutefois à déclarer les dispositions de l'article L41-35-28 du Code Général des Collectivités Territoriales conformes à la Constitution.
28:01Merci, M. Canguilhem. Alors, est-ce que un membre du Conseil a une question à poser ? M. le conseiller Seners.
28:09Merci, M. le Président. Ma question est pour M. Frauger. Vous nous avez rappelé, maître, très justement, que nous statuons in abstracto et non pas au regard de circonstances d'une espèce aussi importante soit-elle
28:21qui a permis de soulever la QPC. Vous nous avez néanmoins donné quelques indications sur l'affaire dans laquelle vous défendez un client en nous disant, ce qui est très juste,
28:32que cela peut éclairer également le contexte du litige. J'en arrive à ma question. Comment réagissez-vous à l'objection de maître Robillaud, qui fait état de ce que,
28:42dans cette affaire, le litige n'avait pas du tout trait à l'exercice d'une fonction particulière conférée à l'élu que vous défendez, mais en réalité à un conflit de nature beaucoup plus politique,
28:55puisqu'il s'agissait, nous le savons par la décision de renvoi du Conseil d'État, je cite, de faits de diffamation envers la présidente du Conseil régional à raison de propos tenus dans la presse ?
29:05Autrement dit, est-ce que cette nature politique, et c'était là l'objection de maître Robillaud, vous paraît effectivement entrer, par voie de conséquence du dispositif adopté par le législateur, dans le champ de la protection fonctionnelle ?
29:19Maître Frauger. Merci, M. le Président, M. le Conseiller. Il me semble qu'il y a deux questions. Il y a la première question qui est est-ce que les propos sont tenus dans le cadre du fonctionnement de la démocratie locale,
29:32de l'assemblée délibérante ? Dès lors que c'est le cas, c'est là où il y a cette inégalité flagrante, puisque vous avez l'exécutif qui engage la poursuite, qui pourrait engager la poursuite à la protection fonctionnelle,
29:46et vous avez l'élu d'opposition poursuivi, qui exerçait sa fonction d'élu, en critiquant, en disant, qui finalement est relaxé. Et tout à l'heure, mon confrère Robillaud disait « il faut assumer ces outrages et ces diffamations ».
30:06Oui, il faut les assumer, mais précisément, le cas d'espèce illustre qu'il n'y en a pas eu. Et pour autant, M. Damerval n'a pas pu bénéficier de cette protection fonctionnelle.
30:16Ensuite, la question de savoir si au cas par cas – et c'est le second point – l'élu doit être considéré comme s'étant exprimé dans le cadre de ses fonctions d'élu, sans excéder ce champ dans le cadre du fonctionnement normal
30:30d'une assemblée délibérante de démocratie locale, ou si en réalité il en est sorti, me semble être une autre question qui relèvera au cas par cas de l'appréciation de l'autorité qui est chargée de délivrer la protection fonctionnelle,
30:43sous le contrôle évidemment du juge administratif. Et à cet égard, le texte de l'article L4135-28, je crois, nous dit bien. La protection fonctionnelle dont nous parlons,
30:55c'est à l'occasion d'agissements qui ne sont pas détachables des fonctions. Et donc il me semble que la réponse à votre interrogation se résout dans cette question de détachabilité ou non,
31:07qui est une notion qui peut être complexe à apprécier, bien sûr, mais qui est inhérente à la protection fonctionnelle et qui est appréciée au cas par cas.
31:14Merci. Autres questions ? Il n'y en a point. Très bien. Donc là aussi, nous rendrons notre décision publique le 11 octobre. L'audience est levée. Bonne journée à toutes et à tous.

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