Action Directe _ l'organisation illégale qui a fait trembler la France

  • avant-hier
17 novembre 1986, 20 heures. George Besse, dynamique PDG de la firme Renault est froidement abattu de trois balles dans le corps devant son hôtel particulier du 15ᵉ arrondissement de Paris.
Pour la famille de George Besse, l’horreur va bientôt rendre les traits des visages des criminelles membres du mouvement terroriste Action directe.
Il faudra attendre le 21 février 1987 pour que les hommes du RAID prennent d’assaut la planque des terroristes et mettent hors d’état de nuire Nathalie Ménigon, Joëlle Aubron, ainsi que leurs deux compagnons de combat : Jean-Marc Rouillan et George Cipriani.

Category

Personnes
Transcription
00:00Dans la mémoire collective, Action Directe se résume aujourd'hui à un sigle, une étoile à cinq branches et à quatre noms, Joël Aubron, Nathalie Ménigon, Jean-Marc Rouillant et Georges Cipriani.
00:13Vingt ans après leur arrestation, les membres d'ADE sont toujours incarcérés, à l'exception de Joël Aubron, libéré pour cause médicale.
00:23L'administration, dans son humanité, l'a autorisée à s'éteindre à l'air libre. Elle est décédée en mars dernier.
00:30Je vous propose de revenir sur cette époque mouvementée de notre histoire.
00:3420h55, ce samedi 21 février 1986, dans une ferme isolée du village de Vitriologe, près d'Orléans, les policiers du Raid donnent l'assaut.
00:43Après des mois de trac, les ennemis de la nation, les quatre chefs de la nébuleuse terroriste qui fait trembler la France, sont mis hors d'état de nuire.
00:50C'est l'épilogue d'une mouvance terroriste qui a marqué les années 80.
00:53De 1979 à 1987, ADE régulièrement fait la une des journaux. Plus de 80 attentats revendiqués.
01:02Symbolique d'abord, l'organisation appuie ses positions, passe à la vitesse supérieure et commet une série de crimes de sang.
01:10Le terrorisme français est né. C'est l'escalade de la violence jamais vue sur notre territoire.
01:17ADE semble ne pas avoir de limites. Aucun groupuscule terroriste n'a encore été si loin sur notre sol.
01:24Comment cette organisation a-t-elle vu le jour ? Dans quel contexte politique et économique ? Radiographie.
01:38Action directe, ADE. Derrière ces deux initiales, deux hommes, deux femmes.
01:44Joëlle Aubron, née en 59, a neuillé sur scène dans un milieu bourgeois, étudiante en cinéma.
01:50Elle rencontre des artistes militants. Pour eux, la jeune fille de bonne famille n'hésite pas à poser nue.
01:55Libre bohème et rebelle, elle s'engage contre son camp d'origine.
01:59Georges Cypriani, né en 1950 dans une famille d'ouvriers. Il est fraiseur à l'usine Renault.
02:05Excellent tireur, spécialiste en logistique, il assure le lien avec les autres groupes terroristes européens.
02:13Nathalie Ménigon, née en 1957 à Paris. Issue d'un milieu modeste, elle est comptable à la BNP.
02:19Au sein du groupe, on la surnomme « doigt de fée » pour son habileté à manier la gâchette.
02:25Dernier caïd et pas des moindres, Jean-Marc Rouillant, le fondateur d'Action Directe, le cerveau.
02:31À 78 ans, Marcelle, sa mère, se souvient de son enfance et des événements qui ont pu forger chez son fils une conscience révolutionnaire.
02:40Il était très vif, vite contrarié, mais il était comme les autres.
02:49Il aimait jouer, après il est allé à l'école, ça s'est passé normalement.
02:54Il est allé à l'école à côté là, ça s'est passé tout à fait normalement.
02:59Et puis voilà, ça a commencé à se gâter à l'adolescence.
03:04Pourquoi ? Parce qu'il n'avait pas 16 ans quand, en mai 68, il a entraîné dans cette aventure où il a pris goût.
03:16Et puis il a continué à lutter contre les injustices sociales, contre tout cela.
03:23Et surtout, l'influence importante, c'était l'Espagne.
03:27L'Espagne qui, depuis la fin de la guerre en 39, vit sous la dictature franquiste.
03:33Le camp des vaincus, anarchistes et républicains a fui le pays pour se réfugier à Toulouse, de l'autre côté des Pyrénées.
03:40Repliés dans la ville rose, les anciens combattants vivent dans le souvenir des luttes passées.
03:45Parmi eux, les grands-parents de Jean-Marc Rouillant.
03:51Tous racontaient ce qu'ils avaient fait, leurs exploits et tout ça.
03:57Et ça leur marquait beaucoup.
04:00C'est pour ça que cette guerre d'Espagne, moi je pense qu'elle est à la base.
04:07Les enfants de réfugiés nés en exil poursuivent la lutte et deviennent à leur tour d'actifs militants antifranquistes.
04:13Parmi eux, un homme, Salvador Puigantig.
04:16Un homme que va rencontrer Jean-Marc Rouillant.
04:19Un homme qui va changer son destin.
04:21A ses côtés, Jean-Marc Rouillant fait l'apprentissage de la lutte armée.
04:25Il n'a pas encore 18 ans, il entre déjà en clandestinité.
04:29Mais leur projet révolutionnaire tourne court.
04:31En 1974, Salvador Puigantig, accusé du meurtre d'un policier, est exécuté par le supplice du Garot.
04:38Un choc pour son frère de sang.
04:43Salvador c'était un copain, un bon copain.
04:47C'était un demi-frère, quoi.
04:50Voilà.
04:51Et alors là, il a été très...
04:56Il n'a pas été le même après.
04:59Il n'a pensé qu'à se battre.
05:01Voilà.
05:03Il y pensait un peu avant, mais comme un peu plus légèrement peut-être.
05:07Mais à ce moment-là, c'est devenu grave.
05:10C'est maintenant la haine qui attise ses convictions.
05:14Pour venger son frère d'armes, Jean-Marc crée les Garis.
05:17Les groupes d'actions révolutionnaires internationalistes.
05:21Un mouvement autonome qui répond aux besoins d'engagement d'une génération née avec 68,
05:26toujours témoin, jamais acteur.
05:28Élevé dans les récits des héros de la résistance, de la lutte contre l'ennemi nazi,
05:32Jean Alphen, ancien membre d'Action Directe, n'a que 13 ans,
05:36quand en 68, il monte sur les barricades, prêt à tout pour prendre part à la lutte.
05:40Cet engagement précoce lui vaut le surnom de biberon.
05:44C'est vrai que dans ma famille, il y avait un sacré passé.
05:49J'ai une partie de ma famille qui est juive de l'Est.
05:54Des Alphen qui étaient en France, il y en a eu 16 qui ont été gazés.
05:58Ce souvenir-là, ça me poussait à lutter contre ce monde de merde.
06:03La fidélité à l'histoire familiale, ça passait par le fait de m'organiser et de refuser ce monde-là.
06:09Pour moi, c'était une question de dignité.
06:11J'aurais eu l'impression d'être un vrai salaud par rapport à l'humanité
06:16si je m'étais réfugié sur un projet individuel.
06:19Et si j'avais commencé, je ne sais pas quoi.
06:22Moi, j'aurais eu honte.
06:25Alphen a trouvé son maître à penser.
06:28Le charismatique Jean-Marc Rouillant fait des émules.
06:36Comme disait mon mari, écoute, si tu continues comme ça, moi, je te fous dehors.
06:41Bon, il dit, je m'en vais.
06:44Et on ne le revoyait pas d'une semaine.
06:46Qu'est-ce que vous auriez fait ?
06:48Mais les gens me disent, je l'aurais maté, moi.
06:51Ah bon ? Et comment vous auriez fait ?
06:54Vous le voyez, vous, mater quelqu'un comme ça ?
06:59Ah là là, on avait mangé notre pain blanc avec la fille.
07:03Elle, c'était l'étudiante parfaite, tout ça et tout ça.
07:08Et alors, il ne faut pas croire qu'il était bête.
07:12Il est loin d'être bête.
07:14Enfin, c'est comme ça.
07:16Vous voyez, nous, on a fait ce qu'on a pu avant, pendant, après,
07:21quand il a été en prison et je le fais encore.
07:24Voilà, c'est tout ce que je peux vous dire dans ce domaine-là.
07:29Les jeunes engagés façonnés par l'idéologie des barricades,
07:33engagés par un optimisme sans précédent, marchent en rang serré.
07:40Les murs de la cité portent leurs revendications.
07:44Le vieux monde va changer et la classe ouvrière doit être réhabilitée.
07:50Michel Vivorca, sociologue, se souvient.
07:54En mai 68, il n'y a pas de violence, il n'y a pas de radicalisation.
07:58Il y a beaucoup d'ouverture, beaucoup de dialogue.
08:01Du coup, les gens se parlent dans la rue.
08:03Aujourd'hui, les gens se parlent dans la rue quand il y a des matchs de football et que la France gagne.
08:07A l'époque, les gens se parlent dans la rue pour des raisons politiques.
08:11C'est vrai qu'il y avait une atmosphère de liberté.
08:14Pourtant, c'était Paris sur flic.
08:16C'était le Sarkozy de l'époque, donc Marcelin.
08:19Ils nous foutaient des cartes partout, des cartes CRS.
08:22Qu'est-ce qu'ils ont dû embaucher ?
08:23En plus, on avait les flicards qui étaient des anciens d'Algérie, qui n'étaient pas des tentes.
08:28En même temps, il y avait un bonheur à prendre la rue.
08:32Le soir de Noël, on se baladait dans Paris.
08:35Il y a des copains qui ont commencé à faire des boules de neige, à les jeter sur les CRS.
08:38C'était pas méchant, mais les autres sont sortis des tenues de combat, lacrymogènes.
08:42Le quartier latin a été à feu et à sang pendant toute la nuit.
08:45C'était un truc incroyable.
08:47On faisait des barricades de poubelle.
08:49Tout ça, c'était partie de boules de neige.
08:50Ils étaient dans une hystérie incroyable.
08:52Qu'est-ce qu'on était nombreux et qu'est-ce qu'on rigolait.
08:55Mai 68 n'est pas gauchiste.
08:57C'est après qu'il y a ce gauchisme.
08:59Et c'est après mai 68 qu'il y a toute cette effervescence qui est pleine de rage,
09:03de violence peu contrôlée, diffuse un peu partout.
09:08Ce qui n'était pas du coup.
09:09Il n'y a pas eu de mort en mai 68.
09:11C'est sûr qu'on était forgé de cet espoir-là.
09:16Il n'y avait pas d'illusion.
09:18On allait gagner.
09:20Ça allait mettre plus ou moins de temps,
09:23mais j'étais sûr que je verrais la révolution.
09:26Mais cette révolution tant escomptée ne voit pas le jour.
09:29L'élan retombe comme un soufflé.
09:31C'est le creux de la vague.
09:33Après mai 68, un certain nombre de personnes
09:38ont voulu, si je peux dire,
09:40continuer à faire vivre un mouvement qui retombait.
09:43Et c'est un double mouvement qui retombait.
09:45C'est d'abord un mouvement étudiant
09:48et ensuite un mouvement ouvrier,
09:50puisque 68 a eu une phase étudiante
09:52et une phase ouvrière.
09:54Dans cette retombée, un certain nombre de personnes ont dit
09:57qu'ils continuaient à être portés par l'idée
10:00de grands changements, de grandes ruptures,
10:02ouvrières et étudiantes,
10:04de plus en plus ouvrières dans le discours,
10:07et donc une radicalisation
10:09qui prend en particulier un tour maoïste.
10:11C'est l'époque, au début des années 70,
10:13de la cause du peuple, de la gauche prolétarienne.
10:16C'est l'époque où Jean-Paul Sartre débat avec les maoïstes,
10:19en leur disant « Allez-y, soyez radicaux,
10:21on a raison de se révolter ».
10:23Et donc, dans ce climat, vous avez une partie
10:26de ce que le mouvement de mai a porté
10:29qui se radicalise et qui se rapproche de la lutte armée.
10:32Février 72, dans cette ambiance explosive,
10:36la mort tragique d'un ouvrier va changer le cours de l'histoire.
10:39A l'époque, les conflits se multiplient aux usines Renault.
10:43Pierre Auvernais, militant de 23 ans, distribue des tracts.
10:46Quand il est la cible d'un vigile, il s'effondre.
10:50Hervé Brusini, lycéen à l'époque, journaliste aujourd'hui,
10:53se souvient de cet assassinat qui aurait pu faire basculer le pays
10:56dans la guerre civile.
10:58Peu de temps après, une grande manifestation a lieu
11:01avec Jean-Paul Sartre et plusieurs,
11:04les gens de la cause du peuple maoïstes,
11:07qui viennent pour appeler, en quelque sorte,
11:11à la vengeance de la mort de Pierrot.
11:14Ça a beaucoup marqué une génération.
11:17L'enterrement de Pierre Auvernais va réunir 200 000 jeunes
11:20qui crient vengeance.
11:22Pour eux, la liberté doit se gagner à la force du fusil.
11:25Mais l'extrême-gauche se désolidarise et ne cautionne pas
11:28cet appel à la lutte armée.
11:30Petit à petit, on a vu les rangs se clairsommer.
11:33On a vu de plus en plus de gens sur les trottoirs.
11:35Et puis, à la fin, on s'est retrouvés tout seuls.
11:37C'est un peu comme Charlie Chaplin quand il ramasse
11:39le drapeau rouge qui tombe du camion,
11:41il se retrouve à la tête de la manif.
11:43Et puis, à la fin, il se retrouve tout seul.
11:45Et c'est vrai qu'on s'est retrouvés de plus en plus seuls.
11:48Mais bon, c'est pas parce qu'on est peu nombreux
11:51qu'on a tort.
11:53C'était ça, notre projet.
11:55C'est pour ça qu'Action Directe s'est créée aussi.
11:57C'était l'idée de montrer que le projet était toujours vivant,
12:00le projet de libération, qu'on ne pouvait pas supporter
12:02l'insupportable.
12:04Que ce monde-là, c'était une erreur.
12:06On n'améliore pas une erreur, on la supprime.
12:08C'était ça, notre but.
12:12En 1977, Jean-Antoine Tramoni, vigile chez Renault,
12:16sort de prison.
12:17Il y a passé cinq ans, condamné pour le meurtre
12:20du jeune militant Pierre Auvergnet.
12:22Il est aussitôt assassiné à un crime revendiqué
12:25par d'anciens militants de la gauche prolétarienne
12:27qui vont rejoindre Jean-Marc Rouillant.
12:30C'est la naissance d'Action Directe.
12:32On doit l'expression à Émile Pouget
12:34qui, en 1914, parle de la lutte ouvrière
12:37contre le capitalisme.
12:39Action Directe est le fruit d'une génération
12:41trop jeune pour avoir participé aux événements
12:43de mai 68, mais dont les effluves libertaires
12:46ont fait découvrir un sentiment de révolte
12:49lié aux injustices des classes
12:51à un niveau international.
12:53Action Directe se cristallise autour du charisme
12:56de Jean-Marc Rouillant, dont le mot d'ordre est
12:59« ce n'est pas la vie que l'on propose,
13:01mais la survie ».
13:03Ensuite, le groupe va mettre en œuvre
13:05une série d'actions pour tenter de rallier
13:07la population à sa cause.
13:171er mai 79, fête nationale du travail.
13:20Une date symbolique choisie par Action Directe
13:22pour entrer dans l'histoire en revendiquant
13:24la fusillade de la façade du CNPF.
13:27C'est le premier d'une longue série d'attentats
13:29contre des cibles matérielles soigneusement choisies.
13:33Ce qu'il fallait faire passer, c'était l'idée.
13:36Quelquefois, on se serait bien passé de l'action,
13:39mais c'était essayer d'expliquer pourquoi
13:42ce qui était en train de se jouer là.
13:45Le ministère de la Coopération dénonçait
13:48la politique africaine française.
13:56C'est vrai qu'à chaque fois, on a essayé
13:59d'expliquer pourquoi telle action.
14:02Je pense qu'il y a beaucoup d'actions
14:05qui n'ont pas été...
14:07D'abord, les communiqués étaient tronqués,
14:09on a eu du mal.
14:11Ça a été notre grand problème.
14:13C'est vrai qu'on n'avait pas les moyens
14:15de populariser nos actions, c'est sûr.
14:17Ces actions ne rencontrent pas
14:19le succès populaire escompté.
14:21Bien au contraire, la méfiance s'installe.
14:24Au début des années 70, il y a encore un lien
14:27entre des organisations politiques
14:29qui pourraient être tentées par la violence
14:32et la colère sociale, le refus d'accepter
14:35une situation jugée insupportable.
14:37Mais dix ans plus tard,
14:39les choses se sont séparées.
14:41Il y a d'un côté des gens
14:43qui ne sont plus que...
14:45Comment dire ?
14:47C'est eux-mêmes qui décident
14:49de la légitimité de leur action.
14:51Ils ne se réfèrent à personne d'autre qu'à eux-mêmes.
14:55Le braquage des banques.
14:57En vidant les tiroirs-caisses,
14:59Action Directe se constitue
15:01un vrai trésor de guerre.
15:03Pour la mouvance, il ne s'agit
15:05que de réappropriation prolétarienne.
15:07Je me souviens d'une banque où...
15:09C'est très exigu, les caisses.
15:11On les fait bosser dans des conditions,
15:13il fait chaud là-dedans.
15:15Ensuite, c'est très exigu.
15:17J'étais en train de remplir mon sac avec la caisse
15:20et j'ai voulu pousser le siège.
15:22C'était un siège à roulettes.
15:24J'ai eu peur d'avoir donné un coup
15:26à la dame de la caissière.
15:28Je lui ai dit...
15:30Excusez-moi, je suis désolé.
15:32Elle m'a dit qu'elle ne m'avait pas touché.
15:34C'était tout ça, avec la cagoule,
15:36le pistolet, en train de ramasser.
15:38Voyant qu'il y avait une intimité
15:40qui s'était créée, je lui ai dit...
15:42Vous vous rendez compte de ce qu'on doit faire
15:44pour gagner sa vie ?
15:46C'était pas pour gagner ma vie,
15:48mais j'étais politique.
15:50Elle me dit que je sais,
15:52parce que mon fils est au chômage.
15:54Le groupe est dans le collimateur de la police.
15:56Les services des renseignements généraux
15:58sont à pied d'oeuvre pour connaître
16:00leurs moindres faits et gestes.
16:02Jean-Pierre Pochon, jeune commissaire,
16:04dirige pendant 3 ans la cellule
16:06qui traque les terroristes.
16:08Nous étions toujours dans une espèce de logique
16:10qui était...
16:12Peut-être que ça va vous choquer,
16:14mais c'est ça qui était important.
16:16C'était une sorte de jeu.
16:18En fin de compte,
16:20à partir du moment où nous avons pris en compte
16:22en termes de policiers,
16:24en termes de renseignements,
16:26ce que nous avons voulu, c'est ne pas les lâcher.
16:28Et pour ne pas les lâcher,
16:30le meilleur moyen est de les infiltrer.
16:32Ce sera le rôle de Gabriel Chahine.
16:34En quelques mois, il endosse l'uniforme
16:36du parfait terroriste et gagne la confiance
16:38du groupe d'action directe.
16:40Officieusement, il est l'indic du commissaire Pochon.
16:42Ce sculpteur de 51 ans va faire tomber
16:44le couple le plus recherché de France
16:47La nouvelle recrue d'AD prétend être un proche
16:49du célèbre terroriste Carlos.
16:51Les imminences grises d'Action Directe
16:53tombent dans le panneau.
16:55Ils voulaient acquérir une audience.
16:57Carlos était le bin Laden de l'époque.
16:59C'était l'homme phare du terrorisme,
17:01l'homme clé. On leur propose de le rencontrer.
17:03Donc, pour crédibiliser
17:05cette hypothèse,
17:07nous avons mis en place tout un scénario
17:09qui nous a conduits
17:11à les rencontrer,
17:13à nous faire passer pour des gens
17:15qui étaient susceptibles d'être des proches de Carlos.
17:17Donc, tout un scénario extrêmement sophistiqué
17:19qui, avec le recul du temps,
17:23peut paraître relativement naïf,
17:25mais il n'a pas été si naïf que ça
17:27puisqu'il a fonctionné.
17:29Rien ne se passe
17:31comme on l'a imaginé.
17:33Alors, comment ça se passe ?
17:35On a la confirmation, dans Paris,
17:37que Ruyant et Ménigon sont dans la voiture
17:39qui va les amener chez Carlos,
17:41ou du moins, ils le croient.
17:43Et nous, nous avions fait donc le repérage
17:45des lieux.
17:47Quand ils sont arrivés,
17:49la voiture s'est arrêtée très rapidement,
17:51le dispositif était tout autour, discret, bien sûr, invisible.
17:53On voit descendre
17:55Ruyant de la voiture
17:57et qu'il monte à l'étage.
17:59Et à ce moment-là, on arrête pratiquement,
18:01je dirais, à bout touchant,
18:03on arrête Ruyant et il n'y a pas d'incident, il n'y a rien.
18:05Il a peur.
18:07Il nous dit simplement, on ne me tuez pas,
18:09mais ce n'était pas du tout notre intention.
18:11Donc il est arrêté.
18:13Mais en ce moment-là,
18:15dès qu'on apprend qu'il est arrêté,
18:17on a perdu de vue,
18:19quelques secondes, une fraction de seconde,
18:21on a perdu de vue la conductrice,
18:23c'est-à-dire on a perdu de vue
18:25Nathalie Ménigon qui était au volant.
18:27Et donc le dispositif, on se dit,
18:29elle est peut-être dans l'immeuble.
18:31Donc on avance, le dispositif sort de ses cachettes,
18:33de ses planques,
18:35et se regroupe devant l'immeuble.
18:37Et à ce moment-là, je vois avec deux de mes collaborateurs
18:39une jeune femme
18:41qui quitte la rue Pergolaise.
18:43Et donc je demande de vérifier.
18:45On s'approche d'elle et on est à peu près
18:47à 20-30 mètres d'elle quand elle se retourne
18:49et se met à tirer sur nous
18:51avec son calibre 11-43.
18:57Le miracle, le miracle, parce qu'il y a eu un miracle
18:59les deux côtés, c'est que
19:01nous, c'est peut-être normal,
19:03on était relativement taillés, pas taillés
19:05pour ce type d'arrestation. Personne ne s'est touché.
19:07Juste un de mes collaborateurs qui a eu
19:09son jean,
19:11patte d'éléphant dans l'époque, à transpercer
19:13par une balle. Mais ça aurait pu être un drame.
19:15Elle n'a pas tiré sur les policiers
19:17en 1980, au moment de l'arrestation.
19:19Elle a tiré très très en l'air.
19:21Elle a tiré très en l'air pour prévenir, parce que Jean-Marc était dans...
19:23Bon, c'était un gars tapant, mais pour prévenir
19:25Jean-Marc qu'il y avait problème, qu'il y avait des flics en bas.
19:27Elle ne savait pas que c'était le cul aux patates.
19:29Jean-Pierre Pochon,
19:31à gauche, sur cette photo, réussit un beau coup de filet.
19:33Jean-Marc Rouillon et Nathalie Minigon
19:35sont mis sous les verrous,
19:37mais leur détention sera de courte durée.
19:39Le 14 septembre
19:411980 marque la fin
19:43du premier chapitre d'Action Directe.
19:45Les deux terroristes les plus
19:47connus de France sont en prison.
19:49Adé aurait pu s'arrêter là,
19:51rester gravé dans nos mémoires
19:53comme une organisation terroriste
19:55désireuse de faire entendre ses convictions
19:57en commettant des attentats
19:59symboliques, mettant un point
20:01d'honneur à ne pas faire couler de sang.
20:03Mais le phénix va
20:05renaître de ses cendres, influencé
20:07par le contexte politique.
20:09Le 10 mai 1981,
20:11en prenant le pouvoir,
20:13la gauche va créer une scission
20:15au sein du groupe terroriste et
20:17changer la donne.
20:251981
20:27Action Directe est affaiblie,
20:29ses têtes pensantes sont derrière les barreaux.
20:31La campagne électorale bat son plein.
20:33Pour la première fois depuis 20 ans, la gauche
20:35a des chances de gagner ses élections.
20:37Contre tout risque de récupération politique,
20:39les militants d'Adé observent
20:41une prudente réserve.
20:43Mai 1981, l'élection
20:45de François Mitterrand va changer la donne.
20:47Le président veut signer la paix des braves.
20:49Il décide d'amnistier
20:51les prisonniers d'Action Directe.
20:53Rouillant et Minigon retrouvent la liberté.
20:57La méfiance avait changé de corps,
20:59c'est-à-dire que ce n'étaient plus les terroristes
21:01qui étaient accusés
21:03d'épirement, puisqu'ils n'avaient plus
21:05aucune raison d'agir.
21:07La gauche était au pouvoir,
21:09le monde allait changer,
21:11donc c'était terminé.
21:13La droite, c'est normal qu'elle combatte Action Directe,
21:15ça ne pose pas de problème.
21:17Pour la gauche, c'est aussi
21:19ces enfants qui ont mal tourné, si vous voulez.
21:23Ce sont les petits-fils
21:25d'un certain communiste,
21:27d'un certain anarchiste,
21:29dont la gauche a gardé un petit quelque chose.
21:33Je pense qu'elle n'a pas vraiment le choix.
21:35Je pense qu'ils ont eu raison
21:37de dire d'un côté amnistie,
21:39c'est-à-dire une certaine générosité,
21:41et d'un autre côté, à partir de maintenant,
21:43tout ce qui n'est pas dans l'amnistie
21:45est criminel.
21:47Autrement dit, ce que la gauche a su dire à cette époque-là,
21:49c'est qu'on n'est plus dans la politique,
21:51car ces gens-là ne représentent qu'eux-mêmes.
21:53Et dans ce contexte
21:55d'apaisement politique,
21:57la plupart des militants déposent les armes.
21:59Jean-Marc Rouillon n'est plus dans la clandestinité.
22:01Il poursuit la lutte
22:03en toute légalité, parle sur les ondes
22:05et édite des brochures en vente un peu partout.
22:07Alain Marceau est à l'époque magistrat,
22:09spécialiste des dossiers terroristes.
22:11Il suit l'évolution d'action directe
22:13de près.
22:15Tout le monde se retrouve finalement
22:17sans emploi politique,
22:19sans emploi revendicatif.
22:21Il faut qu'il se trouve un emploi.
22:23Et subitement,
22:25on assiste à une nouvelle mobilisation.
22:27Cette mobilisation a été une mobilisation
22:29d'action directe dans les squats,
22:31au profit d'un certain nombre
22:33d'organisations revendicatives
22:35étrangères, des Turcs,
22:37du PKK, etc.
22:39Et subitement, on va retrouver,
22:41dans les années 82-83,
22:43action directe qui revient
22:45non pas sur le terrain politique,
22:47sur le terrain violent, mais sur le terrain revendicatif.
22:49On sort deux brochures
22:51qui sont vendues partout.
22:53Pour un projet communiste et l'autre,
22:55c'est contre l'impérialisme américain,
22:57qui sont vendues partout.
22:59On avait fait un gros tirage.
23:01Ensuite,
23:03on est présents dans les squats parisiens,
23:05dans les squats avec
23:07les camarades turcs,
23:09les squats à Barbès.
23:11Tout de suite, on se rend compte
23:13que les flics nous harcèlent.
23:15La police reste sur les dents
23:17et regarde de près les agissements du groupe.
23:19Pour Action Directe, c'est une provocation.
23:21La lutte armée reprend.
23:23Les membres les plus virulents comprennent
23:25que la signature AD doit s'imposer
23:27sur d'autres cibles.
23:29Pour faire parler d'eux,
23:31la violence doit monter d'un cran.
23:33Ce jour-là,
23:35je téléphonais à l'AFP en disant
23:37que le communiqué se trouve à l'endroit habituel.
23:39Je reviens dans l'appartement.
23:41On écoute le scanner. Rien.
23:43Rien du tout. Ça bouge pas.
23:45Au bout de deux heures,
23:47on devait évacuer l'appartement.
23:49Je rappelle l'AFP en disant
23:51que le communiqué se trouve.
23:53Le gars de l'AFP m'a insulté quasiment
23:55en me disant que j'ai envoyé une moto.
23:57Il n'y avait personne dans la voiture.
23:59J'avais revendiqué le mitraillage de la voiture
24:01d'un agent du Mossad. Il avait entendu
24:03le mitraillage d'un agent du Mossad.
24:05Je me suis fait reprocher le fait d'avoir pas
24:07tué un agent du Mossad.
24:09Là aussi, c'était une grande leçon.
24:11Il fallait que l'action soit radicale
24:13pour que le communiqué passe.
24:15Ce jour-là, quelques trous dans un capot,
24:17le communiqué n'est pas passé.
24:19Nous étions convaincus.
24:21Personnellement, je l'ai écrit
24:23dans les rapports que j'ai transmis à mes patrons
24:25qu'ils allaient mettre à profit
24:27cette libération
24:29pour se reconstruire,
24:31replonger dans la clandestinité
24:33et tirer les leçons
24:35de ce qui s'est passé et être encore
24:37beaucoup plus dangereux et meurtrier.
24:39Le 9 août 1982,
24:41une bombe explose devant
24:43le restaurant Goldenberg rue des Rosiers
24:45à Paris, faisant six morts.
24:47C'est le premier attentat islamiste d'une longue série
24:49qui va frapper la capitale.
24:51Rien à voir avec le groupe Action Directe.
24:53Mais face à l'indignation populaire,
24:55l'État doit réagir, punir
24:57et dissoudre les mouvances terroristes.
24:59Plus facile de museler Action Directe
25:01que d'anéantir la nébuleuse
25:03islamiste. Action Directe
25:05est dissous. Le mouvement
25:07entre alors en clandestinité.
25:09Le premier rêve aura été de courte durée.
25:11Pour les militants, c'est la désillusion,
25:13une décision qui solde leurs espoirs
25:15et qui radicalise la lutte.
25:19Maître Christian Aitlin a assuré la défense
25:21de Jean-Marc Rouillon lors de ses différents procès.
25:25C'est un discours de rupture
25:27que tient Mitterrand lorsqu'il prend le pouvoir
25:29au sein du Parti Socialiste, en indiquant
25:31que nul ne peut être considéré comme socialiste
25:33s'il n'a pas comme perspective
25:35la rupture avec le capitalisme,
25:37donc il y a un grand rêve.
25:39Alors qu'est-ce qui se passe ?
25:41Il y a ce discours de rupture avec le capitalisme,
25:43très vite, au bout d'un an,
25:45un an et demi de pouvoir,
25:47on se rend compte qu'on a rompu
25:49avec rien du tout, et puis
25:51c'est l'ordre économique
25:53géré de la façon
25:55la plus rigoureuse qui soit qui revient.
25:59On assiste alors à l'émergence de la troisième génération
26:01d'Action Directe, la génération terrible,
26:03celle qui ne discute plus avec le pouvoir.
26:05Elle est composée des durs,
26:07ceux qui vont faire le choix des armes.
26:09Premier acte, la fusillade de l'avenue Trudène,
26:11une bavure.
26:1331 mai 1985,
26:15le quartier est en proie à une recrudescence
26:17de cambriolages.
26:19Des policiers patrouillent.
26:21Une brigade en civil repère un groupe suspect.
26:23Trois hommes, munis de sacs de sport.
26:25Trois hommes qui pourraient être des cambrioleurs.
26:27La police décide de les contrôler.
26:29Ils ont vu juste,
26:31ce sont des membres d'Action Directe
26:33qui déménagent une planque d'armes.
26:35À peine sortis de leur véhicule,
26:37les forces de l'ordre sont prises pour cibles.
26:39Le brigadier-chef s'écroule,
26:41une balle dans la tête.
26:43Le gardien de la paix qui l'accompagne
26:45est touché en plein cœur.
26:47Les assassins prennent la fuite.
26:49Quelques jours plus tard,
26:51Action Directe revendique la fusillade.
26:53AD assume le choix du sang.
26:551985, l'année du grand tournant.
26:57Le 25 janvier,
26:59le mouvement franchit une étape irréversible.
27:01En assassinant le général Audran,
27:03membre éminent du ministère de la Défense,
27:05responsable des ventes d'armes à l'étranger,
27:07Action Directe veut mettre à mal
27:09la diplomatie française.
27:11Il est 20 heures
27:13qu'entre René Audran, 55 ans,
27:15regagne son domicile.
27:17Il s'en va
27:19à l'hôpital.
27:21Il se trouve qu'il n'y a plus qu'une semaine
27:23avant que René, 55 ans,
27:25regagne son domicile.
27:27Mais avant même de sortir de son véhicule,
27:29les faux soyeurs d'Action Directe
27:31l'abattent de six balles.
27:3321 ans après ce drame,
27:35Anne Squarnek, sa sœur,
27:37n'a rien oublié de ce jour froid de janvier.
27:39Elle se souvient de l'appel de sa nièce.
27:41Quand elle a téléphoné en me disant
27:43j'ai entendu trois coups de feu,
27:45j'ai peur.
27:47Je lui ai répondu surtout ne bouge pas,
27:49ne sors pas.
27:51Je suis ouverte et je ne vois rien bouger.
27:55Mon mari était là,
27:57je lui ai dit
27:59Marie-Hélène a entendu trois coups de feu.
28:01Alors on a couru là-bas.
28:03On est arrivés les premiers.
28:05On a bien vu qu'il n'y avait plus rien à faire.
28:09Je revois tout,
28:11j'ai les images dans les yeux.
28:13Après j'ai dit à mon mari
28:15emmène-moi faire un voyage
28:17loin pour que
28:19j'oublie cette image.
28:21Alors on a fait un voyage,
28:23on est partis 15 jours au Sri Lanka.
28:25C'est une image
28:27que je n'oublie pas.
28:29Je vois toujours mon frère
28:31couché sur la banquette de sa voiture.
28:33Je l'oublierai,
28:35je ne peux pas l'oublier.
28:37Ça ne s'éteint pas.
28:39Souvent les images s'estompent.
28:41Mais je pense que j'ai été tellement choquée
28:43que c'est imprimé
28:45dans mon cerveau.
28:47Je ne l'oublie pas.
28:49Rien.
29:17Le tronc de Renault traverse la rue comme chaque soir
29:19pour rejoindre son domicile.
29:21Il est froidement abattu.
29:23Une première balle dans l'épaule,
29:25la deuxième dans la nuque,
29:27une troisième dans la tête à bout portant.
29:29Un travail de professionnel.
29:31Les deux femmes disparaissent en longeant le mur
29:33du cimetière du Montparnasse.
29:35Nathalie Minigon et Joëlle Aubron,
29:37les amazones de la terreur,
29:39ont assassiné celui qu'elle surnomme la brute,
29:41symbole du capitalisme et de la puissance industrielle française.
29:43Nous avons été prévenus
29:45extrêmement rapidement
29:47de l'assassinat.
29:51Nous sommes partis à deux motos
29:53et nous sommes arrivés
29:55alors que le périmètre de sécurité
29:57n'avait pas encore été dressé
29:59par les forces de l'ordre.
30:01J'ai vu cette scène terrible
30:03de cet homme
30:05qui était allongé dans la rue.
30:07C'était un grand choc.
30:09Je crois que c'était la première fois
30:11que je voyais un mort
30:13de terrorisme
30:15français
30:17sur notre propre territoire.
30:21Ça s'était passé
30:23en fin d'après-midi, en début de soirée.
30:25C'est quelque chose
30:27qui m'est toujours resté.
30:29Le lendemain, à la sortie du métro Raspail,
30:31un tract de revendication a en tête
30:33action directe est retrouvé.
30:35Il est signé commando Pierre Auvernet.
30:37Pierre Auvernet, cet ouvrier militant
30:39assassiné 13 ans auparavant
30:41a été retrouvé chez Renault.
30:43Pour les enquêteurs, pas de doute,
30:45le crime est signé action directe.
30:47L'arrestation des membres d'AD
30:49devient une priorité nationale
30:51tant au niveau juridique que policier.
30:53Tous les moyens sont déployés.
30:55C'est l'apparition des juges antiterroristes.
30:57Tous les espoirs se fondent sur Jean-Louis Brugière
30:59et Alain Marceau
31:01qui incarnent ces nouveaux hommes de loi.
31:03En novembre 1986,
31:05le ministre de l'Intérieur
31:07Charles Pasqua vient dire
31:09qu'on va terroriser les terroristes.
31:11Il fait référence aux actions menées
31:13par les groupes islamistes
31:15qui ont posé des bombes
31:17de décembre 1985
31:19jusqu'à la rue de Rennes
31:21septembre 1986.
31:23En même temps, on a l'ETA,
31:25les corps, etc. On assassine beaucoup en France.
31:27On tue beaucoup en France.
31:29Alors qu'on pense qu'on est arrivés
31:31au bout d'un processus terroriste
31:33et de violence sur la voie publique,
31:35ce soir de novembre, on apprend que
31:37plus le patron de la régie Renault,
31:39Georges Besse, vient d'être assassiné
31:41et que son corps est là, en train de refroidir
31:43devant son domicile.
31:45L'ETA cherche forcément
31:47des réponses. Le gouvernement est responsable
31:49en face d'une opinion publique. Il s'interroge.
31:51Il dit « Bon sang, de cette manière,
31:53je vous ai élu pour faire en sorte de rétablir
31:55l'ordre public, de faire en sorte qu'il n'y ait
31:57plus ce genre d'exaction. Vous avez été élu
31:59pour ça et vous échouez. »
32:01C'est la raison pour laquelle
32:03le personnel politique, à que ce soit son niveau,
32:05les ministres, jusqu'au ministre en charge
32:07des affaires, se trouve déstabilisé.
32:09L'ETA est déstabilisé à travers
32:11tout cela, à travers cet assassinat de Georges Besse
32:13qui a une symbolique extraordinaire.
32:15En novembre, il faut se remettre à cette époque
32:17et il faut voir arriver le personnel politique
32:19devant nous pour comprendre
32:21qu'ils sont désemparés et qu'ils sont à la recherche
32:23d'une solution. On leur aurait proposé
32:25de partir et de marcher sur la lune.
32:27Je crois qu'ils auraient dit « Oui, ce soir-là.
32:29Trouvez-moi une solution pour sortir
32:31d'un contexte ingérable
32:33sur le plan de la sécurité,
32:35sur le plan de la violence, sur le plan de l'assassinat. »
32:37À cette époque, Jean Alphen,
32:39membre d'Action Directe, est en prison depuis
32:414 ans, soupçonné avec son frère
32:43d'avoir participé à la fusillade de l'avenue Trudène.
32:45Il n'a pas pris part aux débats
32:47qui ont amené Action Directe à préférer
32:49le crime de sang à passer de la cible matérielle
32:51à la cible humaine.
32:53« Je me pose la question, est-ce qu'on a les moyens
32:55politiques d'assumer une opération comme celle-là ?
32:57Militaire, oui, c'est tout simple.
32:59Mais politique,
33:01est-ce qu'on peut expliquer pourquoi ?
33:03Est-ce que, je me dis,
33:05effectivement,
33:07on l'a vu, on n'avait pas les moyens
33:09d'expliquer ça.
33:11On nous fait tout un discours sur Georges Eubès,
33:13bon mari, bon patron,
33:15c'était combien de milliers
33:17de licenciements ? C'était ça aussi sa réalité.
33:19Est-ce que ça légitime le fait
33:21qu'on l'exécute ?
33:23C'est un autre débat. On l'aura peut-être
33:25quand tout le monde sera sorti de prison. »
33:27Une traque policière sans précédent
33:29s'engage contre les deux couples
33:31qui ont agi de sang-froid.
33:33On sait qu'il s'agit du noyau dur
33:35de la branche d'AD.
33:37Le Quatuor, en rupture de société,
33:39est en cavale depuis plus d'un an.
33:41Tous les services de renseignement,
33:43de contre-espionnage et de lutte
33:45contre le terrorisme travaillent
33:47en étroite collaboration.
33:49Dans cette période de tension,
33:51les politiques exigent des résultats,
33:53mais l'enquête s'enlise.
33:59Début 87.
34:01L'enquête s'enlise et oscille
34:03entre fausses pistes et vrais ratages.
34:05Pourtant, d'importants moyens
34:07ont été déployés.
34:09Le portrait des quatre chefs d'action direct
34:11est placardé dans tous les commissariats
34:13de France. L'État offre même
34:15la récompense d'un million de francs
34:17à toute personne susceptible de fournir
34:19des informations. Du jamais vu
34:21dans l'histoire policière.
34:23Jean-Marc Rouillon et Nathalie Ménigon,
34:25alias Robert et Nadine, ont pris leur quartier
34:27dans le Loiret. Pour leurs voisins,
34:29ils n'ont rien de terroristes,
34:31ils forment un couple paisible de chercheurs
34:33belges. Traqués par toutes les polices,
34:35ils savourent paradoxalement la vie
34:37dans ce qu'elle a de plus simple.
34:39Christian Bideau, journaliste à la Nouvelle République
34:41d'Orléans, a pu vérifier que le couple
34:43s'était totalement fondu dans ce
34:45paysage tranquille et bucolique.
34:47On apprendra qu'effectivement
34:49chez Restra, qui était
34:51le voisin le plus proche
34:53de Ménigon et Rouillon, les gendarmes
34:55venaient boire l'apéro
34:57régulièrement.
34:59Et c'était assez peu
35:01intéressé à ces
35:03gens un petit peu marginaux. Pourquoi marginaux ?
35:05Parce que c'était à priori des parisiens.
35:07Ils avaient une 205.
35:09Il m'a trompé en Belgique.
35:11Alors après, la façon dont ils ont
35:13été repérés, là aussi, ça a donné
35:15lieu à polémiques.
35:17En fait, ils n'ont pas été reconnus par des gens du village.
35:19Ils ont été
35:21reconnus par une coïncidence
35:23à Tours,
35:25d'ailleurs, parce que
35:27disons pour faire simple que
35:29Nathalie avait le même
35:31gynécologue que quelqu'un de la
35:33DST. Oui, qu'une femme
35:35de la DST. Donc bon, ça s'est fait
35:37comme ça, en fait.
35:39Ce tuyau arrive aux renseignements généraux.
35:41Une équipe s'installe en repérage
35:43aux abords de la ferme pour tenter d'identifier
35:45le couple. Au bout de 36
35:47heures de planque, une femme sort
35:49enfin.
35:53Les hommes du raide la prennent
35:55en filature.
35:59Direction l'épicerie de Vitry
36:01aux loges. La femme
36:03qui sort les bras chargés de vituaille
36:05est formellement identifiée
36:07à 17h30. La fidèle
36:09cliente de l'épicerie de village est Nathalie Minigon,
36:11la criminelle la plus recherchée
36:13de France.
36:15C'est un hiver très froid. C'est 1987.
36:17Il fait un froid de gueux
36:19dans cette plaine près d'Orléans.
36:21Les routes sont verglacées.
36:23C'est l'horreur absolue, rien que pour y aller.
36:25Et lorsque
36:27le top de l'interpellation est donné,
36:29moi je ne suis pas présent puisque
36:31je suis en arrière-plan,
36:33en back-office si je puis dire,
36:35lorsque le feu vert est donné pour l'interpellation,
36:37juste avant 9h du soir,
36:39on est un peu dans l'inconnu.
36:41Qu'est-ce qu'on va trouver en face ? Donc on défonce
36:43les portes. Le groupe d'intervention
36:45pénètre à l'intérieur.
36:47Rouillon
36:49va pour saisir un pistolet mitrailleur
36:51qui était sur un jardin
36:53d'étagère.
36:55Une petite rafale de pistolet mitrailleur
36:57le saisit juste par derrière.
36:59Il reçoit un éclat
37:01de plâtre, je crois, dans la fesse,
37:03qui va le faire boiter pendant quelques jours.
37:05Et il se calme, Dieu merci, il ne peut pas riposter.
37:07Mais on était visiblement
37:09en présence de gens qui avaient prévu
37:11de ne pas se laisser arrêter facilement
37:13et donc de riposter
37:15à une interpellation compliquée.
37:17L'interpellation a été une interpellation
37:19relativement compliquée. Et après quelques minutes,
37:21on se rend compte que c'est bien
37:23les 4 personnes que l'on recherche.
37:25Et on va se rendre compte que le physique ne correspond pas
37:27aux photos que l'on avait
37:29qui, pour certaines, dataient de plus de 10 ans.
37:31Cyprienier et Joël Aubron
37:33venaient rendre visite
37:35à Ménigon et Rouillon
37:37qui, eux, habitaient à demeure à la ferme
37:39alors que Cyprienier
37:41et Aubron étaient en résidence secondaire
37:43dans la région de Loches
37:45en Indre-et-Loire.
37:47Et donc, ce soir-là, ils étaient tous les 4.
37:49Donc c'était le gros lot pour la police
37:51et pour PASCO en particulier
37:53qui était ministre de l'Intérieur à l'époque
37:55puisqu'il s'attendait à l'origine à arrêter
37:57deux personnes d'Action Directe,
37:59les deux têtes d'Action Directe.
38:01Il en a fait un coup de filet
38:03avec les 4.
38:05On découvre que c'est bien eux.
38:07Ils en les menottent dans le dos.
38:09Ils ne disent rien.
38:11On va retrouver
38:13une partie de la sacoche de Georges Bess
38:15plus ou moins découpée
38:17dans laquelle on avait tailladé je ne sais plus quoi.
38:19On va se rendre compte que
38:21ces couples, ces deux couples,
38:23font des confits de canards
38:25qui vivent finalement comme n'importe quel groupe ordinaire
38:27mais avec des pistolets automatiques
38:29qui rapidement permettront
38:31de déterminer que ces armes
38:33ont été utilisées pour les assassinats
38:35de telle ou telle personne.
38:37On va retrouver ces dictionnaires franco-allemand ou franco-italien.
38:39On découvre la fameuse
38:41prison du peuple
38:43qui s'apprêtait à arrêter,
38:45à interpeller,
38:47à séquestrer l'actuel
38:49patron de ce commissariat
38:51à l'énergie atomique.
38:53Quelle aurait été la revendication en face ?
38:55Là, nous n'avons jamais eu
38:57d'explication. Qu'est-ce qu'ils auraient fait en face
38:59s'ils avaient réussi
39:01à enlever cette personne ?
39:03Quelle aurait été leur revendication ?
39:05Je ne sais pas. Tout était possible avec eux.
39:07Peut-être à la fin, j'imagine,
39:09du cycle nucléaire français.
39:11En prenant le pouvoir,
39:13François Mitterrand dissout la Cour de Sûreté de l'État
39:15qui jusqu'alors
39:17jugeait les terroristes et les espions.
39:19C'est à cette époque que les magistrats
39:21vont prendre encore plus d'importance.
39:23La montée de l'islamisme
39:25et le dossier d'action directe
39:27sont dans la ligne de mire.
39:29Le parquet met en place une galerie
39:31de juges d'instruction antiterroriste
39:33dont le plus célèbre est
39:35Jean-Louis Brugière.
39:37La politique et la justice semblent bien décider
39:39à ne pas faire de cadeau à l'organisation.
39:41C'est devant la cour d'assises spéciale
39:43composée de sept magistrats professionnels
39:45que ceux qui ont déclaré la guerre
39:47à l'État vont être jugés
39:49dans une ambiance très particulière.
39:51Pendant toute l'instruction,
39:53les terroristes d'AD répéteront
39:55qu'ils n'ont rien à dire,
39:57qu'ils ne souhaitent répondre à aucune question.
39:59Pour eux, il n'y a ni erreur,
40:01ni repentir, ni regret.
40:03Un mutisme qu'ils observeront
40:05tout au long de leur procès.
40:15Plus question de laxisme.
40:17Compte tenu de la dangerosité
40:19des quatre membres historiques d'Action Directe,
40:21leurs conditions de détention sont drastiques.
40:23Les ennemis de l'État sont placés
40:25en quartier d'isolement jusqu'à leur procès
40:27qui s'ouvre deux ans après leur arrestation.
40:29Mais rien ne va faire plier leur engagement
40:31et même derrière les barreaux,
40:33à la fin, ils poursuivent la lutte.
40:35Pour eux, ce qui était important,
40:37c'est que tout le monde soit condamné de la même façon.
40:39Il ne s'agissait pas de participer,
40:41selon leur conception,
40:43à un débat
40:45où les jeux étaient faits d'avance,
40:47la décision était rendue d'avance,
40:49c'était la justice bourgeoise
40:51qui était rendue contre des révolutionnaires
40:53qu'on n'entendrait pas et qu'on ne voulait pas entendre.
40:55Par conséquent, pas de dialogue,
40:57pas de discussion, pas de débat contradictoire
40:59des avocats mêlés contre l'accusation.
41:01Rien du tout.
41:03Nous étions là pour assister
41:05au déroulement du procès
41:07et non point pour agir et débattre
41:09parce qu'il ne fallait surtout pas montrer
41:11que nous voulions,
41:13que Action Directe, en tout cas,
41:15voulait collaborer avec une justice
41:17qui était la justice bourgeoise.
41:19Une justice qui ne reconnaît pas leurs combats
41:21et qui les traite comme de vulgaires criminels
41:23de droit commun alors que les chefs
41:25de l'organisation réclament le statut de prisonniers politiques
41:27qui ont eu recours aux armes
41:29pour défendre leurs idées.
41:33Ça, ça, ça,
41:35aller jusqu'à descendre
41:37les champs comme ça,
41:39il me dit non, c'était
41:41des symboles pour moi.
41:43Je n'avais rien
41:45contre ces hommes.
41:47Ce sont des symboles.
41:49Vous n'avez rien compris,
41:51vous n'avez pas tué un symbole.
41:53Un symbole de quoi ? Quel symbole ?
41:55Qu'est-ce que c'était comme symbole ?
41:57Il vous représentait quoi ?
41:59Il vous en dit quoi ?
42:01Un symbole de quoi ?
42:03Ils n'ont pas tué un symbole, ils ont tué un être humain.
42:07Il a été remplacé immédiatement, mon frère.
42:11Par un de ses assistants.
42:15Cette idéologie, elle était en place.
42:17Le terrorisme
42:19comme mode d'action qui ne pouvait
42:21en aucune façon être
42:23politique, mais qui n'était
42:25que pure action de droit commun,
42:27cette idéologie était en place.
42:29Et ils ont été jugés comme tels.
42:31Il était rigoureusement impossible
42:33de faire passer l'idée
42:35qu'au travers de l'action qui avait été menée
42:37et que, bon, on peut condamner,
42:39les motivations
42:41correspondaient quand même à quelque chose
42:43de respectable et d'acceptable.
42:45Enfermés dans leur propre logique,
42:47déconnectés des réalités,
42:49les accusés ne livreront rien.
42:51Impensables de jouer le jeu de la justice,
42:53les questions sur leur parcours sanglant
42:55resteront sans réponse.
42:57Joël Aubron lira un manifeste incompréhensible
42:59de 30 pages pour les journalistes
43:01Présence et la consternation.
43:03Je me souviens
43:05de la littérature,
43:07de la logorée d'Action Directe
43:09au moment des différents
43:11procès auxquels j'ai pu assister.
43:13Nous ne comprenions
43:15rien à ce qui se disait.
43:17Les textes étaient
43:19très longs,
43:21lus d'ailleurs sans aucune
43:23réelle passion,
43:25parce que c'était une sorte
43:27d'autre langage. Et toujours pour parler
43:29de cette schizophrénie
43:31de la rébellion armée,
43:33on voyait qu'elle avait
43:35généré en quelque sorte
43:37sa propre langue.
43:39Ils parlaient l'Action Directe couramment
43:41et nous, nous ne comprenions pas
43:43ce qu'était l'Action Directe couramment
43:45parlé. Et je me souviens
43:47encore de
43:49Nathalie Ménigon
43:51se dressant et disant
43:53de toute façon
43:55je ne regrette rien
43:57et je recommencerai quand je sortirai.
43:59Je me disais
44:01à moi-même, j'espère qu'elle ne ressortira
44:03jamais. Ce n'est pas la peine
44:05qu'elle aille en tuer d'autres.
44:07Qu'est-ce qu'elle a dans la tête cette femme ?
44:09Elle a un vide ? Elle n'est pas normale.
44:11Moi je disais, elle est folle.
44:13Je la vois encore.
44:15C'est une image. Je la vois.
44:17Je me souviens de Jean-Marc, Nathalie,
44:19Joël et Georges qui sont arrivés en civière
44:21à 50 jours de grève de la faim
44:23et plus et il y avait
44:25la parade de jugement
44:27alors qu'ils étaient complètement dans le coltère.
44:29A 50 jours de grève de la faim,
44:31on n'a plus la force de suivre un procès.
44:33C'était toute cette mascarade
44:35qui était des sortes de procès,
44:37de cérémonie, d'exorcisme
44:39où c'était
44:41pas les gens qu'on jugeait
44:43c'était simplement l'image qu'on voulait
44:45donner en disant, regardez, si vous vous révoltez
44:47contre notre logique, regardez comment
44:49vous terminerez. Et aujourd'hui,
44:51c'est pour ça qu'on garde les copains en prison.
44:53Au terme du procès, les militants d'action directe
44:55écopent de la sentence la plus lourde.
44:57La prison a perpétuité assortie
44:59d'une peine de sûreté de 18 ans.
45:01Elle a préféré en 2005,
45:03mais les anciens terroristes sont toujours derrière les barreaux
45:05malgré leurs demandes répétées
45:07de remise en liberté.
45:0920 ans après les faits, que retient-on
45:11aujourd'hui de leur combat ?
45:13On retiendra un carteron
45:15totalement isolé,
45:17barré comme on dit aujourd'hui,
45:21extraordinairement
45:23violent et déterminé
45:25et en même temps
45:27pathétique.
45:29Ils sont vraiment les tout derniers
45:31éléments
45:33portés par des logiques
45:35oniriques, mythiques,
45:37idéologiques, portés
45:39par des idées qui n'ont aucune emprise
45:41sur le réel
45:43et qui n'ont aucun lien
45:45avec la réalité.
45:47Ils sont les derniers éléments
45:49de tout un ensemble de processus
45:51du type historique.
45:53Quand on me pose la question
45:55« Est-ce que vous ne regrettez rien sauf d'avoir gagné ? »
45:57Quand on me dit « L'erreur, c'est de ne pas être né assez tôt »,
45:59je dis que
46:01vous êtes en train de me faire signer
46:03pour que je replonge.
46:05Si les ennemis voient ça, si Bruyère voit ça,
46:07il doit être là en train de mordre sa pipe en se disant
46:09« ça ne l'a pas calmé ».
46:11Je me suis dit que n'importe quel imbécile
46:13aujourd'hui, pour peu qu'il soit
46:15déterminé,
46:17peut faire basculer
46:19le courant de l'histoire.
46:21Et en l'espèce, Action Directe,
46:23c'est ça. Action Directe
46:25était soutenue par une frange de l'ultra-gauche
46:27qui trouvait très bien le colonne assassine
46:29M. Besse, M. Audran, etc.
46:31C'est ce que Lénine appelle les imbéciles utiles.
46:33On a vu qu'il y avait beaucoup d'imbéciles utiles
46:35dans ce pays. Je pense qu'il y en a encore beaucoup
46:37aujourd'hui qui soutiennent d'autres causes
46:39de cette nature. Et ça m'a
46:41permis surtout
46:43de comprendre quelle était la souffrance
46:45des victimes et de leurs familles.
46:47Et je peux vous assurer que ça, ça m'a marqué.
46:49Et j'ai compris ce jour-là que j'étais définitivement
46:51définitivement du côté des victimes
46:53et jamais du côté
46:55des bourreaux.
46:57Beaucoup s'étonnent aujourd'hui de l'inflexibilité
46:59de l'Etat à vouloir libérer les ennemis
47:01d'antan. Aujourd'hui, terriblement
47:03affaibli par la longévité de leur incarceration
47:05et leurs drastiques conditions de détention.
47:07Georges Cipriani
47:09a sombré dans la folie. Nathalie Ménigon
47:11a fait deux accidents vasculaires cérébraux.
47:13Jean-Marc Rouillant serait lui en
47:15mauvaise condition physique. Joël
47:17Aubron, atteinte d'une tumeur au cerveau,
47:19sera la seule à bénéficier d'une libération.
47:21Elle sort en juin 2004
47:23pour mourir moins de deux ans plus tard.
47:27Par contre, effectivement,
47:29on fait passer l'idée
47:31que tant qu'ils n'abjureront pas
47:33ils ne peuvent pas
47:35être placés en liberté conditionnelle parce que
47:37la condition de la libération conditionnelle
47:39c'est pour eux
47:41de demander pardon, de condamner
47:43ce qu'ils ont été.
47:45Alors, condamner ce qu'ils ont fait
47:47passe encore
47:49mais on exige d'eux qu'ils condamnent
47:51ce qu'ils ont pensé,
47:53donc ce qu'ils ont été,
47:55comme être pensant.
47:57Ça n'a pas été obligatoirement une erreur, ça a été un échec.
47:59Bon, maintenant,
48:01d'autres hypothèses sont possibles
48:03pour en finir avec ce monde-là.
48:05Il va falloir les tenter.
48:07Ils ont fait ce qu'ils voulaient,
48:09ils ont pris leur responsabilité
48:11et maintenant,
48:13ils doivent payer leur acte.
48:15Ils se sont engagés
48:17et moi je dis, ce qui leur arrive,
48:19c'est tant pis pour eux.
48:21Je n'ai pas de pitié, je n'ai pas.
48:23Je me demande même quelquefois
48:25si je pourrais leur pardonner un jour.
48:27Pour le moment, je ne peux toujours pas.
48:29C'est sa vie.
48:31Il ne la regrette pas.
48:33Il est détendu.
48:35Je voudrais que vous le voyez.
48:37C'est ça.
48:39Mais que faire ?
48:41Je me suis posée 100 fois la question.
48:43Comment ?
48:45Qu'est-ce qu'on peut faire
48:47dans un cas comme ça ?
48:49On ne peut pas se ficher à l'eau quand même.
48:51C'est comme ça.
48:53J'ai tenu le coup
48:55et je le tiens encore.
48:57Aujourd'hui,
48:59derrière les murs de sa prison,
49:01Jean-Marc Rouillon reste l'éternel militant
49:03mais il a choisi d'autres armes inoffensives,
49:05les mots.
49:07À 16 ans, on entrevoit parfois son histoire,
49:09d'un seul trait foudroyant
49:11tel la balle.
49:13Quelque chose qui dépasse,
49:15ne serait-ce qu'un petit peu la vie d'un secte obtue
49:17qui nous est promise.
49:19De cette révolte qui me berce
49:21et me bercera désormais comme le battement d'un deuxième cœur.
49:23Une révolte aujourd'hui sourde,
49:25une révolte qui reste incohérente,
49:27aberrante dans ses modes d'expression.
49:29Le combat d'action directe n'a pas été compris.
49:31Il ne le sera jamais.
49:33Il restera une absurdité.
49:35Les militants d'hier
49:37ne sont plus les ennemis d'aujourd'hui.
49:39La menace est ailleurs.

Recommandations