Les défis spécifiques auxquels font face les femmes dans un secteur traditionnellement masculin
La gestion d'une exploitation agricole au quotidien
L'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle
Les innovations apportées par les femmes dans l'agriculture
La transmission des exploitations et le rôle des femmes dans cette transmission
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00:00...
00:10Allez, les filles !
00:11...
00:19Allez !
00:20Hop !
00:22T'es contente ?
00:24Allez ! Hop !
00:26Tu continues de les pousser. Allez !
00:28Allez !
00:30Allez, allez !
00:33Allez !
00:35On y va !
00:37Allez, là !
00:38Allez, on y va !
00:40C'est presque une vocation, ce métier-là.
00:42C'est un mode de vie. Je sais pas trop comment l'expliquer.
00:47Dès mon enfance, assez petite,
00:50je me suis toujours passionnée pour l'agriculture.
00:52J'ai grandi là-dedans et j'adorais ça, aller sur les tracteurs.
00:56Mon père me mettait à tenir le volant, il enclenchait la première,
00:59et il me disait, tu vas tout droit.
01:01Et lui, il était derrière à décharger le maïs.
01:04Et moi, j'avais 6, 7 ans, l'âge d'Adèle.
01:10J'ai fait la connaissance de Cécile un beau matin d'été en Bretagne.
01:16Remonte ton oeil.
01:18Voilà.
01:19Attends, je vais te mettre un peu des huiles essentielles.
01:23Quand on s'est installés tous les deux avec Anthony,
01:26on a fait le choix de créer une société qu'on appelle le GAEC,
01:30où, du coup, on était tous les deux associés à part entière, à 50-50.
01:37Moi, en tant que femme, aujourd'hui, je me sens très bien
01:40dans mon statut de chef d'exploitation.
01:43Je pense que si on revient 60 ans en arrière,
01:47je suis pas sûre que ma grand-mère, elle,
01:50avait l'autorisation de s'asseoir à table
01:53et de la ramener comme elle voulait sur les décisions
01:56qu'il fallait prendre sur la mise en culture ou autre,
02:00ou sur la vente du bétail.
02:02Allez.
02:03Et donc, finalement, je suis arrivée en terrain conquis, si on veut.
02:07Mais c'est grâce à toutes ces femmes de la génération d'avant
02:11qui ont toujours eu des revendications
02:15et qui ont été chercher un petit peu la reconnaissance
02:18des femmes dans le milieu.
02:20Est-ce que tu as du respect, de l'admiration pour elles ?
02:24Oui. Je leur dis merci, en tout cas, voilà.
02:30Mais Dieu, que ce chemin fut long !
02:32Il leur a fallu plus de 60 années
02:35pour passer de l'invisibilité sociale
02:38à la reconnaissance pleine et entière de leur statut.
02:42De paysannes sans profession
02:44au métier subi, scellé par le mariage,
02:48jusqu'à devenir des actrices incontournables
02:51du monde agricole et de son avenir.
02:56Pourquoi cette conquête a-t-elle été aussi lente ?
03:00Comment ont-elles revendiqué
03:02et surtout gagné la bataille de l'intérieur ?
03:07Voici le récit d'une injustice sociale
03:10oubliée de l'histoire de l'émancipation des femmes,
03:13racontée par les pionnières
03:15qui ont mené ce combat de l'ombre.
03:45...
03:55Cette quête personnelle prend sa source dans cette ferme,
04:00celle où ma grand-mère maternelle a grandi,
04:03élevé ses vaches
04:05et cultivé la terre pendant plus de 40 années.
04:08...
04:11J'y retrouve le berceau de ma petite enfance
04:14dans les années 1970,
04:17celle des jours heureux
04:19autour des cochons, poules et vaches.
04:22...
04:27Celle des jeux interdits dans ces clapiers à lapin
04:30où je m'enfermais pour empêcher ma grand-mère de les dépiauter.
04:35...
04:43C'est bien plus tard, en remontant le fil de sa vie,
04:46que j'ai compris à quel point elle n'avait été
04:49aux yeux de la loi qu'une travailleuse clandestine,
04:53abattant pourtant le même labeur qu'un homme.
04:56...
05:00Grand-mère aimante et pudique,
05:02elle ne s'apitoyait jamais sur son sort.
05:05Je conserve d'elle ses photos
05:08et l'enregistrement sonore de ses souvenirs.
05:12Voici Denise, son sourire discret et sa voix tendre.
05:17Je me suis mariée le 25 novembre 1941.
05:21On était sous le joug des Allemands.
05:25Nous, dans les fermes, on arrivait à manger.
05:28Parce qu'on avait du lait, du beurre, du blé, tout.
05:34Alors je tâchais de partager aux mères de famille.
05:38Je leur donnais une demi-livre de beurre,
05:41un petit peu de ci, un petit peu de ça.
05:44Enfin, on tâchait de partager. Je partageais.
05:47C'est vrai que je trouvais que tout le monde avait
05:50des enfants à nourrir. C'est surtout pour les enfants.
05:54Ça a été terrible. Terrible, terrible.
05:57...
06:02En sillonnant les routes et chemins de nos campagnes,
06:05j'ai cherché à rencontrer une paysanne de sa génération.
06:08Une militante de la première heure
06:11qui s'est affranchie d'une vie soumise.
06:15...
06:28Michou Marcus et ses 90 saisons.
06:31Comme si je poursuivais la conversation
06:34avec ma grand-mère.
06:37...
06:46Quand je me suis mariée, c'est la coutume ici,
06:49papa est venu aider sa fille chérie.
06:52Il m'a mis la couronne sur la tête.
06:55Quand il m'a mis la couronne sur la tête, il a pleuré.
06:58Ça m'a serré le coeur.
07:02Il m'a dit, tu sais,
07:05moi, j'ai peur que tu ne te trouves pas bien, là.
07:08...
07:12Je ne sais même pas de quoi.
07:1520 ans, tu parles, une gamine.
07:18Je commence à goûter les bienfaits de la cohabitation.
07:21Pour moi, ça a été 4 années de puratoire.
07:24...
07:28La cohabitation.
07:31C'est un fléau pour les jeunes épouses de cette époque.
07:34Elles vivent sous le toit de leurs beaux-parents
07:37pendant des années, sous l'emprise d'une génération
07:40enfermée dans ses traditions.
07:43...
07:47J'étais complètement écrasée. Je n'osais rien faire.
07:50Il faut aller chercher une pièce,
07:53il faut aller faire n'importe quoi.
07:56La belle-fille était là, disponible.
07:59J'avais le droit de rien.
08:02Et quand je voulais serre-sous,
08:06il fallait que je demande à mon beau-père.
08:09Finalement, tu servais à quoi ?
08:12À rien. Le bouche-trou.
08:15Je me sentais écrasée.
08:18Habituée à la liberté, j'étouffais.
08:22Qu'est-ce que j'aimais voir de cette fenêtre-là ?
08:25On voyait loin.
08:28Les rencontres avec les jeunes catholiques du village
08:31offrent à Michou et son mari leur rare échappatoire.
08:34On s'est aperçus qu'on était toutes logées
08:37à la même enseigne.
08:41L'abbé Robert nous dit
08:44qu'on ne pouvait pas rester comme ça.
08:47Il faut partir. N'ayez pas peur. Partez.
08:50C'est pas normal qu'un couple soit comme ça.
08:53Vous partez.
08:57Michou et Jean osent briser cette vie cloisonnée
09:00et trouvent refuge dans une métierie des beaux-parents
09:03laissée à l'abandon.
09:06On ne s'est jamais embrassés devant mes beaux-parents.
09:09Jamais.
09:13Là où on a été amoureux, notre dune de miel,
09:16ça a été ici. Quel bonheur !
09:19Il n'y avait qu'une chaumière. C'était la terre battue.
09:22Mais c'était le paradis.
09:25C'était plein de rats et de souris,
09:28mais c'était le paradis.
09:32...
09:35Evénement de la vie moderne.
09:38Le 21e salon des arts ménagers a ouvert ses portes
09:41proposant à la ménagère moderne ses commodités et ses magies.
09:44...
09:48Dans ces années d'après-guerre
09:51marquées par l'exode rural,
09:54un mouvement de jeunesse connaît une véritable apogée
09:57dans les campagnes françaises,
10:00celui de la Jeunesse agricole catholique, la JAC.
10:03...
10:07Animée par des prêtres progressistes,
10:10elle offre de l'espérance à des milliers de jeunes filles
10:13tentées par une vie meilleure à la ville.
10:16...
10:19...
10:22Le mouvement, l'essor de l'isolement,
10:26participe à l'émancipation des futurs couples
10:29et leur redonne de la fierté pour les faire rester à la terre.
10:32...
10:35...
10:38De la JAC émergent des leaders emblématiques.
10:42Raymond Lacombe, futur patron du syndicat de la FNSEA
10:45et son épouse, Marie-Thérèse,
10:48responsable de la section féminine.
10:51Une pionnière qui va incarner le changement
10:54d'une vie plus moderne pour les paysannes.
10:57...
11:01La JAC, que Michou rejoint dès son adolescence,
11:04est la matrice de son engagement.
11:07...
11:10...
11:13Alors, ce qui m'a fait bouillir,
11:17je me revois encore quand le recenseur
11:20est venu, et puis il faisait son truc,
11:24alors tâte de poelle, tâte de ci, tâte de là,
11:27il fallait tout dire, et puis il me dit
11:30« Et vous ? Vous, je mets ça au travail. »
11:33Je lui dis « Comment ? Ah oui.
11:36Et non, vous n'avez pas de métier.
11:40Je lui dis « Agricultrice, c'est pas un métier ? Ah non,
11:43c'est pas reconnu comme un métier. Moi, j'ai fait un bon. »
11:46Alors, je lui dis « Bonhomme, mais moi, je mettrais pas ça
11:49en S.A.S. Je mettrais C.E.N.T.
11:52parce que je suis mère de famille,
11:55je soigne des poulets, je vais travailler à la ville.
11:59Et c'est pas un métier, ça ? »
12:02Je lui ai dit « Bonhomme, ça. »
12:05Réunion syndicale.
12:08Le président leur avait dit « Il faudrait que les femmes bougent
12:11et qu'elles prennent une position aussi.
12:15Il faudrait une femme qui mobilise comme ça,
12:18il faudrait une de la volonté qui est de la femme.
12:21Et mon mari, il a dit « Oui, j'en connais une.
12:24C'est la mienne. » Et c'est comme ça.
12:27Alors, moi, qui venais de râler à cause de ça,
12:30on me donnait un tremplin pour voir,
12:34défendre notre métier que j'ai été partante à 100%.
12:37Et mon mari m'a toujours poussée.
12:42Cette fermière hollandaise qui arpente ses terres
12:45et pousse ses oies est la présidente bénévole
12:48d'un des groupes féminins de vulgarisation agricole.
12:51En plus de son mandat à la FNSEA,
12:55Michou embarque ses amis de la JAC
12:58dans ses groupements pour les aider
13:01à conquérir une identité professionnelle.
13:04Les femmes se forment à la comptabilité,
13:07participent à des voyages d'études
13:11et prennent toute leur place dans ce métier
13:14pour accompagner la modernisation agricole en cours.
13:17Sans parler de la révolution de l'habitat,
13:20dont elles sont les moteurs pour améliorer leurs conditions de vie.
13:24« Moi, je voulais faire avancer le monde agricole.
13:27La 1re chose, sortir les femmes de chez elles,
13:31d'abord qu'elles voient autre chose,
13:34et leur enlever le manche qu'elles avaient toujours à la main,
13:37parce qu'elles avaient autre chose à faire
13:40qu'avoir le manche à la main.
13:43Mais ça n'est pas arrivé, parce que là, on a dit attend.
13:46Alors nous, on a formé les femmes à fond
13:50à faire la comptabilité, et comme ça,
13:53vous savez, celui qui tient l'argent tient le pouvoir. »
13:56« Est-ce que vous seriez d'accord
13:59pour que votre femme vienne faire un stage analogue ? »
14:02« Bien sûr, seulement ça pose un problème très difficile
14:06pour que ma femme se libère,
14:09étant donné qu'elle assure la tendance à la maison,
14:12l'éducation des enfants et leur formation. »
14:15Les mentalités rurales ont encore du chemin à parcourir
14:18à l'aube de bouleversements
14:21qui vont secouer la société française.
14:25Musique douce
14:28...
14:31Quel écho cette ébullition va-t-elle connaître
14:34dans les campagnes et chez les paysannes ?
14:37C'est ce qui m'a poussé
14:40à rencontrer Marie-Paul,
14:44dont les événements de mai 68 vont bouleverser la vie.
14:47Aînée d'une fratrie de 10 enfants,
14:50elle a vu sa mère s'user à la tâche
14:53et va s'engager dans le syndicalisme
14:56pour défendre les petits paysans
15:00et la cause des femmes de la terre.
15:03...
15:06« Ma mère, elle avait pas de numéro de sécurité sociale,
15:09c'est comme mon père.
15:12C'est aussi quand même un monde
15:15de pas avoir d'existence sociale à soi. »
15:19« Quand tu es enfant et surtout adolescente,
15:22tu rêves de partir.
15:25J'ai envie de me tirer de là, je veux pas rester dans ce milieu-là.
15:28Je me suis dit, je vais faire des études,
15:31je vais aller à l'école et je ferai autre chose.
15:35Je veux pas devenir paysanne comme ma mère, non jamais.
15:38Je me suis dit, je vais en fac, je continue.
15:41Quand j'ai dit ça à mon père, il m'a dit,
15:44« Non mais ça va pas, la fac c'est fait pour les fils de bourgeois,
15:48c'est pas fait pour les filles de paysans. »
15:51C'est en quoi il avait pas tort.
15:54Je crois qu'à cette époque-là, on était 3 % de fils et filles
15:57d'ouvriers et de paysans à fréquenter la fac.
16:00Puis 68 est arrivé,
16:04on a soulevé le couvercle de la marmite, c'était quand même pas mal.
16:07Pendant que le quartier latin s'embrase,
16:10à Nantes se joue un événement singulier.
16:13Paysans, ouvriers et étudiants
16:16écrivent ensemble les mots de la révolte.
16:20Marie-Paul est de toutes les manifestations.
16:23En mai 68, je m'éclate.
16:26D'abord, j'étais vraiment pas politisée du tout avant.
16:29Je trouvais ça formidable.
16:32Qu'est-ce qu'il y avait de formidable ?
16:35D'une part qu'on peut changer des choses,
16:39que c'est pas inéluctable le milieu social dans lequel on a vécu.
16:42On peut se sortir de là, on peut faire autre chose.
16:45Il y avait un mouvement paysan
16:48qui réfléchissait à la vie sociale.
16:51Avec les syndicats ouvriers,
16:55il y a un paysan,
16:58que je connais bien,
17:01qui se ramène avec une pancarte « Place au peuple ».
17:04Ils ont été mettre cette pancarte
17:07en haut de la fontaine de la Place Royale à Nantes.
17:10Cette photo est magnifique.
17:14C'est la liberté retrouvée.
17:17Surtout pour les femmes.
17:20Pour les paysannes, oui, puisqu'elles n'avaient droit à rien.
17:23Elles n'avaient droit qu'à travailler.
17:26Depuis la révolte des tracteurs en 68,
17:30Marie-Paul s'est engagée
17:33auprès de Bernard Lambert,
17:36fondateur de l'Association des paysans-travailleurs,
17:39la future Confédération paysanne.
17:42Un mouvement qui dénonce l'exploitation des petits paysans
17:46et combat l'agriculture capitaliste.
17:49Marie-Paul participe même à organiser ce premier rassemblement
17:52en soutien au 103 du Larzac,
17:55menacé d'expulsion par le pouvoir
17:58et son projet d'extension du camp militaire.
18:03Son militantisme relève à la fois
18:06d'un combat social, politique et féministe.
18:14C'est un syndicat bouillonnant d'idées.
18:17Ce sont des jeunes paysans qui sont attentifs
18:21à ce que leurs compagnes ne soient pas leurs esclaves.
18:24Moi, je participe, par exemple,
18:27aux journées paysans-travailleurs de Fontenay-sous-Bois.
18:30Il y a un petit groupe bien décidé.
18:33On fait voter un amendement qui dit
18:36qu'il ne peut pas se considérer comme paysan-travailleur
18:40un homme qui passe son temps à lire son journal
18:43pendant que sa femme s'échine aux travaux ménagers.
18:46Et c'est adopté. C'est formidable.
18:49A l'unanimité ?
18:52Ceux qui étaient contre n'ont pas dû oser se manifester.
18:56Il faut dire qu'entre-temps,
18:59la révolution s'est déclenchée.
19:04Environ 2000 femmes, souvent jeunes, quelques fois plus âgées,
19:07défilent de la République à la Nation
19:11à l'appel du MLF, le Mouvement de Libération de la Femme.
19:14Les militantes féministes de 1971
19:17réclament en toute priorité une sexualité heureuse
19:20et déchargée des angoissants problèmes matériels
19:23et elles revendiquent la contraception libre et gratuite
19:26et la liberté de l'avortement.
19:34Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement.
19:37Il suffit d'écouter les femmes.
19:40Actuellement, qui s'en préoccupe ?
19:44La loi les rejette non seulement dans l'opprobre,
19:47la honte et la solitude,
19:50mais aussi dans l'anonymat et l'angoisse des poursuites.
19:54Membre de la commission féminine de la FNSEA,
19:57Michou est associée aux réunions de concertation
20:00autour de la loi légalisant l'avortement.
20:04L'agricultrice landaise côtoie ainsi
20:07l'une des plus grandes figures de la Ve République.
20:13Simone Veil, c'est une femme que j'adorais.
20:16Je garde un souvenir de cette femme qui était profonde.
20:19Elle était d'une gentillesse, d'une dignité,
20:22d'une douceur.
20:26Mais volontaire.
20:29J'ai trouvé des femmes du MLF quand j'allais au ministère de la Santé.
20:32Elles allaient trop loin.
20:35Toutes ces dames bien passantes qui sont bien...
20:38Moi, la petite agricultrice, je serais presque passée...
20:42Alors j'écoutais. Elle le parlait très bien, tu sais.
20:45Et puis elles étaient...
20:48Elles avaient l'air...
20:51C'était toujours comme ça.
20:54J'ai toujours eu un complexe à cause de ça.
20:57De ne pas faire une étude des agricultrices, des cutéreuses.
21:01Oui.
21:04C'est pourtant une héroïne solaire
21:07que le public découvre dans un film
21:10tordant le coup au cliché sur le monde agricole.
21:13Il est réalisé par un cinéaste du réel, Bernard Artigues.
21:17Tu peux m'amener ce soir à la gare ?
21:20A la gare où ?
21:23En Thèse. Pourquoi en Thèse ?
21:26Parce que j'ai une réunion de la FNG d'art.
21:30Encore une réunion de la FNG d'art cette semaine ?
21:33Bon sang, on doit avoir la vâteuse. C'est pas malin, ça.
21:36Je pars ce soir, je reviendrai demain soir, je préparerai tout.
21:39La semaine dernière, c'était pas déjà la FNG d'art ?
21:42Non, la semaine dernière, c'était le ministère de la Santé.
21:46Mais là, je préparerai tout.
21:49C'est ce soir. Je vous ferai manger avant de partir.
21:52Si on revient demain, je préparerai tout.
21:55Oui, mais à la rigueur.
21:58Oui, c'est vrai que c'est à 11h. Je peux y aller.
22:02On va finir de manger.
22:05Comme ça, tu auras la voiture.
22:20Je reviendrai plus tard.
22:23Je vais faire taper mon rapport et je vais pas chercher Isabelle.
22:26Il faut qu'on soit dans une archive.
22:29A 50 ans, Michou se bat à l'assablement
22:32pour les femmes rurales, encore trop isolées.
22:36Où êtes-vous pour les permis de conduire des femmes ?
22:39Pour celles qui ont 35-40 ans,
22:42il y en a quelques-unes qui attendent. C'est urgent.
22:45Jamais elles ne feront la démarche si on ne les aide pas à se grouper.
22:48Il faut absolument passer des articles sur le journal.
22:51Vous n'avez qu'à désigner des délégués régionales
22:55et leur dire qu'elles recrutent toutes les personnes
22:58qui n'ont pas le permis entre 40 et 50 ans.
23:01Si on veut rompre l'isolement en milieu rural,
23:04il faut qu'elles puissent partir toutes seules.
23:07Il faut pas attendre d'avoir un chauffeur.
23:11Il faut se dépêcher quand même, depuis le temps que ça traîne.
23:14Pourquoi en 1983, autant d'agricultrices
23:17n'ont pas pu conduire ce précieux sésame de leur autonomie ?
23:20Musique douce
23:23...
23:36Dans cette France rurale, chrétienne et conservatrice,
23:40où le féminisme peine à s'imprégner,
23:43j'ai fait la connaissance d'un trio de militantes paysannes,
23:46des résistantes.
23:49...
23:54Monique, ancienne ouvrière à l'usine,
23:58Bernadette, sa belle-sœur,
24:01et Marie-Hélène n'attendent pas la loi
24:04pour conquérir chacune à leur manière
24:07leur propre indépendance financière.
24:10...
24:14Les deux belles-sœurs, installées avec leur mari,
24:17trouvent le moyen de garantir l'égalité avec leurs époux.
24:20...
24:23C'est vrai que là, on s'est dit, si on essaie pas de trouver notre place,
24:26on l'aura jamais.
24:27C'est une copine qui était féministe aussi, Martine,
24:30qui nous a dit, pourquoi vous feriez pas ensemble
24:33quelque chose sur la ferme ?
24:36On en a parlé après aux hommes, on a fait une réunion
24:39en leur disant, on vous propose ça,
24:42de travailler toutes les trois, d'avoir une production de moutons.
24:45Et voilà.
24:47Ils ont réagi comment ?
24:49Ça les a un petit peu...
24:53Mais ils ont accepté.
24:56Oui, ils étaient assez ouverts.
24:59...
25:01Moi, je me rappelle très bien les premières naissances d'agneaux.
25:06Franchement, on avait réussi.
25:10C'était quelque chose.
25:12Avec toutes les femmes qui se sont installées,
25:15je pense qu'après, faut que tu prouves doublement
25:18que t'es capable de faire.
25:20C'était pas forcément facile et on s'est battu pour ça.
25:24Et ça a marché.
25:26...
25:31A 24 ans, mariée et jeune maman,
25:34Marie-Hélène fait un choix plus radical.
25:37...
25:40Elle devient son propre patron.
25:44...
25:47Un jour, mon voisin m'a dit,
25:50mais on n'aurait jamais cru que tu y aurais arrivé.
25:53Et pour moi, c'est violent, des phrases comme ça.
25:56Ca t'a renvoyé à quoi ?
25:59Tu m'as regardée faire et puis m'échiner à tout.
26:02Et maintenant, tu me dis ça ?
26:05Tu m'as vue pleurer, tu m'as vue pas y arriver des fois.
26:08Tu m'as vue... J'y suis arrivée quand même.
26:11Voilà. Et c'est pour ça que je dis, comme des dettes,
26:14quand t'entends ça, tu te dis, c'est une réussite quelque part.
26:19...
26:20Il t'arrivait parfois de pleurer ?
26:23Remarque !
26:25Je crois que j'ai braillé, braillé, braillé.
26:28Ca veut dire pleurer. J'ai beaucoup pleuré.
26:31J'ai beaucoup pleuré.
26:33Atelier un outil, par exemple,
26:35il fallait des fois une demi-heure avant d'y arriver,
26:39alors que les gars, ils le faisaient en 5 minutes.
26:42J'avais des astuces pour porter les sacs de 50 kg,
26:45mais j'étais en force.
26:47J'ai eu de la chance, le corps a suivi.
26:50J'avais un corps costaud.
26:54Pour te dire, mon père,
26:568 jours avant de mourir, j'ai dû te le dire,
26:59il me dit, mais tu dis que j'ai travaillé.
27:02Mais tu t'es pas regardée.
27:05Il m'a dit ça, papa.
27:07J'ai dit, là...
27:10Là, ça donne envie de pleurer.
27:12Ca, ça donne envie de pleurer.
27:15Parce que, bon, il est...
27:18Il l'a reconnu, et puis il venait aider,
27:21il voyait ce qui se passait.
27:24Ouais.
27:26Mais bon, voilà.
27:28Ca, c'est mon histoire.
27:30...
27:32...
27:34Elles ont été avant-gardistes, car jusque-là,
27:38les femmes sont tiraillées
27:40entre leur désir d'indépendance
27:43et la tradition d'une certaine docilité.
27:46...
27:48Elles battent bien le pavé,
27:51mais c'est plus souvent en épouse et mère de famille
27:54défendant les revenus de leur foyer et l'avenir de leurs enfants.
27:58En 1969, dans la Manche,
28:00en 1972, en Bretagne,
28:03où elles participent activement à l'historique grève du lait.
28:07...
28:09Pourquoi les femmes ?
28:11Il y a tout d'abord une belle vache normande, ici.
28:14En 1980,
28:17où elles investissent les Champs-Elysées.
28:20Un an plus tard, au Mans,
28:22les adhérentes de la FNSEA soutiennent leurs époux
28:25en guerre ouverte contre la ministre socialiste Edith Cresson.
28:30Mais en 1983, en Bretagne,
28:32plus d'un millier de femmes
28:35revendiquent cette fois un statut pour elles-mêmes.
28:38...
28:40-"Toutes ces femmes d'agriculteurs
28:42ont réclamé le droit d'être reconnues agricultrices.
28:45Des dossiers restent en attente.
28:48Statut de co-exploitante, retraite complémentaire
28:51et remplacement en cas de maternité.
28:53Elles veulent faire aboutir ces revendications."
28:56-"Qui ont fait le choix de ce métier ?
28:59Entendre, avoir une parité de vie
29:03avec ce qu'elle aurait pu trouver à l'extérieur."
29:06...
29:08Qui est cette femme qui, ce jour-là, mène la fronde ?
29:11...
29:1340 années après ce document,
29:16je l'ai retrouvée chez elle.
29:18...
29:20Annemarie Crolet, retraitée
29:23et militante plus que jamais.
29:26...
29:28On s'est battues, notamment avec d'autres copines,
29:32sur le statut des femmes, justement pour essayer
29:35de faire en sorte que cette injustice soit corrigée.
29:38Moi, j'ai dit souvent, le tracteur,
29:41un vieux tracteur de 30 ans, ici, était mieux assuré que moi,
29:44en cas d'accident.
29:47Mais c'était complètement débile, quand même.
29:50Et donc, ça se faisait qu'on se taisait.
29:53Jusqu'au jour où on s'est putées.
29:55...
29:57Élue à 26 ans à la tête du centre des jeunes agriculteurs
30:01de son département, l'une des premières femmes en France,
30:04elle dirige une équipe essentiellement masculine
30:07et marque les esprits par son autorité.
30:10...
30:12...
30:15Vous avez le goût du pouvoir ?
30:17...
30:19Oui. Oui.
30:21...
30:23Éleveuse de port avec son mari, à l'heure du productivisme galopant,
30:26elle est déterminée à ne pas reproduire
30:30la vie corsetée de sa mère qu'elle a tant vue souffrir.
30:33...
30:35...
30:37Anne-Marie le dit dans un livre
30:40qui la propulse sur le devant de la scène.
30:44...
30:46...
30:48...
30:51...
30:53Agricultrice, c'est toujours difficile à dire.
30:56Agriculteur, c'est mieux.
30:58Je voulais l'être, mais pas comme ma mère.
31:01Vous menez une triple vie. Vous êtes épouse, mère de famille.
31:04Vous êtes agricultrice, militante syndicale.
31:07Donc vเลย 3 vies.
31:09Je crois que beaucoup de femmes mènent beaucoup de vie à la fois.
31:122, sûrement. 3, c'est plus rare.
31:15Disons que j'ai une vie syndicale.
31:17Donc une vie de militante qui est importante, c'est frais.
31:20pour mener trois vies comme ça.
31:21Est-ce que vous n'êtes pas tentée aussi ?
31:24Je ne voulais pas faire honte aux agricultrices.
31:28C'est ça que j'avais, mon boulot au ventre, c'était ça.
31:32Le représenter dignement.
31:34Donc je m'étais pincée et j'avais dit à Anne-Marie,
31:37il faut que tu sois à la hauteur de ces femmes
31:40pour montrer que les agricultrices peuvent être à la hauteur.
31:43Son ascension médiatique fait d'elle l'agricultrice de la revendication.
31:48Elle va jusqu'à apostrophé la ministre déléguée aux droits des femmes, Yvette Roudy.
31:53Je crois que madame la ministre, ce que j'entends pour les femmes agriculteurs,
31:57c'est qu'elle sait justement au niveau législatif
32:00que votre ministère veuille bien aller comme action directe,
32:06concrète vers la reconnaissance d'un statut.
32:08Statut juridique, statut social.
32:11Sans parler de la retraite qui est un véritable scandale.
32:14Mais une jeune femme attrape un accident à 25 ans sur une exploitation
32:17et avec les machines qu'on a aujourd'hui, c'est fort possible.
32:20Elle n'a pas le droit à aucune indemnisation.
32:23Je peux vous garantir que ce sera fait au moins dans les 3 ans à venir.
32:27Le statut de l'agricultrice.
32:29On était consciente que si nous on se prenait pas collectivement en charge,
32:34fallait pas compter sur personne.
32:36Fallait convaincre nos pères, fallait convaincre tout le monde.
32:39Et ça, ça a été très long. Très long.
32:41On défendait notre peau.
32:45Au pouvoir depuis 5 ans,
32:47la gauche a reconnu les syndicats minoritaires
32:50et notamment celui des travailleurs paysans auxquels appartient Marie-Paul.
32:55Elle choisit alors de conduire la lutte sur un autre front.
33:01Il fallait obtenir un statut.
33:03Mais on n'allait pas l'avoir tout de suite comme ça, en claquant des doigts.
33:07Et je me disais qu'on allait l'obtenir.
33:11Si on obtient des droits sociaux, des vrais droits sociaux,
33:15on obtient par exemple un vrai congé maternité,
33:17ça veut dire qu'on reconnaît le travail des femmes.
33:19Donc après, il faudra bien que derrière,
33:21ils nous donnent un statut, qu'on soit reconnu,
33:24qu'on ait une carte de protection sociale,
33:28notre propre numéro de protection sociale,
33:30qu'on soit inscrite à l'AMSA,
33:33qu'on ait les mêmes droits que les hommes.
33:35C'est pour ça qu'on s'est bagarrées sur le statut de l'agricultrice.
33:38C'est pour ça qu'on s'est bagarrées sur le congé maternité.
33:42En plus, c'était quand même nécessaire,
33:45parce que pendant cet hiver-là,
33:47on a fait témoigner des gynécos, des toubibs,
33:49qui nous disaient que c'était des catastrophes quand même,
33:51qu'ils s'organisaient comme ça,
33:54quand il n'y avait pas de congé maternité,
33:56qu'ils voyaient des choses abominables dans le corps des femmes,
34:00au travail tout le temps, pas de repos.
34:03On les a fait témoigner ces gens-là quand même.
34:05On a un syndicat minoritaire,
34:07on a un gouvernement de gauche,
34:09alors on s'appuie là-dessus,
34:10on demande rendez-vous à Yvette Roudy,
34:12qui était ministre du droit des femmes.
34:14Elle nous dit, les filles, banco !
34:16On est en campagne électorale.
34:18Je dis à Fabius, demain, il va dans le Morbihan,
34:21je lui dis d'annoncer le doublement du congé maternité.
34:24Et ça se fait comme ça.
34:26C'est assez incroyable, cette histoire.
34:31Elles obtiennent 8 semaines de congé maternité en 1986,
34:36alors que les femmes salariées bénéficient du double depuis déjà 6 ans.
34:44Vous ne verrez pas de photos officielles
34:46de ces négociations menées par tous les syndicats.
34:49Cette lutte ne fait guère la une des journaux,
34:52jusqu'à ce petit matin, enfin.
34:56France Inter, il est 8h.
35:02Bientôt, on ne dira plus « femmes d'agriculteurs »
35:05ou encore « femmes agriculteurs »,
35:07mais sans doute « agricultrices »,
35:09c'est-à-dire femmes et chefs d'exploitation à part entière.
35:14En 1988, leurs premiers statuts officiels entrent en vigueur.
35:19Elles sortent de la clandestinité sociale
35:22et peuvent devenir co-exploitantes avec leurs maris.
35:27Mais c'est une première victoire en trompe-l'œil.
35:31Il y a eu des maris qui n'ont pas voulu, ça c'est sûr.
35:34Dans les fermes, il n'y avait pas beaucoup de revenus
35:37et tout l'argent passait à la modernisation agricole,
35:40soit dans l'élevage, soit dans les tracteurs.
35:43Et puis, un sou est un sou.
35:45On disait, ben oui, mais si on dépense plus
35:49pour assurer mieux, au niveau de sa retraite,
35:54au niveau de son statut, l'agricultrice,
35:58zut, il y aura moins d'argent pour investir.
36:03J'ai reçu chez moi des fois des groupes de filles
36:06qui étaient en formation agricole.
36:08C'était le formateur qui me demandait de leur parler du statut.
36:11Et quand je disais aux filles,
36:13mais la cotisation que votre mari va payer, c'est que dalle,
36:16c'est 2 000 euros par an,
36:18et vous croyez qu'il regarde à 2 000 euros
36:20quand il achète un tracteur ?
36:22Oh, ben quand même, quand même, ça fait des sous.
36:26J'ai dit, mais vous êtes au courant du prix du matériel ?
36:30C'est le poids de la tradition et du patriarcat, oui, bien sûr.
36:33Mais c'est terrible quand même d'être soumise à ça, quoi.
36:36Moi, ça me révulse.
36:40L'avancée de leurs droits est une longue marche
36:44gagnée à tout petit pas.
36:4610 ans plus tard, en 1999,
36:49celles qui ne sont pas co-exploitantes
36:52obtiennent le titre de conjoints collaborateurs.
36:55Elles accèdent à une retraite complémentaire,
36:58une meilleure protection sociale,
37:00mais encore faut-il à l'époque qu'elles soient mariées
37:03et que leurs époux donnent leur accord écrit.
37:06Ce n'est qu'en 2010 que la loi leur garantit
37:09l'égalité des droits avec leur mari ou conjoint.
37:13La création du GEC entre époux est une disposition
37:16qui était attendue depuis plus de 30 ans
37:19par tous les agriculteurs en France.
37:21Elle est la reconnaissance du travail des femmes d'agriculteurs
37:24et des conjoints d'agriculteurs dans notre pays.
37:27Sans parler enfin du congé maternité égal à celui des salariés,
37:31qu'elle ne décroche qu'en 2019.
37:34La partie est-elle alors gagnée pour les femmes de la terre ?
37:38On pourrait le croire avec cette image.
37:41Depuis 2017, le patron de la puissante FNSEA
37:44est une femme, Christiane Lambert.
37:47Sa place est-elle seulement un symbole ?
37:50Ou est-elle un symbole de l'égalité des droits
37:53entre les femmes d'agriculteurs et les conjoints d'agriculteurs ?
37:58Sa place est-elle seulement un symbole ?
38:01Ou le signe d'une révolution profonde
38:04dans ce milieu de bras musclés ?
38:12Comment cette éleveuse de port
38:14qui rêvait d'être agricultrice dès l'âge de 8 ans,
38:17qui s'est battue pour s'installer seule à 19 ans,
38:20a-t-elle conquis le pouvoir ?
38:24De quelle façon dirige-t-elle ce monde d'hommes ?
38:28Et comment défend-elle la cause des femmes ?
38:34Il y a 20 ans, il y a 30 ans,
38:36une femme n'aurait pas pu être présidente de la FNSEA.
38:39Ce n'était pas possible.
38:41Entendre dire par un commercial qui vient à la maison,
38:44quand il vient vers moi,
38:46il est où le patron ?
38:48Il est où le patron ? C'est moi.
38:50Il faut que j'ai un tempérament de battante.
38:52Je connais des agriculteurs et des responsables
38:55qui sont machos, oui c'est vrai, et qui assument.
38:57Ils ne disent pas les femmes, ils disent les bonnes femmes.
39:00C'est très agaçant et ça dure et ils sont incurables.
39:03Mais il n'y en a pas beaucoup.
39:04Mais que de temps en temps ils fassent des blagues un peu limites,
39:08moi je stoppe, je leur dis stop.
39:11Stop.
39:12Je sais que je suis très attendue par les femmes.
39:15Je le sais.
39:16Et je sais que j'ai un rôle à jouer
39:19de personne en responsabilité, visible et influente,
39:22qui doit les aider.
39:23Et qui doit aider aussi à ce que…
39:26On casse un peu les codes et le plafond de verre.
39:28La question c'est pourquoi dans le syndicat que vous présidez,
39:31il y a si peu de femmes membres du bureau,
39:35membres du conseil d'administration ?
39:38On n'est pas aux 25% de femmes chefs d'exploitation.
39:42Mais peu à peu, on améliore les choses.
39:44Mais ça ne se fait pas en 2-3 ans.
39:47Il faut plusieurs années pour y arriver.
39:48C'est un peu une course d'obstacles.
39:50Il faut avoir la santé,
39:51il faut avoir un conjoint qui partage,
39:53il faut tenir sa place sur l'exploitation,
39:55il faut être reconnu par ses pairs,
39:57il faut être réélu.
39:58Alors c'est vrai au féminin ou au masculin,
40:00mais c'est un petit peu plus compliqué pour certaines femmes.
40:03Je l'ai vu plus compliqué pour certaines femmes
40:05et certaines ont capitulé.
40:07Les places, ça se gagne.
40:09Est-ce qu'on veut, nous, les femmes, en gagner ou pas ?
40:13Il faut le savoir, c'est tout, c'est simple.
40:16Un homme ne laissera jamais sa place,
40:18ni en politique, ni dans les structures agricoles,
40:21ni dans les chambres consulaires des métiers, tout ça.
40:24Non, jamais.
40:25Si on veut le pouvoir, on y va.
40:28Et on gélit pas.
40:31C'est sûr que la classe politique
40:33a toujours eu du mal à comprendre le milieu agricole.
40:36Je ne dirais pas le mot mépris.
40:40Une injustice ?
40:41Oui, injustice, c'est clair.
40:43Tant qu'on ne faisait pas de bruit,
40:47il ne faut pas se faire de l'illusion.
40:49On ne faisait pas suffisamment de bruit.
40:51Les politiques réagissent à quoi ?
40:53On ne leur faisait pas peur.
41:02C'est un mot difficilement revendiqué dans le monde agricole
41:06et pourtant féministe.
41:08Ces combattantes l'ont été.
41:11Elles ont su dépasser une forme d'empêchement social,
41:16un patriarcat que leur mari avait eux-mêmes subi.
41:20Mais pourquoi tant d'autres sont-elles restées silencieuses ?
41:25Ont-elles souffert d'asservissement,
41:27d'une indifférence de la société ?
41:30Oserais-je le dire, d'un mépris de classe ?
41:34Comme d'autres pionnières,
41:36Michou a été décorée de la Légion d'honneur.
41:40Une reconnaissance bien symbolique de la République
41:43pour celle qui, jusqu'en 2000,
41:45a osé dire le dédain politique envers les retraités agricoles.
41:52J'ai fait des réunions dans tous les départements de France.
41:56Sur ça.
41:57Où il y avait le préfet,
41:59où il y avait un ministre qui était là.
42:01Je leur disais, vous avez oublié.
42:04Elles sont oubliées.
42:06Elles sont délaissées.
42:08J'ai été la voix des gens sans voix.
42:13C'est là que je suis fière.
42:15De ces petites femmes qui ne se plaignaient jamais,
42:18qui étaient presque pas dans la misère,
42:21mais qui vivaient avec pas de chauffage, pas de rien.
42:24Mais tu te rends compte.
42:27C'est à elles que je pensais.
42:30Cette injustice envers celles qui ont pleinement contribué
42:33à faire de l'agriculture une richesse nationale,
42:37ma grand-mère, veuve à 60 ans,
42:40l'a subie elle aussi.
42:43Comme la génération suivante.
42:50Marie-Paul, elle, avait juré qu'elle n'en ferait pas sa vie.
42:54Et pourtant, en plus de son mandat à la Confédération paysanne,
42:58elle sera éleveuse de moutons,
43:01puis fromagère, en accord avec ses valeurs.
43:18Aujourd'hui, elle perçoit une retraite inférieure au minimum vieillesse,
43:22mieux lotie encore que des milliers d'autres.
43:26Je suis partie avec zéro de capital.
43:29Donc on va continuer notre vie avec notre retraite de misère.
43:34Et j'ai 820 euros de retraite en tout et pour tout.
43:39J'ai un conjoint qui a heureusement une bonne retraite,
43:42mais si j'étais toute seule, je ne sais pas comment je ferais.
43:45J'y arriverais parce que j'ai l'habitude de gérer les situations de crise,
43:49mais c'est pesant de vivre toujours comme ça,
43:52en comptant tout et en se limitant sur tout.
43:55C'est vraiment très difficile.
43:59Je trouve ça inhumain, un peu inhumain.
44:13Comment se construit la nouvelle génération, héritière de ce long combat ?
44:19Les nouvelles pousses de l'agriculture choisissent ce métier par passion.
44:24Elles incarnent la relève indispensable d'une profession
44:28dont la moitié des forces vives partira à la retraite dans les 10 prochaines années.
44:34Issue de 10 générations de paysannes,
44:37Cécile s'est installée dès l'âge de 22 ans,
44:40alors qu'elle a pourtant connu la faillite de ses parents.
44:46Je suis quelqu'un de très optimiste,
44:49mais je garde toujours dans un petit coin noir
44:52ce que j'ai appris à l'école,
44:54ce que j'ai appris à l'école,
44:57ce que j'ai appris à l'école,
45:00mais je garde toujours dans un petit coin de ma tête
45:03que j'ai vu aussi le revers du métier et de la facette agricole.
45:07J'ai vu mes parents galérer.
45:09J'ai vu ma mère et mon père aller au travail
45:12et se lever tous les matins en sachant qu'ils perdaient de l'argent.
45:16J'ai vu ma mère négocier avec les techniciens
45:19pour qu'au moins sur la dernière paye des cochons,
45:22ils lui laissent de quoi faire un caddie de course.
45:25J'étais petite, j'avais 6-7 ans,
45:27mais c'est des choses, j'ai vu ça.
45:31J'aurais pu être en colère après l'agriculture,
45:34mais je m'en suis plutôt servie comme une force,
45:37parce que dans tous les choix que je fais,
45:40je sais qu'il faut rester.
45:42Déjà qu'il faut faire attention
45:44et je garde toujours dans un coin de ma tête
45:46qu'il faut rester humble dans ce qu'on fait.
45:48Mais je ne me suis jamais revendiquée autre que fille d'agriculteur.
45:58J'ai jamais attendu qu'on me donne la parole.
46:01Quand j'ai une idée, je la balance.
46:04J'ai de la chance d'avoir évolué dans un milieu
46:08où on ne m'a jamais empêchée d'apprendre le métier,
46:13d'évoluer dans mon métier.
46:15J'ai un mari aussi qui ne m'a jamais rabaissée
46:18et qui m'a toujours considérée comme son égale,
46:21que ce soit dans le couple ou dans la famille.
46:24Mais je me suis rendue compte
46:26qu'il y a beaucoup de femmes aujourd'hui
46:28encore qui sont isolées
46:30et qui n'ont pas forcément cette chance-là
46:33d'être écoutées à leur juste valeur sur les exploitations.
46:37Donc quand une fille, moi, me demande un stage,
46:40je ne peux pas dire non.
46:42Des fois, on arrête un peu de prendre des stagiaires,
46:45on fait une pause.
46:47C'est vrai qu'on prend beaucoup de stagiaires,
46:50mais si c'est une fille,
46:52elle a forcément sa place.
46:54C'est comme ça.
47:08Audacieuse et solidaire,
47:10jeunes agricultrices et paysannes
47:12chamboulent le modèle agricole dominant
47:15pour des pratiques plus respectueuses de l'environnement.
47:22C'est en Anjou, près des Coteaux-du-Léon,
47:25que j'achève ma quête au pays des femmes de la terre,
47:29chez Nadej Vigneron.
47:31Petite fille d'agricultrice,
47:33elle élabore des vins bio et naturels.
47:37Des fois, on les voit mal,
47:39mais on repassera.
47:41Ah oui, tu vois, il y en a une aussi.
47:43Je mettrai une personne à repasser dans tout le monde.
47:47Dans ce monde resté longtemps une affaire d'hommes
47:50où une légende éloignait les femmes des caves
47:53quand elles avaient leur règle de peur de faire tourner le vin,
47:57leur place est en plein essor.
47:59Mais elles doivent encore et toujours prouver leur légitimité
48:03quand elles dirigent seules leurs exploitations
48:06et subissent un sexisme ordinaire.
48:13En 2017, mon compagnon a eu des soucis de santé.
48:17En pleine vendange, il m'a dit qu'il allait en soins.
48:21Je me suis retrouvée avec une seule vendangeuse
48:24et mes trois enfants.
48:26Ça a été difficile, surtout que j'étais en congé parental.
48:30Mon petit n'avait pas de nounou,
48:32il a fallu en catastrophe trouver une nounou.
48:35J'ai réussi à vendanger ce millésime-là
48:38sans me servir d'une dupressoire, de la pompe, de rien,
48:42grâce aux collègues.
48:44C'est la solidarité viticole.
48:46Quand mon compagnon est rentré de soins,
48:49il m'a dit qu'on arrête tout, qu'il n'était plus capable
48:53de faire ce métier, qu'on vend tout, qu'on se sépare.
48:57Je lui ai dit non.
48:59Oui, on se sépare, mais je reprends le domaine seul.
49:03Après, vous les superposez, mais faites gaffe
49:06parce qu'il y en a qui sont trop remplis.
49:10Ça faisait 15 ans qu'on avait nos domaines
49:13et 15 ans que j'en rêvais.
49:15Je me disais, mince, moi aussi je suis vigneronne
49:18et je ne me sentais pas vigneronne
49:20parce que je n'avais jamais fait mon vin.
49:22Ce rêve m'a permis de me dire
49:24que je vais peut-être me planter, mais je vais au moins essayer.
49:27Je vais essayer de faire mon vin
49:29et je verrai, si ça ne marche pas, ça ne marche pas,
49:32mais au moins j'essaierai.
49:34Je crois que le déclic s'est produit
49:36au Salon des Anonymes 2018.
49:38C'est un salon où je reçois tous les clients professionnels
49:41du monde entier quand même.
49:43Ils étaient tous là à attendre à mon stand,
49:45à faire la queue, à se pousser pour s'essayer.
49:48Et là, je me suis dit, purée la vache,
49:50c'est ça que procure mon métier.
49:52Je suis ressortie de là en me disant,
49:54je vais continuer.
50:04Ce qui a été plus compliqué,
50:06c'est quand j'ai voulu passer à l'étape supérieure.
50:08C'est-à-dire que dès l'année suivante,
50:10j'ai repris le domaine officiellement en 2019.
50:12Et dès 2020, j'ai voulu créer ma société de négociations.
50:16Et au bout du deuxième refus,
50:18ou du troisième même, je ne compte plus,
50:20je crois que j'ai eu trois refus.
50:22Et au bout du troisième, j'ai eu ma conseillère bancaire
50:25et puis j'étais encore à lui dire, à lui parler chiffres.
50:27Et là, elle me sort, mais ce n'est pas une question de chiffres.
50:29C'est parce que vous êtes une femme, toute seule,
50:31que vous venez de reprendre votre entreprise,
50:33c'est trop prématuré.
50:35Elle m'a bien fait comprendre que c'était le côté
50:37femme, seule, avec trois enfants.
50:39Et là, ça m'a mis en colère.
50:41Et donc, j'ai écrit un courrier à la banque
50:43en disant, écoutez, envoyez-moi les arguments notifiés par écrit
50:47et puis ils ont intérêt d'être argumentés
50:49parce que derrière, ils vont être regardés.
50:51Parce que si c'est l'argument et celui auquel je pense,
50:54vous n'avez juste pas le droit de faire ça.
50:56Donc, je ne vais pas citer la banque,
50:58parce qu'au final, ils m'ont suivie.
51:00Mais je leur ai dit, là, c'est clair,
51:02vous allez me prêter, sinon, ça ira loin.
51:08Que dirait ta grand-mère
51:10si elle savait aujourd'hui
51:12que sa petite fille est vigneronne ?
51:14Si aujourd'hui, elle voyait le résultat
51:16et puis le fait que,
51:18finalement,
51:20c'est difficile, mais ça fonctionne,
51:22ça marche.
51:24Si elle arrivait à goûter mes vins,
51:26je pense qu'elle serait fière, au final.
51:28Oui, elle serait quand même fière
51:30de voir sa petite fille vigneronne,
51:32travaillant la terre comme elle l'a fait.
51:38Voilà.
51:42Nadej, Michou et les autres,
51:46je les quitte avec le sentiment
51:48d'avoir rencontré des femmes dignes,
51:50qui partagent la noblesse de ce métier,
51:52conscientes aussi
51:54que le combat continue.
52:03Le sacrifice demandé aux femmes
52:05est plus important que le sacrifice aux hommes.
52:07Donc, il faut que les femmes soient conscientes,
52:09et les jeunes,
52:11que rien n'est acquis.
52:14Je compte sur la nouvelle génération
52:16pour changer de modèle.
52:18Je suis admirative de ce qu'elles font.
52:20Ça peut être que les jeunes qui peuvent changer ça,
52:22et notamment les femmes.
52:26Avoir été avec des vaches,
52:28avoir pu sentir la terre,
52:32ça te construit.
52:34Et ça, c'est une chance.
52:36Parce que la terre te le rend bien, quand même.
52:40C'est un métier merveilleux.
52:42Tu vois pousser,
52:44tu te prends quelque chose,
52:46tu donnes la vie.
52:48C'est comme une maternité, tu donnes la vie.
52:50Je me dis, mon Dieu, que la nature est belle.