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Par quel subterfuge le IIIe Reich a-t-il pu financer sa machine de guerre en action dès l’accession d’Hitler au pouvoir ? À l’heure où ses armées envahissent la Pologne, les caisses sont vides. Débute alors une vaste razzia dans les pays conquis. Les nazis pillent or, œuvre d’art, fonds des banques centrales, bijoux et dents en or des juifs raflés partout en Europe. Il faut alors changer ces valeurs colossales et acquérir les matières premières qui font défaut pour alimenter la machine de guerre. Au cœur du continent, voisin du géant allemand, la Suisse. Le petit État prétendument neutre, va jouer le rôle de bureau de change du IIIe Reich. Il lui garantit ainsi les devises nécessaires à l’acquisition des matières premières pour ses usines d’armement. Appuyé par des archives et des documents inédits, le film retrace cette vaste opération et le rôle ambigü de la Suisse.

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Transcription
00:00S'il est un pays dont on ne s'attend pas à entendre parler lors du procès des dignitaires
00:28nazis et des artisans de la solution finale à Nuremberg en 1946, c'est bien de la Suisse.
00:35Pourtant, lorsque le ministre de l'économie et grand argentier d'Hitler, Walter Funk,
00:42est sommé d'expliquer comment il est parvenu à financer l'effort de guerre du Reich,
00:47il lance une petite phrase qui sonne comme un réquisitoire.
00:51« C'était très difficile de payer en or, parce que les pays avec lesquels nous avions
00:55toujours des relations commerciales avaient mis en place un embargo sur l'or.
01:00Il n'y a qu'en Suisse que nous pouvions faire des affaires en échangeant de l'or
01:04contre des devises étrangères. »
01:06Relire la Seconde Guerre mondiale sous l'angle de l'économie s'est montré, pour la première
01:11fois, la Suisse au cœur des finances du Reich.
01:15Quel a été le rôle de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale ? Sa banque centrale
01:22a-t-elle vraiment favorisé le Troisième Reich par ses achats d'or massif ?
01:27Rarement un sujet a été à ce point documenté, rarement des archives ont été aussi travaillées,
01:34et malgré tout, cette histoire reste largement occultée.
01:38Dès 1943, Anthony Hayden, le chef du Foreign Office britannique, porte une lourde accusation
01:45à l'encontre de la Suisse.
01:48« Chaque franc de matériel de guerre exporté par la Suisse vers l'Allemagne prolonge la
01:53guerre. »
01:54« Le Reich n'aurait pas survécu à partir de 1943-1944 sans la machine à laver que
02:00constituait la Banque Nationale, sans le recel actif de la Banque Nationale et d'autres
02:05banques en faveur du Reich. »
02:08La Suisse a-t-elle réellement été le petit pays neutre que l'on croit cerné de toutes
02:13parts ?
02:14« Si vous regardez une carte de l'Europe en 1942, vous constatez la domination incroyable
02:20du régime nazi et de ses alliés.
02:22Et au milieu de ce vaste empire, on peut distinguer une petite île de neutralité.
02:27Et cela soulève une question mystérieuse.
02:29Pourquoi la Suisse n'a-t-elle pas été envahie par l'Allemagne nazie ? »
02:32La Suisse a-t-elle utilisé son économie comme une arme pour parvenir à rester en
02:38paix ?
02:40A-t-elle vraiment été le banquier du Reich ?
02:50C'est sur une économie exsangue qu'Hitler accède au pouvoir.
02:53Les réparations exigées par les Alliés à Versailles après la Première Guerre mondiale
02:57et la crise de 1929 ont eu raison de l'économie allemande.
03:02« Les fondamentaux de l'économie allemande en 1933 sont catastrophiques.
03:09L'Allemagne a abandonné les talons or et mis en place un contrôle d'échange.
03:13La compétitivité de son économie est extrêmement dégradée en comparaison du Royaume-Uni
03:18et des autres pays qui ont dévalué leurs monnaies.
03:21Le chômage atteint des sommets, plus de 6 millions de personnes sont sans emploi.
03:25Lorsqu'Hitler arrive au pouvoir en 1933, il a deux priorités.
03:29Premièrement, relancer au plus vite l'économie allemande et deuxièmement, réarmer l'Allemagne.
03:39Et ces deux objectifs font face à un obstacle majeur, la pénurie de devises étrangères.
03:45C'est une question cruciale.
03:46À mesure que l'industrie allemande redémarre, il lui faut de plus en plus de matières premières.
03:51Or, celles-ci doivent être importées de l'étranger, donc réglées avec des devises étrangères.
03:56Les devises étrangères doivent être réglées avec des devises étrangères.
04:00Les devises étrangères doivent être réglées avec des devises étrangères.
04:04À part son charbon, l'Allemagne ne dispose d'aucune matière première.
04:08Elle est dépendante de ses importations pour son gigantesque effort d'armement.
04:17La politique de réarmement, qui engloutit plus de la moitié de toutes les dépenses publiques de l'Allemagne depuis le début des années 30,
04:24assèche le stock d'or et de devises étrangères de l'Allemagne.
04:29L'Allemagne est une économie vulnérable.
04:32Elle est sous pression financière.
04:33C'est une société qui s'inquiète en permanence de savoir où elle va trouver les devises et l'or nécessaires pour régler des importations cruciales.
04:44Le stock d'or est une économie vulnérable.
04:47C'est une société qui s'inquiète en permanence de savoir où elle va trouver les devises et l'or nécessaires pour régler des importations cruciales.
04:56D'un point de vue économique, l'annexion de l'Autriche en mars 1938,
05:00avec l'absorption de facto de 1 milliard de marques autrichiennes en or et en devises par l'Allemagne,
05:06marque un répit pour les réserves de la Reichsbank.
05:26La tension sur l'économie allemande des importations de matières premières se lie dans chaque épisode de la chronique du Troisième Reich.
05:36Ainsi en est-il de la tragique Nuit de Cristal en novembre 1938,
05:41le pogrom au cours duquel une centaine de Juifs sont assassinés,
05:45des dizaines de milliers déportés,
05:47191 synagogues incendiés,
05:50des milliers de commerces et d'entreprises saccagées.
05:56Cet événement dramatique dans l'histoire de l'Europe montre que rien n'arrête ce régime,
06:02qu'il ne respecte aucune loi, refuse les standards de la civilisation occidentale.
06:06Trois jours plus tard, Goering préside une réunion sur les conséquences de la Nuit de Cristal.
06:11Croyez-le ou non, le principal sujet de discussion est le coût financier des milliers de vitrines brisées.
06:17Goering déclare même qu'il aurait préféré voir 200 Juifs assassinés
06:21plutôt que de consacrer de précieuses devises à l'importation de nouvelles vitrines de Belgique.
06:32Depuis l'accession de Hitler au pouvoir,
06:34Hjalmar Schacht, qui dirige le ministère de l'économie et préside la Reichsbank,
06:39a tenté d'organiser l'autarcie de l'Allemagne.
06:43Un vaste programme de fabrication de matières synthétiques,
06:46caoutchouc, tissu, carburant est mis sur pied.
06:51Malgré tous les efforts consentis, les importations de matières premières creusent le déficit.
06:57En 1939, le milliard de marques récupérées par le Reich après l'annexion de l'Autriche
07:02a été englouti en quelques mois.
07:04La situation financière de l'Allemagne est à nouveau intenable.
07:09Hjalmar Schacht alerte le Führer.
07:12Le fameux mémorandum du président de la Reichsbank qui était Schacht, Hjalmar Schacht à l'époque,
07:18qui écrit le 7 janvier 1939 à Hitler, dit « nous sommes en faillite,
07:23nous sommes au bord de l'incapacité de paiement, la Reichsbank est au bout,
07:29il faut changer radicalement de politique ».
07:32À ce moment-là, la Reichsbank essaie de faire pression sur Hitler
07:36pour qu'il revoie entièrement les orientations de son régime sous la pression des contraintes économiques.
07:41La réponse de Hitler est sans ambiguïté.
07:43Hjalmar Schacht est l'immogé de la Reichsbank.
07:46Il reste ministre, mais n'a plus de portefeuille.
07:51Et on peut regarder le déclenchement de la deuxième guerre mondiale
07:56comme une campagne de rapide, de plus rapide.
08:04Hitler entame sa blitzkrieg.
08:06La guerre est claire.
08:10C'est la seule stratégie de conquête possible pour une armée qui manque à ce point de ressources
08:15et qui cherche à en acquérir.
08:18En 1939, l'armée allemande vit en pleine précarité.
08:22Elle dispose par exemple de réserves en munitions qui couvrent simplement 14 jours de combat.
08:36Quand l'armée allemande envahit les Pays-Bas, la Belgique, la France, le Danemark,
08:42les banques centrales de ces pays deviennent des objectifs prioritaires.
08:45Des équipes d'experts allemands sont envoyées pour fouiller les coffres des banques,
08:49les appartements un peu partout en Europe pour trouver des métaux précieux,
08:53des devises, des bijoux ou des actifs qui peuvent être saisis par les nazis
08:59et utilisés comme moyen de paiement pour acquérir des matières premières.
09:04Dans les banques centrales de toute l'Europe, l'Allemagne nazie fait main basse sur 83 tonnes d'or autrichien,
09:103,5 tonnes d'or tchécoslovaque, 132 tonnes d'or hollandais, 4 tonnes d'or luxembourgeois,
09:17180 tonnes d'or belge, puis, en 1943, après la chute de Mussolini, 65 tonnes d'or italien et albanais.
09:26Jamais le pillage des pays occupés n'a été aussi systématisé que durant la Seconde Guerre mondiale.
09:34Le pillage n'est pas tout. Encore faut-il monnayer cet or pour acquérir les indispensables matières premières.
09:41Et qui donc peut changer cet or pour le Reich, au nez à la barbe des Alliés ?
09:47Plus que tout autre, l'Allemagne n'est pas le seul pays à avoir changé l'ordre.
09:52Plus que tout autre, la Seconde Guerre mondiale est une guerre économique.
09:59Afin d'isoler les forces de l'Axe, les Alliés installent très tôt un blocus.
10:05Blocus commercial sur les importations allemandes de matières premières.
10:09Blocus sur les devises avec un strict contrôle d'échange sur la livre sterling britannique et le dollar américain.
10:15À ce moment-là, le franc suisse était la seule devise que l'Allemagne pouvait utiliser librement
10:23sur des marchés qui n'étaient pas sous contrôle de l'Axe, donc de l'Allemagne.
10:28Dans ce contexte, les services que la Suisse a pu offrir en acceptant l'or de l'Allemagne pour l'échanger en franc suisse
10:38étaient très précieux pour l'Allemagne.
10:42Et quand on regarde un peu les statistiques, on voit que 4 ou 5ème de l'or que la Reichsbank a vendu pendant la guerre
10:51a été placé ou a été accepté par la Banque nationale suisse.
11:42Au fur et à mesure que la Wehrmacht conquiert les deux tiers de l'Europe,
11:47il y a des quantités d'or qui arrivent, estampillées Reichsbank, mais qui sont évidemment très suspectes.
11:53Donc tout d'un coup, on se rend bien compte qu'il y a des réserves d'or qui viennent d'Allemagne
11:58qui n'existaient pas avant le début de la guerre.
12:01Ça pose immédiatement des questions et ça, tous les directeurs de Banque centrale le savent.
12:06Jean-Pierre Roth a été le banquier central de la Suisse pendant 15 ans.
12:10Président de l'ABNS, la Banque nationale suisse à la fin des années 90,
12:14il a été celui qui a dû comprendre et expliquer l'activité de l'institution dans les années sombres de la guerre.
12:25Il a été le directeur de la Banque centrale de la Suisse pendant 15 ans.
12:29On s'était interrogé de savoir quel était le stock d'or allemand avant la guerre.
12:35Et une des lignes de conduite était de dire tant que les livraisons restent dans le cadre
12:41de ce qu'on pouvait supposer détenu par la Reichsbank avant la guerre,
12:45on doit être dans une zone qui n'est pas contestable.
12:51On se prend bien compte qu'il n'y a pas d'arrivée de l'argent.
12:55On se posait des questions, mais on n'allait pas très loin dans l'analyse juridique.
13:01Et c'est une des critiques que l'on a pu faire a posteriori,
13:05c'est qu'on ne s'était pas assez posé de questions.
13:09Et qu'on avait fait jouer finalement la bonne foi, dire on nous assure que...
13:13La Banque nationale, vous imaginez, des banquiers, c'est quand même pas...
13:17Des imbéciles qui n'ont qu'une prudence de ci ou qui sont en général les banquiers suisses.
13:22Ils n'ont jamais demandé une attestation de provenance, d'origine, de ce butin.
13:28Alfred Hirsch, délégué de la Banque nationale dans la délégation suisse,
13:32dit non, on n'a jamais demandé, la parole de Pouls nous suffisait.
13:38Émile Pouls a fait toute sa carrière à la Reichsbank depuis la Première Guerre mondiale.
13:42Aux yeux du reste de l'Europe, c'est lui, le directeur exécutif de la Banque nationale.
13:46Les interlocuteurs de la Reichsbank, pour la BNS, étaient connus d'avant-guerre.
13:50Et c'était des gens avec qui on avait établi des relations,
13:54un dialogue normal, de confiance.
13:58Aujourd'hui, entre banquiers centraux, il y a une très grande confiance.
14:02On se parle ouvertement, on s'entend bien, on s'entend bien,
14:06et on s'entend bien, on s'entend bien, on s'entend bien,
14:10et on s'entend bien, on s'entend bien.
14:14On se parle ouvertement, on échange des informations.
14:18Et vous voyez bien qu'on se dit,
14:22mais cette personne, jusqu'à présent, mon interlocuteur de la Reichsbank,
14:26pourquoi mentirait-il ? J'avais confiance en lui.
14:30Et s'il me dit que le stock d'or allemand
14:34est suffisant pour couvrir toutes les livraisons,
14:38est-ce que je n'ai pas de raison de croire qu'il ne dit pas la vérité ?
14:44...
14:48...
14:52...
14:56...
15:00...
15:04...
15:08...
15:12et de se conduire en parfait faussaire.
15:16Au cours de l'année 1942, parviennent en Suisse des informations
15:21sur le fait que des transactions douteuses ont été opérées par la Reichsbank.
15:27Et cela interpelle les diplomates suisses,
15:31mais aussi la direction générale de la Banque Nationale.
15:34Et l'un des directeurs généraux se propose même de refondre ces lingots
15:40vendus par la Reichsbank pour effacer les traces de l'origine effective de ces lingots.
15:54Longuement discutée, la proposition de fondre ces lingots venant d'Allemagne
15:58pour en effacer toutes traces d'origine
16:01est finalement ajournée par la direction générale pour bien en évaluer les risques.
16:08Mais on ne l'a pas fait.
16:09Oui, on n'en a pas fait en un temps.
16:11On n'a pas fait, ça n'a pas été fait.
16:16Oui, parce qu'on se disait, est-ce qu'il y aura un problème qui va se poser ?
16:21Et on a... Mais on ne l'a pas fait.
16:26Donc, très clairement, les choses ont été extrêmement graves.
16:29S'il y avait eu des manipulations de ce type-là, ça n'a pas été fait.
16:34Comment la Reichsbank à Berlin perçoit-elle le rôle de son banquier suisse ?
16:39Comme un partenaire essentiel.
16:41On en trouve la preuve dans un rapport interne rédigé en juin 1943,
16:46dans lequel Walter Funck, le ministre de l'économie allemande
16:49et président de la Banque centrale, déclare
17:03Depuis les premières livraisons de 20 tonnes d'or en 1940,
17:07les convois de la Reichsbank à destination des coffres de la Banque nationale suisse
17:11augmentent rapidement d'année en année.
17:151943 marque un sommet.
17:17Ce sont alors 120 tonnes d'or qui arrivent de Berlin.
17:23Au total, près de 345 tonnes d'or entrent pendant la Seconde Guerre mondiale
17:28dans les coffres de la BNS à Berne.
17:38Pourquoi l'Allemagne a-t-elle tant besoin de francs suisses ?
17:42Se servir sur la bête dans les pays occupés ne lui suffit-il pas ?
17:46Pourquoi doit-elle à tout prix commercer avec les pays neutres
17:50et importer du pétrole de Roumanie, du fer de Suède ou du chrome de Turquie ?
17:56C'est au fond d'une vallée perdue du nord du Portugal, à Rio de Frades,
18:01qu'il faut aller chercher la France.
18:03Dans les vestiges d'une mine de tungstène gérée par le Reich tout au long de la guerre.
18:15Le tungstène est un métal dont les principales propriétés sont de résister
18:19à de très grandes températures, aux frictions et aux chocs.
18:26Depuis l'invasion de l'Union soviétique, le tungstène est devenu un métal
18:30Depuis l'invasion de l'Union soviétique, l'Allemagne n'avait réussi à trouver du tungstène
18:35qu'au Portugal et en Espagne.
18:39Cela signifie que si les Allemands perdaient ces sources d'approvisionnement,
18:42ils courraient le risque de ne plus avoir la possibilité d'acheter cette matière première
18:46et donc d'interrompre la production de blindages, de munitions et de machines outils.
18:59Votre moteur d'avion, vous ne pouvez pas le fabriquer si vous n'avez pas le tungstène
19:03qui ne permet de faire qu'à 6000 degrés.
19:06Quand je suis en train de faire un piqué, ou le moteur monte à je ne sais pas combien de milliers de degrés,
19:13votre moteur ne va pas péter.
19:15La même chose pour les huiles de graissage.
19:17Et c'est là, dans ces tout petits segments, mais décisifs,
19:21dans lesquels votre machine de guerre s'enraye, au sens non pas figuré mais propre du terme,
19:27que les Suisses ou la Banque Nationale Suisse joue un rôle très important.
19:33Quand on considère l'apport fourni par les milieux dirigeants suisses à l'effort de guerre allemand,
19:41ce n'est pas quantitativement qu'il est important, c'est qualitativement.
19:47La Banque Nationale Suisse
19:52Sous la pression des alliés, les pays neutres européens,
19:55dans lesquels l'Allemagne acquiert ses matières premières,
19:58refusent d'être payés en or volé par le Reich.
20:01L'exemple du tungstène portugais dévoile le système sophistiqué d'échange
20:06qui se met en place avec l'aide de la Suisse, le commerce triangulaire.
20:12Alors que faisait la Reichsbank ?
20:16Elle allait vers les banques suisses acheter du franc suisse contre de l'or,
20:20c'est le début de la guerre,
20:23utilisait ses francs suisses pour payer ses fournisseurs portugais,
20:27et la Banque du Portugal présentait les francs suisses à la BNS pour conversion en or.
20:34L'or ne partait pas pour Lisbonne le lendemain,
20:37mais la première chose, c'était au sein des caveaux de la Banque Nationale Suisse,
20:43on mettait le lago dans le trésor de la Banque du Portugal.
20:51Au terme des échanges triangulaires,
20:53les francs suisses partis de Berne sont revenus à Berne.
20:56Quant à l'or qui est entré dans les coffres helvétiques,
20:59il n'en sort pas, pas toujours.
21:08Mais encore une fois, l'or n'est pas la même chose.
21:12Mais encore une fois, les responsables suisses ne s'occupaient quand même pas trop de cette question,
21:18tout simplement en justifiant l'acceptation de cet or par le droit international.
21:24On disait, en interprétant le droit international,
21:28de sorte que celui-ci permet aux vainqueurs dans des guerres
21:32de mettre la main sur les stocks d'or de la Banque Centrale des Pays Occupés.
21:38Les archives de la Banque Nationale Suisse livrent précisément l'état des discussions
21:43et des connaissances des membres du directoire de la Banque Centrale.
21:47Gottlieb Bachmann est alors le président du comité de banque
21:51et Paul Rossi, le vice-président de la banque en charge des opérations sur or.
21:56Voici leurs échanges lors d'une réunion d'août 1943.
22:01Il convient ici de distinguer deux questions.
22:05D'une part, savoir si nous voulons accepter de l'or
22:09et d'autre part, si nous pouvons accepter, sans examen, l'or qui nous est offert,
22:14même si nous soupçonnons qu'il pourrait s'agir d'or acquis de manière illégitime.
22:19Mais jusqu'ici, la Banque Nationale n'a reçu aucune information
22:23selon laquelle les Allemands auraient volé de l'or.
22:25La réquisition d'or est un droit qui revient à l'occupant
22:28en vertu des règles du droit international public.
22:34Donc c'est une attitude qui fait qu'ils ne prennent pas conscience
22:39de la rupture dans la normalité qu'a impliqué le régime nazi
22:45et qui fait qu'on ne pouvait plus traiter avec des banquiers centraux
22:51qui avaient été nommés par Hitler de la même manière qu'on travaillait
22:55avec des banquiers centraux des autres États démocratiques.
23:00Je suis neutre, donc je dois commercer avec l'Allemagne
23:04parce que je commerce avec les Alliés.
23:07Il y a presque une fatalité.
23:11Nous ne pouvons pas refuser de l'or allemand si nous acceptons de l'or des Alliés,
23:16parce que nous sommes neutres.
23:18On ne réfléchit pas plus loin et on fait les opérations
23:24qui sont réclamées par le capitalisme, le business,
23:30tel qu'il le réclame dans les temps normaux.
23:33Et qu'est-ce qu'une entreprise fait dans les temps normaux ?
23:37Elle essaye, c'est ça sa rationalité d'être,
23:40et c'est ça un bon capitaliste, et c'est ça à la limite même un capitaliste moral.
23:45C'est quelqu'un qui saisit les opportunités qui se présentent,
23:49bien, sans se poser de questions.
23:55L'arrivée des Alliés
23:59C'est une évidence, lors du débarquement allié sur les plages de Normandie en juin 1944,
24:05l'issue de la guerre ne fait plus de doute.
24:08Les seules questions sont celles du délai et des conditions de la victoire des Alliés.
24:13Faisant fi de toute prudence, la Banque Nationale Suisse
24:16poursuit son activité avec la Reichsbank.
24:18Pourtant, depuis 1942 déjà, les Alliés ont précisément documenté les activités suisses.
24:24Ils ne cessent de réclamer à la Confédération
24:27l'arrêt des achats d'or à l'Allemagne.
24:29La Suisse tergiverse.
24:33Il faut attendre le 8 mars 1945,
24:36quelques semaines seulement avant le suicide d'Adolf Hitler,
24:39pour que les autorités suisses finissent par signer à Berne
24:42des accords curés avec les Alliés,
24:44par lesquels elles s'engagent à ne plus accepter d'or de l'Allemagne.
24:50Mais, un mois après la signature de l'accord,
24:53un nouvel achat d'or est réalisé.
24:55Le 13 avril 1945, 132 lingots quittent encore le dépôt de la Reichsbank à Constance
25:02pour les coffres de Berne.
25:05Tout le monde sait que des comptes nous seront demandés,
25:09seront demandés notamment à la Banque Nationale, au gouvernement suisse, etc.
25:13Et pourtant, malgré les engagements politiques de la Suisse,
25:19prises un mois,
25:21ils procèdent quand même à ce dernier achat
25:24qui a servi à rembourser un certain nombre d'assurances
25:27qui craignaient d'avoir perdu leur fonds sur place.
25:30C'est difficile, je ne sais pas pourquoi,
25:33il n'y a pas vraiment de réponse à ça.
25:39Jusqu'aux toutes dernières heures du régime nazi,
25:42la Reichsbank a pu compter sur la Banque Nationale suisse.
25:46Dans Berlin, soumise à un déluge de bombes américaines,
25:49britanniques et soviétiques,
25:51Émile Poul qui revient d'un séjour en Suisse
25:54peut écrire à son chef Walter Funk.
25:59Je puis dire que les Suisses ont eu pour moi toutes les attentions possibles.
26:02Hier, par exemple, ils ont donné un banquet en mon honneur,
26:05ce que nos ennemis ont naturellement appris tout de suite.
26:09La réalité, c'est que le pays n'est pas détruit.
26:12Alors si c'est ça la bonne affaire, c'est la réalité.
26:15Le pays n'a pas été détruit.
26:17Quand on regarde les images de la France, de l'Allemagne, de l'Italie à l'issue de la guerre,
26:21on sent très bien que ce pays a eu une chance extraordinaire de ne pas avoir été détruit.
26:27La guerre avec son cortège de malheurs a épargné notre pays.
26:30Le dimanche a conservé ses attraits.
26:35Nous entreprenons des excursions.
26:38Nous fréquentons les places de sport.
26:42Notre jeunesse respire la santé.
26:45Nos champs, nos jardins ne sont pas dévastés.
26:48Nos troupeaux sont intacts.
26:50Nos villes n'aiment qu'une existence paisible.
26:55On a beaucoup utilisé à l'époque la plaisanterie de Brecht, je crois,
27:00qui disait qu'Hitler n'avait aucun intérêt à attaquer la Suisse
27:04parce que qui attaquerait son propre coffre-fort ?
27:08Occuper la Suisse n'avait pas d'intérêt pour l'Allemagne nazie.
27:11Pas seulement parce qu'engager des opérations dans les Alpes n'était pas une formidable option militaire,
27:16mais aussi et surtout parce que la Suisse était extrêmement utile
27:20comme entrepôt neutre au milieu de l'Empire nazi.
27:23La Suisse ne représentait pas un danger et était en même temps utile.
27:27Près de 400 tonnes d'or nazi ont été échangées par les banquiers suisses tout au long de la guerre.
27:33Rapportées aux produits intérieurs bruts, cela équivaudrait aujourd'hui à 84 milliards d'euros.
27:41Quelle place les nations victorieuses peuvent-elles consentir à la Suisse dans l'immédiat après-guerre ?
27:48C'est en accuser qu'une délégation helvétique ait convoqué à Washington
27:53C'est en accuser qu'une délégation helvétique ait convoqué à Washington
27:57par les Alliés en 1946 pour rendre des comptes sur le jeu trouble de la Suisse pendant la guerre.
28:0668 jours d'âpres discussions débouchent sur un incroyable retournement de situation.
28:13La Suisse a donc dû accepter un paiement de 250 millions de francs en or.
28:20Cela correspondait à l'époque, en 1946, à 1,5% du produit intérieur, plus ou moins.
28:29C'était une petite amende. Et puis voilà, les affaires étaient réglées.
28:35Ce qui est très important du côté suisse, c'est que la délégation suisse obtient que c'est pour solde tout compte.
28:42Parce qu'il faut savoir que les Hollandais n'avaient pas présenté de revendications à ce moment-là.
28:55Ils sont venus après coup en disant, mais une partie considérable de l'or hollandais a aussi été volé,
29:01donc nous voulons réouvrir le dossier.
29:03Et les Suisses pourront répondre juridiquement, l'affaire est close.
29:07Donc du côté suisse, c'est considéré, évidemment, officieusement.
29:12Officiellement, on va dire c'est affreux, affreux, affreux, affreux.
29:16On a été étranglés par les affreux américains qui veulent nous tordre le cou.
29:24Mais officieusement, on reconnaît que c'est un accord extrêmement avantageux pour la Suisse et que la Suisse s'en tire extrêmement bien.
29:38S'il est un endroit où la satisfaction de la délégation peut se lire ouvertement,
29:44c'est dans le rapport que l'ambassade suisse à Washington adresse à son ministère.
29:50Pour un petit pays de 4 millions d'habitants, d'avoir réussi en face de trois grandes puissances
29:56à leur faire renoncer à une partie fort appréciable de leurs prétentions,
30:00cela représente presque un miracle diplomatique à mes yeux.
30:04Ah oui, l'amende était petite, on a bien négocié.
30:09Mais amende, il y a eu.
30:11Non mais j'entends, je crois qu'effectivement, nos diplomates ont été extrêmement forts, si on veut.
30:19Très rapidement, le rideau de fer est tombé en pleine Europe
30:22et très rapidement, la place financière judicoise est devenue de nouveau un enjeu
30:27et un allié indispensable du grand capital occidental.
30:31Et là, la Suisse a eu une chance incroyable d'échapper, encore une fois,
30:36à cette punition qu'ils auraient, pas la Suisse, mais les banquiers suisses,
30:40qu'ils auraient infiniment mérité.
30:47Comme nombre d'autres pays européens, la Suisse d'après-guerre va se construire une histoire magnifiée,
30:53mythique, composée de résistances héroïques à l'ogre nazi,
30:57de généreux accueils de réfugiés et d'impeccable neutralité.
31:01Elle peut, pour longtemps, enterrer ses secrets.
31:15C'est presque par hasard, 50 ans après le miracle de Washington, au milieu des années 90,
31:21que l'histoire réelle de l'or nazi blanchi par la Banque Nationale suisse
31:25ressurgit, à l'occasion d'un violent contentieux politique entre les Etats-Unis et la Suisse.
31:30L'affaire dite des comptes en déshérence.
31:34Ce sont des comptes qui ont été ouverts dans les banques suisses,
31:37et éventuellement aussi dans des assurances suisses,
31:40par des personnes qui souhaitaient fuir le nazisme,
31:45ou qui étaient elles-mêmes des victimes du génocide nazi.
31:49Beaucoup de ces gens n'ont pas survécu.
31:52Et donc, ces fonds sont restés dans les comptes des banques et des assurances.
31:57Ils se mettent d'accord, d'ailleurs, les banques, pour avoir une position commune,
32:01et par exemple, ils se mettent d'accord pour que les personnes, les ayants droit,
32:05ou les héritiers des ayants droit, qui viennent réclamer ces comptes à leur guichet,
32:09on exige de leur part qu'ils présentent un certificat officiel de décès
32:14de la part de la personne de l'ayant droit du compte,
32:18et des papiers qui prouvent qu'on est héritier de cette personne.
32:21Alors imaginez juste que si vous décédez, et pour cause d'achat,
32:25ou je ne sais quel camp d'extermination,
32:28les nazis ne vous signaient pas un certificat officiel de décès.
32:31Demander un certificat de décès pour quelqu'un qui a été assassiné dans un camp d'extermination
32:36est quelque chose qui manque sensiblement de sensibilité, justement.
32:43En 1996, le Congrès de l'Union Européenne,
32:46En 1996, le Congrès juif mondial s'empare du dossier
32:50et lance un appel aux quelques rescapés encore en vie
32:53et aux descendants des victimes de l'Holocauste,
32:56en évoquant la plus grande escroquerie de l'histoire.
33:01L'affaire prend une tournure politique avec l'entrée en lice d'Alphonse D'Amato,
33:05sénateur de New York et président de la commission bancaire du Sénat,
33:09lorsque l'administration Clinton déclassifie les archives américaines de la période de la guerre.
33:15Ce n'est pas une question d'argent, c'est une question de justice.
33:23Greg Rickman, qui était le bras droit d'Alphonse D'Amato,
33:26a mené les recherches historiques pour le sénateur.
33:29Pour les Suisses, il est Evil Boy, le diable.
33:34Il garde un souvenir très vif du mépris souverain des banquiers et des responsables helvétiques.
33:40Il y avait l'idée qu'il n'y avait plus de survivants,
33:43que cela ne concernait pas beaucoup d'argent en fait.
33:46Nous l'avons découvert plus tard,
33:48mais les banquiers suisses considéraient l'argent qui se trouvait en Suisse comme une prise de guerre.
33:52Ils considéraient que c'était à eux.
33:54Personne n'était venu le réclamer.
33:56Ils voulaient juste le garder.
34:00Une gaffe du président de la plus importante banque suisse, l'UBS,
34:04symbolise à elle seule cet état d'esprit des responsables suisses.
34:12Mes 10,5 millions, ça c'est aujourd'hui.
34:14Ce sont les intérêts des intérêts des intérêts.
34:17Dans ce cas, je crois qu'on peut dire que ce sont vraiment des cacahuètes.
34:24Et il emploie le terme « peanuts »
34:26qui va faire le tour du monde en quelques secondes si j'ose dire.
34:32Enfin, qui va mettre le feu aux poudres
34:34parce que ça va profondément choquer les associations juives
34:38et qui se sentent insultées par la réponse du grand patron de la banque.
34:44Face à l'impitoyable campagne américaine qui s'est enclenchée,
34:48les autorités et les banquiers suisses multiplient les maladresses,
34:52même lorsqu'ils tentent de reprendre l'initiative.
34:57Voici la liste des banquiers suisses.
35:00Voici la liste publiée dans le New York Times.
35:03Les noms des comptes listés par les banquiers suisses.
35:09Sous la pression américaine,
35:11l'association suisse des banques dépense 5 millions de dollars
35:14pour publier dans les journaux de 28 pays
35:17la liste des détenteurs de comptes en déshérence.
35:20Cela va faire l'effet d'une bombe,
35:22mais pour des raisons très inattendues.
35:25Sur cette liste, des 1862 personnes,
35:29ils ont oublié d'épurer la liste.
35:32Oublié d'épurer la liste.
35:34Et un grand nombre de nazis,
35:36justement les Kaltenbrunner, Dukla et autres, et Bauer,
35:39figurent sur la liste.
35:41Figurés sur cette liste, les noms de Willy Bauer,
35:44pseudo d'Anton Berger, l'assistant d'Adolf Eichmann,
35:48Elisabeth Helder, la femme d'Ernst Kaltenbrunner.
35:52Il s'agissait de nazis de premier rang,
35:54des criminels de guerre ou des officiels de haut rang
35:57avec des comptes en Suisse.
35:59Même si elles l'ont fait sous la pression,
36:01les banques suisses ont essayé de faire quelque chose de positif.
36:04Mais une fois encore, ça a mal tourné pour elles.
36:11La publication de la liste des noms de détenteurs de comptes en déshérence
36:15aura une autre conséquence désastreuse pour les Suisses.
36:19Madeleine Koenig, ancienne gouverneure de l'état du Vermont aux Etats-Unis,
36:24fut la protagoniste principale de cette nouvelle mésaventure.
36:28Je suis née en Suisse, à Zurich.
36:31Nous avons quitté la Suisse à cause de la seconde guerre mondiale en 1940,
36:37alors que je n'avais que six ans et demi.
36:40Quand le président Bill Clinton m'a offert le poste d'ambassadeur en Suisse,
36:44c'est un peu comme si ma vie avait fait une boucle complète.
36:49Un matin, j'étais à mon bureau en train de lire les journaux,
36:53et en épluchant la liste, j'ai découvert le nom de ma mère.
36:57Renée May.
36:59Ce fut un vrai choc.
37:04Les Suisses ont voulu bien faire, mais cela s'est retourné contre eux.
37:09Ils ne pouvaient pas imaginer que l'ambassadeur du pays,
37:12qui les poursuivait pour leurs méfaits,
37:14allait trouver le nom de sa mère dans cette liste.
37:20J'ai partagé l'argent avec mon frère.
37:23Cela représentait tout juste une centaine de dollars chacun.
37:27Parce que vous savez, les banques suisses, au lieu de vous verser des intérêts,
37:31elles prennent une commission pour conserver votre argent.
37:34Je pense qu'il n'y a jamais eu beaucoup d'argent sur ce compte,
37:37mais c'était probablement plus élevé que ce que nous avons réalisé.
37:41Mais c'était probablement plus élevé que ce que nous avons récupéré.
37:45C'est une drôle de façon de gérer des comptes.
37:48Mais ça a l'air de marcher, pour les Suisses en tout cas.
37:55Pour forcer les banquiers et les institutions suisses
37:58à réagir enfin sur les fonds en déshérence,
38:01les Américains fouillent les archives pour exhumer des faits embarrassants.
38:05Ils dévoilent des pans entiers de la mémoire collective suisse
38:09qui a été refoulée pendant 50 ans.
38:12La question des achats d'or de la banque nationale suisse réapparaît inéluctablement.
38:19Nous avons des documents confirmant que les Suisses étaient directement
38:22et activement impliqués dans le transport d'or pour le compte des nazis.
38:26Ces documents montrent que l'affirmation selon laquelle la Suisse était neutre
38:29durant la Seconde Guerre mondiale est un non-sens absolu.
38:34Comme ce document l'indique,
38:36deux tiers de l'or vendu par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale
38:40ont pris le chemin de la banque nationale suisse.
38:43La seule conclusion que l'on peut tirer de ces documents,
38:45c'est que la Suisse a prolongé la guerre.
38:47C'était le seul débouché possible pour l'Allemagne.
38:49Ils ont fourni l'argent pour continuer de faire tourner la machine de guerre nazie.
38:53Si les nazis n'avaient pas eu accès au système bancaire suisse,
38:56ils n'auraient pas pu financer la guerre.
39:00La Suisse a prolongé la guerre.
39:04L'accusation lancée par les Américains fait toujours débat aujourd'hui.
39:11On peut s'imaginer que dans des moments difficiles,
39:15avec un boycott de la Suisse,
39:19on aurait probablement pu perturber certains secteurs technologiques
39:25hautement spécialisés de la production allemande.
39:29Mais la question de savoir si cette perturbation aurait vraiment raccourci la guerre,
39:37ça c'est une pure spéculation.
39:41J'en sais rien. Comment savoir ?
39:43C'est difficile de faire de l'histoire hypothétique, non ?
39:49Qu'il s'agisse de six mois, d'un mois ou d'un jour,
39:52combien de personnes sont mortes dans le monde et en Europe à cause de leur financement ?
39:57Des millions d'hommes supplémentaires sont morts probablement
40:02à cause de l'activité consciente de receleurs, de laveurs de bolets de la Suisse.
40:16Le 7 mai 1997,
40:19lorsqu'elle est lancée par l'administration Clinton,
40:22l'accusation fait l'effet d'un coup de tonnerre.
40:24La population suisse, secouée, désorientée et indignée,
40:29ne sait plus à quelle histoire se vouer.
40:32Donc à un moment donné, il fallait quand même commencer à apporter des réponses
40:37un tout petit peu plus substantielles que de dire,
40:39mais non, ça c'est des vieilles histoires.
40:41Donc en catastrophe, un peu en catastrophe,
40:44l'administration, enfin le gouvernement, va mandater des historiens
40:50pour commencer à apporter des réponses en espérant que ça allait calmer les choses.
40:55Jusqu'à la fin de l'année dernière,
40:57Jean-François Bergier était un professeur d'histoire comme les autres.
41:01En quelques jours depuis sa nomination à la tête de cette prestigieuse commission internationale d'experts
41:06chargée de revisiter le passé de la Suisse,
41:08ce vaudois prof azurique est devenu l'objet de toutes les attentions
41:12et surtout de toutes les attentes.
41:14Il a la lourde tâche de réconcilier les Suisses avec leur histoire récente.
41:18Il est aussi devenu un véritable acteur sur la scène politique.
41:22Ils mettent sur pied cette commission et surtout la décision importante,
41:27c'est qu'ils donnent les moyens aux historiens de faire leur travail.
41:32Et quand je dis moyens, ça a été la décision du Conseil fédéral de dire que les historiens
41:38avaient accès pendant la durée de cinq ans aux archives des sociétés privées en Suisse,
41:51de toutes les sociétés privées, c'est-à-dire y compris les banques.
41:55C'était donc à lever le secret bancaire pour les historiens pendant cinq ans.
42:00Alors voilà, ça commence à apporter des réponses,
42:02mais justement des réponses qui tendent à confirmer qu'en effet il y a beaucoup de choses à dire
42:07et peut-être un certain nombre de choses à se reprocher.
42:10Les révélations succèdent aux révélations.
42:12Tout y passe, l'action des entreprises et des banques privées pendant la guerre,
42:17le rôle dérisoire de l'armée suisse face aux nazis,
42:20de même que la sacro-sainte politique suisse en faveur des réfugiés.
42:24C'est pourtant à nouveau dans le dossier de l'or nazi acquis par la Banque Nationale Suisse
42:28que le plus effroyable apparaît.
42:32Une partie de l'or nazi arrivé à la Banque Nationale Suisse,
42:37un petit pourcentage, peut-être six, peut-être trois lingots,
42:41contenait de l'or dentaire.
42:44De l'or pris sur des victimes dans des camps de concentration en Pologne,
42:48à Auschwitz, à Lublin, à Majdanek.
42:52L'or était refondu à Berlin par la Reichsbank,
42:56puis envoyé à la Banque Nationale Suisse.
43:02On ne peut pas nier non seulement la possibilité, mais l'évidence
43:07que même si c'était marginal,
43:10de l'or de ces juifs qui sont morts dans les camps de concentration
43:16est arrivé en Suisse et a trouvé finalement, entre guillemets,
43:20refuge dans les coffres de la Banque Nationale Suisse.
43:25Avec l'ouverture des archives privées aux historiens,
43:28le Parlement suisse a voté l'interdiction formelle
43:31de détruire les documents datant de la Seconde Guerre mondiale.
43:35C'est pourquoi les révélations de Christophe Mailly,
43:38à l'époque veilleur de nuit de l'Union des Banques Suisses, l'UBS,
43:42vont déclencher une nouvelle tempête qui mettra tout à la fois en cause
43:46les institutions bancaires suisses,
43:49mais aussi la justice du pays.
43:52C'est de cet employé de sécurité que vient toute l'affaire.
43:55La semaine dernière, il faisait sa ronde à l'UBS de la Banoff-Strasse.
43:58Dans la salle où l'on détruit les actes officiels,
44:01il découvre des livres de comptabilité.
44:04Il y avait entre autres des classeurs assez épais.
44:07Ils dataient des années 30 jusqu'en 1940.
44:11Il s'agissait d'immobiliers à Berlin.
44:14Pour moi, c'était clair que ce n'était pas le cas.
44:18Pour moi, c'était clair que de telles données ne doivent pas être détruites.
44:21Elles doivent être soumises aux commissions d'experts.
44:29Après la conférence de presse à Zurich, je suis rentré chez moi
44:32et il y avait en même temps la télévision sur le pas de ma porte
44:36et le postier qui m'apportait ma lettre de licenciement.
44:43Au même moment, le téléphone se met à sonner dans le salon.
44:46C'est un appel de Washington, de la commission d'enquête sénatoriale.
44:50La Maison Blanche et le sénateur D'Amato m'invitent aux Etats-Unis
44:54pour raconter ce que j'ai vu.
45:02Christophe Meili est un héros et non un criminel, dit le bouillant sénateur.
45:06Mais il est menacé par la justice suisse pour violation du secret bancaire
45:09alors que l'employé de l'UBS qui a ordonné la destruction des documents n'est pas inquiété.
45:15Après avoir révélé ces documents, il a été accusé par UBS de violer le secret bancaire,
45:21autrement dit, de vol.
45:25Ce qui est paradoxal puisque ces documents devaient être détruits.
45:33À cette époque et encore maintenant, les gens disaient
45:36« Meili est avec les Juifs, Meili a été acheté par les Juifs,
45:40Meili reçoit de l'argent des Juifs.
45:44Je ressens aujourd'hui ce que les Juifs ont vécu à l'époque.
45:54Une loi a été édictée par le Parlement américain,
45:57une loi signée par Bill Clinton en personne.
46:00Je suis devenu ainsi le premier réfugié politique suisse aux Etats-Unis. »
46:06Christophe Meili, parien dans son pays, devient un héros aux Etats-Unis.
46:12Dans leur partie des chèques communes,
46:14les Américains sont résolus à faire plier les Suisses
46:17et menacent ses points les plus sensibles,
46:20ses fleurons industriels et ses banques.
46:26Face à la menace du boycott,
46:28les banques suisses ont compris que leur réputation allait être sérieusement terminée.
46:32Et les banques ont besoin d'une bonne réputation
46:35si elles veulent qu'on dépose de l'argent chez elles.
46:38Ça a vraiment été le point qui a dénoué la situation.
46:44« Ça s'est clôturé par un arrangement, effectivement.
46:47Un arrangement où je dirais que les banques suisses
46:50ont certainement payé plus que ce qu'elles devaient,
46:53mais j'entends que je ne les plains pas,
46:55elles ont fait suffisamment d'erreurs.
46:57Et comme en dit la fable de La Fontaine,
46:59cette leçon en vaut bien un fromage, sans doute.
47:02Mais ils ont payé, les banques ont payé beaucoup,
47:05beaucoup plus certainement qu'elles ne l'auraient fait
47:08si les choses s'étaient déroulées normalement. »
47:17« Je suis extrêmement heureux d'annoncer
47:20que nous avons trouvé un accord historique avec les banques suisses.
47:23Il apportera une justice morale et matérielle
47:27à ceux qui ont souffert pendant si longtemps
47:30et mettra un terme à ce problème dans le monde et en Suisse.
47:33L'accord porte sur un dédommagement de 1,25 milliards de dollars. »
47:40« Si vous pensez probablement aux intérêts cumulatifs depuis 50 ans,
47:46cette somme est ridicule.
47:48Mais enfin, elle a permis aux banquiers suisses
47:52de s'en tirer une deuxième fois
47:55un très très très bon compte. »
48:03Après une période de curiosité réelle pour son histoire,
48:07après trois années de révélations et d'attaques,
48:10lorsqu'enfin la commission suisse d'historiens du professeur Bergier
48:14publie les 11.000 pages de son rapport et revisite
48:17de fond en comble l'histoire helvétique pendant la guerre,
48:20c'en est trop pour la majorité des Suisses.
48:24L'économiste Jean-Christian Lambley s'est fait une spécialité
48:27de la défense de la mémoire héroïque de son pays.
48:34« On a créé ce mouvement, le groupe de travail Histoire Vécue,
48:38pour s'opposer à ce qu'on considérait comme étant des dérives
48:42et des interprétations tendancieuses, souvent malveillantes,
48:46avec comme finalité la situation politique actuelle.
48:52Il s'agissait de salir l'image de la Suisse.
48:55Comment vous faites si vous êtes à côté d'un pays
48:58de 80 millions d'habitants ?
49:00Parce que je rappelle qu'au recensement de 1940,
49:03l'Allemagne avait déjà 80 millions d'habitants.
49:06Alors que vous êtes 4 millions et que vous n'avez pas de matière première,
49:11que vous produisez la moitié de la nourriture dont vous avez besoin,
49:15il faut bien à ce moment-là vivre, n'est-ce pas ? »
49:19« Jusqu'à présent, les appels vont absolument tous dans le même sens.
49:23Les téléspectateurs sont extrêmement critiques
49:26face aux travaux de la Commission.
49:28On a des mots extrêmement durs.
49:30On reproche à la Commission berger de ne pas avoir tenu compte
49:33du contexte qui prévalait à l'époque.
49:35On n'a pas une vue d'ensemble dans ce rapport berger.
49:38On nous dit aussi que d'autres pays ont fait bien pire que la Suisse,
49:42qu'il ne faut pas nous culpabiliser. »
49:44« Il y a une majorité bourgeoise en Suisse d'environ deux tiers
49:49qui partagent cette philosophie, qui partagent ces vues. »
49:54« Tous ces gens ont eu l'impression qu'on les dépouillait de leurs souvenirs,
49:58de leur fierté, du sentiment de résistance que la Suisse avait.
50:05J'entends qu'ils étaient très fiers qu'Hitler ait, semble-t-il,
50:09appelé la Suisse le petit hérisson.
50:11J'entends qu'on se voyait bien dans ce rôle-là,
50:14d'une petite bête minuscule, pas très puissante,
50:17mais capable de repousser tout agresseur avec ses piquants. »
50:26Après des années d'exploration minutieuse des archives,
50:30après des mois de crise, de polémique, de drame national,
50:34l'affaire se referme.
50:37En laissant fort peu de traces dans la Suisse d'aujourd'hui.
50:44« Combien de fois peut-on lire qu'une nouvelle banque suisse
50:47est poursuivie par la justice américaine,
50:50doit payer une amende pour avoir fait quelque chose d'idégal,
50:53avoir aidé un trafiquant d'armes ou blanchi de l'argent ?
50:56Je trouve fascinant que les banques suisses
50:58continuent d'être engagées dans des opérations douteuses
51:01et doivent faire face à des sanctions judiciaires.
51:04Je me demande si les banques suisses ont appris quelque chose. »
51:07« L'histoire, elle nous aide à nous poser les vraies questions,
51:14celles de la morale en politique,
51:16celles du contrôle par l'État et par la société
51:20sur un fonctionnement économique qui,
51:22s'il ne vise que le profit,
51:25peut être amené à des choix regrettables. »
51:30« La Suisse est un pays passionnant, très complexe, très compliqué,
51:35mais qui demande à être libéré de son hiérarchie bancaire.
51:40Et cela viendra parce que l'insurrection des consciences
51:44est proche chez nous. Amen. »
51:59Sous-titrage Société Radio-Canada

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