Face aux subventions massives accordées par le gouvernement chinois aux constructeurs de véhicules électriques, l’Europe souhaite faire face en instaurant des droits de douane sur les véhicules électriques qui proviennent de Chine. Pour Marie Chéron de l’organisation Transport & Environnement France, ce n‘est pas suffisant.
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00:00Comment contrer l'offensive des véhicules électriques chinois en Europe ?
00:10C'est le thème du Zoom de ce Smart Impact avec Marie Chéron.
00:14Bonjour.
00:15Bienvenue.
00:16Vous êtes responsable de la e-mobility chez Transport et Environnement France qui est
00:19l'organisation experte du transport propre et de l'énergie en Europe.
00:23Il y a donc eu une décision européenne annoncée en juin dernier actant d'une concurrence
00:28déloyale des véhicules électriques chinois.
00:31Déjà, pourquoi on peut parler de concurrence déloyale ?
00:33Alors, il y a une concurrence qui s'est durcie entre trois blocs, la Chine, l'Europe et les
00:39Etats-Unis.
00:40Il faut bien comprendre que la Chine a un temps d'avance sur l'électrique et qu'en
00:44ce moment, ce qui se joue, c'est qui va prendre sa place dans cette course à l'électrique.
00:49Donc, les Chinois ont un temps d'avance.
00:51Ils ont aujourd'hui un marché qui commence à être dominé par l'électrique.
00:55Ils ont 50% de part de marché électrique.
00:58Ils fabriquent des batteries deux fois moins chères, LFP deux fois moins chères que les
01:02batteries qui sont produites en Europe, en NMC.
01:05Il y a eu un contexte de suspicion de sursubvention aux acteurs chinois.
01:11Et il faut savoir que les Chinois ont une surcapacité, c'est-à-dire qu'ils produisent
01:15plus de véhicules.
01:16Donc, il y a la tentation…
01:17Oui, leur marché ne peut pas absorber tous les véhicules qu'ils produisent.
01:21Exactement.
01:22Et donc, du coup, il y avait la crainte aussi de voir arriver des véhicules chinois nettement
01:25moins chers, si on prend le contexte, que ceux des constructeurs européens qui ont
01:29pris du retard sur l'électrique.
01:31Donc, la concurrence est rude vis-à-vis des Chinois.
01:33Et en parallèle, on a les Américains qui ont mis en place une politique de subvention
01:38très forte sur les batteries notamment, et des droits de douane, et qui appliquent aussi
01:43des droits de douane sur les véhicules chinois.
01:45Donc, on est dans une concurrence, une configuration internationale très, très dure.
01:50C'est pour ça que l'Europe doit renforcer sa politique industrielle.
01:53Avec une décision qui a donc été annoncée, qui cible plusieurs marques.
01:58On va regarder quels droits de douane ont été annoncés sur trois marques.
02:04Ça va de 17% à 38%.
02:08Et puis, alors, ce qu'il faut savoir, c'est qu'il y a les producteurs de véhicules
02:12électriques chinois qui ont coopéré ou pas, ceux qui ont coopéré à l'enquête,
02:16mais qui n'ont pas été retenus dans l'échantillon, ils vont avoir un droit moyen pondéré de
02:1921%.
02:20Et ceux qui n'ont pas coopéré, effectivement, on sera à 38%.
02:24Tiens, petite question, pourquoi ils n'ont pas tous coopéré ? C'est une question
02:29de Béossia, mais on se dit, pourquoi prendre le risque de fâcher l'Europe et donc d'avoir
02:34des droits de douane encore plus lourds que les autres ?
02:36Alors là, il y a des enjeux qui peuvent être un peu complexes à comprendre, je ne m'aventurerais
02:40pas sur ce terrain.
02:41Je pense qu'il y a effectivement de gros, gros enjeux industriels, la Chine a répliqué
02:46aussi par rapport à cette décision, étant donné qu'elle a saisi l'OMC et le processus
02:50n'est pas terminé.
02:51C'est-à-dire que même si cette décision, elle rentre en application le 4 juillet, les
02:55États doivent être encore consultés et la Commission doit finaliser son enquête.
02:59Donc on est plutôt sur une précision du dispositif fin octobre.
03:05Oui, c'est ça, décision finale en novembre, à la majorité qualifiée, ça veut dire qu'il
03:08faudrait 15 pays représentant 65% de la population totale de l'Union européenne pour bloquer
03:13la décision.
03:14On n'en est pas là, mais en revanche, il y a des freins et notamment, il y a l'Allemagne
03:18qui freine.
03:19Est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi ? Ça s'explique par, j'imagine, la place
03:22de ces marques sur le marché chinois ?
03:24Certains des gros constructeurs allemands ont vraiment pris comme stratégie d'aller
03:28vendre du thermique en Chine, donc ils ont aussi un intérêt.
03:31S'il y avait des mesures de réplique de la Chine vis-à-vis de l'Europe, certains constructeurs
03:38pourraient y perdre beaucoup.
03:40C'est des choix stratégiques qui expliquent que chacun n'a pas les mêmes intérêts.
03:46Les Français exportent moins en Chine.
03:49Au-delà de ces droits de lois, parce que c'est un levier, mais c'est certainement
03:54pas le seul, qu'est-ce qui manque au niveau européen dans ce secteur automobile ? Des
04:01choix, une politique industrielle coordonnée ? Comment vous pouvez évaluer ça ?
04:04Une politique industrielle coordonnée.
04:06Effectivement, les droits d'honneur, c'est intéressant, mais ça ne suffit pas.
04:10Ça ne suffit pas parce qu'il y a besoin d'avoir des investissements massifs à côté,
04:15et puis des politiques nationales qui permettent d'orienter la production vers les produits
04:21qui sont les plus cohérents avec ce vers quoi on va, c'est-à-dire des véhicules
04:26qui soient vraiment propres.
04:27Aujourd'hui, c'est pas parce qu'on a un véhicule électrique qu'il est forcément
04:33performant d'un point de vue environnemental.
04:36Il y a bien aussi d'orienter la production.
04:38Mais ça veut dire quoi, si on rentre dans le détail, orienter la production ?
04:41Ça veut dire qu'on a besoin d'aller vers des véhicules qui soient réellement performants
04:45d'un point de vue environnemental, ça veut dire qu'on a besoin de renforcer les normes
04:48sur par exemple l'efficacité énergétique ou l'empreinte environnementale des batteries.
04:52Alors là, on touche un point important sur les batteries.
04:55On a parlé des droits de douane sur les véhicules, ça ne touche que les véhicules.
04:58Aujourd'hui, la grosse partie de la valeur ajoutée d'un véhicule, c'est plus le moteur,
05:03c'est devenu la batterie.
05:04Et avec tous les enjeux environnementaux qu'on connaît dessus, c'est-à-dire sur les ressources,
05:08la nécessité de pouvoir récupérer les matières, etc.
05:10Et la valeur est dedans.
05:11Et aujourd'hui, il n'y a pas de droit de douane sur les batteries.
05:14Donc tout à l'heure, je vous disais qu'on produit des batteries en Chine deux fois moins
05:17chères que celles qui sont produites en Europe.
05:20Du coup, les gros investissements qui ont été faits sur les projets de batteries en
05:24Europe, on a une cinquantaine de projets de fabrication de batteries, aujourd'hui ne sont
05:29pas protégés par des barrières douanières.
05:31Et on le voit avec les difficultés notamment du Suédois Norsvold qui a été annoncé
05:35il y a quelques jours.
05:36Exactement.
05:37Et ça, ça donne une idée du risque qu'on a.
05:40C'est pour ça que Djeni, on propose qu'il y ait également des droits de douane sur
05:44les batteries ou qu'il y ait au moins une sorte de norme pour caper finalement l'empreinte
05:50environnementale des batteries et donner la priorité à celles qui sont les plus propres
05:54sur notre territoire européen.
05:57Ça, ça permettrait d'avantager les batteries européennes.
05:59Je précise un truc, c'est que les batteries européennes, en moyenne, leur empreinte
06:04environnementale est 40% plus faible, si on prend un indicateur global.
06:07Et donc, il y a un vrai intérêt à avoir une production européenne de batteries.
06:12Est-ce que ça veut dire aussi produire des voitures plus petites, plus légères et moins
06:16de SUV électriques ?
06:17Oui, tout à fait.
06:18Le gros défaut de la stratégie des constructeurs européens, ça a été de rentrer dans l'électrique
06:23par les gros modèles.
06:24C'est l'inverse de ce qu'avaient fait les Chinois qui sont rentrés dans l'électrique
06:27par des petits modèles.
06:28Et du coup, ces gros modèles, ils sont en général plus chers.
06:30Le Covid, avec les problèmes d'approvisionnement, cette période-là a renforcé cette stratégie.
06:36Donc, ils se sont dit, on a moins d'équipements, donc on fait moins de véhicules, donc on
06:39va miser sur des véhicules plus chers pour faire au moins autant de profit.
06:42Résultat, on a des gros véhicules.
06:45Le marché, les automobilistes, ils attendent des véhicules peu chers, abordables en fait.
06:50On l'a vu évidemment avec le leasing social qui a été mis en place au début de cette
06:56année 2024 et qui a duré quelques semaines, à peine, tellement l'engouement a été
07:02important.
07:03On verra quelle enveloppe lui est consacrée pour l'année 2025.
07:05C'est un des gros enjeux.
07:06C'est un des gros enjeux, on est bien d'accord.
07:08Ces droits de douane, ils seraient appliqués pendant 5 ans.
07:11Ça veut dire quoi ? Il faut gagner du temps en fait ? C'est ça l'explication ?
07:15Je pense que c'est au moins 5 ans après, en fonction du contexte qui sera celui dans
07:215 ans.
07:22Je vous pose la question, il faut gagner du temps parce qu'il y a cette barrière
07:28temporelle 2035, interdiction de la vente des voitures thermiques en Europe.
07:34On a peut-être fait un peu les choses à l'envers, c'est-à-dire qu'on prend cette
07:36décision à un moment où nos constructeurs ne sont pas tout à fait prêts, c'est vrai
07:40ou c'est pas vrai ça ?
07:41Alors, deux choses.
07:42Il y a une course à l'électrique et effectivement c'est une course, ça veut dire qu'il faut
07:47aller vite.
07:48Il faut aller vite, il faut que les constructeurs européens soient positionnés sur l'électrique,
07:52sinon la concurrence des véhicules chinois va arriver et du coup il y a des vrais risques,
07:56et ce n'est pas moi qui le dis, c'est les constructeurs eux-mêmes, de recomposition
07:59du secteur et notamment éventuellement de mort de certains constructeurs.
08:03Donc oui, ils jouent leur survie et ils jouent la survie du tissu industriel avec tous les
08:06emplois qu'il y a derrière.
08:07Donc là, il y a un enjeu qui est crucial.
08:09Oui, il faut aller vite et il faut que les constructeurs européens se mettent sur l'électrique.
08:13Aujourd'hui, qu'est-ce qui tire les investissements ? C'est cette loi sur les émissions de CO2,
08:18c'est cette échéance 2035.
08:20Il fallait quand même la mettre cette échéance, sinon la révolution n'aurait pas eu lieu
08:24dans le secteur automobile.
08:25Exactement, il n'y aurait pas eu les 150 milliards d'investissement s'il n'y avait
08:29pas eu ces normes CO2 et si les objectifs 2025-2030 ne sont pas maintenus et 2035,
08:35il y a un vrai risque que les projets qui sont aujourd'hui encore des projets périclites.
08:42Et donc là, ça veut dire concrètement des emplois en moins, il y a un vrai enjeu là-dessus.
08:47Mais est-ce qu'on parlait de mesures de rétorsion, de la réaction des Allemands,
08:52est-ce qu'il y a un risque de mesures de rétorsion sur des produits français de la
08:55part de la Chine ? Ou est-ce que ce n'est pas forcément lié ou annoncé ?
09:00Sur les français, en termes de véhicules, pour l'instant, il n'y a pas de risque
09:06effectivement identifié.
09:07Sur d'autres produits que les véhicules.
09:08Mais ça pourrait arriver effectivement.
09:10Ce qu'il faut, c'est qu'effectivement l'Europe ne soit pas naïve vis-à-vis d'un
09:13contexte international où, sur certains produits, la concurrence n'était pas équitable.
09:18Donc c'est important qu'elle remontre un peu sa capacité à imposer aussi le respect
09:24des règles.
09:25Merci beaucoup d'être venue nous parler de ce bras de fer qui est donc un bras de fer
09:30triangulaire, on l'a bien compris, puisque les Etats-Unis ne sont pas en reste.
09:34A bientôt sur Bismarck.
09:35Fortem, c'est l'heure de notre week start-up tout de suite.