"Les comédies musicales sont aussi extrêmement politiques", affirme Mathieu Kassovitz

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Trente ans après son film culte, Mathieu Kassovitz adapte "La Haine" en comédie musicale, qui se jouera dans près d'une vingtaine de villes en France. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-lundi-09-septembre-2024-3693698

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00:00Il est 7h49, Sonia De Villers, votre invitée, l'auteur et le réalisateur de « La Haine »,
00:10film culte sorti en 1995, qui va devenir une comédie musicale.
00:15Bonjour Mathieu Kassovitz, qui vient à peine d'entrer dans le studio, une comédie musicale
00:24évidemment, on va en parler la dernière fois que j'ai vu votre visage Mathieu Kassovitz
00:28apparaître sur mon écran, vous étiez torse nu sur un lit d'hôpital, vous sortiez d'une
00:32lourde opération, vous aviez été transféré en état d'urgence absolue après un accident
00:35de moto sur un circuit, c'était il y a un an, comment ça va depuis ?
00:38Ça va très bien, merci beaucoup.
00:40Et là on vous a fait remonter sur une moto-taxi pour arriver jusqu'à la maison de la radio.
00:45C'est le moyen le plus rapide de circuler.
00:46C'est ça.
00:47« La Haine », le film d'une génération devenu phénomène de ses sociétés, racontait
00:5224 heures de la vie de Vince, de Saïd, de Hubert, trois jeunes de banlieue désœuvrés,
00:57au lendemain des meutes urbaines.
01:00L'idée d'une adaptation de « La Haine », trente ans après, elle est venue avant
01:03ou après l'accident ?
01:04Elle est venue quand ? Elle est venue avant l'accident, j'ai commencé à travailler
01:09sur ce projet il y a quasiment trois ans.
01:12C'est un groupe de personnes dont Farid Benlaga qui est le producteur, qui sont venus
01:20me voir, qui sont des gens qui avaient déjà produit d'autres grosses productions comme
01:25ça, ils sont venus me voir, ils m'ont dit « Est-ce que tu penses que ce serait
01:28une bonne idée d'adapter « La Haine » pour pouvoir faire une comédie musicale
01:30plus actuelle et plus urbaine ? »
01:33Ils s'attendaient à un non et ça a été un oui.
01:35Je ne sais pas à quoi ils s'attendaient, mais je leur ai demandé deux jours pour réfléchir
01:38et après deux jours, j'ai trouvé que c'était une très bonne idée et on a adapté ça
01:42d'une manière très souple et très simple.
01:43Le film avait été tourné en 1994 à Chanteloup-les-Vignes, là vous intitulez le spectacle « La
01:50Haine », jusqu'ici rien n'a changé.
01:53Ça veut dire que sur les jeunes de la banlieue d'il y a 30 ans et sur les jeunes de la
01:57banlieue d'aujourd'hui, vous avez envie de livrer exactement le même discours ?
02:00Question intéressante.
02:03Oui et non, parce que le discours qu'on tenait à l'époque était aussi un discours
02:10informatif, on a été un petit peu une voie alternative puisqu'il y avait beaucoup moins
02:21de médias qu'aujourd'hui.
02:22Il n'y avait qu'une seule chaîne d'info qui balbutiait.
02:26Voilà et on a tenu au courant et les gens de l'aide du quartier et les gens aussi des
02:32villes de ce qui se passait à l'extérieur avec une voix différente.
02:36Aujourd'hui, cette voix se fait entendre par les gens des quartiers eux-mêmes qui
02:41ont depuis plusieurs générations commencé à évoluer, à sortir du marasme dans lequel
02:47ils étaient pour développer quelque chose de différent et faire partie vraiment complètement
02:52de cette société qui maintenant connaît la vie des quartiers.
02:54Donc on n'est pas là pour faire ce travail-là, mais on continue à avoir ce discours.
03:00Si on dit que rien n'a changé, c'est que malheureusement on continue de faire cette
03:04comédie musicale parce qu'il y a encore des bavures policières, parce qu'il y a
03:07encore ce problème avec les quartiers et cette jeunesse.
03:10Le film posait cette question, comment peut-on se lever le matin et mourir le soir d'une
03:14balle dans la tête ?
03:15Voilà, la comédie musicale est exactement la même chose, c'est un thème très romantique
03:20pour une comédie musicale.
03:21Très romantique.
03:22Et les comédies musicales sont aussi extrêmement politiques.
03:27Si vous regardez West Side Story, si vous regardez R, si vous regardez Starmania, ce
03:34sont tous des brûlots politiques et on fait partie de ce panel.
03:39Donc c'est un brûlot politique, la haine sur scène.
03:42Ça reste ça, mais avec un message qui est 30 ans plus tard.
03:48Le contexte a changé, le contexte évidemment politique a changé, le contexte de la vie
03:51a changé.
03:52C'est-à-dire qu'en 1994, l'extrême droite n'était jamais arrivée au premier tour à
03:55une élection nationale.
03:56Non, mais on avait eu quand même la grosse frayeur avec Chirac et Le Pen, ça a toujours
04:05fait partie de notre paysage, la menace Le Pen.
04:09Là, ça a considérablement changé quand même, vous aviez littéralement enflammé
04:13les réseaux.
04:14Je ne sais pas si vous vous rappelez vraiment à l'époque à quel point c'était beaucoup
04:17plus chaud.
04:18Il y avait beaucoup plus, il y avait des skinheads dans la rue, il y avait une présence du racisme
04:23qui était vraiment très ancrée dans la société encore.
04:28On avait très peur de ces jeunes, on avait très peur de cette jeunesse de ce qu'on
04:35appelle encore des sauvageons, mais qui était à l'époque des racailles.
04:39Maintenant, on les connaît, maintenant on voit, maintenant ils font l'ouverture des
04:42Jeux Olympiques, donc la situation a changé.
04:45Parce que culturellement, il y a quelque chose qui a changé, c'est-à-dire qu'il y a trente
04:50ans, La Haine a raconté trois minots de banlieue qui se retrouvaient à Paris et ce n'était
04:53pas leur monde.
04:54Et c'était deux mondes qui ne se connaissaient pas, c'est-à-dire que là, évidemment, tous
04:58les ados parisiens portent le même survêt que Vince dans le film, ils ont les mêmes
05:03expressions, ils écoutent la même musique et le breakdance, ça fait l'époque.
05:08Vous savez, le truc, c'est que tout le monde connaît l'histoire, tout le monde connaît
05:14comment ça se termine, tous les gens qui vont venir voir le spectacle savent comment
05:18le film se termine.
05:19Donc, on n'est pas là, en fait, c'est comme si vous veniez revoir le film et si vous allez
05:26revoir le film, c'est parce que le contexte existe toujours malgré tout, il y a toujours...
05:29Vous savez, quand on a présenté, le jour où on a décidé d'officialiser la comédie
05:35musicale et de dire qu'on se lançait, deux jours plus tard, Naël est morte, deux jours
05:39plus tard, on a vu cette vidéo terrible et on s'est rendu compte qu'on n'était pas juste
05:44là pour continuer à faire vivre un film qui fait partie de notre culture.
05:49Oui, comme d'habitude, mais on est là pour respecter ce qu'on a créé il y a trente
05:58ans, c'est-à-dire une réflexion sur la violence, une réflexion sur la relation entre le citoyen
06:05et la police et l'État et puis une réflexion sur ce qu'est la haine et la mort.
06:14Dans la haine, à l'époque, il y avait seulement deux morceaux de musique, il y avait Bob Marley,
06:24la Mercer remix pour le spectacle et il y avait Assassin de la Police remixé par DJ Code
06:31Killer.
06:32Ce n'est pas Assassin de la Police, c'est That's the Sound of the Police.
06:35Que la France entière a entendu comme Assassin de la Police.
06:39Tout le monde, tout le monde, et moi je me suis retrouvé et je me suis dit « Non, je ne suis pas Assassin de la Police ».
06:43On va en reparler, justement.
06:45Jeudi prochain seront dévoilés les noms des artistes qui ont composé la bande originale
06:50du spectacle.
06:51Vous remettez du rap au cœur du spectacle, alors que le rap n'était pas au cœur de
06:55la haine en 1994.
06:57Non, mais le rap ne faisait pas partie des quartiers à l'époque, il y avait des groupes,
07:04il y avait NTM, il y avait Assassin, il y avait IAM, il y avait tous ces groupes-là, mais
07:09la culture n'était pas encore dans les quartiers.
07:11Maintenant, elle fait partie complète et intègre des quartiers puisque le rap français
07:18maintenant, dans la langue française, exprime ce qui se passe directement à l'intérieur
07:23des quartiers, ce qui n'était pas vraiment le cas à l'époque.
07:25Ça a commencé à émerger.
07:27Alors vous avez pris qui ?
07:28Alors dans la musique, on a du beau monde.
07:32On a des anciens, on a Akhenaton, Oxmo Puccino, Tunisiano, on a Mercer qui fait ce remix-là
07:42du Bob Marley, on a The Blaze, c'est de l'électro, on a Mathieu Chédide avec Angélique
07:51Kidjo, Chico des Gypsy Kings.
07:56Il y a Chico des Gypsy Kings qui vient se balader dans la haine ?
08:00Oui, il y a des trucs spéciaux, il y a Doria, il y a Sofiane Pamar, on a vraiment du beau
08:08monde avec nous.
08:09À l'époque, tout le monde avait entendu Assassins de la Police, il y avait eu un album
08:14inspiré du film, il y avait Ministère Amère dedans, il y avait Sacrifices du Poulet, trois
08:19syndicats de police et le ministère de l'Intérieur qui avaient porté plainte, il y avait Assassins
08:26qui chantaient l'Etat Assassine, justement, et c'est toujours d'actu ça, c'est-à-dire
08:31que le rap, il a toujours ce pouvoir, le rap français, d'avoir des propos aussi violents,
08:38aussi transgressifs, aussi frontaux.
08:40Ah ben vous allez voir au spectacle, vous n'allez pas être en reste, on parle du sujet
08:46et on en parle d'une manière balancée.
08:50Youssoupha nous a écrit deux morceaux qui se parlent les uns et l'autre et qui sont
08:55les morceaux les plus violents du spectacle.
08:58On a des chansons d'amour, on a de l'électro, on a de la chanson française, on a du rap
09:07hardcore.
09:08Donc il y a des morceaux sur les violences policières ?
09:09Oui, bien sûr.
09:10En fait, vous savez, on s'est rendu compte en découpant le film, quand ils sont venus
09:15me voir et que j'ai dit « donnez-moi deux jours pour réfléchir », j'ai découpé
09:18le film et j'ai regardé et je me suis rendu compte que toutes les scènes du film ont
09:23un sujet et ce sujet, c'est qu'à la fin du film, il doit rendre le flingue.
09:28Il ne commet pas de crime, malgré toute la journée qu'ils ont passé et tous les
09:32sujets sur la raison pour lesquels il pourrait éventuellement fantasmer ou aller jusqu'au
09:38bout de son acte font qu'à la fin, il se rend compte que ce n'est pas sa nature.
09:44Donc on a travaillé là-dessus, on est vraiment basé sur les personnages et sur l'émotion
09:49qu'on raconte et l'amitié qu'on a pour ces trois personnages.
09:52Saskia de Villecourt-Belmonte Merci Mathieu Kassovitz, La Haine, partout
09:55en France avec France Inter, ça commence le 10 octobre à la scène musicale.

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