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Court métrageTranscription
00:00Bonjour Mathieu Kessovitz.
00:01Bonjour.
00:02En 93, à 26 ans, vous réalisez votre premier long-métrage intitulé Métis.
00:06Après en avoir signé le scénario, ce film a été effectivement très important dans
00:10votre parcours.
00:11Beaucoup vous ont découvert, repéré, deux ans plus tard vous avez cueilli le métier
00:15et le public avec le film La haine.
00:16Jusqu'ici, tout va bien, mais l'important c'est pas la chute.
00:21C'est immédiat en France et plus tard à l'étranger avec A la clé 3 César, ce qui
00:29a frappé fort.
00:30C'est toute la dimension sociale mise en exergue, le regard sur les quartiers, l'immersion
00:34même au cœur de la cité et ces notions d'espoir ou de désespoir, de démerde, de
00:38violence.
00:39L'envie d'y croire aussi.
00:40Certes, vous réalisez, écrivez, drivez, mais vous jouez aussi avec ce César du meilleur
00:44espoir masculin qui a marqué les esprits en 94 grâce à votre rôle de jeune paumé
00:49dans Regarde les hommes tombés de Jacques Audiard.
00:52Il y a pile un an, vous chutiez en moto avec un tête à tête avec l'urgence de vivre,
00:58de profiter de la vie.
00:59Aujourd'hui, 13 mois plus tard, après de bonnes séances de rééducation, vous adaptez
01:03votre film sur scène.
01:04Nous sommes 30 ans plus tard après la sortie du film, en tout cas.
01:08Et le propos sur la cité, le propos n'a absolument pas changé.
01:14Finalement, on est toujours dans le cœur de l'actualité.
01:16Malheureusement, oui, on est toujours dans le cœur de l'actualité.
01:20Moi, je suis...
01:21Vous savez, c'est 30 ans que tous les ans, trois, quatre fois par an, le film revient
01:26dans l'actualité parce qu'il y a eu une baveure policière.
01:29Pour moi, ça ne m'a jamais quitté.
01:30Quand le film est sorti, et d'ailleurs, on le retrouve sur la comédie musicale, ce qui
01:34ressortait, c'était un sentiment de colère.
01:36Il existe toujours ce sentiment de colère ?
01:39Je ne vois pas comment on ne peut pas être en colère dans le monde dans lequel on vit.
01:42Après, vous pouvez le gérer d'une manière différente.
01:45Moi, ça m'énerve.
01:46Je suis énervé.
01:47J'arrive mal à vivre quand je vois tout ce qui se passe à côté de moi.
01:52Maintenant, ce n'est pas forcément une obligation de vivre, mais je ne vois pas vraiment comment
01:59on peut vivre d'une manière complètement heureuse sans regarder autour et sans se dire
02:04qu'il y a quand même des trucs à régler et qu'on ne peut pas fermer les yeux dessus.
02:09Je me suis posé la question de savoir si l'histoire de votre père, avec évidemment
02:17le fait d'être escapé de la Shoah, avait joué sur l'envie de raconter des histoires
02:21et d'aller chercher les gens, et pas de créer le débat, mais de créer des discussions,
02:26de communiquer, de dire des choses.
02:28Ouais, je ne vais pas mettre...
02:32Non, non, ce n'est pas l'histoire de la Shoah ou le truc, c'est tout le monde.
02:39Je n'ai pas envie de mettre des étiquettes sur la douleur des gens et sur ce qu'ils ont vécu.
02:45Je ne me pose pas la question, est-ce que l'esclavagisme a été pire que la Shoah
02:49ou a été pire que les génocides chez les Tutsis ou chez les Kurdes.
02:56La douleur, c'est la douleur.
02:58Après, on choisit de la traiter ou pas.
03:02Moi, j'ai été éduqué par des parents qui étaient des gens pauvres qui sont arrivés
03:09en France dans les années 60-70, et il n'y avait pas meilleur milieu à l'époque pour pouvoir
03:15exprimer sa révolte.
03:21C'était ça, à l'époque, les années 70.
03:24Donc, moi, je suis le produit de ça.
03:25Je suis le produit de ma mère. Ma mère ramenait des clochards à la maison.
03:28Mon père faisait des films sur le Venezuela à l'époque des Sandinistes.
03:34Donc, on a toujours été à Nicaragua, tout ça.
03:38J'ai toujours fait partie de mon truc.
03:39Ce n'est pas la Shoah, c'est l'ensemble.
03:44Votre mère était monteuse, votre père réalisateur.
03:47Le cinéma, en gros, c'était quand même la bande-son de votre enfance.
03:51Donc, c'était une évidence que ça allait devenir aussi votre langage ?
03:56Oui, parce que mes parents n'étaient pas des stars dans leur domaine.
04:00Je n'ai jamais rencontré le cinéma à travers les festivals ou les avant-premières ou les trucs comme ça.
04:04Mon père ne faisait pas ça, ma mère ne faisait pas ça.
04:06Mes parents travaillaient tous les week-ends.
04:08J'allais dans la salle de montage de ma mère passer les week-ends parce qu'elle ne pouvait pas me garder ailleurs.
04:14Et donc, je vivais dans les morceaux de pellicules où j'allais sur les tournages de mon père,
04:17qui faisait des téléfilms, qui faisait des médecins de nuit.
04:20Il n'a jamais fait d'avant-première, il n'a jamais gagné un prix.
04:23Donc, le cinéma, pour moi, c'est du travail.
04:26Il y a une intégrité qui a toujours existé chez vous.
04:29C'est à croire qu'à aucun moment, vous n'êtes allé à l'encontre de ce que vous vouliez faire ou ne pas faire.
04:34Oui, j'ai eu la chance de faire la carrière que je voulais mener, autant en tant qu'acteur qu'en tant que réalisateur.
04:44J'ai fait des films à chaque fois différents, qui sont des films plus ou moins choquants ou plus ou moins difficiles à vendre.
04:51J'ai réussi à le faire. J'en suis très fier.
04:54Ce n'est pas tout le monde qui peut se permettre ça, parce que pour me permettre ça, j'ai dû dire non à beaucoup de choses.
05:01Et pour rester intègre dans ce milieu-là, dans n'importe quel milieu, il faut accepter de manger de la merde un peu.
05:12Moi, je suis passé à travers tout ça, mais je préfère ça plutôt que manger du caviar avec des connards.
05:22Donc, aucun regret ?
05:23Non, aucun regret.
05:24Et je vous le dis à tout le monde, s'il vous plaît, soyez vous-même, ne changez rien à ce que vous êtes.
05:29Si vous êtes une tête de con, soyez une tête de con.
05:31Il suffit que le seul truc, c'est d'avoir un minimum de talent pour pouvoir utiliser vos avantages ou vos capacités.
05:40Et puis, ne changez jamais, parce que si vous changez, vous serez malheureux plus tard d'avoir changé, même si vous serez peut-être plus riche.
05:49Mais je pense que l'intégrité, c'est la liberté.
05:53Est-ce que le cinéma vous a permis aussi ou pas de vous protéger ?
05:57Non, je ne me suis pas protégé, au contraire.
05:59Par contre, ce que le cinéma m'a appris en tant que réalisateur, plus en tant qu'acteur, je trouve ça moins intéressant.
06:05Mais en tant que réalisateur, c'est tous les gens magnifiques que j'ai croisés pendant toutes ces années.
06:11Que ce soit les machinistes ou les gens chez qui on va pour tourner ou les...
06:17Tout, tout, tout, les spécialistes à qui on a affaire.
06:20J'ai travaillé avec des militaires du GIGN, j'ai travaillé avec des astronautes, j'ai travaillé avec des docteurs, j'ai travaillé avec des scientifiques.
06:28J'ai travaillé avec des femmes de ménage, j'ai travaillé...
06:30Mais j'ai eu l'occasion de les rencontrer, de vivre des vies qui ne sont pas les miennes et de vraiment échanger avec tous ces gens-là.
06:38Et ça, c'est pour moi la plus grande richesse du cinéma.
06:42C'est ce qu'on y vit en travaillant avec les autres.
06:46C'est étonnant, d'ailleurs, puisque vous avez quitté l'école à 16 ans et vous avez, dès le départ, dit comme autodidacte, comme la majorité des autodidactes,
06:53que la science était comme une boussole pour vous et c'est un peu ce que vous racontez.
06:57Soit tu te fais guider par la religion, soit tu te retrouves seul et si t'es seul, il faut que tu aies quelque chose dans lequel croire.
07:05Pour moi, ma religion, c'est la science parce que c'est la seule religion qui est prouvée par tous ses pères et tous les gens qui y croient.
07:17Donc moi, ça m'a construit et ça me construit encore aujourd'hui.