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La cathédrale de Strasbourg est le plus haut édifice jamais bâti au cours du Moyen ge et constitue un chef-d'œuvre architectural. Construite sur des centaines d'années, entre 1176 et 1439, la cathédrale de Strasbourg est radicalement différente de toutes les autres cathédrales. Elle a été construite à l'aide de nouvelles technologies et selon des principes jamais testés auparavant. Pour la première fois, les chercheurs ont pu retracer en 3D l'incroyable histoire de ce projet. Ils révèlent comment les bâtisseurs ont pu défier les lois de la physique pour construire toujours plus haut et expliquent l'importance du fer, élément clé dans cette cathédrale de pierre

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Transcription
00:00C'est la deuxième cathédrale la plus visitée de France.
00:06Un véritable joyau de l'architecture religieuse, à la silhouette unique, la cathédrale de Strasbourg.
00:12Vous la dessinez en trois traits, vous reconnaissez la cathédrale de Strasbourg.
00:18Une révolution esthétique et architecturale, un chef d'œuvre gothique,
00:23et un pari fou pour les bâtisseurs du Moyen-Âge, construire le plus haut monument de toute la chrétienté.
00:29Il y a cette course à la hauteur, entre Bâle, Vienne, Cologne, Strasbourg, pour avoir le bâtiment le plus haut.
00:37Après des années de recherche, les spécialistes ont pu retracer en trois dimensions l'incroyable histoire de ce chantier qui a duré quatre siècles.
00:46Mais comment les bâtisseurs de l'époque ont-ils défié les lois de la physique pour construire toujours plus haut ?
00:54Grâce à la voûte d'Augive et à l'invention de l'arc boutant, ces deux éléments combinés permettent de libérer complètement l'espace.
01:02Et comment sont-ils parvenus à cette finesse architecturale sans fragiliser l'édifice ?
01:07Quand vous avez des pierres posées les unes à côté des autres, vous mettez des agrafes, comme une agrafeuse, des agrafes en fer.
01:13Il y a des tonnes et des tonnes de métal dans la cathédrale.
01:17La flèche de cette cathédrale, qui va dominer l'Europe jusqu'au 19e siècle, suscite l'enthousiasme des chercheurs.
01:25On n'a pas un escalier, on n'en a pas deux, on en a huit.
01:28Géométriquement, c'est incroyable, c'est une folie.
01:32Elle soulève de nombreuses questions.
01:34Je n'arrive même pas encore à imaginer comment on a pu oser quelque chose comme ça.
01:42Et pourquoi cette cathédrale parfaitement symétrique n'a-t-elle qu'une seule flèche ?
01:48On a des dessins d'une deuxième tour.
01:51On sait même qu'elle avait été commencée.
01:54Tout d'un coup, le chantier s'est arrêté, on ne sait pas exactement pourquoi.
01:58Bienvenue dans la cathédrale de Strasbourg.
02:01Un chantier exceptionnel qui a duré 400 ans et mobilisé les meilleurs architectes du Moyen-Âge.
02:12La cathédrale de Strasbourg
02:17La cathédrale de Strasbourg
02:22La cathédrale de Strasbourg
02:40Chef-d'œuvre de l'architecture gothique, la cathédrale de Strasbourg est un monument unique en son genre.
02:47Coiffée de son unique flèche et habillée de sa façade en grès rose,
02:52elle est devenue l'emblème de toute une ville et même d'une région.
02:58Située à la frontière avec l'Allemagne, la cathédrale se dresse en plein centre-ville,
03:03dans l'un des plus vieux quartiers de la capitale alsacienne.
03:08Vous arrivez à Strasbourg, vous voyez la flèche de la cathédrale de Strasbourg émerger de la ville.
03:13C'est tout à fait spectaculaire.
03:15Et quand vous rentrez dans la ville, vous ne voyez plus la cathédrale.
03:19Et elle réapparaît de façon extrêmement violente au moment où vous arrivez sur la place.
03:25Et à ce moment-là, vous voyez cette dentelle de pierre qui s'impose à vous.
03:29Et je crois que c'est là toute la magie de cette cathédrale.
03:35Ses dimensions sont spectaculaires.
03:38118 mètres de long sur 51 mètres de large.
03:42C'est la surface d'un terrain de football.
03:45Véritable gratte-ciel du Moyen-Âge, le monument culmine à 142 mètres de haut,
03:50l'équivalent d'une tour de 40 étages.
03:55Jusqu'au 19e siècle, la cathédrale de Strasbourg restera l'édifice le plus élevé du monde chrétien.
04:03L'intérieur est tout aussi impressionnant.
04:07Ces voûtes qui montent à plus de 32 mètres sont révélatrices du génie de ces bâtisseurs.
04:12Mais comment sont-ils parvenus à réussir une telle performance ?
04:18L'histoire de ce chantier hors norme commence au 12e siècle,
04:22alors que l'architecture est en pleine mutation.
04:26Les technologies évoluent et permettent de passer peu à peu du style roman au style gothique.
04:33Le style gothique, ça veut dire tout d'un coup on veut construire plus haut,
04:38avec des murs plus minces, avec des grandes ouvertures qui ramènent beaucoup de lumière.
04:44Je pense pour un visiteur au Moyen-Âge, au 13e siècle,
04:47d'arriver dans cette nef complètement lumineuse a dû être un choc.
04:56Pour faire entrer la lumière dans cette cathédrale révolutionnaire,
04:59les architectes ont appliqué les nouveaux principes de l'architecture gothique.
05:04Il s'agit d'élever les voûtes le plus haut possible
05:07et d'agrandir au maximum les ouvertures dans les murs.
05:10Un défi pour les bâtisseurs.
05:17Pour cela, les charges sont dirigées vers des piliers maintenus à l'extérieur par des arcs boutants et des contreforts.
05:25Une véritable prouesse technologique.
05:30Aujourd'hui, les experts tentent de comprendre quelles techniques de construction ont été utilisées au Moyen-Âge pour réaliser une telle performance.
05:41Mais les archives qui permettraient de retracer l'histoire du chantier manquent.
05:47C'est un travail de détective et quasiment un travail d'archéologue du bâti,
05:52puisque je dirais qu'on fait un zoom arrière pour comprendre le monument et déceler tous les indices.
05:59Au XIXe siècle, une restauration entreprise sur les fondations de la cathédrale va révéler une information capitale.
06:07Lors de ces fouilles, on découvre que les fondations de la cathédrale reposent sur une ancienne cathédrale, en tout cas un ancien bâtiment.
06:16De plus, les spécialistes ont retrouvé un témoignage de l'existence d'une cathédrale originelle.
06:22Ce texte indique que la première pierre aurait été posée en 1015 sous l'impulsion de l'évêque de l'époque,
06:28un certain Werner.
06:31Un autre élément vient conforter l'existence de cet ancien édifice.
06:36Cette baie composée de deux vitraux superposés.
06:42Preuve a été faite que ces personnages superposés correspondent à des fenêtres de dimensions inférieures,
06:50voire de la moitié de celles d'aujourd'hui.
06:52Et donc ça nous fournit des dimensions relativement précises des fenêtres de cette basilique de Werner,
06:59qui était un édifice d'une conception très différente de la cathédrale actuelle.
07:06La basilique d'origine disposait de très petites ouvertures, à l'opposé de la cathédrale d'aujourd'hui.
07:13Malgré cette découverte, de nombreux mystères demeurent quant à l'évolution du bâtiment.
07:18Stéphane Potier a consacré sept ans de sa vie à étudier l'histoire du monument.
07:24C'est une véritable bibliothèque d'architecture en fait.
07:26La durée de construction c'est à peu près quatre siècles.
07:29Donc en fait on a quasiment tous les styles d'architecture qui se développent au fur et à mesure dans cet édifice.
07:37Grâce au travail exceptionnel de cet architecte, la cathédrale disparue a pu être reconstituée en trois dimensions.
07:49Dotée de murs épais et de petites fenêtres, la basilique d'origine était typique du style roman.
07:55Une architecture rustique qui correspond aux connaissances scientifiques du début du Moyen-Âge, entre le Xe et le XIIe siècle.
08:03Mais comment ce premier bâtiment est-il devenu la cathédrale que l'on connaît ?
08:07Et surtout, pour quelles raisons a-t-il été transformé ?
08:13Les archives apportent un début de réponse.
08:16Dans les sources, c'est juste écrit « la cathédrale a brûlé ».
08:19Est-ce que c'est un petit feu ? Est-ce que c'est un grand incendie qui a détruit une grande partie de la cathédrale ? On ne sait pas.
08:24Mais on a connaissance de plusieurs incendies.
08:30La cathédrale romane est peut-être sérieusement endommagée.
08:34En tout cas, il est décidé de reconstruire l'édifice.
08:37Le chantier débute vers 1180 et la première décision des bâtisseurs est de conserver les fondations existantes.
08:46Ils ont tout simplement profité de cette opportunité pour gagner du temps aussi.
08:51Puisque voilà, il suffit pour eux de suivre ces fondations et c'est toujours ça de gagner.
08:57Ces fondations sont en effet colossales.
09:01Des pieux en bois ont d'abord été enfoncés jusqu'à la roche.
09:04Pour stabiliser le tout, une couche d'argile de 2 mètres d'épaisseur a été mise en place.
09:09Enfin, des massifs de fondations très épais ont été montés.
09:13C'est sur ces murs que repose la cathédrale d'aujourd'hui.
09:17Et donc du coup, vous avez la seule cathédrale gothique actuelle sur un plan du XIe siècle.
09:23C'est le même plan de cathédrales du XIe siècle et aujourd'hui.
09:27Comme la quasi-totalité des édifices religieux, le plan de la cathédrale de Strasbourg forme une croix latine, disposée selon un axe est-ouest.
09:38D'un côté s'élève le chœur, dévolu aux ecclésiastiques.
09:42Vient ensuite le transept, au niveau des bras de la croix.
09:45A la croisée du transept se trouve l'autel, d'où l'on célèbre la messe.
09:49Puis vient la nef, réservée aux fidèles.
09:57Si le plan en croix est respecté, la nouvelle cathédrale est plus haute que la cathédrale d'origine.
10:03Mais elle est surtout d'un style radicalement différent.
10:07Pourquoi les bâtisseurs de l'époque n'ont-ils pas choisi de reconstruire à l'identique ?
10:11« Il est très fréquent que les cathédrales aient été construites sur le temps long.
10:15Et le temps long impose l'évolution des styles.
10:19Parce qu'à chaque époque, on veut construire dans une forme de modernité qui se retrouve dans le style de la construction.
10:29Au XIIe siècle, la ville de Strasbourg ne fait pas partie du royaume de France,
10:33mais appartient au Saint-Empire romain germanique.
10:37Et dans l'Empire, l'architecture en vigueur, c'est le roman,
10:40caractérisé par des murs épais et des petites ouvertures.
10:45Les bâtisseurs de l'époque n'ont-ils pas choisi de reconstruire à l'identique ?
10:49Les bâtisseurs de l'époque n'ont-ils pas choisi de reconstruire à l'identique ?
10:53Les bâtisseurs de l'époque n'ont-ils pas choisi de reconstruire à l'identique ?
10:56Les bâtisseurs de l'époque n'ont-ils pas choisi de reconstruire à l'identique ?
11:03La reconstruction de la cathédrale débute vers 1180.
11:09Les bâtisseurs s'attaquent d'abord au côté nord du transept.
11:13Mais à cette même époque en France, c'est le gothique qui est à la mode,
11:16avec des édifices plus hauts et plus ouverts.
11:20Il va s'imposer dans la construction de la cathédrale de Strasbourg.
11:23À partir du moment où le roman a commencé à céder la place au gothique,
11:28l'évêque de Strasbourg de l'époque a commencé à faire subir des transformations à l'édifice roman
11:36et à vouloir introduire le style gothique lui aussi dans sa cathédrale romane.
11:42L'évêque fait appel aux meilleurs architectes de son temps.
11:46Ils viennent de France.
11:48Là-bas, ils ont travaillé sur les constructions les plus prestigieuses,
11:51comme les cathédrales de Paris et de Chartres.
11:56Il faut bien comprendre que les architectes qui étaient appelés à Strasbourg, c'étaient les stars de l'époque.
12:00Les architectes étaient itinérants, ils voyageaient, ils étaient curieux, ils connaissaient,
12:05ils étaient dans des réseaux de maîtres d'œuvres, donc on partageait les connaissances,
12:09on volait le savoir de son concurrent.
12:15Ces bâtisseurs de génie maîtrisent les techniques de construction les plus pointues,
12:19comme la voûte d'Augive.
12:22La voûte d'Augive
12:26Dans les nouvelles cathédrales, elle remplace la voûte en arête,
12:29qui était la seule connue depuis l'Antiquité.
12:32C'est une véritable révolution technique.
12:35Avec sa forme en demi-cercle, la voûte d'arête exerce de très fortes poussées horizontales.
12:41Pour résister, les piliers devaient donc être très épais.
12:45En transformant le demi-cercle en un arc brisé,
12:48la voûte d'Augive permet une nouvelle répartition du poids.
12:52Les piliers peuvent donc être plus fins et plus hauts.
12:55Quand vous arrivez sur de la structure gothique,
12:57les voûtes d'Augive, c'est des nervures qui sont montées en arc brisé.
13:02Et les arcs brisés, contrairement à un demi-cercle,
13:05si vous brisez, du coup la descente des charges de la voûte se concentre sur des points verticaux.
13:13Quand les architectes du gothique arrivent sur le chantier au début du XIIIe siècle,
13:17la cathédrale de Strasbourg est déjà bien avancée.
13:21Arrive le maître d'œuvre gothique,
13:23qui, lui, arrive avec un transept nord romand, un cœur romand, une abside romane,
13:28et un transept sud qui est monté à moitié.
13:30Et il se retrouve avec cette problématique,
13:32comment on arrive à faire passer l'architecture gothique dans cet espace romand.
13:40Pour le maître d'œuvre, le défi est d'opérer la transition
13:44entre deux principes architecturaux radicalement différents.
13:48Au nord du transept déjà édifié, les piliers sont imposants.
13:52Ils suivent les règles de construction romane.
13:58Mais en se dirigeant vers le sud, l'aspect change,
14:01à l'exemple du pilier des anges beaucoup plus fin, typique du style gothique.
14:07Ce pilier est une véritable performance artistique et technologique.
14:12L'architecte du pilier des anges, qui vient probablement d'Île-de-France,
14:15réalise des voûtes d'ogive parfaites dans le transept sud,
14:19supportées par le pilier des anges.
14:21Le pilier des anges est un chef-d'œuvre en termes de sculpture,
14:24sachant qu'à l'époque, l'architecte est très souvent aussi sculpteur.
14:28Et en plus, chaque statue fait partie de la colonne,
14:31et elle aussi porte le poids des voûtes sur ce pilier.
14:38C'est l'un des tours de force du gothique.
14:41Savoir transformer les éléments de structure en éléments de décor.
14:49En regardant attentivement les piliers,
14:51on voit clairement la rupture architecturale.
14:57On voit très bien que sur des portails, ça s'arrête net.
15:00On a une espèce d'énorme support comme ça,
15:02sur lequel il vient poser celui-là, ce petit support.
15:05Alors on a bien les traces où on passe du roman au gothique.
15:09En quelques mètres, la bâtisse change d'aspect.
15:14Mais pourquoi l'architecte a-t-il conservé les éléments de style roman ?
15:18Pourquoi à ce moment-là, quand on change d'architecte,
15:21on démolit pas ce qui a été fait pour avoir une cohérence architecturale,
15:24comme pour retrouver par exemple un Notre-Dame de Paris ?
15:27C'est parce qu'il y avait une règle non écrite.
15:29C'était que quand un architecte décédait,
15:33son successeur n'avait pas le droit de toucher
15:37au travail de son prédécesseur.
15:41Résultat, le transept nord présente des piliers massifs
15:45typiques du style roman,
15:49tandis qu'au sud, ses colonnes atteignent une finesse incroyable.
15:56Grâce à cette innovation,
15:58le projet architectural prend une ampleur inédite.
16:02Une fondation, l'œuvre Notre-Dame,
16:04est créée pour financer ce chantier
16:06qui devient colossal.
16:10À l'époque, toute la ville participe à la construction de la cathédrale.
16:14C'est les dons, les donations, les legs des Strasbourgeois
16:17qui permettent la construction de la cathédrale de Strasbourg.
16:21Ces dons permettent la mise en place d'un chantier exceptionnel.
16:26Son organisation remet en cause les idées reçues sur le Moyen-Âge.
16:31Alors les légendes de 300, 400 artisans
16:34avec un bonhomme qui tombe toutes les 5 minutes de l'échafaudage,
16:37ça c'est vraiment des légendes.
16:39C'était des équipes beaucoup plus petites.
16:41Sur les cahiers qui référencent en fait les ouvriers,
16:44on n'a jamais plus de 50 personnes sur le chantier.
16:49La première étape du chantier se situe en carrière.
16:53Les ouvriers y extraient du grès,
16:55le matériau local servant à construire l'ensemble de l'édifice.
17:01Reste ensuite à le transporter jusqu'à la cathédrale.
17:04Une tâche harassante, car les plus gros blocs de pierre
17:07peuvent peser jusqu'à une tonne.
17:10Ces éléments arrivent sur des chars tirés par des boeufs,
17:13donc imaginez le travail, la traction,
17:15les routes ne sont pas bitumées,
17:17donc c'est un travail colossal.
17:19Ils arrivent au pied de la cathédrale.
17:22Un atelier de taille de pierre est donc installé sur le chantier.
17:25Il va permettre aux artisans de travailler toute l'année,
17:28peu importe les conditions climatiques.
17:31Les tailleurs de pierre vont tailler, préparer les blocs
17:35pendant l'hiver dans un atelier couvert, chauffé,
17:39et ils vont poser toutes ces pierres qu'ils ont préparées
17:42pendant l'hiver en été sur le chantier.
17:44Ça, c'est la nouveauté,
17:46avec cette installation d'un atelier fixe à Strasbourg au XIIIe siècle.
17:52Au côté des tailleurs de pierre,
17:54les forgerons fabriquent les outils.
17:59Les maçons montent les murs.
18:03Les charpentiers construisent et installent les échafaudages.
18:07C'est toute une intendance qui est mise en place.
18:10C'est une organisation professionnelle très organisée.
18:14Chacun sa place, chacun son travail.
18:17On commence à organiser les choses de façon très rationnelle.
18:21Et c'est les prémices de la société comme elle est aujourd'hui.
18:28Vers 1235, débutent les travaux de Lanèphe.
18:32L'architecte veut réaliser l'impossible,
18:35monter les murs toujours plus haut pour faire rentrer la lumière
18:38et agrandir l'espace dans la cathédrale.
18:42On relève les pierres,
18:44pour monter les voûtes plus haut,
18:46pour faire des fenêtres plus grandes,
18:48permettant de réduire la matière au maximum
18:52de ce qu'il est possible de faire avec de la pierre de taille.
18:58C'est une nouvelle fois la voûte d'Augive
19:00qui va leur permettre de relever ce challenge.
19:04Cette technique de construction dirige le poids de la voûte
19:07vers l'intérieur de la cathédrale.
19:09De cette façon, les murs ne sont pas porteurs
19:12et peuvent accueillir de larges ouvertures
19:14sans risque de fragiliser le bâtiment.
19:18A l'extérieur de l'édifice,
19:20les bâtisseurs vont placer un arc boutant
19:22associé à un contrefort
19:24pour orienter les poussées horizontales vers le sol.
19:30Le principe de l'arbre boutant,
19:32c'est qu'il y ait un arc boutant
19:34associé à un contrefort
19:37Le principe de l'arc boutant,
19:39c'est une échelle qu'on appuie contre un mur
19:41qui vient pousser vers la façade
19:44et qui vient équilibrer les charges
19:47entre la poussée de la voûte d'Augive
19:50et l'arc boutant.
19:52Les arcs boutants ont permis
19:54de monter les murs beaucoup plus haut
19:56et d'alléger la structure
19:58pour laisser passer la lumière.
20:02Grâce à ce système complexe,
20:04les bâtisseurs réussissent un coup de maître.
20:07Fini les murs épais
20:09et les petites ouvertures du style roman.
20:12Le génie des architectes
20:14de cette période gothique,
20:16c'est aussi de réussir à allier
20:18la pratique à l'esthétique
20:20comme en témoignent les 12 arcs boutants
20:22disposés de part et d'autre de la NEF.
20:27Ces éléments ont une autre fonction.
20:30Ils dissimulent habilement
20:32un système complexe de gouttières.
20:36Disposés tout au long de ce réseau,
20:38des gargouilles permettent
20:40d'évacuer l'eau de pluie.
20:46Mais la mise en place
20:48de ces arcs boutants
20:50a une autre utilité
20:52à l'intérieur de la cathédrale cette fois.
20:55Les arcs boutants qu'on trouve
20:57très beaux à l'extérieur
20:59sont faits pour dégager
21:01l'espace intérieur.
21:05Le résultat est là.
21:07Les dimensions de la NEF
21:09sont impressionnantes.
21:1536 m de large
21:17sur 40 m de long.
21:19Les voûtes, elles,
21:21atteignent 32 m de haut,
21:23soit l'équivalent d'un immeuble
21:25de 10 étages.
21:27Grâce à la voûte d'Augive,
21:29et à l'invention
21:31de l'arc boutant,
21:33ces deux éléments combinés
21:35permettent de libérer
21:37complètement l'espace
21:39des parois latérales.
21:41Avec le gothique,
21:43les murs disparaissent
21:45au profit de larges ouvertures.
21:47La cathédrale de Strasbourg
21:49compte désormais
21:511 500 m2 de vitraux.
21:53Dans la cathédrale,
21:55quand vous regardez la NEF,
21:57elle n'est pas en pierre,
21:59mais elle est vraiment minimalisée.
22:01Elle est juste là pour tenir,
22:03pour être la structure
22:05du bâtiment.
22:07Pour maintenir ce bâtiment hors norme
22:09à ses hauteurs vertigineuses,
22:11les bâtisseurs doivent redoubler
22:13d'ingéniosité.
22:15Un matériau va leur permettre
22:17de réaliser leurs rêves les plus fous.
22:19C'est le fer.
22:21Si vous regardez bien,
22:23les cathédrales, c'est du métal
22:25Il y a des tonnes et des tonnes
22:27de métal dans la cathédrale.
22:31Dans la cathédrale de Strasbourg,
22:33le fer est omniprésent.
22:35Cette ossature quasi invisible
22:37est indispensable à la bonne tenue
22:39du bâtiment.
22:41Dans ces piliers, par exemple,
22:43les bâtisseurs ont agrafé les blocs de pierre
22:45et coulé du plomb pour les fixer.
22:49Quand vous avez des pierres posées les unes à côté des autres,
22:51vous mettez des agrafes, comme une agrafeuse,
22:53ou des agrafes en fer,
22:55qui viennent, elles, solidariser
22:57les pierres les unes avec les autres.
23:01Les éléments sont ainsi
23:03solidement fixés entre eux.
23:05Cette innovation,
23:07qui permet de voir plus grand et plus haut,
23:09est connue sous le nom de chaînage métallique.
23:15On sait que la construction gothique
23:17était intrinsèquement liée
23:19au principe de chaînage métallique.
23:21Le chaînage,
23:23ça évite que le bâtiment
23:25vrille, soit lui-même,
23:27ou qu'il vacille comme ça.
23:31Ça lui permet de se stabiliser
23:33au niveau des angles, ça le rigidifie.
23:41C'est aussi grâce au chaînage métallique
23:43que les bâtisseurs vont pouvoir
23:45construire ces immenses baies.
23:47La technique consiste à réaliser
23:49des encoches sur un bloc de pierre,
23:51puis un trou pour y placer
23:53une barre de fer.
23:55Des cales sont disposées aux quatre coins.
23:57On emboîte l'élément du dessus
23:59sur la barre, comme on le ferait
24:01avec deux legos.
24:03On pose ensuite un joint en argile,
24:05et dans un conduit creusé spécialement,
24:07du plomb fondu est versé
24:09pour sceller l'ensemble.
24:11Malheureusement,
24:13sur certaines pièces complexes,
24:15les barres de fer ne peuvent pas être rajoutées.
24:17Les constructeurs ont alors
24:19imaginé un système ingénieux.
24:23La barre est insérée complètement dans l'élément,
24:25qui peut ainsi être mise en place sans difficulté.
24:29Il suffit ensuite de faire glisser la barre
24:31à l'aide d'une corde pour l'introduire
24:33dans la seconde pièce.
24:37Voici la barre placée
24:39et les éléments maintenus.
24:41Il ne reste plus qu'à couler le plomb
24:43pour sceller l'ensemble.
24:47Cette méthode
24:49illustre l'incroyable savoir-faire
24:51des bâtisseurs gothiques.
24:53Vous avez des éléments qui sont
24:55de plus en plus fins, de plus en plus élancés,
24:57et pour éviter qu'ils basculent
24:59ou qu'ils se tordent
25:01dans le cas de la pierre,
25:03le fer assure la stabilité
25:05de l'ensemble.
25:11En 1275,
25:13la nef de la cathédrale de Strasbourg
25:15est enfin achevée.
25:1740 ans de travaux
25:19auront été nécessaires pour réaliser
25:21cet exploit architectural.
25:23Et même si l'édifice
25:25est encore loin d'être terminé,
25:27les bâtisseurs sont en passe de réussir
25:29leur pari d'une cathédrale de lumière.
25:31Deux ans plus tard,
25:33les architectes s'attaquent
25:35à la construction de la façade.
25:37Un défi encore plus ambitieux.
25:39La mastodonte,
25:41elle s'impose,
25:43vous partez depuis le parvis
25:45jusqu'à 142 mètres,
25:47en levant les yeux vers l'infini.
25:49C'est ça qui est incroyable.
25:55La complexité de cette façade
25:57est telle que les maîtres d'oeuvre
25:59vont pour la première fois
26:01être obligés de dessiner des plans.
26:03Pour le XIe siècle,
26:05pour la cathédrale romane,
26:07il n'y a pas encore des plans.
26:09Les plans d'architecture,
26:11les dessins d'architecture
26:13arrivent plutôt à l'époque gothique,
26:15ce qui s'explique avec l'architecture gothique
26:17qui devient de plus en plus compliquée.
26:19À partir de cette époque-là,
26:21on a vraiment besoin de dessiner,
26:23tracer sur papier ces projets.
26:29À deux pas de la cathédrale,
26:31une salle à la température
26:33et à l'hygrométrie parfaite
26:35s'accroissent à l'heure inestimable.
26:37C'est ici, à l'abri de la lumière,
26:39que sont conservés les premiers
26:41dessins d'architecture
26:43de la cathédrale de Strasbourg.
26:45Les plus anciens remonteraient
26:47au milieu du XIIIe siècle.
26:49C'est des chefs-d'oeuvre
26:51qui sont presque uniques.
26:53Il n'y a pas beaucoup de dessins
26:55de ce genre aujourd'hui au monde.
26:57Cette collection exceptionnelle,
26:59composée d'une trentaine de dessins,
27:01est l'une des plus importantes d'Europe.
27:03Ces plans d'architecture
27:05ne sont ni datés ni signés.
27:09Mais selon les experts,
27:11ce plan, appelé dessin B,
27:13daterait de 1260.
27:17Ce dessin rarissime est précieux
27:19car il indique le projet
27:21de la future façade gothique.
27:23En regardant ce dessin,
27:25on se croit vraiment
27:27sur le bureau de l'architecte
27:29du XIIIe siècle.
27:31Si vous regardez bien,
27:33il est déjà dessiné sur 4 parchemins
27:35qui sont cousus
27:37ou collés ensemble.
27:39Le dessin B
27:41mesure près de 3 m de long
27:43sur 1 m de large.
27:45Malgré sa taille imposante,
27:47il ne représente
27:49qu'une moitié de la façade
27:51de la cathédrale.
27:53Pour les spécialistes,
27:55la raison n'est pas technique,
27:57mais économique.
27:59Le plan d'architecture
28:01médiéval n'a rien à voir
28:03avec le dessin d'architecture
28:05d'aujourd'hui.
28:07C'est une question de parchemin
28:09qui coûte atrocement cher.
28:11Si vous avez la façade de la cathédrale,
28:13vous n'avez que la moitié de la façade.
28:15La façade étant rigoureusement
28:17symétrique, la moitié du plan
28:19suffit à donner les indications
28:21nécessaires pour réaliser l'ensemble.
28:23Ce chef-d'oeuvre
28:25avait avant tout une utilité technique.
28:27Sur un même plan,
28:29sur une surface en 2D,
28:31on va avoir l'élévation.
28:33L'élévation, c'est le dessin
28:35de la façade, rabattu à plat.
28:37Le plan, c'est la vue de dessus.
28:39Et certaines coupes,
28:41le profil, les détails.
28:43On va donner toutes les informations
28:45sur un seul dessin.
28:47On ne comprend rien à ce qu'on voit.
28:51Des dessins d'une telle complexité
28:53qu'ils deviennent difficiles
28:55à réaliser par des non-initiés.
28:57Aujourd'hui, on a du mal
28:59à s'imaginer
29:01cette capacité d'abstraction
29:03par rapport au dessin 2D,
29:05à la conception.
29:07Il n'y avait pas d'ordinateur,
29:09pas de plan 3D.
29:11A l'époque, on est en termes
29:13de création pure.
29:15C'est incroyable.
29:17Le résultat
29:19est une prouesse architecturale
29:21unique.
29:23Elle compose la base de la façade.
29:25Au-dessus,
29:27trône une immense rosace
29:29en forme d'étoile,
29:31considérée comme l'une des plus belles
29:33de toutes les cathédrales gothiques.
29:35Deux tours
29:37viennent ensuite surplomber le tout.
29:39Débutée vers 1277,
29:41il faudra près d'un siècle
29:43pour terminer ce chantier titanesque.
29:45Cette incroyable façade
29:47est aujourd'hui attribuée
29:49à Erwin D. de Stenbach.
29:51Il est le premier architecte
29:53connu de la cathédrale de Strasbourg.
29:55Ses plans sont si sophistiqués
29:57qu'il fallait les expliquer aux artisans
29:59pour mener à bien les travaux.
30:01C'était le rôle d'un homme indispensable,
30:03le parlier.
30:05Le rôle du parlier,
30:07c'est le second de l'architecte.
30:09Il est le passeur, le souffleur
30:11des ordres ou des idées
30:13de l'architecte au tailleur de pierre.
30:17Dans les combles de la cathédrale,
30:19le parlier va dessiner à même le sol
30:21les éléments les plus complexes,
30:23comme l'immense rosace.
30:27Le parlier va réaliser
30:29un dessin en vraie grandeur
30:31sur un sol, un sol de plâtre,
30:33une salle des traits,
30:35qu'on appelle une salle de dessin.
30:37Il va tracer à l'aide
30:39de grands compas, de règles.
30:41Imaginez la rose, 13,60 m de diamètre,
30:43c'est une des plus grandes de France.
30:45Cette rose a été dessinée
30:47pour être à l'échelle en vraie grandeur.
30:53Tout autour de cette rosace,
30:55un décor habille la façade monumentale
30:57qui culmine à 66 m de haut,
30:59soit une tour de 20 étages.
31:03Malgré ses dimensions imposantes,
31:05il se dégage de la façade
31:07un sentiment de légèreté.
31:09Pourtant,
31:11cette dentelle de pierre est réalisée
31:13en grès rose.
31:15Pourquoi le grès ?
31:17C'est la pierre qu'on trouve dans la région
31:19et qui permet d'avoir une finesse
31:21assez exceptionnelle,
31:23pas comme le marbre, bien évidemment,
31:25parce qu'il y a un grain qui est plus gros.
31:27C'est un peu comme du sable aggloméré.
31:29C'est un matériau ferme, pas dur,
31:31abrasif, mais qui permet
31:33de réaliser des ouvrages très fins.
31:37Cette roche sédimentaire
31:39demande donc à être travaillée
31:41en douceur.
31:45C'est une pierre fragile
31:47qui se casse facilement.
31:49C'est une pierre quand même assez délicate,
31:51un peu comme du...
31:53parfois comme du verre.
31:55Il faut y aller vraiment doucement.
31:57Et quand ça casse, le problème,
31:59c'est que ça ne prévient pas.
32:01Transformer la pierre en décor
32:03exige une grande dextérité.
32:05Grâce à l'exceptionnel savoir-faire
32:07des tailleurs de pierre,
32:09l'extérieur de la cathédrale
32:11se pare d'innombrables sculptures.
32:13La sculpture existe déjà
32:15à l'époque romane, de manière
32:17plus naïve, je dirais, mais il y en a moins.
32:19C'est plus discret, c'est présent,
32:21mais plus discret. Après, à l'époque gothique,
32:23on va en ajouter vraiment un petit peu partout,
32:25avec des gargouilles qui vont apparaître
32:27pour évacuer l'eau, etc.,
32:29beaucoup plus de chimères, d'êtres fantastiques.
32:33Ces personnages
32:35illustrent la Bible,
32:37un moyen efficace
32:39d'enseigner aux strasbourgeois
32:41le principe de la religion chrétienne.
32:43En analysant ces sculptures
32:45et certains éléments de la façade,
32:47les scientifiques ont fait
32:49une découverte étonnante.
32:53Tous les murs intérieurs,
32:55toutes les parois intérieures et extérieures
32:57étaient peintes. Et surtout,
32:59tous les décors d'architecture,
33:01toutes les sculptures étaient peintes,
33:03mais alors avec du doré, du rouge,
33:05du bleu, du jaune, du vert, tout ce que vous voulez.
33:07Chaque couleur avait une vocation
33:09et une interprétation.
33:11C'est comme une bande dessinée, on racontait une histoire
33:13et c'est vrai que dès que c'est peint,
33:15c'est beaucoup plus expressif,
33:17on comprend beaucoup mieux les choses
33:19que quand on laisse la pierre naturellement
33:21dans sa teinte.
33:25Grâce à ces couleurs, les sculptures de la façade
33:27frappent les esprits.
33:29En y ajoutant la peinture,
33:31on les rendait encore plus réelles,
33:33donc ça devait être encore plus impressionnant,
33:35avec le message qu'elles devaient transmettre,
33:37de les voir en couleurs, de voir un regard.
33:43Alors pourquoi ces peintures ont-elles disparu
33:45des murs de la cathédrale de Strasbourg ?
33:47Pour les experts,
33:49la réponse se trouve dans l'évolution
33:51des matériaux utilisés.
33:55Le matériau de construction,
33:57à partir du XXe siècle, ça devient le béton.
33:59Donc à partir du moment
34:01où la pierre n'était plus
34:03le matériau de construction par excellence,
34:05on a voulu décaper
34:07toutes ces peintures qui se trouvaient sur les murs,
34:09parce que le matériau est devenu noble.
34:11Aujourd'hui, un constructeur gothique
34:13reviendrait voir
34:15les cathédrales, il serait effaré.
34:17C'est comme si nous, aujourd'hui,
34:19on allait voir une maison,
34:21un pavillon, toujours sans enduit,
34:23ni peint, nu.
34:27Aujourd'hui, c'est ce fameux
34:29grès rose qui habille le monument.
34:31Une roche qui renferme
34:33du quartz, connu pour refléter
34:35la lumière.
34:37La façade change donc
34:39de couleur selon les heures de la journée.
34:41Et si les sculptures
34:43prennent une dimension particulière,
34:45elles le doivent à une innovation
34:47du Moyen-Âge, la disposition
34:49du décor situé en avant
34:51des murs porteurs.
34:57C'est le premier exemple qu'on connaisse
34:59d'une façade
35:01qui a
35:03des ornements
35:05posés en avant de la façade
35:07comme les espèces
35:09de cordes d'un instrument de musique,
35:11si vous voulez.
35:13Notre-Dame de Paris ou Reims, le décor est construit
35:15sur le mur, alors que Strasbourg, le décor
35:17est construit devant le mur.
35:19On a une succession de décors, en fait,
35:21qui lui donnent toute cette légèreté.
35:23Avec cette innovation,
35:25les bâtisseurs réalisent
35:27un gigantesque trompe-l'œil
35:29particulièrement efficace.
35:31Si vous enleviez la couche
35:33des portails et de l'arbre de pierre,
35:35vous auriez l'impression
35:37d'avoir juste un mur,
35:39un énorme mur de 70 mètres de haut.
35:41Et là, l'unique but de l'arbre de pierre,
35:43c'est de donner
35:45une impression de verticalité.
35:47Et donc, pour donner cette impression
35:49de verticalité, il faut avoir
35:51ce décor presque aérien,
35:53presque intangible,
35:55et ça a été fait d'une façon
35:57qui est remarquable.
35:59C'est phénoménal en termes
36:01de composition, de proportion.
36:03C'est magnifique.
36:05Pour fixer
36:07le décor de la façade,
36:09il a fallu une nouvelle fois utiliser
36:11le fer en abondance.
36:13Un système de barres encastrées
36:15dans le mur, reliés à des cerclages,
36:17maintient solidement l'ensemble.
36:21La façade
36:23est achevée en 1371.
36:25Le nouvel édifice
36:27n'a plus grand-chose à voir
36:29avec la cathédrale d'origine.
36:31Les bâtisseurs sont en passe
36:33de réussir leur projet fou.
36:35Reste le dernier acte
36:37de ce chantier,
36:39la construction de deux flèches.
36:41Un défi de taille,
36:43car la moindre erreur de calcul
36:45réduirait à néant des siècles d'efforts.
36:49La flèche de la cathédrale de Beauvais,
36:51elle s'effondre, on va aller trop haut,
36:53et patatras.
36:55Par expérience,
36:57par empirisme, par calcul,
36:59ils vont assimiler des techniques.
37:01Certaines, ils vont les garder,
37:03les autres, ils vont les mettre de côté.
37:05Petit à petit, ils vont mettre en place
37:07une méthodologie toujours innovante,
37:09percutante, toujours avec de l'ambition,
37:11mais je pense toujours avec prudence.
37:13Mais à Strasbourg, tout va basculer.
37:15Alors que le dernier étage
37:17de la tour Nord est édifié,
37:19la ville voisine de Fribourg
37:21a une flèche de 116 mètres
37:23qui surpasse celle prévue par la cité alsacienne.
37:25Viquées au vif,
37:27les maîtres d'oeuvre vont multiplier
37:29les audaces architecturales.
37:31Il y a cette course à la hauteur
37:33entre Bâle, Vienne,
37:35Ulm, Cologne, Strasbourg,
37:37toutes ces cathédrales pour avoir
37:39le bâtiment le plus haut.
37:41C'est comme un défi des bâtisseurs au Moyen Âge,
37:43parce qu'il faut imaginer qu'il y avait
37:45vraiment la course à la montre,
37:47quelle ville a la plus haute tour,
37:49ces édifices symbolisaient
37:51la puissance de la ville.
37:55Dans un premier temps,
37:57en 1384,
37:59ils ajoutent un beffroi,
38:01vraisemblablement pour solidifier
38:03la base avant l'installation
38:05de deux immenses flèches.
38:07Là, on redonne de la hauteur
38:09au massif occidental,
38:11on monte de la puissance,
38:13il y a une ambition de la bourgeoisie,
38:15on monte les muscles,
38:17on a vraiment l'idée d'atteindre les sommets.
38:19Pour atteindre les sommets,
38:21la ville se met en quête d'un architecte
38:23capable de relever ce défi prodigieux.
38:27C'est Ulrich Denzingen, l'architecte,
38:29un méga star architecte de l'époque
38:31qui ne travaille
38:33pas uniquement à Strasbourg,
38:35il va également travailler à Milan,
38:37à Bâle et dans d'autres villes,
38:39c'est comme aujourd'hui vous avez
38:41un méga star architecte qui travaille
38:43à Pékin, Shanghai, Paris,
38:45New York en même temps.
38:47Ulrich Denzingen
38:49possède une solide réputation
38:51lorsqu'il arrive sur le projet
38:53en 1399.
38:55Il imagine alors
38:57une flèche de 142 mètres de haut.
38:59Mais à l'époque,
39:01les bâtisseurs ne disposent pas
39:03des moyens d'aujourd'hui.
39:05Alors comment vont-ils s'y prendre
39:07pour ériger ce véritable gratte-ciel
39:09du Moyen-Âge ?
39:11Pas de grue,
39:13pas de moyen de levage treuil électrique,
39:15pas de chariot élévateur.
39:17Aujourd'hui, on appuie sur un interrupteur,
39:19on a de la lumière.
39:23C'est à la force des bras
39:25que les hommes vont devoir déplacer
39:27des blocs de pierre pouvant peser
39:29jusqu'à une tonne.
39:31Un carnet de croquis
39:33datant de la fin du XVe siècle
39:35nous apprend qu'il existait de nombreux
39:37engins de levage sur le chantier
39:39de la cathédrale de Strasbourg.
39:41Le plus puissant d'entre eux
39:43est la roue d'écureuil.
39:45Un exemplaire est précieusement conservé
39:47en haut de la seconde tour de la cathédrale.
39:49La machine de base,
39:51c'est la roue d'écureuil,
39:53c'est-à-dire qu'on met des ouvriers
39:55qui viennent eux toute la journée,
39:57c'est un travail assez pénible
39:59et plutôt bien payé d'ailleurs,
40:01viennent faire comme un hamster
40:03dans une roue d'écureuil,
40:05viennent actionner le treuil
40:07avec la force de leurs jambes
40:09Cette roue d'écureuil
40:11est située tout en haut de la deuxième tour
40:13à 66 mètres de hauteur.
40:17La machine fonctionne
40:19comme le ferait une grue aujourd'hui.
40:21La puissance de levage
40:23est fournie grâce à la marche des ouvriers.
40:25Le système
40:27permet de hisser des blocs
40:29jusqu'à deux tonnes.
40:31Grâce à ces engins de chantier
40:33qui surprennent par leur efficacité,
40:35les travaux de la flèche
40:37commencent rapidement.
40:39L'architecte doit surmonter
40:41un premier défi,
40:43édifier une flèche
40:45qui soit en harmonie avec la tour.
40:47En gros, vous posez
40:49un cylindre sur un cube.
40:51Donc, esthétiquement parlant
40:53et en termes de cohérence architecturale,
40:55c'est quand même un sacré challenge
40:57à relever.
40:59Pour atténuer les disparités,
41:01l'architecte conçoit
41:03un octogone auquel il ajoute
41:05quatre tourelles d'escalier
41:07disposées sur les côtés.
41:09Le but ? Donner l'illusion
41:11que la base de la flèche est carrée.
41:13Le pari est réussi.
41:17C'est ces quatre tourelles
41:19qui viennent faire
41:21cette transition esthétique
41:23et qui donne cette sensation d'élancement
41:25alors qu'en fait, vous n'en avez fonctionnellement
41:27pas besoin de quatre tourelles d'escalier.
41:29Une seule suffit pour monter.
41:31C'est tout le principe gothique.
41:33Utiliser des artifices esthétiques
41:35pour résoudre des problèmes de construction.
41:41Sur le chantier,
41:43une fois la forme de la flèche décidée,
41:45les bâtisseurs s'attellent à un second challenge,
41:47celui de la résistance au vent.
41:49Car à ses hauteurs,
41:51il exerce une force exceptionnelle
41:53sur chaque élément qui lui oppose
41:55de la résistance.
41:57Pour pallier cette pression,
41:59la solution miracle
42:01est encore une fois le fer.
42:03À nouveau,
42:05les constructeurs aggraffent
42:07les blocs de pierre les plus gros
42:09et solidifient les éléments les plus fins
42:11en introduisant à l'intérieur
42:13des barres de métal soudées au plomb.
42:15Enfin,
42:17comme pour la façade,
42:19chaque élément est soigneusement encastré
42:21et cerclé.
42:23Vous avez des chaînages à hauteur régulière
42:25qui vont ceinturer.
42:27C'est un principe datel.
42:29Les barres qui vont contenir les douelles,
42:31pour la flèche,
42:33elle est ceinturée de métal
42:35afin de reprendre les charges
42:37et les pousser.
42:39Là, le fer, c'est essentiel pour que ça tienne
42:41parce que là, vous avez quand même le vent
42:43qui pousse et tout est cerclé
42:45sinon ça éclaterait tout de suite.
42:49Cette armature en fer
42:51donne à la construction une qualité essentielle.
42:53Elle lui permet de plier au vent
42:55sans jamais casser,
42:57c'est un réseau.
42:59Là, vous avez un jeu
43:01de Lego en définitive
43:03qui va tout simplement bouger, osciller
43:05légèrement et reprendre sa forme finale
43:07même si on va dire
43:09qu'il a un petit peu bougé de quelques millimètres.
43:11Voilà, il va se maintenir.
43:13Avec sa forme en demi-cercle,
43:15la voûte romane nécessite des piliers très épais,
43:17impossibles de construire très haut.
43:19En transformant le demi-cercle
43:21en un arc brisé,
43:23la voûte d'ogive gothique permet une nouvelle répartition du poids.
43:25Les piliers peuvent donc être plus fins
43:27et plus hauts.
43:29Si une tour comme ça
43:31était fermée entièrement
43:33avec des vitrages
43:35ou avec de la pierre,
43:37elle subirait une telle sollicitation
43:39au vent
43:41qu'elle en serait lourdement fragilisée.
43:43Il faut imaginer qu'à ces hauteurs-là,
43:45le vent a une emprise
43:47énorme,
43:49le fait qu'elle soit jouée en définitive,
43:51les vents dominants traversent la flèche
43:53sans grande difficulté.
43:59La première partie du chantier
44:01est achevée en 1419.
44:03Mais la base
44:05de la flèche à peine terminée,
44:07l'architecte décède.
44:09Les travaux
44:11prennent alors un nouveau tournant.
44:15En fait, l'octogone avec les quatre escaliers
44:17a été réalisé par Ulrich Denzingen,
44:19qui meurt.
44:21Finalement, c'est le parlier,
44:23c'est-à-dire le second d'Ulrich Denzingen,
44:25qui s'appelle Jean Hulz,
44:27qui est choisi et qui démarre deux ans plus tard
44:29la construction de la flèche qu'on connaît aujourd'hui,
44:31qui n'a rien à voir
44:33avec
44:35le projet d'origine.
44:37Le nouvel architecte, Jean Hulz,
44:39poussé par la ville de Strasbourg,
44:41doit absolument atteindre les 142 mètres
44:43prévus par son prédécesseur.
44:45Comme pour toutes les cathédrales
44:47de France, un seul escalier
44:49de colimaçon devait être installé au centre
44:51afin d'atteindre le sommet de la flèche.
44:53Mais Jean Hulz
44:55va bouleverser les codes établis.
44:57On n'a pas un escalier,
44:59on n'en a pas deux, on n'en a pas trois,
45:01on n'en a pas six, on n'en a pas sept,
45:03on en a huit.
45:05Ces huit escaliers
45:07vont permettre de camoufler
45:09les huit arêtes qui forment la charpente
45:11de la flèche.
45:13Sur ces huit arêtiers qui sont porteurs,
45:15qui sont de la structure,
45:17Jean Hulz, au lieu d'en faire un élément inesthétique,
45:19va contourner le problème
45:21et son idée de génie, ça va être d'habiller
45:23ces arêtiers et les habiller
45:25comment ? En les coiffant tout simplement
45:27de huit escaliers.
45:31Le concept de la flèche
45:33a tout simplement été réinventé à Strasbourg.
45:37C'est un chef-d'oeuvre incroyable,
45:39une ovnie gothique,
45:41je n'ai pas peur de le dire,
45:43c'est quasiment une ovnie gothique.
45:45Difficile d'imaginer que les bâtisseurs
45:47aient pu saisir la complexité
45:49de cet objet architectural en se basant
45:51sur un simple plan en deux dimensions.
45:55Géométriquement, c'est incroyable.
45:57Géométriquement,
45:59c'est une folie.
46:01Même à reconstituer en 3D,
46:03c'est très difficilement compréhensible.
46:05À l'époque, il y avait certainement
46:07un maquettiste.
46:09Il est certain qu'à un moment,
46:11il fallait un visuel 3D
46:13comme on le ferait aujourd'hui
46:15avec une impression 3D,
46:17il était réalisé en bois.
46:19On ne peut pas l'établir à Strasbourg,
46:21il y avait des maquettes,
46:23mais c'est intuitif, ça se ressent.
46:25C'est sur le chantier de la cathédrale
46:27de Strasbourg que cette méthode
46:29sera mise en place pour la première fois.
46:31Les maquettes en bois sont réalisées
46:33par un charpentier travaillant
46:35en étroite collaboration avec l'architecte.
46:37Deux écussons témoignent
46:39de cette organisation.
46:41Il nous reste deux écussons
46:43en haut de la flèche,
46:45c'est celui de Jean Hult
46:47et celui de Maître Rippel,
46:49charpentier qui a dû faire
46:51la co-conception de la flèche
46:53pour arriver à régler
46:55tous les problèmes techniques
46:57qui étaient innombrables
46:59pour arriver à un tel chef-d'oeuvre
47:01de finesse et d'architecture
47:03qui fait que c'est déjà,
47:05dès l'époque, considéré
47:07comme la 8e merveille du monde
47:10Terminée en 1439,
47:12les bâtisseurs auront mis 40 ans
47:14à ériger l'ensemble de la flèche.
47:16Au final,
47:18elle culmine à plus de 142 mètres.
47:22Le pari est gagné.
47:25C'est une véritable prouesse.
47:31Cette grande flèche
47:33reste un défi
47:35insensé,
47:37jusqu'à la construction
47:39de la Tour Eiffel.
47:431439, fin de la flèche,
47:45une flèche médiévale
47:47au niveau
47:49savoir technologique,
47:51chapeau bas,
47:53franchement impressionnant.
47:55Il faut réaliser
47:57à quel point ces constructeurs
47:59ont eu du culot
48:01de réaliser un ouvrage pareil.
48:03Je n'arrive même pas encore
48:05à imaginer
48:07comment on a pu oser
48:09quelque chose comme ça.
48:13Le chantier terminé,
48:15la cathédrale de Strasbourg
48:17est restée durant 5 siècles
48:19le plus haut monument
48:21du monde chrétien.
48:23Aujourd'hui,
48:25même si l'édifice
48:27a perdu sa couronne,
48:29il reste unique en son genre.
48:31Cette silhouette unique
48:33devient quasiment un logo
48:35pour toute la région.
48:37Vous la dessinez en trois traits,
48:39vous reconnaissez
48:41la cathédrale de Strasbourg.
48:45Un mystère plane toujours
48:47autour de cette fameuse silhouette.
48:49Selon les critères
48:51du style gothique,
48:53la façade de la cathédrale
48:55devrait être symétrique.
48:57Alors pourquoi ne comporte-t-elle
48:59qu'une tour ?
49:03Il y avait une deuxième tour de prévu.
49:05On sait même
49:07qu'elle avait été commencée
49:09à un niveau extrêmement modeste.
49:11On avait sur la plateforme,
49:13au-dessus de la tour sud,
49:15le départ d'une petite
49:17tourelle d'escalier
49:19du même type de celle
49:21qu'il y a sur la tournant.
49:25Guerre, incendie,
49:27manque d'argent.
49:29Les raisons invoquées sont nombreuses.
49:31Pour certains spécialistes,
49:33l'absence de cette tour jumelle
49:35doit être imputée à la durée exceptionnelle
49:37du chantier de la cathédrale,
49:39qui s'étale sur près de 400 ans.
49:431439, on est à la fin du gothique.
49:45Le gothique n'est plus à la mode.
49:47En Italie, par exemple, on construit
49:49déjà en style Renaissance.
49:51C'est plus du tout à la mode,
49:53question du jour,
49:55parce qu'il y a encore une haute tour.
49:59C'est donc peut-être l'arrivée
50:01de la Renaissance à Strasbourg
50:03qui donne un coup d'arrêt
50:05à la construction de la cathédrale
50:07au cours de la première moitié du XVe siècle.
50:09Mais les échafaudages
50:11n'ont jamais réellement disparu
50:13depuis cette époque,
50:15car ce monument hors du commun
50:17exige de constantes restaurations.
50:19Chaque période a marqué la cathédrale
50:21par une restauration,
50:23une extension, une reconstruction.
50:25Voilà, c'est une cathédrale
50:27qui a vécu.
50:35Unique en son genre,
50:37la Fondation Notre-Dame
50:39veille sur elle depuis près de huit siècles.
50:41Son objectif ?
50:43Léguer le monument aux générations futures
50:45dans le meilleur état possible.
50:49Si vous arrêtez de vous occuper
50:51dans les 20 ou 30 ans,
50:53si vous arrêtez l'entretien
50:55et la restauration,
50:57le bâtiment de lui-même
50:59va tomber en ruines.
51:01À chaque fois,
51:03les spécialistes se posent la même question.
51:05Faut-il remplacer ce qui a été abîmé
51:07ou bien conserver
51:09le plus longtemps possible les matériaux d'époque ?
51:11La philosophie aujourd'hui,
51:13c'est d'essayer de garder
51:15le monument dans son état
51:17actuel le plus longtemps possible,
51:19donc de privilégier vraiment la conservation.
51:21Une philosophie
51:23qui permet au grand public
51:25comme aux spécialistes
51:27d'admirer un monument quasiment dans son état d'origine.
51:29Un monument qui se lit
51:31comme un livre d'histoire sur la révolution
51:33de l'architecture gothique,
51:35celle des constructeurs du Moyen-Âge
51:37et de leur incroyable savoir-faire.

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