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00:00Bonjour Rachel Beaujolin. Bonjour Jean-Philippe Dany. Rachel Beaujolin, professeur de management
00:13des relations humaines. J'aime beaucoup ce terme que je crois n'est pas sur le site web,
00:17mais c'est tellement joli, « relations humaines » quand même. Améoba Business School, autrice dans
00:24la revue française de gestion. « D'un point de vue, accompagner la conciliation travail-cancer,
00:30deux points, un enjeu épistémologique et méthodologique pour les sciences de gestion. »
00:34Papier qui va droit au cœur, qui touche droit au cœur, parce que vous évoquez votre propre
00:43situation, c'est-à-dire que vous étiez en situation de recherche sur la question de la
00:47prise en charge et justement de la gestion du cancer en situation de travail, et d'un coup
00:52d'un seul, vous vous retrouvez vous-même à devenir patiente, puisque vous êtes vous-même
00:55atteinte d'un cancer. L'enjeu épistémologique, il est clair, c'est une épistémologie du travail,
01:04avec un acteur au travail, un individu, je ne sais pas comment dire, un humain au travail,
01:10qui est toujours en devenir. Et là, on redécouvre toute cette incertitude et qu'on est loin des
01:17grands postulats théoriques qui parfois nous font un peu de mal. Et puis, il y a des enjeux
01:23méthodologiques. Dans ces enjeux méthodologiques, j'ai beaucoup aimé cette affaire de journal de
01:29bord. Comment on pratique une auto-ethnographie ? Beaucoup aujourd'hui de doctorants envisagent
01:37de faire une auto-ethnographie, etc. Comment vous l'avez vécu et quels enseignements méthodologiques
01:43on peut tirer de votre propre réflexion ? Alors oui, comme vous l'avez dit, cette histoire c'était
01:50quand même un peu une mise en abyme. J'avais en tête les entretiens, les dialogues qui avaient
01:57été construits avec des femmes atteintes d'un cancer du sein, puisque je travaillais dessus
02:05depuis quelques temps avec Pascal Levet. Et quand je suis tombée malade, j'étais en boucle, et je le
02:12suis toujours, sur « j'avais pas compris ». J'avais pas compris ce réel-là, ce vécu-là, la variabilité
02:19de la capacité productive, l'incertitude. Voilà, j'étais en boucle là-dessus. Des capacités
02:25cognitives qui se transforment, etc. Le fait qu'on ne se reconnaît pas, l'énorme fatigue. Vous voyez,
02:32quand c'était écrit dans les entretiens, cette fatigue-là, « j'avais pas compris ». D'ailleurs,
02:36il faudrait changer de mot, c'est pas juste de la fatigue quoi, c'est un gouffre de fatigue. Bref,
02:42c'était, voilà, il y avait ça. J'avais des conversations avec mes collègues, avec des amis,
02:50etc. Et je me rendais compte à quel point ces conversations venaient en soutien de mon parcours
02:57de soins. Et à un moment, j'avais pratiqué l'ethnographie organisationnelle en tant qu'enseignante
03:05chercheur. Et à un moment, je me suis bien évidemment rappelée de tous les travaux sur
03:11l'auto-ethnographie. J'ai repensé par exemple à un ouvrage qui avait été fondateur quand j'ai fait
03:16ma thèse pour moi, qui est l'ouvrage de « Les mots, la mort, les sorts » de Jeanne-Fabria Saada
03:21sur les questions de la sorcellerie. Et donc, j'ai commencé à écrire un journal de bord. Alors,
03:28déjà, en fait, voilà, pour essayer d'un peu mettre à distance tout ce qui se passait. Mais ce qui
03:35m'intéressait dans ce journal de bord, c'était de rendre compte des situations et des situations
03:40de travail. C'est ça qui, depuis le départ, m'avait intéressée. Et donc, je l'ai tenu,
03:46mais de façon flottante, de façon irrégulière. C'est venu m'occuper notamment quand j'étais dans
03:53les salles d'attente de médecins à attendre avec un peu d'anxiété, etc. Voilà, donc j'ai commencé
04:00à écrire et à mettre en discussion, au fur et à mesure, avec d'autres, ce que j'écrivais de
04:06situation. J'ai reparlé de ces situations avec mes managers, avec mes collègues, avec des complices
04:15chercheurs en sciences de gestion ou en sociologie, avec lesquels j'ai toujours aimé travailler,
04:20avec des auteurs. J'ai mis en dialogue aussi, voilà, avec des auteurs, des concepts qui m'avaient
04:26toujours parlé. Et c'est ça qui a conduit l'écriture. Pour des raisons aussi… Alors,
04:32c'est vital, mais pendant les traitements, j'ai des yeux qui n'ont pas été mal atteints,
04:37je ne pouvais pas travailler sur écran, voilà. Donc, je me suis remise à écrire à la main. Et
04:41ce geste de l'écriture m'a fait beaucoup, beaucoup de bien. Donc, voilà, j'ai écrit. Et puis,
04:47j'ai mis en dialogue. J'ai mis en dialogue avec les protagonistes de la situation et avec des
04:52auteurs, comme je l'ai dit. Et puis, petit à petit, parce que j'ai eu cet accompagnement un peu
05:00maïotique dans les conversations, ce qui m'est venu, c'est « mais en fait, c'est vraiment une
05:07question de sciences de gestion ». Et moi, qui, en tant qu'enseignante-chercheure en sciences de
05:12gestion, ai toujours essayé de veiller à développer des formes d'apprentissage expériencelle,
05:17d'apprentissage organisationnel, d'apprentissage collectif, à travailler avec mes étudiants à
05:22partir de leur vécu, de leur expérience. Ce qui m'est revenu, c'est que, oui, l'enjeu de
05:30l'accompagnement dans la réflexivité, c'est ce que certains appellent cette ingénierie de la
05:35réflexivité. Mais qu'il s'agissait là de m'appliquer à moi-même, tandis qu'auparavant,
05:40finalement, c'était la posture de l'enseignant qui accompagne les étudiants là-dedans. Et j'ai
05:46mobilisé, en fait, un peu mon écosystème professionnel et personnel pour venir en
05:52soutien de ce travail de réflexivité. Et qui ensuite, voilà, donne lieu à l'écriture d'un
06:00article sur lequel, clairement, l'invitation par vue de Française de gestion à exprimer ce point
06:09de vue a été pour moi un vrai coup de pouce, parce que j'aurais peut-être pas osé, sinon,
06:14l'écrire comme ça. Et mais finalement, on voit, ce qui m'a conduit, c'est de se dire qu'il y a un
06:23phénomène social massif, travaillé avec, après un cancer, qui à un moment devient un phénomène
06:29intime, et qui n'en reste pas de moins un phénomène social majeur. Avec des enjeux méthodologiques,
06:39dont je pense qu'en sciences de gestion, on a de quoi les déployer, autour de l'animation de
06:45formes d'apprentissage expérientiel, qui associe ceux qui ont vécu, alors moi ça devient mes
06:52pères, P-A-I-R-S, et qui eux aussi ont joué un rôle essentiel dans ma trajectoire d'élaboration,
06:58en fait, et de transformation. Donc, comment on rencontre des situations du réel, l'écriture
07:07du carnet de bord ? Comment on trouve différentes occasions, modalités, d'avoir cette sorte de
07:13gymnastique de la réflexivité, du questionnement, des mini déstabilisations ? Et puis, comment on
07:21trouve aussi des façons de reconceptualiser, dans le dialogue par exemple avec des auteurs,
07:26d'expérimenter, et peut-être, chemin faisant, de se transformer ? Ça, c'est vrai pour moi,
07:33j'en suis sûre, je pense que c'est aussi se transformer collectivement. Un papier exemplaire
07:39dont on n'a pas fini d'entendre parler, qui je l'espère suscitera beaucoup de débats,
07:44de discussions, parce qu'en vous écoutant, vous me disiez finalement, le stade ultime de ce journal
07:49de bord, c'est le papier, c'est-à-dire l'accompagnement dans le papier, sa production,
07:54ça interroge toutes les modalités d'évaluation de la recherche, aujourd'hui, avec des pères qui
07:59doivent être absolument en double aveugle, ne rien savoir, ne pas être en conflit ou en
08:04communauté d'intérêt avec l'auteur, etc. On est à l'inverse de tout ça, et on mesure que si on
08:09respectait ça, c'est-à-dire que tous ces bons vieux principes, ce papier-là n'existerait pas,
08:14tout simplement. Donc, de sacrées interrogations en creux que vous posez, et puis une référence au
08:20pragmatisme de Dioui, évidemment, à méditer. Merci à vous Rachel. Merci beaucoup.
08:29Merci à tous les partenaires de l'Université d'Ottawa et à tous les partenaires de l'Université d'Ottawa.

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