Clowns activistes les nouveaux combattants

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Aux quatre coins de la planète, des militants d’un genre nouveau dénoncent les injustices au moyen du rire, une arme de dérision massive.

Pendant plusieurs mois, Martin Boudot s’est immiscé dans les actions de ces activistes afin de comprendre leurs méthodes et mesurer leur efficacité. En France, il a suivi des clowns antimilitaristes et anti-extrême droite, puis le collectif « Sauvons les riches » dans une désopilante intervention au magazine Le Figaro. Puis à l’étranger, il est parti à la rencontre des « Yes Men », les papes de ces combats par le rire. Enfin, son enquête s’est attardée sur d’autres nez rouges, en Egypte, en Syrie, où il est beaucoup plus risqué de se moquer des puissants… Le dernier portrait, celui de Raed Fares, est particulièrement émouvant. Malgré les bombes, ce Syrien écrit et réalise des sketchs drôlatiques pour résister et interpeler la communauté internationale.

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00:0014 juillet 2013, le traditionnel défilé des Champs-Elysées s'achève.
00:11Comme chaque année, l'armée française fait des démonstrations sur les grandes places de Paris.
00:16L'objectif, recruter et montrer ses muscles.
00:27Mais à quelques rues de là, une autre armée se met en ordre de bataille.
00:35L'armée des clowns activistes.
00:44Avec leur air faussement bonné, cette trentaine de soldats du RIR va, mine de rien, prendre d'assaut ce lance-missile.
00:52Leur but, faire tâche sur le kaki des camions.
00:56Puis protester, à leur façon, contre ce qu'ils considèrent être de la propagande militariste.
01:10Les clowns activistes dénoncent aussi le budget de l'armée.
01:13Le troisième de l'état, 31 milliards d'euros.
01:29Nez rouge contre képi blanc, il y a comme un décalage.
01:40La tension monte d'un cran.
01:56L'un des clowns organisateurs, Xavier Renou, tente de calmer le jeu avec la police.
02:10Certains militaires, prêts à en découdre, sont emmenés à l'écart par leurs supérieurs.
02:24Dans le public, un spectateur s'en prend à Xavier Renou, l'organisateur.
02:31Xavier Renou, l'organisateur.
02:54Grâce aux photographes et caméramans, les actions de la petite troupe aux bazookaroses sont régulièrement reprises dans les médias.
03:04Vidéos sur Internet, magazine, quotidien, agence de presse.
03:16Au-delà des nez rouges, en France, des militants d'un genre nouveau révolutionnent la contestation.
03:23Perruques et confettis pour mieux éveiller les consciences.
03:29Multinationales, pouvoirs autoritaires.
03:32Aux quatre coins de la galaxie, les clowns contre-attaquent et bousculent l'empire des puissants.
03:42Plus un peuple rit fort, plus sa liberté est grande.
03:49Même en Syrie, sous les bombes, l'humour est brandi en guise de victoire.
03:59Ici, les habitants rient pour ne pas mourir en silence.
04:04Mais ce combat contre le côté obscur de la force se fait parfois au péril de leur vie.
04:10Des caricaturistes se font briser les mains.
04:14D'autres meurent du rire à cause de leurs chansons impertinentes.
04:22Des Etats-Unis à l'Europe, en passant par le monde arabe, bienvenue dans l'humour de combat.
04:53Dans les territoires palestiniens, des activistes pour l'indépendance se déguisent en personnage du film Avatar.
05:02Ils dénoncent les nouvelles colonies israéliennes.
05:06En Chine, un citoyen se moque de l'appétit militaire de son pays.
05:10Il défile sur la place historique de Tiananmen avec comme seule arme un faux missile en bronze à l'arrière d'une charrette.
05:20En Russie, des militants provoquent l'ancien KGB et sa manie d'espionner les Russes.
05:26Ils dessinent sur un pont levant un énorme pénis de 30 mètres qui se dresse sous les fenêtres des espions russes.
05:42En Suisse, des activistes hostiles aux secrets bancaires se déguisent en serpillères et nettoient l'argent sale des banques.
05:54Mais depuis dix ans, les papes de l'humour militant, ce sont ces deux Américains, Andy Bickelbaum et Mike Bonanno, les Yes Men.
06:07En français, les bénis oui-oui.
06:11Leur grand jeu, pousser le discours libéral jusqu'à l'absurde en se faisant passer pour des représentants de multinationales bien sous tout rapport.
06:25Lorsqu'on usurpe l'identité de certaines multinationales, on veut montrer ce que ces entreprises pourraient faire de bien.
06:32Ou au contraire, on force le trait pour exposer au monde leur vrai côté sombre.
06:37Les Yes Men se tournent vers une autre de leur bête noire, les multinationales du pétrole.
06:43Comme ce jour de novembre 2009 aux États-Unis.
06:47Leur cible, Ali Burton, un pétrolier américain.
06:52Andy et Mike les accusent de participer au réchauffement de la planète.
06:57Avec leur humour absurde, les deux hommes se font passer pour deux responsables d'Ali Burton.
07:03Ils prétendent lors de ce congrès d'assureurs que le pétrolier a inventé une parade aux futures catastrophes écologiques.
07:10Une boule de survie que seuls les riches pourront se payer.
07:15Nous avons trouvé la solution pour que la race humaine survive, qu'importe ce que la nature nous réserve.
07:21Les Yes Men diffusent un clip spécialement tourné pour l'occasion.
07:26Voici notre solution, la boule de survie d'Ali Burton.
07:31Vous pourrez aller jusqu'à 15 m sous l'eau.
07:34Vous résisterez à n'importe quelle catastrophe climatique, que ce soit un tsunami ou une tornade.
07:41La boule de survie est faite pour résister.
07:46Les assureurs applaudissent. Ils y ont cru.
07:51Les Yes Men distribuent même leurs fausses cartes de visite.
07:57Ces impostures sont compilées dans leurs deux DVD.
08:01Depuis, Andy et Mike ne peuvent plus réaliser eux-mêmes leur canular. Leurs visages sont trop connus.
08:09Alors, ils ont décidé d'aider les militants du monde entier à faire parler de leurs combats respectifs.
08:15En ce mois d'août 2013, les Yes Men sont ici, à Amsterdam.
08:24Nous sommes au siège de Greenpeace International.
08:28Pour la première fois, l'ONG a fait appel au savoir-faire d'Andy et Mike.
08:35Cette fois, Greenpeace veut s'en prendre à deux géants de l'hydrocarbure.
08:40Le pétrolier hollandais Shell et le géant russe Gazprom.
08:51En 2015, ces deux multinationales veulent installer une plateforme pétrolière dans l'Arctique russe.
08:58L'idée ? Forer les fonds marins pour trouver du pétrole.
09:03Le problème, c'est qu'en cas de fuite, il sera difficile d'éviter une marée noire,
09:08dévastatrice pour l'environnement et les ours blancs.
09:15Cette fois, Greenpeace veut sensibiliser un public plus large, au-delà de ses sympathisants habituels.
09:24Travailler avec les Yes Men est une nouvelle façon d'intéresser les gens à cette cause
09:29et de parler aussi à ceux qui n'aiment pas Greenpeace d'habitude et qui pensent que cela ne les concerne pas.
09:36En utilisant l'humour, la surprise et le second degré,
09:39on arrive à se faire entendre par des personnes qui, d'habitude, ne nous écoutent pas.
09:48L'idée de Greenpeace et des Yes Men ?
09:51Mettre en scène une fausse conférence de presse entre Gazprom et Shell.
09:56Comme Shell est une compagnie hollandaise, l'événement doit se dérouler le lendemain, dans le centre d'Amsterdam.
10:06On va essayer de mettre un coup de projecteur sur ce partenariat entre Gazprom et Shell,
10:11parce que si les gens sont au courant, ils seront choqués.
10:15Donc en créant un faux événement comme celui que l'on prépare, on espère faire beaucoup de bruit dans les médias.
10:23Donc tu lis d'abord cette ligne-là, et après celle-ci.
10:28Cet acteur à gauche, un karma responsable de Gazprom.
10:38Shell est le partenaire préféré de Gazprom.
10:43Il annonce dans cette vidéo à destination des médias que Gazprom va offrir un cadeau à Shell
10:49pour célébrer leur partenariat au pays des ours blancs.
10:54Et ce cadeau, c'est un ours polaire que Gazprom a soi-disant capturé sur la banquise,
11:01puis drogué pour qu'il reste au calme dans sa cage.
11:05Comme l'Arctique risque d'être pollué par le pétrole,
11:08les Yes Men veulent faire croire que Shell et Gazprom commencent à rapatrier les ours polaires en Europe.
11:15Ah en fait, un détail, l'ours blanc, c'est un faux.
11:23En attendant, pour ne pas être démasqué, il faut faire profil bas.
11:28Ok tout le monde, c'était vraiment une super répétition.
11:33Tout le monde est prêt pour demain.
11:38Je vous rappelle juste de ne prendre aucune photo et de ne pas parler de notre projet.
11:48Rester le plus discret possible.
11:51Car pour que l'imposture fonctionne lors de la remise du faux ours blanc, il manque encore une étape.
11:58Andy et Mike appliquent leur bonne vieille méthode.
12:01Ils créent un faux site internet de Shell et Gazprom.
12:05Le but, rendre le plus crédible possible l'histoire de l'ours blanc auprès des médias.
12:12On y découvre notamment comment cet ours polaire aurait été capturé sur la banquise.
12:18Mais aussi la vidéo tournée l'après-midi même avec le faux représentant de Gazprom.
12:27Gazprom veut aider Shell pour que vous ayez l'énergie que vous méritez.
12:32Gazprom a décidé de gracieusement offrir à Shell et à la Hollande l'animal le plus sacré de Russie.
12:39Un ours polaire qu'on a appelé Pierre.
12:45Reste à alerter les médias.
12:47Les Yes Men envoient un communiqué de presse et l'adresse de leur faux site internet.
12:53Le rendez-vous est donné au lendemain en plein centre d'Amsterdam.
13:03C'est le grand jour.
13:07L'opération ours blanc peut commencer.
13:14Un faux chanteur à la croix de bois russe entame son playback.
13:21Andy et Mike sont dans la fanfare.
13:28Pour les Hollandais, l'image est saisissante.
13:32Un ours polaire encagé en plein été, visiblement triste, entouré d'hommes d'affaires se félicitant de leur partenariat.
13:46Sur le trajet, les passants n'en reviennent pas. L'ours a l'air bien vivant.
14:03Deuxième phase de l'opération.
14:09Devant les médias et les habitants d'Amsterdam, la conférence de presse de Gazprom et Shell débute.
14:18C'est vraiment magnifique quand deux compagnies aussi différentes joignent leurs efforts.
14:27Shell est tout à fait conscient de sa responsabilité dans la protection de l'environnement et des espèces menacées, comme cet ours blanc.
14:43Merci.
14:45Le canula ours blanc a réussi.
14:49Dans l'édition du soir, à la télévision hollandaise, les journalistes tombent dans le panneau.
14:58Ceux d'entre vous qui étaient à Amsterdam aujourd'hui ont dû être surpris lorsqu'ils ont vu un ours polaire.
15:06Le PDG de Gazprom a annoncé que c'était un cadeau pour Shell et pour Amsterdam.
15:13Les quotidiens hollandais se demandent quand même quelle mouche a piqué Shell, leur compagnie nationale.
15:20L'imposture prend de l'ampleur.
15:23Sur Twitter, Moby, le chanteur américain crédule, s'offusque du traitement réservé à l'ours blanc.
15:29Alerte à Hollywood, Pamela Anderson s'en mêle.
15:32Mais bordel, qu'est-ce qu'ils font à ce pauvre ours blanc ?
15:35Dans la confusion, un zoo néo-zélandais dément recevoir un deuxième ours blanc de la part de Gazprom.
15:40Le sujet enflamme le web.
15:43Shell et Gazprom sont sous le feu des critiques.
15:46Mission réussie pour les Yes Men et Greenpeace.
15:58Douze heures plus tard, Shell et Gazprom ont démenti leur participation.
16:05Mais comptent-elles penser du canular ?
16:07Shell refuse de répondre à nos questions.
16:10Quant à Gazprom, nous allons sonner à leurs portes, dans leur bureau d'Amsterdam.
16:18Bonjour, je voudrais rencontrer quelqu'un de chez Gazprom.
16:22Il n'y a personne ici pour vous répondre.
16:25Il faut voir cela directement avec le siège à Moscou.
16:29Nous appelons donc la direction de la communication à Moscou.
16:33Oui, j'écoute.
16:34Je vous appelle à propos de l'ours d'Amsterdam.
16:37C'était une imposture. Ce qu'il s'est passé, ça ne nous concerne pas.
16:43Mais est-ce que ça vous a fait rire ?
16:46Pardon ?
16:47Est-ce que ça vous a fait rire ?
16:49Je ne comprends pas.
16:51Vous ne comprenez pas le mot rire ?
16:55Gazprom ne semble en effet pas avoir un sens de l'humour très développé.
16:58Quelques semaines plus tard, ce combat de Greenpeace contre l'exploitation pétrolière de Gazprom en Arctique deviendra encore plus célèbre.
17:07Des militants de l'ONG s'attaquent à la plateforme de forage de l'entreprise russe.
17:12Cette fois, ce n'est pas un canular.
17:15Et Gazprom, qui ne fait pas dans la dentelle, envoie les forces spéciales russes pour se débarrasser des activistes.
17:21Mise en joue, 30 d'entre eux sont arrêtés et passeront plus de trois mois dans une prison en Russie.
17:31Les Yes Men, eux, n'ont jamais été emprisonnés.
17:36Mais leur canular dérange tellement les multinationales que récemment, l'une d'entre elles a fini par les espionner.
17:43L'histoire commence ici, à Bhopal, en Inde, en 1984.
17:48Une usine chimique américaine vient d'exploser.
17:513 500 personnes sont tuées, des dizaines de milliers sont blessés.
17:55L'usine appartient au groupe Dow Chemical, le premier fabricant de plastique au monde.
18:01Depuis, la multinationale n'a jamais été en mesure de s'occuper de l'usine.
18:05Ils n'ont jamais dépollué le site. Ils font des profits records. Pendant que les gens là-bas meurent, c'est absolument obscène.
18:12Et on voulait juste braquer les projecteurs sur cette situation.
18:15A l'occasion du 20e anniversaire de cette catastrophe, les Yes Men vont réaliser l'un de leurs plus gros coups.
18:21Tu es prêt ?
18:23Oui.
18:25Je suis prêt.
18:27Je suis prêt.
18:29Je suis prêt.
18:31Je suis prêt.
18:32Ils vont réaliser l'un de leurs plus gros coups.
18:35Tu es prêt ?
18:37Ce jour-là, Andy se fait passer pour le porte-parole de Dow Chemical.
18:42Il trompe des journalistes anglais et se fait inviter en direct sur la chaîne BBC World, diffusée dans le monde entier.
18:53En direct depuis Paris, Jude Finisterra, le porte-parole de Dow Chemical.
18:57Bonjour monsieur. C'est un jour de commémoration à Bhopal. Est-ce que vous reconnaissez aujourd'hui votre responsabilité dans la catastrophe ?
19:09Steve, oui. Aujourd'hui est un jour exceptionnel pour nous à Dow Chemical et pour des millions de personnes autour du monde.
19:1820 ans se sont écoulés depuis la catastrophe et aujourd'hui je suis très, très heureux d'annoncer que pour la première fois, Dow admet son entière responsabilité dans la catastrophe de Bhopal.
19:32Nous avons débloqué 12 milliards de dollars pour dédommager les victimes.
19:38Pendant six longues minutes, Andy annonce une série de mesures très coûteuses, comme la couverture médicale pour les 120 000 personnes touchées ou le nettoyage du site.
19:50Sa déclaration va paniquer la bourse. Les actionnaires de Dow Chemical vendent leur part. En 20 minutes, la valeur de l'entreprise plonge de 2 milliards de dollars.
20:02Panique chez Dow. Ils doivent démentir. Pas de remboursement pour les victimes. Une heure plus tard, leur vrai porte-parole intervient à la télévision.
20:13Les déclarations faites ce matin par un certain Jude Finestera ne sont pas celles de Dow Chemical.
20:21A peine une heure après que l'imposture ait été révélée, malheureusement, le cours de l'action est remonté. C'est une grande leçon pour nous.
20:34Donc en fait, les marchés punissent les entreprises qui font les choses justes, mais les félicitent quand elles font de l'argent qu'importe les moyens.
20:42C'est après cet épisode désastreux pour son image que Dow Chemical a décidé d'espionner les Yes Men.
20:50Nous sommes quelque part dans la banlieue de Londres. Nous n'avons pas le droit de filmer la localité, car Mike nous emmène chez l'homme qui leur a révélé l'espionnage.
21:06Chez le hacker le plus recherché du monde. Nous sommes dans la maison de Wikileaks. Et juste à côté, il y a Julian Assange. Vous savez, le mec avec les cheveux gris.
21:18C'était en février 2012, quelques semaines avant que Julian Assange se réfugie à l'ambassade d'Équateur.
21:26Le fondateur de Wikileaks est alors assigné à résidence. Julian Assange vient de recevoir 5 millions d'emails piratés.
21:34Il découvre que suite au canular de Bhopal, Dow Chemical a fait espionner les Yes Men par un cabinet privé de renseignement américain.
21:42Depuis 6 ans, les espions privés informent Dow Chemical des moindres faits et gestes des Yes Men.
21:49Mike Bonanno sera à New York le 8 mars. Andy Bicklebaum était à Los Angeles pour soutenir les indignés.
22:02Cette semaine, les Yes Men ont été plutôt calmes.
22:08Dans le cas de Bhopal et Dow Chemical, l'agence de renseignement a notamment embauché une femme.
22:16Elle était chargée de contrôler 24 heures sur 24 toutes les informations publiées sur vous, puis de tout faire suivre pour analyse.
22:24Je n'ai jamais pensé quand on a commencé l'aventure des Yes Men que je finirais ici, là, dans une petite maison, quelque part dans le sud de l'Angleterre,
22:32avec des gens qui sont sur la liste des personnes les plus recherchées de certains pays.
22:40Dow Chemical a refusé de nous répondre. L'entreprise déclare simplement dans ce communiqué.
22:48Les grandes entreprises doivent prendre des mesures pour se protéger de ceux qui voudraient les menacer, les perturber ou les tromper.
22:56Nous en avons l'obligation et nous continuerons à le faire dans le cadre des lois.
23:02Dow Chemical ne dément pas. Les Yes Men pourraient être de nouveau surveillés.
23:08Des clowns espionnés par des multinationales.
23:13D'autres partisans du rire sont eux si influents qu'ils sont carrément censurés et risquent leur vie en luttant contre des pouvoirs autoritaires.
23:25Paris, printemps 2013.
23:28Ces Égyptiens de France sont venus soutenir un compatriote menacé pour ses blagues.
23:34Bassem Youssef.
23:43Qu'est-ce qu'il représente pour vous ?
23:45La liberté d'expression, l'alternative aux médias d'État.
23:51Soudain, le voici, le clown de la révolution égyptienne.
23:57Bassem Youssef.
23:59Il est l'invité d'une grande école à l'occasion de la semaine arabe de Paris.
24:03Il salue la foule façon reine d'Angleterre.
24:11Quelques minutes plus tard, Bassem Youssef descend saluer ses supporters.
24:16Bonjour, bonjour.
24:19Mais qui est donc cet homme ?
24:21Animateur de télévision, adulé jusqu'à Paris, devenu un symbole de la liberté d'expression en Égypte.
24:34Au départ, rien ne laissait présager un tel destin.
24:39Il y a trois ans, au Caire, Bassem Youssef était encore le docteur Bassem, un chirurgien.
24:47Il n'a alors connu qu'un seul président, Hosni Moubarak, au pouvoir depuis 30 ans.
24:53Un régime autoritaire où les opposants politiques sont emprisonnés, la presse muselée.
25:00Mais un événement historique va changer la vie du docteur Bassem et de l'Égypte, le printemps arabe.
25:06Début 2011, des millions d'Égyptiens descendent dans la rue et réclament la chute de Moubarak, le dictateur, le pharaon.
25:16Bassem Youssef se rend sur la place principale de la capitale et soigne les manifestants.
25:23Il réalise que les médias officiels déforment la réalité.
25:28Alors, à ses heures perdues, le docteur Bassem troque son scalpel pour un humour tranchant.
25:33Il poste sur Youtube sa toute première vidéo, tournée en une après-midi, chez lui, dans sa salle de bain.
25:40Il diffuse des extraits de la télévision d'État et s'en prend à la propagande des journalistes à la solde de Moubarak.
25:46La couverture médiatique des événements de la révolution a été très différente de la réalité.
25:53Il y a des gens bizarres dans ces manifestations, des délinquants qui viennent pour détruire, des militants de groupes politiques obscurs et surtout des étrangers.
26:04Et puis, certains ont proposé des solutions pour se débarrasser de ces manifestants.
26:14Le succès est immédiat. Plus d'un million de vues.
26:22Alors, des collègues, des amis et même celui qui deviendra le co-créateur de l'émission m'ont dit
26:29« Pourquoi toi, tu ne crées pas un vrai show sur la révolution ? »
26:34J'ai répondu « Pourquoi pas ? »
26:37Mais alors, il faut ridiculiser les médias officiels.
26:41Au fond, ce qui m'a poussé à faire cette émission, c'est tout le contexte du printemps arabe.
26:50Quelques semaines plus tard, alors que Moubarak est tombé, un vent de liberté souffle sur l'Égypte.
26:56Une nouvelle chaîne de télévision, issue de la révolution, contacte Bassem Youssef pour l'engager.
27:03Cette fois, opérer ou rire, il faut choisir.
27:09Au même moment, j'ai reçu l'autorisation officielle des États-Unis pour aller exercer à Cleveland.
27:16Et de l'autre côté, cette télévision m'offrait la possibilité de faire une émission satirique.
27:25Ce n'était pas une décision facile, mais je n'ai pas hésité un instant.
27:31Dr Bassem devient Mister Youssef, l'animateur de la seule émission politique satirique en Égypte.
27:39Elle est enregistrée devant un public, une première dans le pays.
27:49Salut, bienvenue dans votre programme.
27:52En plein printemps égyptien, dans une société où un tiers de la population est analphabète,
27:56les islamistes envahissent les plateaux télévisés.
28:00Bassem Youssef décide de les cibler.
28:03Comme ce prédicateur qui pique une colère noire en direct lors d'un débat politique
28:08parce que cette femme, une journaliste, a le malheur d'être sur le plateau.
28:21Mais cette impertinence va vite être menacée.
28:25Car au même moment, l'Égypte organise les premières élections libres de son histoire.
28:31Mohamed Morsi, un proche des islamistes, en sort vainqueur.
28:36C'est la première fois que l'Égypte organise les premières élections libres de son histoire.
28:41C'est la première fois que l'Égypte organise les premières élections libres de son histoire.
28:46Mohamed Morsi, un proche des islamistes, en sort vainqueur.
28:51Il est le nouveau président.
28:54Mais très vite, Morsi devient ivre de pouvoir.
28:58Il se place au-dessus des lois.
29:01Alors, dans son émission, Bassem Youssef se moque de lui, de son égo et de sa grosse tête.
29:09Comme ici, lorsqu'il imite la tenue traditionnelle que porte le président Morsi à une cérémonie.
29:15Applaudissements
29:22Mais ce qui révolte le plus l'humoriste, c'est le parti de Mohamed Morsi, les frères musulmans.
29:28Des religieux qui replacent l'islam au cœur de la société.
29:32Ils les accusent de faire basculer l'Égypte dans une dictature religieuse.
29:37Alors, quelques semaines plus tard, Bassem Youssef s'en prend directement à eux et à leur emblème.
29:42Il les compare au pire régime de l'histoire.
29:46Où peut-on trouver une race aussi pure que celle des frères musulmans ?
29:51Une race aryenne, supérieure, qui mérite de nous gouverner et de nous piétiner.
29:56Ce sont les seigneurs.
29:58Aïe les frères !
30:01En 2013, l'émission de Bassem Youssef devient l'un des plus gros succès de l'histoire de la télévision en Égypte.
30:0730 millions de téléspectateurs, un tiers de la population égyptienne.
30:13Dans les cafés du Caire, son émission est diffusée sur grand écran.
30:18En quelques mois, ce sourire malicieux devient le visage de l'Égypte dans le monde.
30:23Le Time le classe parmi les 100 personnes les plus influentes de la planète.
30:28En 2013, son nom arrive en tête des recherches sur Internet dans tout le Moyen-Orient.
30:33En Égypte, Bassem Youssef, plus qu'une star, devient presque un professeur d'éducation civique,
30:40comme auprès de ses étudiants du Caire.
30:47Est-ce que Bassem Youssef influence votre vie ?
30:50Oui, grâce à lui, on s'intéresse à la politique.
30:53Il est très bon. Tout ce qu'il raconte, c'est nouveau pour nous.
30:58Il dit la vérité, surtout sur les frères musulmans.
31:00L'émission de Bassem Youssef nous fait beaucoup rire, mais pas seulement.
31:04Moi, par exemple, grâce à lui, j'ai découvert qui étaient vraiment les frères musulmans.
31:09Avant lui, pour moi, la politique n'existait pas.
31:12Depuis qu'il est là à l'antenne, les Égyptiens s'intéressent plus à la vie politique, même les analphabètes.
31:19Mais pour les frères musulmans, Bassem Youssef est la nouvelle plaie d'Égypte.
31:24La blague a assez duré.
31:26Il faut faire taire l'humoriste.
31:29En mars 2013, l'animateur est emmené au commissariat.
31:33Des centaines de personnes sont venues le soutenir.
31:36Car Bassem Youssef risque la prison.
31:39Il est poursuivi pour insulte au président Morsi, insulte à l'islam, promotion de l'homosexualité.
31:44Il est même accusé d'être un espion d'Israël.
31:47Rien que ça.
31:50J'ai toujours été accusé d'être un espion.
31:53D'après eux, je suis manipulé par le sionisme mondial et l'impérialisme américain.
31:58Et je me sers de la satire pour détruire la société égyptienne.
32:02Du coup, j'étais sur une liste des personnes qu'il fallait absolument arrêter.
32:07Nous aurions été condamnés si l'armée n'avait pas renversé les frères musulmans.
32:12C'est ce qui nous a sauvés.
32:15Voici ce qui l'a sauvé.
32:17Le 30 juin 2013, des millions d'égyptiens manifestent contre le pouvoir répressif des frères musulmans.
32:26L'armée destitue le président Morsi.
32:29Il est arrêté et jeté en prison.
32:33Les frères musulmans sont chassés du pouvoir.
32:36Bassem Youssef aurait-il eu une influence sur leur éviction ?
32:41Nous avons rendez-vous avec l'un des cadres des frères musulmans.
32:45Il nous a demandé de ne pas filmer son immeuble.
32:48Car depuis leur chute, les frères vivent dans la clandestinité et sont pourchassés par les militants.
32:55Ils ont été arrêtés par la police.
32:58Ils ont été arrêtés par la police.
33:01Ils ont été arrêtés par la police.
33:03Ils vivent dans la clandestinité et sont pourchassés par les militaires.
33:09Leur organisation est illégale.
33:12Aux yeux de l'armée, l'homme qui nous reçoit est un terroriste.
33:17Et il en est sûr, Bassem Youssef est l'un des responsables de la déchéance des frères.
33:23Bassem Youssef faisait partie d'un complot médiatique.
33:27Son seul but, à lui et à la chaîne privée qui le diffusait, c'était de salir les frères musulmans.
33:33Et de beaucoup.
33:36Nous lui montrons l'un des sketches de Bassem Youssef sur les frères musulmans.
33:43Ça n'a pas l'air de le faire beaucoup rire.
33:48Est-ce que l'émission de Bassem Youssef vous faisait rire ?
33:53Non, je détestais les mensonges qu'il avait l'habitude de proférer.
33:56Ça, ça m'énervait.
33:59Les frères musulmans m'accusent d'avoir manipulé les gens.
34:04Mais vous savez, au bout du compte, je prends tout cela avec beaucoup de recul.
34:09Je ne suis pas un opposant politique et je n'appartiens à aucun parti.
34:14On fait juste une émission satirique.
34:17Rire un peu ne leur ferait pas de mal.
34:19Il faudrait vraiment qu'ils pensent à prendre des tranquillisants.
34:29Dans une Égypte sans les frères musulmans au pouvoir,
34:32pour Bassem Youssef, la liberté d'expression, c'est maintenant.
34:36Eh bien non.
34:38Car depuis l'été 2013, un nouvel homme fort dirige le pays.
34:44Le général Sisi, le chef d'état-majeur de l'armée égyptienne.
34:49C'est ce monsieur, ici, en portrait avec les lunettes noires.
34:54Un incroyable culte de la personnalité l'entoure.
34:56À la télévision égyptienne, toute la journée, c'est un peu les aventures de Sisi l'impérateur.
35:02Sisi dans l'avion.
35:05Sisi à la parade.
35:08Ou Sisi l'astronome.
35:11Une propagande militaire en boucle.
35:14Du pain béni pour Bassem Youssef.
35:17Ce qui le fait le plus rire, c'est quand des présentateurs de la télévision d'état se pâment
35:22en écoutant des téléspectatrices déclamant des poèmes.
35:26À la gloire de Sisi.
35:42À cause de ce genre de moqueries, Bassem Youssef est à nouveau poursuivi en justice.
35:4745 chefs d'accusations différents.
35:52En novembre 2013, son émission a été déprogrammée.
35:57L'histoire semble se répéter.
35:59Seuls les censeurs ont changé.
36:07Mais Bassem Youssef n'abandonne pas.
36:10Il a à nouveau réuni son équipe.
36:12Une quarantaine de personnes fidèles au clown.
36:15Chercheurs d'images, graphistes, journalistes.
36:18Quasiment tous sont là depuis le début de l'aventure.
36:21Avec ses auteurs, l'humoriste réfléchit à ses futurs sketchs.
36:26Car une nouvelle chaîne de télévision saoudienne vient tout juste d'accepter de financer
36:31et de diffuser son émission en Égypte.
36:34Le programme vient de revenir à l'antenne, mais jusqu'à quand ?
36:38Après avoir été menacé, puis censuré, qu'arrivera-t-il à Bassem ?
36:45Est-ce que vous avez peur ?
36:46La seule chose qui me fait peur, c'est de faire une mauvaise émission.
36:50C'est la chose la plus importante.
36:52Il ne faut pas se laisser envahir par l'angoisse.
36:55Parce que vous savez, ce qui doit arriver, arrivera.
36:58Je ne peux rien y faire.
37:00Je crois qu'on appelle ça le destin, ou quelque chose comme ça.
37:09Depuis notre tournage,
37:11il y a eu beaucoup d'inquiétudes.
37:14Depuis notre tournage,
37:16Bassem Youssef a été de nouveau menacé.
37:19Mais son émission reste pour le moment à l'antenne.
37:23Mais il est un autre pays, voisin de l'Égypte,
37:26où quand les clowns se moquent des puissants,
37:28ils y laissent leur nez rouge.
37:38Ce pays a trois heures de vol de Paris.
37:41C'est la Syrie.
37:44Depuis trois ans,
37:46le pays est plongé dans une révolution meurtrière.
37:52Une grande partie de la population s'est soulevée contre Bachar al-Assad.
37:56Sa famille règne d'une main de fer sur la Syrie depuis 44 ans.
38:01Bombardement massif.
38:04Torture généralisée.
38:07Utilisation d'armes chimiques.
38:09Le conflit a déjà fait près de 140 000 morts.
38:15Ce régime sanguinaire de Bachar al-Assad,
38:18des caricatures le ridiculisent depuis le début de la révolution.
38:22Des dessins interdits en Syrie.
38:25Ils sont publiés sur Internet ou dans des journaux étrangers.
38:29A chaque fois,
38:31la signature est la même.
38:34C'est celle d'Ali Farzad,
38:36le caricatureur de Bachar al-Assad.
38:39Le caricaturiste le plus célèbre de Syrie.
38:42Mais la dictature ne supporte pas la caricature.
38:48Six mois après le début de la révolution,
38:51Ali Farzad est retrouvé dans un terrain vague de Damas.
38:54Ses agresseurs lui ont brisé les mains.
38:57Un symbole et surtout un avertissement violent.
39:00Le dessinateur et sa famille doivent fuir leur pays.
39:04C'est au Koweït que nous avons retrouvé Ali Farzad.
39:10Il vit dans un appartement d'un quartier de Koweït City
39:14qu'il souhaite garder secret.
39:18Dans son salon,
39:20au milieu des dessins,
39:22cette photo le traumatise encore.
39:25Ils m'ont fracturé cette main,
39:27sur toute la largeur.
39:30Ces trois doigts-là,
39:32ils les ont retournés jusque-là.
39:35J'ai eu des fractures au poignet,
39:37ici,
39:39et là.
39:42Deux mains brisées
39:44à cause d'un dessin en particulier.
39:47C'est le dessinateur Ali Farzad.
39:50C'est le dessinateur Ali Farzad.
39:52C'est le dessinateur Ali Farzad.
39:54Celui-ci.
39:58C'est ma dernière caricature de Bachar al-Assad avant mon agression.
40:04À droite,
40:06on y voit Kadhafi, le dictateur libyen,
40:09fuyant son pays en voiture.
40:11À ce moment-là, en août 2011,
40:13Kadhafi était en effet en train de perdre la guerre en Libye.
40:17À gauche, c'est Bachar al-Assad, le dictateur syrien,
40:20faisant du stop.
40:22Le message est clair,
40:24al-Assad finira comme Kadhafi,
40:26pourchassé par son peuple.
40:29Mes amis me disaient,
40:31mais tu es complètement fou de faire un dessin pareil.
40:36Je te rappelle qu'ils savent où tu habites à Damas.
40:40Deux jours après l'apparition de ce dessin sur Internet,
40:43le 25 août 2011,
40:45Ali Farzad est enlevé en pleine rue
40:47par des agents du régime.
40:48Les yeux bandés,
40:50à l'arrière d'une voiture,
40:52il n'a alors qu'une seule image en tête.
40:54Celle d'un autre opposant,
40:56Brahim Achouch, retrouvé assassiné quelques semaines plus tôt.
41:00Son seul crime,
41:02avoir écrit des chansons hostiles à Bachar al-Assad
41:04que la foule syrienne reprenait pendant les manifestations.
41:19Celui qu'ont surnommé l'oiseau moqueur de la révolution
41:23a été retrouvé dans un ravin,
41:25les cordes vocales arrachées.
41:28Ali Farzad pense alors qu'il va subir le même sort.
41:35Pendant qu'il me frappait,
41:37les sbires d'al-Assad m'ont dit,
41:39n'oublie pas que tu es sous la botte de Bachar.
41:43Toi et tous ceux qui appellent à la liberté.
41:46Aujourd'hui,
41:48on va juste te casser les doigts
41:51pour que tu arrêtes de dessiner.
41:53Mais n'oublie jamais que toi et tes semblables,
41:56on a droit de vie ou de mort sur vous.
41:59Mais cette menace va se heurter à la solidarité
42:02des caricaturistes du monde entier.
42:04Dès le lendemain de l'agression,
42:06il publie des dessins pour soutenir Ali Farzad.
42:09En France,
42:12au Brésil,
42:15en Suède,
42:18en Italie,
42:21aux Etats-Unis.
42:30Cette solidarité a été pour moi une protection.
42:37Le régime avait peut-être l'intention de me tuer,
42:40mais cette mobilisation internationale l'en a empêché.
42:48Après plusieurs mois de rééducation,
42:51Ali Farzad tient à nouveau son arme préférée à la main,
42:54le pinceau.
42:57Il a même envoyé ce petit message personnel à Assad.
43:01À travers ses dessins pour un journal koweitien,
43:04il continue à s'en prendre aux dictateurs du monde.
43:07Menacés, agressés, exilés,
43:10Ali Farzad ne regrette rien.
43:13Vous savez, je suis heureux et fier
43:15que mes caricatures aient brisé la barrière de la peur.
43:19Et peut-être même qu'elles ont ouvert une porte sur la liberté.
43:26Si Ali Farzad a fui la Syrie,
43:29d'autres ont fait le choix de rester et de résister grâce au rire.
43:36À l'été 2013,
43:38dans la banlieue de Damas,
43:40une attaque à l'arme chimique fait 1500 morts.
43:43La communauté internationale s'en émeut,
43:46mais tarde à réagir.
43:49Dans ce contexte,
43:51à 230 km au nord de la capitale,
43:53un petit village peuplé d'irréductibles Syriens
43:56résiste encore et toujours à Bachar el-Assad.
43:59Kafranbel.
44:01Leur potion magique, le rire.
44:04Choqué par les massacres de civils à l'arme chimique,
44:07il tourne une vidéo humoristique.
44:08« Regarde la tête qu'il a, lui, avec sa perruque ! »
44:14Déguisé en homme de Cro-Magnon,
44:16il s'apprête à filmer l'un des sketchs
44:18qui va faire la réputation du village.
44:20Le metteur en scène, c'est lui.
44:23« Poussez-vous, on va tourner ! »
44:25Raed Fares.
44:27Un ancien agent immobilier
44:29reconverti en réalisateur depuis le début de la Révolution.
44:33« 3, 2, 1, action ! »
44:38Les hommes des cavernes représentent les Syriens
44:41qui manifestent pour leur liberté.
44:45À gauche, c'est le pouvoir d'Assad qui vient les massacrer.
44:51Derrière, impassibles, observant la Seine,
44:55l'Europe, les États-Unis et le monde arabe.
45:00Première prise et premier raté.
45:04L'un des apprentis acteurs se trompe,
45:06il meurt trop tôt.
45:09« C'est qui le con qui est mort avant tout le monde, là ? »
45:15Au bout de quelques essais, voilà le résultat.
45:20À chaque fois qu'ils sortent pour manifester,
45:23les Syriens sont tués.
45:27Que ce soit avec des mitraillettes
45:31ou avec des explosifs.
45:39Il n'y a que lorsque l'armée de Bachar al-Assad
45:42utilise des armes chimiques
45:44que la communauté internationale réagit enfin.
45:52Elle confisque les armes chimiques
45:56avant de donner son approbation
45:58quand les militaires massacrent à nouveau les Syriens
46:01avec des armes conventionnelles.
46:08La scène se termine avec ce message.
46:10« La mort reste la mort, qu'importe la manière.
46:13Assad a tué 150 000 personnes. Arrêtez-le. »
46:19Cette vidéo à l'humour noir a eu un succès planétaire.
46:22Elle a été vue des centaines de milliers de fois,
46:25reprise dans les journaux du monde entier.
46:35Nous contactons Raed Fares, le réalisateur.
46:39Il vit à Kafranbel, à 400 mètres du lieu de tournage.
46:46Notre première interview avec lui se fait à distance.
46:49Raed Fares nous a déconseillé de venir à Kafranbel.
46:52Le risque d'enlèvement est trop important.
46:56Les sons que vous entendez,
46:58ce sont des tirs.
47:00La bataille fait rage à quelques rues de son salon.
47:03Ce qui ne le perturbe absolument pas.
47:06Nous posons nos questions par téléphone, via son oreillette.
47:11On a voulu faire une comédie noire.
47:13Car nous nous sommes dit que ce genre d'humour,
47:16ce genre de caricature, nous rendra plus proches des gens.
47:19Et que ça les fera rire et pleurer en même temps.
47:26Au début de la révolution,
47:28Raed Fares se contente de filmer son village,
47:31qui se soulève contre le régime de Bachar al-Assad.
47:36Quelques mois plus tard,
47:3830 secondes après un bombardement,
47:40il déclenche à nouveau sa caméra.
47:51Nous sommes le 5 novembre 2012.
47:53Voici la ville de Kafranbel.
47:55Mais rien ne change.
47:57La communauté internationale regarde la Syrie s'enfoncer dans le chaos.
48:06Pour faire entendre sa voix,
48:08Raed Fares doit changer de stratégie.
48:13La violence était devenue quelque chose d'ordinaire
48:16dans les journaux télévisés.
48:18Comme si c'était normal.
48:20Donc il fallait chercher une nouvelle manière de s'exprimer
48:22qui soit plus surprenante
48:24et qui attire davantage l'attention de l'opinion internationale.
48:28Réveiller le monde par le rire,
48:30pour ne pas mourir en silence.
48:31Raed Fares crée alors sa propre armée d'humoristes à Kafranbel.
48:36Leur champ de bataille,
48:38une salle de classe d'une école désaffectée transformée en studio.
48:44Il y tourne d'autres sketchs avec des habitants de la ville.
48:48Ok, coupé.
48:53Leur arme de dérision massive,
48:55la voici.
48:57Dans son local,
48:58Raed Fares accueille aussi les dessinateurs de la ville.
49:02Dorénavant,
49:04tous les vendredis,
49:06le village de Kafranbel descend dans la rue
49:08et brandit les caricatures de l'équipe de Raed.
49:12Leurs dessins,
49:14traduits en anglais,
49:16ridiculisent l'inertie des nations.
49:25Plus courageux encore,
49:26les dessins dénoncent l'influence grandissante d'ISIS,
49:30un sanguinaire groupe de djihadistes
49:32qu'ils soupçonnent d'être à la solde d'Al-Assad.
49:46Au terme de notre enquête,
49:48nous retrouvons Raed Fares à Dublin.
49:51Il est invité par une ONG irlandaise.
49:53De défense des droits de l'homme.
49:55Il a quitté clandestinement la Syrie,
49:57en passant par la Turquie.
49:59Nous le retrouvons à l'aéroport.
50:01C'est la première fois qu'il sort de son pays.
50:07Hier, avant d'arriver ici,
50:09j'ai fait une escale dans un hôtel
50:11juste à côté de l'aéroport d'Ankara.
50:15Et je n'étais pas du tout détendu
50:17parce que toutes les deux minutes,
50:19on entendait un bruit.
50:20Et ce son, ça me rappelle Kafranbel.
50:22C'est le même son lorsqu'il y a des bombardements.
50:25C'était horrible.
50:27Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit.
50:32Raed Fares est invité au rassemblement annuel
50:35d'une association
50:37qui soutient des militants des droits de l'homme
50:39du monde entier.
50:41Pendant deux jours,
50:43135 activistes de l'ONG
50:45ont participé à l'évacuation
50:47d'un groupe de djihadistes
50:48qui s'appellent les Djihadistes.
50:50Depuis ce jour,
50:52135 activistes venus de 95 pays différents
50:55viennent échanger leurs expériences
50:57et leurs méthodes.
51:00Fares est le représentant de la Syrie.
51:02C'est le seul
51:04parmi tous les activistes
51:06à utiliser l'humour pour son combat.
51:08Et ses vidéos
51:10ne passent pas inaperçues.
51:12Comme auprès de ces deux militantes
51:14du Gabon et de Côte d'Ivoire.
51:18C'est génial !
51:20Le combat pour les droits de l'homme
51:22est toujours très long.
51:24Et les gens qui veulent leur libération,
51:26c'est toujours à eux
51:28de payer le plus grand tribut
51:30dont l'humour aide.
51:32Ça donne une sorte d'espoir.
51:34Thank you.
51:36Nous te remercions.
51:38Raed Fares est venu jusqu'à Dublin
51:40pour délivrer un message.
51:42C'est un message
51:44pour tous les djihadistes
51:45qui sont en train de venir à Dublin
51:47pour délivrer un message.
51:49Dans l'Assemblée,
51:51les militants bien sûr,
51:53mais surtout le ministre
51:55des Affaires étrangères irlandais,
51:57des représentants de l'ONU
51:59et de l'Union européenne.
52:01C'est à eux
52:03que le Syrien est venu parler.
52:08Je suis un peu stressé.
52:10Je ne sais pas ce que je vais dire.
52:12Vraiment pas.
52:14Parce que je l'ai promis.
52:18Il vient de Syrie.
52:20Voici Raed Fares.
52:24Son discours est sans équivoque.
52:26Cette fois,
52:28fini de rire.
52:30Bonjour à toutes et à tous.
52:33Je veux vous parler de ma ville de Kafranbel.
52:36Je vis là-bas depuis le début de la Révolution.
52:39Le régime a interdit
52:41tous les médias libres d'entrer en Syrie.
52:43Du coup, nous avons utilisé
52:45une façon nouvelle de nous exprimer
52:47à travers les caricatures
52:49et les vidéos que l'on a essayé
52:51de diffuser via Internet.
52:54Vous savez, depuis le début du conflit,
52:56dans mon seul quartier,
52:58il y a eu 150 morts
53:00à cause des bombardements
53:02de l'aviation d'Assad.
53:04Le problème,
53:06ce n'est pas les gens qui meurent.
53:08Ce sont les vivants.
53:10J'ai vu les ruines.
53:12J'ai vu le sang et les gens brûlés.
53:14Des morceaux de corps partout.
53:22Moi, je ne suis pas là...
53:27Je veux juste essayer de vous faire passer une idée.
53:31Cette idée, la voici.
53:33Si vous ne pouvez pas nous aider à vivre,
53:35au moins,
53:36aidez-nous à mourir dignement.
53:44Merci.
53:57Vous savez, je vais continuer
53:59à montrer ce qu'il se passe chez moi
54:01avec l'humour noir et la caricature.
54:03On entendra ma voix
54:04et les gens apprendront peut-être
54:06ce qu'il se passe vraiment en Syrie.
54:08Est-ce que vous êtes en danger ?
54:13Je suis sur la liste noire du régime
54:15et d'autres factions
54:17comme celle des extrémistes islamistes.
54:23Je ne suis pas en sécurité,
54:25mais je n'ai pas peur.
54:31Raed Fares est reparti le lendemain en Syrie.
54:35Il y a quelques semaines,
54:37nous avons reçu ces photos de ses proches.
54:40Sa voiture,
54:42criblée de balles.
54:45Alors qu'il sortait de chez lui,
54:47deux hommes en cagoule l'ont pris pour cible.
54:50Ils ont tiré
54:52huit fois.
54:54Raed Fares a été touché deux fois
54:57à la poitrine et au bras.
54:59Après plusieurs jours en soins intensifs,
55:02il a été sauvé de justesse.
55:07Il vient de revenir à Kafranbel
55:09et participe à nouveau
55:11aux grandes manifestations du vendredi
55:13contre Bachar el-Assad
55:15et contre les djihadistes.
55:18Plus que jamais,
55:20Raed Fares est déterminé à faire rire
55:23quand tout prête à pleurer.
55:24Raed Fares est déterminé à faire rire
55:26quand tout prête à pleurer.

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