• il y a 4 mois
La pensée de Heidegger, réputée difficile, permet pourtant de comprendre les aspects les plus sombres du monde contemporain, notamment, le ravage de la terre par la technique. Penseur de l’enracinement, porteur d’un nouveau regard sur l’histoire de la philosophie, Heidegger nous invite à méditer le mystère de l’Être, à entendre les paroles de l’origine et à attendre, dans la sérénité, "un dieu qui pourrait nous sauver".
Pour en parler, Michel Maffesoli, sociologue, professeur émérite à la Sorbonne, auteur de nombreux ouvrages dont "L’Ère des soulèvements" (2021), "Le Temps des peurs" (2023) et "Logique de l’assentiment" (2023), parus aux Éditions du Cerf, ainsi que Baptiste Rappin, philosophe, maître de conférence à l’Université de Lorraine, auteur de "Heidegger et le management" (2015), "Abécédaire de la déconstruction" (2021) et "Anachronismes : éléments pour une philosophie de l’intempestivité" (Éditions Ovadia).
Transcription
00:00Musique
00:26Bienvenue dans cette nouvelle émission des idées à l'endroit. Heidegger est considéré par
00:32nombre de commentateurs, d'historiens de la philosophie, de philosophes, avec raison me
00:38semble-t-il, comme le plus grand penseur du XXe siècle. Il est également considéré, non sans
00:44raison non plus, comme l'un des plus complexes, un des plus difficiles à lire, non seulement en
00:51raison de la teneur de sa pensée, mais en raison de sa langue même, qui plus est en traduction,
00:56donc soulevant pour les traducteurs et les lecteurs, en l'occurrence français, de Heidegger,
01:02des problèmes supplémentaires. Néanmoins, il est tout aussi certain, en tout cas c'est le pari que
01:08nous faisons dans cette émission, il est tout aussi certain que la pensée de Heidegger peut
01:13être explicitée, peut être exposée, sans simplification outrancière, évidemment sans
01:22caricature. Nous allons donc essayer, avec mes deux invités aujourd'hui, de vous la présenter, bien sûr
01:29non pas d'une manière exhaustive, ce serait parfaitement impossible, mais d'une manière
01:34suffisamment vaste, suffisamment étendue, pour qu'un certain nombre de notions clés, qui reviennent
01:39bien souvent lorsque l'on parle de Heidegger, vous soient plus explicites, plus familières,
01:45pourquoi pas. Mes invités pour parler de Heidegger, Michel Maffezoli. Michel Maffezoli,
01:51vous êtes sociologue, vous êtes philosophe, professeur émérite à la Sorbonne, membre de
01:58l'Institut universitaire de France, vous avez publié de très nombreux ouvrages, alors parmi les
02:04derniers, simplement parmi les derniers, et je ne serai pas exhaustif là non plus, je signalerai
02:10l'ère des soulèvements, c'était en 2021, le temps des peurs et logique de l'assentiment, en 2023,
02:18ces trois ouvrages étant publiés aux éditions du SER. Avec nous également Baptiste Rapin. Baptiste
02:25Rapin, vous êtes vous aussi philosophe, vous êtes universitaire, maître de conférences à
02:30l'université de Lorraine, vous-même avez publié un grand nombre d'ouvrages, dont un en 2015 intitulé
02:36Heidegger et la question du management, c'était aux éditions Ovadia, comme la plupart des ouvrages
02:42que vous avez publiés, mais également, je citerai là aussi d'une manière très limitée, la liste de
02:49vos ouvrages est longue, votre abécédaire de la déconstruction, c'était en 2021, toujours aux
02:55éditions Ovadia, et puis tout dernièrement, il y a quelques semaines, quelques mois à peine,
02:58votre dernier livre, Anachronisme, au pluriel, éléments pour une philosophie de l'intempestivité.
03:05Vous êtes donc tout deux, évidemment, au fait de la pensée de Heidegger, qui nourrit à des
03:12degrés divers votre propre pensée, votre propre démarche, mais on va essayer donc, grâce à vous,
03:18de mieux comprendre en quoi la pensée de Heidegger est d'une très puissante actualité et à quel point
03:28Heidegger est présent parmi nous pour quiconque veut penser le monde contemporain. Et Heidegger,
03:34Michel Maffezoli, a été présent pour vous, puisque vous faites partie des rares personnes,
03:41aujourd'hui, qui ont eu la chance de rencontrer, de connaître Heidegger. Alors évidemment,
03:47c'est une émission qui n'a pas pour objectif de développer la biographie d'un penseur, d'un
03:53philosophe ou d'un théoricien, néanmoins pourriez-vous nous dire dans quelles circonstances
03:59vous avez rencontré Martin Heidegger et quel est le sentiment que vous avez retiré de son approche,
04:06autrement dit, quel était l'homme Heidegger que vous avez connu dans ce moment de votre vie ? Comment
04:16pourrait-on le définir ? – Alors tout d'abord, puisque vous m'avez insulté en disant que je suis sociologue...
04:25– On ne sait jamais trop comment vous présenter, parce que vous ne l'aimez pas.
04:28– Peu importe, je ne suis pas un philosophe, ça c'est clair. J'ai occupé la chaire d'Urqheim à la Sorbonne
04:34pendant longtemps, mais mes chers collègues sociologues ne m'ont jamais reconnu comme sociologue.
04:38– Vous êtes un franc-tireur de l'esprit, c'est l'essentiel.
04:41– Oui, je suis un renifleur, d'une certaine manière. C'est amusant, parce que, d'ailleurs, ma grand-mère,
04:47qui était une femme du peuple, disait qu'il n'y a que les cornichons qu'on met dans des bocaux.
04:51– Les étiquettes. – J'ai essayé de ne pas être un cornichon,
04:55et ce qu'était l'universitas, c'était quelque chose qui faisait qu'il n'y avait pas de discipline, comme cela.
05:01Peu importe, c'était une petite anecdote. Heidegger était aussi quelqu'un de cet ordre-là.
05:06Vous savez que les philosophes ne le reconnaissaient pas précisément comme philosophe.
05:13D'une manière un peu polémique, moi je l'ai entendu, personnellement,
05:18puisque j'ai commencé à lire ces livres à l'université de Tübingen, où je faisais des études, en 67.
05:24On disait qu'il chuchotait, geran, en allemand, et donc ce n'était pas un vrai argument.
05:33Donc, lui-même, d'ailleurs, a pris jusqu'au bout cette idée-là, enfin, son chuchotement, si je puis dire,
05:41en faisant une œuvre qui est difficile à rentrer dans les grandes catégories philosophiques.
05:49Petite parenthèse sur laquelle je m'arrête.
05:51Moi-même, voilà, il s'est trouvé que, tout jeune, en 67, à Tübingen, je suis tombé sur Être et Temps.
05:59– 1927, publication d'Être et Temps, premier grand livre de Heidegger.
06:04– Paru, je ne sais plus, en 64, chez Gallimard, l'édition de Valens.
06:09Maintenant, elle n'existe plus, il y en a d'autres, il y a Vézin, il y a Martineau, etc.
06:13– Traducteur de Heidegger.
06:14Et tout jeune, je suis tombé sur ce livre, ou dans ce livre, on ne sait pas bien comment dire,
06:20et donc j'ai poursuivi en ce sens.
06:21Et quand je suis arrivé à Strasbourg, et voilà le fond de ma remarque,
06:25ma thèse de troisième… il y avait deux thèses à l'époque,
06:28mais je fais ma thèse d'État avec Gilbert Durand, mais ma thèse de troisième cycle,
06:31c'était avec Braun, que vous connaissez peut-être, qui a été le premier…
06:35pas le premier, enfin, qui a été un traducteur d'Heidegger,
06:38et qui était proche et ami intime de Heidegger.
06:42Et Julien Freund, puisque c'était une thèse sur la technique chez Heidegger, voilà.
06:46Et donc, il s'est trouvé qu'en 1969, puisqu'à ce moment-là que j'ai soutenu cette thèse,
06:54Braun m'a amené trois ou quatre fois exactement, le rencontrer.
06:59Soit à Fribourg, soit une fois à ton albergue, dans sa maison, à la fameuse hutte, etc.
07:06Voilà, c'est tout pour parler de mon travail.
07:08Et je crois que j'ai assisté à la… ça, je n'ai pas dû vous le dire,
07:13au dernier cours de Heidegger, le 29 mai 1969.
07:18C'était Gadamer qui l'avait organisé à Hilbert.
07:21– Donc, un de ses grands disciples, Hans-Gilbert Gadamer.
07:24– Et donc, je me souviens, bien sûr, de ce cours fabuleux, à la manière allemande.
07:30On en fit plein, les gens… on n'applaudissait pas, on tapait sur la table,
07:35et puis voilà, voilà un peu…
07:37– Mais, simplement, quel a été votre sentiment face à l'homme Heidegger ?
07:41Qu'est-ce que vous avez retenu ?
07:42Je ne sais pas, dans son comportement tel que vous l'avez eu face à vous,
07:45est-ce qu'il y a des qualificatifs qui vous viendraient à l'esprit particulier ou pas ?
07:50– Justement, c'est amusant, je suis en train d'écrire mes mémoires,
07:55et je vais consacrer quelques pages, une bonne dizaine de pages à Heidegger.
08:01Et c'était une sensibilité avec laquelle nous sommes rentrés en contact.
08:05Moi, je suis un fils du peuple, lui-même était le cas.
08:08– Bien sûr.
08:09– Brown, comme lui, était au petit séminaire, tout jeune,
08:12c'était une manière de progresser, moi aussi.
08:14– Oui, oui.
08:15– Il a fait des études de théologie, moi j'ai un doctorat de théologie également,
08:20un doctorat, un baccalauréat de théologie, c'est-à-dire deux années,
08:25et il y avait une espèce de sensibilité qui était, je dirais, un peu commune.
08:30– Oui, vous êtes…
08:31– Je dis bien, je redis le mot, sensibilité.
08:33– D'accord, très bien.
08:34– Ce n'était pas une dimension à proprement parler théorique,
08:38mais moi, cela m'a inspiré par après dans tous mes livres.
08:42– Très bien.
08:42– Alors, j'ai bien dit, ce n'est pas en tant que philosophe.
08:47Moi, j'ai piqué chez Heidegger un certain nombre de choses,
08:49j'ai toute l'œuvre chez moi en allemand et en français,
08:54et ça a nourri, disons, mon travail sur ce qu'il était, ce qu'il appelait.
09:00C'est une de ses premières expressions,
09:02quand il écrit son livre sur Don Scott, qui est sa thèse d'habilitation.
09:05– Oui.
09:06– En gros…
09:07– Grand théologien chrétien, Don Scott.
09:09– Voilà, oui, c'était le XIIIe siècle.
09:14Il fait sa thèse d'habilitation, ce n'est pas sa thèse,
09:15il a passé sa thèse et ensuite,
09:17thèse d'habilitation par après sur Don Scott.
09:19Et dans ce livre, je l'ai encore vérifié ce matin,
09:23oui, il parle de la face intérieure de l'Histoire,
09:26ce qui est l'œuvre d'Heidegger en allemand.
09:28C'est-à-dire, non pas se contenter, il faudra qu'on en parle tout de même,
09:31non pas se contenter du dépassement heguelien ou marxien,
09:39mais au contraire, ce qu'il appelle, d'un terme difficilement traduisible,
09:44l'Affärbindung, c'est-à-dire la reprise d'un certain nombre de choses,
09:47la distorsion de cette chose-là et la guérison que cela amène.
09:51C'est ça l'Affärbindung heideggerienne.
09:53Et pour moi, c'est un peu ce qui a été, je dirais,
09:56le cœur battant de tout mon travail quand je parlais de la centralité souterraine.
10:01Quelque chose qui n'est pas de l'ordre de la critique,
10:03Krinein, le jugement, qui est quelque chose qui est largement répandu,
10:09mais plutôt de la radicalité, si je fais un petit écart,
10:12tel que Baudrillard l'a lui-même bien développé.
10:15Voilà, si vous voulez, c'est cette sensibilité.
10:17– Oui, c'est important.
10:18– Et on pourra voir à quoi cela aboutit,
10:20mais c'est, je dis bien, un fil rouge,
10:23qu'on va retrouver dans tout mon travail,
10:25dans les divers livres que j'ai pu écrire,
10:28à partir de cette, je dis bien, de cette sensibilité première.
10:31– Très bien, très bien.
10:33Alors Baptiste Rappin, on a évoqué de manière très rapide le grand livre,
10:37le premier, disons, grand livre de Heidegger,
10:40Être et Temps.
10:42Heidegger est lié à l'université allemande, bien entendu,
10:46et sa réception a été d'emblée considérable,
10:49la réception de cet ouvrage.
10:52C'est un disciple de Husserl.
10:54Lorsque l'on parle de Heidegger, bien souvent,
10:57on considère qu'il y a le Heidegger de Être et Temps,
11:00donc ce premier Heidegger, entre guillemets,
11:03vraiment avec beaucoup de guillemets,
11:04et puis un second Heidegger qui va développer,
11:07déployer sa pensée vers un horizon,
11:11à la fois même et autre, en quelque sorte.
11:13Ce premier grand livre, Être et Temps,
11:17ce lien avec son maître Husserl,
11:21le Heidegger qui sera associé dans la réception française,
11:26pour le coup, avec Sartre, avec d'autres,
11:28à ce que l'on a appelé l'existentialisme.
11:31Que peut-on dire de ce premier Heidegger ?
11:34D'abord, est-on d'accord avec cette distinction
11:36entre un premier et un second Heidegger ?
11:38Fût-ce pour des raisons d'ailleurs pédagogiques,
11:40simplement, ou pas ?
11:42Et comment peut-on le cerner avant d'entrer,
11:46donc, vers les spécificités les plus grandes
11:49de la pensée de Heidegger ?
11:52Alors, quand les historiens de la philosophie
11:54s'intéressent à un auteur,
11:55que ce soit Heidegger, ou Nietzsche, ou un autre,
12:00ils ont tendance à vouloir pariodiser son œuvre
12:04et à la découper en séquences ou en tranches,
12:08ce qui est d'un côté légitime puisque les pensées évoluent,
12:13mais risque également d'aboutir à une forme d'émettement.
12:17Et la distinction entre un Heidegger 1 et un Heidegger 2,
12:22qu'on doit au père Richardson,
12:25a été elle-même remise en question par Heidegger.
12:27Heidegger n'a pas accepté cette distinction,
12:31disant que, quelque part, il ne faisait que suivre,
12:34non pas son intuition,
12:36c'est-à-dire que le grand critique de la métaphysique de la subjectivité
12:39ne pouvait pas mettre la sienne propre au centre de son travail,
12:43mais suivre le fil de lettres.
12:44Et précisément, c'est l'entame de Zeitgeist,
12:49qui est le seul livre inachevé que Heidegger a publié de son vivant,
12:57le seul essai ou étude philosophique inachevé qu'il a fait de son vivant,
13:01qui commence par un impératif,
13:05qui est celui de retrouver le sens de l'être,
13:07et le sens de la question de l'être.
13:10Les deux sont intimement liés.
13:13Et on peut dire, en tout cas c'est ce que je crois,
13:16que c'est le fil directeur de la pensée de Heidegger,
13:18depuis Zeitgeist, et peut-être même certainement avant,
13:20parce qu'il y a un ensemble de cours préparatoires
13:23qu'il a donnés dans les années 1920,
13:25qui ont mené à l'écriture de Zeitgeist,
13:29jusqu'à la pensée méditante et le Goeffert,
13:34autant de thèmes qu'on abordera certainement.
13:35– Voilà, il faut en parler, bien entendu.
13:36Et antérieurement, même Michel Maffé-Zolil le rappelait,
13:39sur la question théologique,
13:41dans laquelle Heidegger a été immergé, si j'ose dire,
13:45et qu'il a questionné lui-même d'emblée.
13:48Alors vous avez donné, évidemment, Baptiste Rappin,
13:50le mot-clé, le terme-clé, l'être, bien entendu.
13:53Alors, lorsqu'on lit Heidegger, lorsqu'on s'intéresse à sa pensée,
13:57on rencontre à peu près immédiatement cette fameuse distinction,
14:04dont le nom savant est celui de différence ontologique,
14:08entre ce que Heidegger appelle l'être et puis l'étant,
14:13le participe passé, l'étant.
14:15Est-ce que l'on peut essayer de comprendre cette distinction,
14:21cette raison d'être, précisément,
14:25avant d'essayer de s'approcher d'une définition de l'être lui-même ?
14:28Pourquoi Heidegger distingue l'être et les étants,
14:33et que sont-ils l'un par rapport à l'autre ?
14:37Différence ontologique est une expression qui n'apparaît pas dans un insight,
14:42mais qui lui est contemporaine, puisqu'on la trouve dans un cours,
14:45le cours du semestre 1927,
14:48Les problèmes fondamentaux de la philosophie,
14:50où Heidegger définit pour la première fois ce qu'est la différence ontologique,
14:55qui effectivement sépare l'être de l'étant comme les deux faces d'une même pièce.
15:03Il y aurait deux façons d'exposer cela de manière logique.
15:11Quand on se demande qu'est-ce que ceci ou qu'est-ce que cela,
15:15donc qu'est-ce que cet étant,
15:17donc qu'est-ce que cet objet, par exemple,
15:19le regard, et le regard qu'il soit spontané ou qu'il soit scientifique,
15:24se dirige vers l'étant en question,
15:27cet objet, cette chose ou cette personne, ou même cette idée.
15:33Et on oublie de questionner le verbe être qui permet de poser la question.
15:37Donc la condition de possibilité de la question est oubliée.
15:42Il y aurait une autre façon d'aborder la même différence ontologique,
15:46c'est la question traditionnelle,
15:48pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?
15:52Le regard se porte sur le quelque chose et sur le rien,
15:54mais oublie le il y a, l'éclosion du monde,
15:58qui est un des grands thèmes de la pensée de Heidegger.
16:03Et cette différence ontologique va l'amener
16:07à repérer dans l'histoire de la philosophie,
16:11ou plutôt dans l'histoire de l'être, ce serait plus juste,
16:14les différentes manières qu'ont eues les philosophes
16:19de se centrer sur l'étant en oubliant progressivement l'être,
16:23et en l'oubliant toujours plus au fur et à mesure de l'avancée dans le temps.
16:27Oui, c'est donc le deuxième grand thème qui suit la différence ontologique,
16:32c'est le fameux thème de l'oubli de l'être.
16:34Et on comprend bien avec vos explications à quel point, en effet,
16:38d'une certaine façon, pour Heidegger,
16:39la philosophie, l'histoire de la métaphysique est celle d'un oubli,
16:43c'est-à-dire que l'on s'est focalisé, et en particulier quand je dis « on »,
16:47disons la généalogie des penseurs européens depuis la Grèce,
16:51dans un processus d'éloignement, en quelque sorte, du sens de l'être.
16:56Nous avons privilégié les étants, c'est-à-dire les objets, les choses,
17:00ou bien les notions, enfin, on peut penser au dialogue platonicien,
17:04« qu'est-ce que la vertu, qu'est-ce que le courage ? »
17:06et on a laissé de côté le fameux « est »,
17:09quand on dit « qu'est-ce que », le « est » est laissé en chemin, en quelque sorte.
17:15Alors, cet oubli de l'être, quelle en est la généalogie ?
17:22Exercit-il un moment dans l'histoire de la pensée grecque
17:27dans lequel cet oubli se fait jour, en quelque sorte ?
17:34Je pense par exemple à la lecture, au retour qu'il a opéré vers les présocratiques,
17:39ce que l'on appelle un peu bêtement d'ailleurs les présocratiques,
17:41comme s'il y avait à tout prix un avant et un après Socrate-Platon.
17:45Tout ceci, on peut en discuter, mais enfin, ce n'est pas la question aujourd'hui.
17:48Mais quelle est cette lecture de l'histoire de la pensée grecque à laquelle Heidegger a procédé ?
17:56Est-ce que l'on peut dire, est-ce que l'on peut,
17:58je vais presque dire de manière un peu simple,
18:01dater le moment de l'oubli de l'être,
18:06le moment où on s'éloigne du sens de l'être ?
18:10Michel Maffesoli, Baptiste Rapin, comment vous voyezz ?
18:14Je ferai une petite nuance tout de même entre l'être et les temps.
18:17Il ne faut pas oublier qu'entre les deux, il y a le Dasein, être là.
18:22C'est important, en effet.
18:23Et dans le fond, justement, son problème, c'est de voir que la philosophie,
18:29et c'est en ce sens qu'il dit je ne suis pas philosophe,
18:31ou à un moment donné, il veut dépasser la philosophie,
18:34a fait cette distinction que vous venez d'indiquer, être et temps.
18:38Tandis que dans le fond, il montre, le terme qu'il emploie d'ailleurs,
18:43c'est dans les chemins, Ausweg.
18:45– Les chemins qu'il ne mène nulle part, traduction française,
18:48les chemins forestiers, Ausweg.
18:50– Un peu idiote de traduction, mais enfin, il mène quelque part,
18:54mais enfin, ce ne sont pas des chemins qui sont balisés, disons.
18:57Non, là, il montre bien qu'il y a ce qu'il appelle une coincidencia oppositorum.
19:02– Coïncidence des opposés.
19:03– Des opposés, c'est-à-dire quelque chose qui veut que ça sienne.
19:06Et cela, il le traduit au travers de cette expression,
19:08être là, c'est être le là, voilà.
19:11Et donc, moi, je considère que dans la pensée d'Heidegger,
19:14il n'y a pas cette espèce de distinction entre l'être et l'étant.
19:17Il fait une critique de la philosophie qui ne s'intéresse qu'à l'étant.
19:21Voilà, c'est ça, l'oubli de l'être.
19:23Mais, et ça, c'est difficile à taxer, je dirais,
19:27à indiquer historiquement à quel moment.
19:31C'était ça, votre question, je pense que c'est difficile à dire.
19:34Chez lui, on ne le voit pas précisément,
19:36mais il montre bien qu'à de longues dates,
19:39il y a l'oubli de cet espèce de grand rapport qui existe entre l'être et l'étant.
19:44Voilà ma position, je ne sais pas si un philosophe serait d'accord avec ça.
19:48Mais, moi, il me paraît important,
19:51puisque c'est le point sur lequel il insiste dans toute son œuvre,
19:54et qui fait qu'il n'y a pas, de ce point de vue,
19:57de distinction entre le premier et le second Heidegger.
19:59Il y a toujours cette espèce de constante,
20:02je dirais, moi, méditation sur ce design,
20:06en disant, finalement, à partir d'un certain moment,
20:10et c'est ça, sa critique de la philosophie,
20:12on s'est contenté de regarder en avant,
20:14et on oublie d'avoir regardé en arrière.
20:17– On oublie la provenance.
20:18– Voilà, d'où ça vient.
20:19Et c'est le fameux schritt sur ruck,
20:21donc, en quelque sorte, difficile à traduire,
20:24on traduit un peu trop sortement, pas en arrière,
20:26mais c'est quelque chose qui va à l'origine,
20:29ce qui est originaire, en quelque sorte.
20:31Voilà ma réponse, encore une fois,
20:34cette espèce de coïncidence qui va se faire entre ces deux termes,
20:38alors que la philosophie, on va dire classique,
20:41et bien sûr, représentée en particulier par Descartes,
20:45qu'il critique fréquemment et d'une manière profonde,
20:50repose sur cette espèce de distinction.
20:52– Alors, on va revenir, bien sûr, sur cette distinction
20:54entre la philosophie, ce qu'Allegre appelle la pensée,
20:57puisqu'en toute rigueur, il distingue même philosophie,
20:59métaphysique et pensée, et jusqu'à la méditation, bien entendu.
21:03Baptiste Rappin, cette question du sujet que vous avez évoqué,
21:05la métaphysique de la subjectivité,
21:07que l'on réentend dans le mot « design »,
21:10« design », donc c'est un mot, en effet, éminemment heideggérien,
21:13mais qui est utilisé par plusieurs philosophes
21:17et dans des sens assez différents.
21:19Vous êtes d'accord sur cette définition, donc cette traduction ?
21:23On a parfois traduit « design » par l'existence, l'existant,
21:27enfin, être-le-là, on prend l'étymologie « da » ici, « sein », être.
21:32Le « design », ce n'est pas le sujet,
21:34mais c'est celui qui est, ce n'est pas le sujet humain, j'entends,
21:37mais c'est celui qui est ouvert à l'interrogation sur l'être
21:40dont nous parlions, dont vous parliez.
21:44Heidegger a très tôt perçu la structure duelle de la modernité,
21:48de sa métaphysique, puisque si elle se fonde effectivement sur le sujet,
21:53c'est qu'il n'y a d'objet que pour un sujet,
21:55que pour la représentation d'un sujet,
21:57il n'y a d'un monde que pour la volonté d'un sujet,
21:59d'où le projet de maîtrise technique, on en parlera tout à l'heure.
22:02On va en parler forcément, oui.
22:04Et précisément, l'analytique existentielle,
22:08qui est le grand projet de « Sein & Seitz »,
22:11consiste à sortir cette dualité et de penser l'homme,
22:16je mets des guillemets autour de cela,
22:18comme toujours déjà en rapport au monde,
22:20et c'est ce que je crois qu'indique l'expression de « das Sein »,
22:24et de ce point de vue-là, être là ou être le là,
22:28me semble la meilleure traduction,
22:29parce que les autres traductions,
22:30notamment qui recourent aux termes « existence »,
22:35vont mener à des incompréhensions,
22:36notamment du point de vue de l'existentialisme français,
22:39et plus particulièrement chez Sartre, évidemment.
22:43– Alors quelles sont les…
22:44– Oui, Michel Maffesoli, je vous en prie, bien sûr.
22:46– Une des choses auxquelles on ne prête pas attention,
22:48c'est que c'est être là ou être le là, peu importe en la matière,
22:51c'est tout simplement une actualisation de la substance,
22:55quelque chose qui fait qu'il n'y a pas cette coupure,
22:58je rappelle que la position critique est toujours une procédure de coupure,
23:03c'est « la spaltung », il va critiquer la coupure, la scission, etc.
23:09Mais au contraire, un processus de conjonction,
23:11et il y a un terme qu'il utilise d'ailleurs,
23:14il ne faut pas l'oublier puisque j'ai cité tout à l'heure Dan Scott,
23:18c'est « l'esséité », « esséité » ça vient de « éche »,
23:23« l'esséité », et donc c'est être là, l'esséité,
23:28il l'utilise beaucoup au début, après ce terme n'apparaît plus,
23:31mais au début il utilise beaucoup ce terme d'esséité,
23:34c'est ça l'être là, la définition qui n'est pas de moi,
23:37actualisation de la substance, c'est important ça,
23:41parce que vous voyez, maintenant le mot actuel ne nous renvoie à rien du tout,
23:45mais l'actuel c'est quelque chose, donnez-nous aujourd'hui notre pain substantiel,
23:50on va traduire notre pain quotidien,
23:52mais fondamentalement c'est le pain substantiel,
23:54c'est-à-dire en quelque sorte quelque chose qui est plus profond,
24:00plus essentiel, qui va s'actualiser,
24:02voilà un peu pour moi exactement ce qu'il y a dans le Dasein.
24:06– Tout à fait, alors Heidegger va procéder donc à,
24:11lui c'est lui-même un grand historien de la philosophie,
24:13il est bien plus que ça bien entendu,
24:15mais enfin il va procéder à une relecture de l'histoire de la philosophie,
24:20et s'attacher à cette provenance dont parlait Michel Maphézoli,
24:26à cette origine grecque, j'utilise là encore des guillemets présocratiques disons,
24:32il va se mettre à la recherche d'une parole originelle,
24:36la parole de l'être précisément, étant entendu,
24:39vous l'avez bien expliqué Baptiste Rapin,
24:41que nous vivons aujourd'hui, et on va explorer cet aujourd'hui-là,
24:45même si on ne le connaît que trop,
24:47nous vivons sur cet oubli de l'être et sur une domination totale des objets,
24:51disons, des étangs en quelque sorte.
24:54Quelle est cette parole originelle vers laquelle Heidegger tend,
25:01et vers laquelle il veut se mettre à l'écoute ?
25:04Est-ce qu'elle est définissable ?
25:05Elle n'est sans doute pas appréhendable,
25:07elle n'est pas saisissable au sens de l'objet,
25:10de l'appréhension sur l'objet bien sûr,
25:12mais peut-être de la compréhension.
25:14Qu'est-ce qui s'est dit, à ce moment grec, originelle ?
25:20Prenons le même chemin que Heidegger,
25:21c'est que pour arriver au président socratique,
25:24il faut passer par Aristote et Platon.
25:27Ils disent que ce sont deux rocs incontournables,
25:30parce qu'ils ont en même temps perçu la différence ontologique,
25:36et au moment même où ils l'ont perçue, ils l'ont refermée,
25:38ouvrant ainsi l'histoire de la métaphysique ou de la philosophie
25:41comme histoire de l'oubli de la question de l'être,
25:43et oubli de l'être.
25:47Et comment s'est manifestée cette clôture immédiate ?
25:50C'est ce que Heidegger appelle l'ontothéologie.
25:53Oui.
25:53C'est-à-dire que la philosophie,
25:57pour répondre à la question qu'est-ce que l'étant,
25:59a choisi deux grandes options qui sont complémentaires.
26:02La première qui est celle de la théologie,
26:06où on édifie un supra-étant ou un primo-étant
26:12duquel l'ensemble du monde découle.
26:15On va l'appeler Dieu.
26:17Voilà, on va l'appeler Dieu,
26:18mais ce primo-étant deviendra sujet avec la modernité et technique,
26:23avec l'avènement de la planétarisation.
26:27Et de l'autre côté, l'ontothéologie,
26:28ce sera de penser ce que l'étant a de commun,
26:31ou ce que les étants ont de commun,
26:33donc la communalité de l'étant.
26:36Donc direction, comment dire,
26:39regard dirigé vers le primo-étant et vers ce que l'étant a de commun.
26:44Toute la philosophie, pour Heidegger,
26:46s'est enfermée finalement dans cette double,
26:51dans cette cage à double serrure.
26:53Et donc il faut, comment dire,
26:56aller, alors c'est délicat, par-delà ou en-dessous,
26:59on ne sait pas quelle préposition utiliser.
27:02Bien sûr.
27:03Pour se confronter à des penseurs
27:06qui n'ont pas encore choisi d'enfermer l'étant
27:09dans l'ontothéologie,
27:12et qui étaient attentifs à la donation du monde en tant que tel,
27:17à la dimension cosmique du monde,
27:21à sa manifestation, à son apparition, à son éclosion,
27:25c'est-à-dire, on a l'objet d'utiliser des termes un peu techniques,
27:28à sa phénoménalité pure.
27:30Oui, c'est l'un des grands termes de la pensée de Heidegger également,
27:34c'est la fameuse fusil,
27:35c'est-à-dire la nature,
27:36que l'on va traduire après en latin, en natura,
27:39et on ne va pas s'étendre sur les changements de langue
27:43et donc de monde quasiment.
27:45Mais Heidegger sera celui qui précisément va rappeler l'attention des hommes
27:52de notre temps vers cette éclosion,
27:54vers ce surgissement.
27:56Tout à fait.
27:58Et montrant que,
28:03comment dire,
28:04la pensée n'a pas toujours été enfermée dans la philosophie.
28:07Oui, ou dans la théologie.
28:09Ou dans la théologie, la philosophie comme ontothéologie.
28:12Voilà.
28:13Heidegger va s'efforcer de retrouver et de reformuler
28:19le sens de l'être à travers le sacré,
28:23à travers la sérénité,
28:25à laisser éclore le monde,
28:26pour revenir à la fusil, ce que vous citez à l'instant,
28:29et à travers cette figure énigmatique, poétique,
28:34analogique, qu'est le Goeffiert.
28:37Alors, le fameux quadriparti.
28:39On va en parler également,
28:40mais avant d'aborder ces questions-là,
28:43qui sont très importantes, évidemment,
28:45puisqu'elles signent l'appréhension heideggerienne du monde
28:50et d'un renouvellement possible de l'histoire de l'être,
28:55venons-en à un point-clé qui a déjà été évoqué,
28:59ne serait-ce qu'en sourdine,
29:01mais qui est décisif dans la pensée de Heidegger,
29:05qui sont les conséquences de cet oubli de l'être
29:08et donc de cette domination de l'étant des objets, des choses,
29:15et du fait également que le fameux Dasein,
29:18donc l'être-là,
29:19l'homme en tant qu'ouvert à l'être
29:21vient lui-même se transformer,
29:24se métamorphoser en objet.
29:26C'est le grand thème, entre autres,
29:28de l'arraisonnement du monde
29:30ou de la domination planétaire de la technique.
29:33Pourriez-vous l'expliciter l'un et l'autre, l'un ou l'autre ?
29:39Cette différence entre l'être et l'étant
29:41a emporté des conséquences dévastatrices pour notre monde
29:46et c'est ce qui fait d'ailleurs que la pensée de Heidegger
29:49est d'une acuité et d'une actualité considérable.
29:53Alors, pourriez-vous montrer en quoi cette pensée
29:57qui pourrait paraître et qui est très abstraite,
30:00en un sens en tout cas,
30:01qui est très profonde en tout cas,
30:03qui va vraiment au cœur du questionnement métaphysique,
30:07philosophique ou de la pensée, peu importe ici,
30:09pourriez-vous montrer en quoi cette pensée de Heidegger
30:13éclaire le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui ?
30:20Oui, un mot peut-être.
30:23Vous cherchiez tout à l'heure
30:26sur quel penseur ou philosophe il était appuyé,
30:29c'est Aristote quand même, il ne faut pas l'oublier,
30:31plus que Platon, c'est à mon avis Aristote
30:33et en particulier sur un concept à Aristotélicien qui est l'exis,
30:39et qui a été traduit par après par saint Thomas d'Aquin,
30:43par l'habitus, il ne faut pas oublier que le mot habitus
30:45qu'on attribue à certains
30:46vient essentiellement de la somme théologique de saint Thomas d'Aquin.
30:50Et l'exis, c'est ça, c'est ce rapport entre l'être et l'étant,
30:56d'une manière très précise,
30:57c'est-à-dire à l'opposé de ce qu'est le platonisme,
31:01quelque chose qui va unir les sens et l'esprit,
31:05donc la substance, je disais tout à l'heure, et l'actualisation.
31:08Voilà cette espèce de, non pas de dialectique,
31:11mais de dialogie de deux termes,
31:14et la pensée heideggerienne du Dasein,
31:17elle est exactement, et c'est ça sa phénoménologie, d'une certaine manière.
31:22Et n'oublions pas que cette phénoménologie qu'il doit,
31:25pour partie, pas que, mais aux serles,
31:28consiste véritablement à avoir cette espèce de retour en arrière,
31:32ce qui est originel, ce qui est, en quelque sorte,
31:35ce qui est, dans le sens du terme,
31:37le fondement de tout zusammensein, de tout l'être ensemble.
31:42Bon voilà, et c'est ce qui existe, je le rappelle,
31:44vous voyez, si on cherche quelle est la source essentielle de Heidegger, c'est ça,
31:53et par le biais, comme il était,
31:55on l'a dit, on ne l'a pas dit, on ne l'a pas dit assez,
31:57on ne le dit pas assez dans les analyses sur Heidegger,
32:00tout ce qu'il connaissait de la pensée médiévale, du scholastique.
32:08Et je rappelle pour mémoire que quand saint Thomas d'Aquin,
32:12justement, veut traduire cet exis,
32:16il dit, il n'y a rien dans l'intellect qui n'est d'abord été dans l'essence.
32:21La formule en latin,
32:22nihiles in intellectu, quo non fuit prius in sensu,
32:26il n'y a rien dans l'intellect qui n'est d'abord été dans l'essence,
32:28et c'est exactement ce que par après Heidegger va appeler le Dasein.
32:33Voilà, voilà mon sentiment.
32:34Oui, c'est une généalogie supplémentaire et un argument supplémentaire
32:38dans cette exploration de la pensée de Heidegger.
32:43En quoi cette pensée donc nous permet de penser,
32:47c'est le cas de le dire, le désastre, Baptiste Rappin ?
32:50Quel est-il, ce désastre ?
32:52Alors, l'histoire de la métaphysique par Heidegger
32:54est celle de l'oubli de la question de l'être.
32:56Elle est donc celle de l'exil, de l'errance.
32:59Et l'errance ne cesse de s'accentuer
33:01à mesure que l'histoire de la philosophie se développe
33:06et progresse, marche en avant.
33:10Et le dernier stade de cette histoire de l'être,
33:13c'est celui de la technique, avec un T majuscule.
33:18Et tout le monde connaît, je crois, ce terme quasiment intraduisible
33:23que Heidegger utilise, le Gestel.
33:26Donc vous avez donné la traduction à raisonnement,
33:30donc la capture du monde par la raison technique.
33:33Le fait de demander raison à, de faire rendre raison à.
33:38Rendre raison égorge à l'étant.
33:40Par exemple, prenons l'exemple heideggerien classique
33:44du dieu fleuve alderlinien, de Alderline,
33:48sur lequel on va mettre une centrale hydroélectrique
33:50pour lui faire rendre raison de son énergie, en quelque sorte.
33:54L'autre traduction est également intéressante,
33:56même si la proximité avec le terme allemand est moindre,
34:03c'est dispositif, parce que ça fait sonner la notion de disponibilité,
34:08c'est-à-dire de mettre le monde à notre disposition,
34:11de le rendre disponible.
34:13Et c'est là que j'introduirais quand même une nuance, Rémi,
34:17c'est que le monde du Gestel, de la pénétralisation,
34:19n'est plus le monde des objets.
34:21Le monde des objets, c'était le monde de la modernité,
34:24car était objet le monde pour un sujet,
34:26et pour la représentation d'un sujet, le Gestel est le monde des flux.
34:30Justement, toute la robustesse de l'étang s'évanouit dans une fluidité
34:34et une circulation générale.
34:37On passe d'une soviédification du monde moderne
34:39à une liquéfaction, en quelque sorte.
34:41Exactement, ce qui annonce le grand thème de la post-modernité,
34:44de la vie liquide, etc.
34:48Et même l'homme devient pièce d'un stock appelée à remplir telle ou telle fonction
34:57au sein de cette méga-machine planétaire.
35:01Mais on pourrait dire que pour Heidegger, il faut endurer cette errance.
35:07Ça, c'est un terme qu'il utilise beaucoup, l'endurance, endurer.
35:11Endurer cette errance, cet exil.
35:17Ce déracinement aussi.
35:19Alors oui, il parle même d'éracination,
35:21c'est la traduction qui est donnée dans les traitants, l'éracination.
35:26Parce que c'est en endurant l'exil, comme Ulysse,
35:29qu'on peut éventuellement retrouver le sol natal, itaque.
35:34Et Heidegger, et ça peut nous introduire à cette partie de votre réflexion,
35:43Heidegger envisage ce possible retour vers le sol natal,
35:51se situe-t-il dans une perspective exclusivement tragique,
35:54pourrait-on dire, par rapport au temps qui est le nôtre,
35:59ou bien voit-il se déployer une éclaircie, entre guillemets,
36:05un horizon dans l'histoire de l'être,
36:09puisque c'est l'être qui dispose, en quelque sorte,
36:12contre et avec le dispositif lui-même dont vous avez parlé.
36:18Perspective tragique, donc, ou bien horizon.
36:22Je pense à la fameuse phrase testamentaire de Heidegger
36:27à l'entretien du Spiegel,
36:30qui a été donc publiée de manière posthume après la mort de Heidegger.
36:36Heidegger est mort en 1976.
36:38« Seul un Dieu peut encore nous sauver ».
36:41Y a-t-il quelque chose qui sauve chez Heidegger ?
36:45Il a pris la mesure du désastre,
36:48il a pris la mesure du ravage, de la dévastation,
36:51la mesure métaphysique, la mesure de fond.
36:55Est-ce qu'il y a dans sa pensée une issue ?
37:00Qu'attend-il de l'être ?
37:04– Vaste question.
37:05– Vaste question.
37:06Est-ce qu'il y a une ouverture de la pensée de Heidegger ?
37:09– Je pense que la pensée heideggerienne n'est pas du tout
37:11une pensée ni sinistrose, ni catastrophiste.
37:16Tout son travail, de mon point de vue,
37:21permet de comprendre que nous passons d'une conception dramatique,
37:25ça c'est la conception philosophique traditionnelle,
37:28drau, drameigne, il y a une solution,
37:30c'est là où fait bon Hegelienne, le dépassement, on va y arriver.
37:34– Les contradictions se résolvent.
37:35– Voilà, le non, thèse, antithèse, synthèse,
37:39cette perspective-là, a une conception tragique,
37:42qui fait une distinction entre le drame et le tragique.
37:45Il est important, le drame, je viens de le dire,
37:47il y a une solution, une résolution.
37:49Dragostre, c'est aporique, aporeigne, il n'y a pas de solution.
37:53– Sans issue.
37:54– Mais en même temps, il y a toujours de la jubilation
37:56quand il n'y a pas de solution.
37:58Voilà, c'est ça qu'il faut avoir à l'esprit tout de même.
38:00Et je pense qu'il y a dans la conception,
38:02pour moi c'est ce, pour tout vous avouer,
38:04qui m'aide à penser la post-modernité.
38:05– Mais oui, c'est un thème très important dans votre œuvre.
38:08– Et très précisément là-dessus,
38:09c'est-à-dire qu'on va rentrer de plus en plus
38:12dans un moment où il n'y a à la fois pas de solution,
38:14et je dis jubilation, on peut imposer le terme,
38:17enfin, pour moi, le jassagen, dire oui à la vie.
38:21– Logique de l'assentiment, diriez-vous.
38:22– L'assentiment, pour moi c'est mon assentiment
38:24qui traduit, non pas toujours dire non,
38:27c'est la perspective hegeliano-marxiste
38:29qui est dominante dans l'idéologie, en particulier en France,
38:33mais au contraire, c'est assentiment.
38:34Donc, dire oui tout de même à la vie.
38:36Et c'est ça le tragique heideggerien, fondamentalement.
38:39Et de mon point de vue, c'est ce qui fait de Heidegger,
38:42même s'il n'a jamais employé le terme que je vais dire,
38:46un vrai penseur de la post-modernité.
38:48En ce sens où, vous voyez, quelque chose de qui,
38:53revenons à cette idée fondamentale,
38:55chez lui, soumptôte, la finitude.
38:58– L'être pour la mort, il y a cet horizon de la mort.
39:00– Exactement, et cet être pour la mort
39:03est quelque chose qui fait que, d'une certaine manière,
39:05il y a une forme d'acceptation de ce qui est,
39:08et non pas de ce qui devrait être.
39:10N'oublions pas que ça, quoi qu'il soit critique vis-à-vis de Nietzsche,
39:14il le doit à Nietzsche, c'est un précédément,
39:15cette conception entre être et devoir être, etc.
39:19Voilà, donc de ce point de vue,
39:20moi je pense que, bien sûr, il montre ce qu'est la domination,
39:24l'homme être et possesseur de la nature.
39:26J'ai oublié le titre en français de son livre sur la dévastation.
39:30– La dévastation et l'attente.
39:31– Voilà, c'est ça, ce petit livre très très beau, d'une certaine manière,
39:35qui est un prémonitoire d'une vraie pensée,
39:38non pas écologique ou écologiste, qui sont des politiques,
39:43mais ce que j'appelle, moi, l'écosophie, d'une certaine manière.
39:45Là, il y a quelque chose qui trouve sa source
39:48dans cette idée, son analyse de la dévastation,
39:50et en même temps, puis-je le dire au travers d'une pensée un peu ésotérique,
39:55ordo ap cao, voilà, pour moi Heidegger c'est ça, ordo ap cao,
40:00c'est-à-dire qu'il y a un ordre à partir d'un caos
40:02qui est constitutif de certaines époques,
40:05nous sommes dans une de ces époques.
40:06– Une époque sombre et chaotique.
40:08– Oui, mais attention, oui, sombre, crépusculaire,
40:11mais chaque fois qu'il y a du caos, je viens de dire ordo ap cao,
40:15il y a un ordre à partir de ce caos qui va s'élaborer.
40:19– Très bien.
40:20– Je pense que, en tout cas, moi, c'est ainsi,
40:21je vous donne très simplement mon propos.
40:23– Oui, c'est bien l'intérêt.
40:25– Ce que j'ai lu d'Heidegger et ce que j'ai appliqué dans tout mon travail,
40:28c'est exactement ça, c'est-à-dire ce sens tragique de l'existence,
40:32le fait qu'il n'y a pas de solution, il n'y a pas de résolution,
40:35j'ai donné son concept essentiel qu'on utilise très peu en français,
40:40fervindo, reprise, distorsion, il ne faut pas oublier la troisième connotation,
40:46guérison, reprise, distorsion, guérison.
40:50En allemand, il y a trois significations de ce terme de fervindo.
40:54Voilà, donc, d'une certaine manière,
40:56c'est, oui, une forme d'assentiment de mon point de vue.
40:58– Nous aurions un Heidegger thérapeute, en quelque sorte, comme les…
41:01– Peut-être.
41:02– Oui, ça peut se comprendre.
41:05Vous avez évoqué précisément, j'y songeais,
41:06écoutant Michel Maffesoli à propos de l'ordre, donc du cosmos,
41:11cosmos comme ordre émoté,
41:13vous avez évoqué cette question cosmologique
41:16au début de votre intervention, Baptiste Rapin,
41:19vous avez évoqué également ce terme de Gewirt, de quadriparti,
41:25de cet agencement qu'Heidegger décrit,
41:28pourriez-vous nous en dire plus ?
41:29Je pensais à la notion de cosmos, donc, aux dieux,
41:32les dieux, chez Heidegger, ont joué un rôle considérable,
41:36de même, d'ailleurs, que les poètes,
41:38et les poètes des dieux, et en particulier Hölderlin,
41:42y a-t-il là aussi une éclaircie,
41:45pas au sens heideggerien, bien entendu,
41:46mais j'employais le terme de manière délibérée,
41:50donc au sens ordinaire,
41:52est-ce là une manière pour Heidegger de concevoir cet ordre
41:57à partir du chaos, au-delà du chaos,
41:59est-ce que c'est un retour à une vision cosmologique du monde ?
42:04Alors, je reprends votre question précédente,
42:06et je la complète avec ma réponse à celle-ci,
42:11c'est connu chez Platon et chez Aristote,
42:15l'élan qui donne naissance ou qui préside la philosophie,
42:18c'est l'étonnement devant le monde,
42:21et il me semble que le tragique de Heidegger
42:25tient à sa lucidité devant la situation de la société industrielle,
42:31parce qu'il va remplacer cet élan par l'étonnement,
42:34de l'émerveillement, par la frayeur,
42:37ça s'appelle le sursaut de frayeur,
42:39ou là aussi le sursaut de frayeur,
42:41en étant très fidèle à Nietzsche également de ce point de vue-là,
42:45dès les années 30, dans les essais qui ont été publiés de façon posthume
42:48et traduits très récemment en France.
42:51Donc, il y a un savoir tragique,
42:53qui est d'abord celui du lieu d'où le penseur doit s'élancer pour penser.
43:01Mais ceci étant dit, dans son retour au présocratique,
43:05je pense à un texte qui s'intitule « La parole d'Annaximandre ».
43:08Heidegger montre donc que l'histoire de l'être, nous l'avons dit,
43:13suit plusieurs époques,
43:14ou que l'être se donne successivement à travers plusieurs époques,
43:16ce serait mieux formulé,
43:18et celle de la planétarisation n'est que la quatrième,
43:21après la grecque, la chrétienne et la moderne,
43:24il y en a une cinquième, l'époque espériale.
43:28Oui, alors ça, il faut préciser, que signifie ce terme espérial ?
43:33En fait, là, j'utiliserais encore un terme nietzchéen, l'aurore.
43:39Oui.
43:39Ce serait l'aurore, la nouvelle aurore après la nuit du Göchten.
43:44Donc...
43:45De la raisonnement et du dispositif, donc.
43:47Et donc, cette aurore, il me semble que Heidegger, effectivement,
43:53la thématise dans cet ordre qui naît d'un chaos,
43:56« kaen » en grec, c'est le bâillement,
43:58et donc c'est le bâillement, l'ouverture primordiale...
44:00Oui, c'est l'abéance.
44:01L'abéance, voilà, l'abéance primordiale du monde,
44:04la bouche l'ombre, disait Victor Hugo,
44:07duquel surgit le monde organisé, effectivement, dans la tension des quatre.
44:11Alors, le « gefirt », c'est un peu intraduisible...
44:14Alors, qui sont ces quatre ?
44:15Alors, voilà, d'abord, pour nos auditeurs,
44:18dans « gefirt », on entend « firt », qui veut dire « quatre »,
44:21et le préfixe « ge- », qui, généralement, en allemand,
44:23indique un rassemblement, une unité ou une unification.
44:28Donc, l'unité des quatre.
44:30L'unité des quatre, ou « quadriparti »,
44:32comme on peut le traduire, ou « unicadrité », certains,
44:36mais c'est pas très joli en français.
44:39Et les quatre sont la Terre, le Ciel, les dieux et les hommes,
44:46en veillant à respecter cet ordre, de façon très précise,
44:49qui indique un chasme, c'est-à-dire qu'il y a un point de rassemblement
44:52au milieu de la croix, donc la Terre, le Ciel, les dieux, les mortels.
44:59Et, étrangement, et ça, je crois que c'est le coup de génie
45:04de Jean-François Matéi, dans son interprétation de la pensée d'Heidegger...
45:08Sur lequel vous avez... Enfin, auquel vous avez consacré un très beau livre, je le signerai.
45:12Ici, on voit l'IA également.
45:14On trouve cet agencement des quatre dans le Gorgias de Platon,
45:18dans la bouche de Socrate, quand Socrate reproche à Calicles
45:22d'avoir oublié l'égalité géométrique, donc l'analogie, la proportion,
45:27et notamment que le cosmos s'organise autour de la tension des quatre.
45:32Et donc, quelque part, Heidegger va essayer de retrouver,
45:35sous les temps, l'être, mais sans, me semble-t-il, biffer les temps, pour le dire ainsi.
45:43Donc, il recherche le sacré qui, finalement, donne à la raison son sens.
45:49– Et quel est-il précisément, ce sacré ? Donc, les dieux, le poème, la poésie.
45:55Heidegger est un grand lecteur de Hölderlin, de Trach, de Rilke,
45:58donc de la grande poésie allemande, notamment, mais pas seulement.
46:02Quelles sont les directions empruntées par ce sacré ?
46:05Parce que, outre ces lectures-là, il y a également la lecture de Maîtrecartes.
46:11Donc, il y a tout un arrière-fond de ce qu'on appelle la mystique Renan,
46:14qui a beaucoup compté pour Heidegger dans cette tradition germanique très profonde.
46:20Comment s'articule ce sens du sacré chez lui ?
46:26N'est-ce pas trop simpliste de qualifier ce sacré de manière unilatérale ?
46:34C'est-à-dire, en disant, c'est un sacré qui est nourri de telle tradition, nourri de telle autre.
46:40Il n'y a pas d'appartenance, en quelque sorte, si j'ose dire, confessionnelle,
46:46de définition confessionnelle de ce sacré.
46:50Quelle est sa nature ? De quoi se nourrit-il chez Heidegger ?
46:55– Il y a un mot qui l'emprunte d'ailleurs à Maîtrecartes, qui est la mystique Renan, c'est ganzheit.
47:04Alors, ganzheit, on n'a pas de mot en français pour traduire ça.
47:10Nos amis belges, qui ne sont pas très loin de l'Allemagne, ont appelé ça l'entièreté.
47:14L'entièreté de l'être. Et je pense que c'est cette idée-là.
47:17– La totalité ? – Oui, je ne sais pas.
47:19Il ne faut pas un truc trop fermé, disons.
47:22Moi, je préfère garder ce terme allemand ou, encore une fois, cette belgitude, entièreté.
47:28Mais il est un mot, un terme auquel on ne prête pas attention,
47:33qui est un terme qui l'inspire.
47:36Ce n'est pas l'unité, c'est-à-dire quelque chose qui est fermé, mais c'est l'unicité.
47:41Là encore, je répète, c'est la philosophie médiévale qui renvoie à cette unité.
47:45Non pas l'unité de Dieu, mais l'unicité de la déité, pour le dire simplement.
47:51Prenons un exemple très simple dans la tradition catholique qui est la nôtre,
47:56enfin, je veux dire, qui est une tradition qui n'est pas négligeable, etc.,
48:01qui est le ministère de la Trinité.
48:03Le ministère de la Trinité, il y a un dieu substantiel en trois personnes, c'est ça le ganzheit.
48:07Et moi, je pense qu'il y a chez Heidegger quelque chose de cet ordre.
48:10Un reliquat qui vient de fort loin, encore une fois,
48:13mais qui est cette unicité du mystère de la Trinité.
48:16Vous allez très loin, Michel Maffesoli, dans la lecture d'Heidegger, mais c'est intéressant.
48:21Je vais très loin, je me contente de regarder les textes d'Agnan, d'Amasakos,
48:25que je vous ai montré tout à l'heure, en fait, qui est très précisément là-dessus,
48:29où il montre, il s'inspire de la philosophie médiévale,
48:32et de toute façon, on ne le dit pas assez, Heidegger.
48:34Très précisément sur cette idée-là.
48:37Et rappelez-vous de cette belle phrase dans Chemin de campagne,
48:41quand il dit, le vieux maître Eckhart, qui nous est notre maître,
48:45qui nous a inspiré, très précisément sur le thème du ganzheit.
48:48Voilà un peu ce qui me paraît être important pour bien saisir, encore une fois,
48:53qu'il peut y avoir, je maintiens, je le dis depuis tout à l'heure,
48:56cette espèce de coïncidence avec des choses que la philosophie, par après, a séparé, a coupé.
49:02Voilà, et c'est ce principe de coupure qui n'est pas, de mon point de vue,
49:05une pensée heideggerienne.
49:09Je vais dire quelque chose, ça c'est mon hypothèse.
49:11– Oui, je vous en prie.
49:15– Sa pensée, que l'on dit énigmatique, est surtout une pensée apophatique.
49:20C'est-à-dire, qu'est-ce que c'est que l'apophasie ?
49:23– L'apophase.
49:24– Je ne parle pas direct, je ne dis pas ce qu'il est, mais ce qu'il n'est pas.
49:28Et sa pensée, pour moi, est apophatique.
49:30C'est-à-dire qu'on ne va pas préciser et conceptualiser ceci ou cela,
49:36mais dire ce que ce n'est pas.
49:38Et donc, le terme, de ce point de vue,
49:40si on prend cette expression qu'il a utilisée une ou deux fois,
49:44d'unicité, me paraît traduire, encore une fois,
49:46cette conjonction des choses opposées.
49:48– Vous êtes d'accord, Baptiste Trapin, avec cette lecture-là,
49:50ou bien considérez-vous que c'est une manière de rapporter à nouveau Heidegger
49:57au domaine de l'antothéologie ?
50:00– Sa pensée est si complexe qu'elle ouvre un tas d'interprétations.
50:03Vous avez compris cette phrase, seul un dieu peut nous sauver,
50:06donc on aurait bien du mal à la rendre une évoque, c'est impossible.
50:10– Tout à fait.
50:10– Mais il est certain que Heidegger est puisé chez Maître Eckhart,
50:16et notamment, il y a un deuxième terme qui est celui de Gelsenheit,
50:19c'est-à-dire la sérénité.
50:20– On va pouvoir peut-être terminer sur ce terme-là qui est très important.
50:23– Heidegger nous met en garde,
50:25contre l'activisme des temps modernes et du Göstel,
50:28il ne peut pas succomber à la tentation d'échafauder un plan d'action
50:33pour aller contre le mouvement de l'activisme.
50:36– Oui.
50:37– Donc il n'y a pas d'activisme contre l'activisme, c'est contradictoire,
50:41d'où cette recherche d'une sérénité,
50:44donc c'est le terme par lequel on traduit de façon générale Gelsenheit.
50:48– Parfois laissé-être également.
50:49– Voilà, j'allais dire qu'il y a moins la sérénité de l'âme, du penseur,
50:53qu'un laissé-être le monde, ou un laissé-éclore le monde,
50:58précisément dans l'unicité des quatre.
51:02– Oui, c'est une belle… Michel Maffez-Olive, vous vouliez rajouter quelque chose ?
51:05– Oui, je vais quand même rajouter, puisque on va arriver à sa fin juste,
51:09quelque chose qui, non pas résumérise notre débat,
51:12mais c'est la déconstruction qui me chagrine,
51:15puisqu'on a traduit ce mot de Orfbau par déconstruction,
51:20alors que chez Heidegger, maintenant on traduit par des obstructions.
51:25– Oui, oui.
51:27– Enfin, pas, on traduit, certains traduisent par des obstructions.
51:30Mais moi, j'ai eu une discussion, la seule que j'ai eue avec Derrida,
51:33c'est lui qui a créé ce terme, qui en était le protagoniste,
51:37ou en tout cas l'initiateur,
51:38et de mon point de vue, je le dis avec grande simplicité,
51:42pour moi Derrida, je n'apprécie pas son œuvre,
51:44mais reste quand même très obnubilé, qu'il le sache ou non,
51:49par une conception très marxienne, je ne dis pas marxiste.
51:52Donc du coup, l'idée de déconstruction renvoie encore une fois à cette idée,
51:56on va arriver à la société parfaite.
51:58Alors que la position heideggerienne est une position,
52:00on l'a dit depuis tout à l'heure, on tourne autour de ça,
52:02ce qui est l'origine, ce qui est d'une certaine manière la tradition.
52:05Et la désobstruction, c'est, oui, on va désobstruer le chemin,
52:09mais pour pouvoir, en quelque sorte, revenir à ce qui est originaire.
52:13Et d'une certaine manière, j'ai repéré ce matin Orfbau,
52:18on utilise les deux mots, Abbau ou Orfbau,
52:21qu'on a traduit par déconstruction, en fait c'est l'élargissement,
52:26c'est le discernement.
52:27Vous voyez, enfin on pourrait trouver des quantités d'expressions.
52:29Je trouve que c'est important, enfin en tout cas pour moi c'est important,
52:31parce que maintenant quand on dit déconstructivisme,
52:34on parle de la postmodernité et déconstructivisme,
52:36c'est-à-dire quelque chose qui va arriver à une société parfaite.
52:39Non, pour moi c'est toujours la tradition.
52:41– Nous essaierons d'aborder ces difficiles questions de la déconstruction,
52:46mais qui sont effectivement rappelées par tout ce qui vient d'être dit.
52:49En tout cas, gardons à l'esprit, puisqu'il fut beaucoup question de chemin,
52:52de chemin forestier, de chemin qui ne mène nulle part,
52:55de chemin de campagne, gardons à l'esprit
52:57qu'emprunter le chemin de l'œuvre de Heidegger,
53:00c'est sans doute pour aujourd'hui encore une manière d'emprunter
53:04le chemin de la pensée la plus actuelle,
53:07et la plus agissante, et la plus méditante également.
53:10Michel Maffezoli, Baptiste Rappin,
53:12merci beaucoup pour votre intervention et pour vos propos.
53:16Nous nous retrouvons donc très bientôt pour une prochaine émission
53:19« Des idées à l'endroit ».
53:19Merci à tous.
53:20Sous-titrage Société Radio-Canada

Recommandations