Avec Jeanne Bordeau, chroniqueuse
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NewsTranscription
00:04Bonjour Jeanne. Bonjour Laurence.
00:06Jeanne Bordeaux, linguiste et artiste.
00:08Alors, avec vous à chaque fois, bien sûr, on décrypte les mots de l'actu,
00:12mais alors là, ce matin, vous avez choisi de nous parler des verbes.
00:16Oui, c'est étonnant, n'est-ce pas, parce qu'on met tous les mots à la même hauteur,
00:20mais le verbe est le roi de cœur de la phrase.
00:22Le lion peut aimer la biche, mais le lion peut croquer la biche.
00:27Donc, on voit bien que le verbe dans la phrase, c'est le mot qui donne le sens.
00:31Qui plus est, il aide à conjuguer.
00:33Donc, il est à haute intensité parce qu'il nous permet de nous déplacer dans le temps.
00:37Oui, alors vous qui, forcément, analysez les mots,
00:41aussi bien dans les journaux que dans notre quotidien,
00:44c'était quoi les tendances des verbes des années précédentes,
00:46avant de parler de ceux d'aujourd'hui alors ?
00:48On en avait parlé en 23.
00:51Le verbe fétiche du public avait été sécurisé,
00:54ce qui est probablement une réaction à la peur, à l'ultra-violence qui est en croissance,
00:58et c'était vraiment un verbe inhabituel.
01:00Mais on l'a vu avec les jeux, il fallait tout sécuriser.
01:04Et la sécurité a été presque à un moment une obsession qui venait tamiser la joie qui commençait de naître.
01:11Donc, attention, ça devient assez obsessionnel.
01:14Les années qui précédaient, on a été davantage reliés au développement durable.
01:19Il y avait la sobriété, et avec la sobriété, comme mot, on a vu apparaître des verbes.
01:23On a vu apparaître des verbes comme réparer, réduire.
01:26Il fallait aussi réinventer, reconstruire.
01:29C'était un des verbes chouchous du président, vous avez raison de le faire remarquer.
01:33Et le redécouvrir, renouer, revaloriser, repenser, redresser.
01:38C'est comme si après les années Covid, il fallait tout revisiter, recommencer,
01:43et qu'il fallait redécoller.
01:45Celui-ci aussi, on l'a beaucoup entendu.
01:47Ça semble assez loin quand même, cette période-là du Covid.
01:50Oui, c'est clair.
01:51Alors, 2024, les verbes tendances ou pas, Jeanne Bordeaux ?
01:57Qu'est-ce qui se confirme ou pas ?
01:58Vous allez me dire oui quand je vais vous dire qu'on entend énormément le verbe galérer.
02:02Donc, ça a été un mot très fréquent.
02:04Ça veut dire quoi ? La vie est rude et on veut décélérer.
02:07Le temps s'accélère si cela est possible.
02:10Tout va trop vite et on sent vraiment qu'il y a un essoufflement.
02:14Donc, on n'est pas étonné d'avoir un préfixe comme le « de ».
02:18On doit diminuer, on doit décélérer et à tout moment, par exemple, décarboner.
02:24C'est un verbe qui ne cesse de grandir.
02:26Et tant mieux en termes d'importance face au dérèglement climatique.
02:29On doit se déconnecter parce qu'on sent qu'on n'a plus d'espace de cerveau disponible.
02:33Face à la violence, on doit dédiaboliser, on doit déradicaliser.
02:38Et effectivement, on voit le « de » cette fois a poussé le « r » et le « re » et domine la pollution,
02:44le trop-plein d'activités, le mal qui fait peur avec un terrorisme
02:48qui peut tuer régulièrement n'importe où, dans des gardes, sur des trottoirs.
02:52Il nous faut réfléchir, il nous faut nous poser, décompresser et défaire.
02:57Oui, c'est ça. Ce « de », ce « do » qui défait.
03:00Comment vous l'analysez ce phénomène-là, Jeanne ?
03:03Un peu comme on vient déjà de le dire, mais on va faire mieux.
03:06C'est-à-dire qu'on a des réels souhaits de changement de comportement.
03:09C'est ça. Et ce privatif, il correspond à une époque qui s'interroge intelligemment sur sa fuite en avant.
03:17C'est bien vrai que la vie est mouvement, qu'on doit avancer.
03:20Mais avancer jusqu'à ne plus pouvoir respirer et être essoufflé, tout est trop dense, aiguë, précipité.
03:27Et toute nuance, même dans le langage, on en parle souvent toutes les deux, semble avoir disparu.
03:32Les publics recherchent un équilibre des décisions.
03:36On sent bien qu'on va devoir se priver.
03:38On réfléchit à être sobre et on commence à réfléchir à nos attitudes étant mieux.
03:45Comme vous le dites, les verbes sont rois et signent l'évolution de la langue.
03:50Il y a des verbes qui se sont installés là, sans qu'on s'en aperçoive dans notre quotidien.
03:57Merci, c'est une question qu'on pose rarement.
04:00Effectivement, c'est intéressant pour nos oreilles.
04:03Parce que si je vous dis mobiliser, vous allez me dire, bien sûr, il n'a jamais été autant installé.
04:08Depuis le Covid, on ne veut plus être impliqué, on ne peut pas être touché, on ne peut pas être concerné.
04:13On est mobilisé.
04:14Et le substantif même, mobilisation, a complètement rythmé nos discours aussi.
04:19Il y a gérer qui est beaucoup plus vieux.
04:21C'est-à-dire que là, comme on parle d'ingouvernable et de gouverner, le mot gérer est remonté.
04:26Mais on gère les affaires de l'État, mais il sait comment diluer partout.
04:30Donc on gère ses enfants, on gère sa femme, on gère ses affaires courantes.
04:34C'est terrible.
04:35C'est un mot valide.
04:36Même les jeunes.
04:37Les jeunes, t'inquiète, je gère.
04:38Oui, c'est ça.
04:39Mais ça veut dire qu'on n'agit plus, qu'on ne prend plus en charge.
04:42On n'organise pas.
04:43C'est comptable.
04:44C'est comme si on n'avait pas de recul.
04:47Et ça renourrit cette sensation qu'on a dans tous ces mots qu'on déshabille toutes les deux.
04:53C'est l'urgence du court terme.
04:55On est sans vision.
04:58Il y a un dernier avec lequel je vais me réjouir.
05:01C'est impacter.
05:02C'est pareil.
05:03On n'est plus ému, remué, concerné.
05:05On est impacté.
05:06On n'est plus touché.
05:07On est impacté.
05:08Il a complètement remplacé le verbe toucher.
05:11Ça, je peux vous dire.
05:12Même en tant que journaliste, on l'utilise beaucoup, nous, impacté.
05:14C'est vrai qu'il n'y a pas d'émotion là-dedans.
05:17C'est froid.
05:18Est-ce que, Jeanne, pour terminer, il y a un verbe qui vous a un peu bluffé,
05:23qui vous avait trouvé original cette année ?
05:26Je vais utiliser tout mon espace disponible.
05:28Je vais vous dire qu'il y a évidemment une année électorale.
05:31On nous a beaucoup dit de voter, voter, voter.
05:33Et voter et lire ont été là parce que l'actualité les a poussés.
05:37Mais il y a un joli verbe quand même, j'aime bien, qui est toujours une pointe de douceur,
05:41qui est humanisé.
05:42Et dans la précarité, la difficulté que connaissent certaines personnes,
05:46s'installe ce verbe humanisé.
05:48Et je trouve que c'est pour le mieux.
05:50Enfin, enfin, le meilleur pour la fin, c'est le démacronisé.
05:55Alors, on va voir à l'automne comment on va démacroniser ou non.
06:00Et là, ce verbe, je crois qu'en ce moment, chacun peut lui donner son sens.
06:05Ça, c'est plus que sûr.
06:06On verra ça.
06:07Vous avez un verbe préféré, vous, ou pas, d'ailleurs ?
06:09Métamorphoser.
06:10Ah, c'est joli.
06:11Métamorphoser.
06:12J'y vois comme un papillon qui va éclore.
06:14Et ben voilà, on éclot tous.
06:16Vive les papillons.
06:17Merci beaucoup, Jeanne Bordeaux.
06:18À bientôt.
06:19Madame Langage réécoutée en podcast sur cidradio.fr.
06:22Et bien sûr, on se retrouve comme d'habitude le week-end prochain.
06:25Merci.