• il y a 3 mois
Les déconstructeurs sont à la mode. Avec le wokisme, ils sont sortis des sphères purement universitaires et imposent leur doxa : rien n'est stable et rien ne doit l'être. Tout doit être fluide et liquide. La grande liquidité de tout et de tous devient une grande liquidation. A l'origine du wokisme, il y a la déconstruction comme refus de toutes les transmissions, comme annulation de toutes les cultures, comme culte de la table rase. Derrida, Lévinas, Sartre ont chacun joué un rôle dans cette négation de la continuité de l'être. Ils ont été, chacun, des chefs d'orchestre d'un nihilisme déconstructeur. Il est temps de dire pourquoi et comment on peut penser autrement. Pierre Le Vigan, urbaniste de formation et diplômé en histoire et philosophie, présente son ouvrage "Les démons de la déconstruction".

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Transcription
00:00Bonjour à tous, bienvenue dans notre Zoom aujourd'hui en compagnie de Pierre Le Vigan.
00:11Bonjour Monsieur.
00:12Bonjour Pierre.
00:13Pierre Le Vigan est urbaniste de formation, il est diplômé en Histoire et en Philosophie
00:19et il publie l'ouvrage que voici Les démons de la déconstruction à retrouver sur la boutique de TV Liberté.
00:25Comme d'habitude, alors avec ce titre Pierre Le Vigan, les démons de la déconstruction,
00:31pourquoi est-ce que vous reliez cette idéologie de la déconstruction avec le monde spirituel ?
00:37Oui, les démons sont des intermédiaires entre le monde des hommes et le monde des dieux.
00:44Eh bien la déconstruction est l'ancêtre du wokisme, cette idéologie de vigilance extrême,
00:54pathologique vis-à-vis de toutes les différences, parce que les différences peuvent être hiérarchisantes,
01:01même si toutes ne le sont pas, et la déconstruction est aussi l'ancêtre de la cancel culture,
01:07c'est-à-dire la culture de l'annulation de toutes les transmissions, en fait de toutes les humanités.
01:13Donc en ce sens, la déconstruction n'est pas seulement une entreprise, entre guillemets, intellectuelle,
01:20de logique intellectuelle, c'est une entreprise vidant à évider notre monde de toute présence du sacré.
01:30Alors justement, cette déconstruction est à la mode avec ses filles, le wokisme et ce qui découle du wokisme,
01:39la cancel culture. Pourquoi vous dites au fond que cette déconstruction, cette idéologie ne reconnaît pas le réel ?
01:48Vous allez même plus loin en disant qu'elle est une expérience inédite d'ingénierie sociale.
01:54Oui, parce qu'en fait, il s'agit avec la déconstruction de nous faire croire que rien ne veut rien dire.
02:04La déconstruction a pu avoir un sens, entre guillemets, acceptable,
02:12notamment avec Heidegger quand il évoque dans Être et Temps la nécessité de réfléchir aux structures logiques,
02:25aux structures mentales dont nous avons hérité et que nous devons interroger pour savoir quel est leur sens caché, leur sens dissimulé.
02:35En d'autres termes, la déconstruction, selon Heidegger, c'est analyser les textes, analyser les discours pour bien comprendre ce que tel énoncé veut dire.
02:46Donc en fait, c'est tout simplement un équivalent de la rigueur intellectuelle.
02:50Mais la déconstruction, telle qu'elle s'est développée dans la foulée aussi de ce qu'on a pu appeler le post-modernisme ou la post-modernité, ça va bien au-delà.
03:02Ça vient à vider les mots de leur sens.
03:05Vous dites la nature est niée, tout est culturel, l'homme entièrement manipulable car au fond le réel est fasciste.
03:13Voilà, c'est ça l'idéologie de la déconstruction, c'est-à-dire qu'on considère que les normes doivent toutes disparaître,
03:22que les choses, les hommes, les animaux n'ont pas d'essence, d'essence stable, ce qui ne veut pas dire que cette stabilité évacuerait toute possibilité d'évolution,
03:34mais n'ont pas d'essence du tout, que les normes n'ont aucun sens, donc la norme de la déconstruction ça devient en fait le refus de toutes les normes.
03:43Est-ce qu'il n'y a pas un petit peu une crise d'adolescence, ce refus du réel, cette révolte contre le réel ?
03:49C'est une crise d'adolescence prolongée, incontestablement.
03:52Le principe de la déconstruction c'est que par exemple si je me sens un pélican, je vous demande de me parler comme un pélican et de me considérer comme pélican.
04:03Donc c'est à la fois une inflation délirante de l'ego, c'est un refus de tout partage d'un sens commun, c'est-à-dire qu'effectivement si je me sens un pélican et que vous vous sentez un canari contre toute évidence, nous sortons d'un sens commun partageable dans la société.
04:26Qui vous dit que je ne suis pas un canari ?
04:28Absolument, c'est ce que répondent les wokistes.
04:31Vous n'avez pas le droit, sous prétexte que j'ai un aspect, que je ressemble à un homme, un homme de type masculin, de me dénier la possibilité d'être un canari si mon ressenti est que je suis un canari.
04:46Donc on est dans effectivement la déconstruction de toute société.
04:51Alors Margaret Thatcher disait qu'il n'y a pas de société, au sens où il n'y a que des individus, et bien il se trouve que les wokistes, qui sont souvent d'ultra-gauche, disent au fond la même chose que les ultra-libéraux à la Thatcher.
05:03Alors justement, la déconstruction, vous dites qu'elle rejoint les intérêts d'un capitalisme qui doit se réinventer.
05:12En quoi alors le capitalisme se retrouve-t-il exactement dans cette déconstruction ?
05:19Alors nous sommes arrivés, depuis quelques décennies, et les choses s'accélèrent, à un capitalisme totalement déconnecté de toute activité productive, utile.
05:30Donc un capitalisme entièrement parasitaire.
05:34Or ce capitalisme entièrement parasitaire a besoin d'une malléabilité infinie de l'homme.
05:41Jérôme Fourquet a parlé d'étatto-consumérisme, c'est-à-dire qu'en fait, la religion de l'État, outre bien sûr le droit de l'homisme, c'est aussi la consommation.
05:52C'est un consumérisme d'État.
05:54Un consumérisme évidemment bas de gamme.
05:57Et de même, il faut que l'homme soit capable de se manger en quelque sorte lui-même, en changeant sa propre nature autant qu'il le désire.
06:08D'où le fait qu'effectivement, il y a le transgenrisme, il y a des changements de sexe remboursés par l'État, et mieux remboursés par exemple que les soins dentaires.
06:20Et donc effectivement, le capitalisme a besoin de cette idée que tout est culturel, et que donc que tout soit malléable.
06:28Ce qui d'ailleurs est une contradiction, parce que le culturel parfois est moins malléable même que le biologique.
06:35Puisqu'effectivement, le culturel renvoie à des décennies de choses qui ont été transmises de génération en génération.
06:43Donc l'idée que le culturel est forcément malléable est en fait largement faux.
06:47Il s'agit de domestiquer le peuple de sou, je dis de vous, parce que le mâle absolu pour un wokiste, c'est l'occidental mâle.
06:57Le mâle, c'est le mâle. M-A-L-E.
07:00À fortiori blanc, européen, etc.
07:03Effectivement, oui oui, il s'agit de provoquer une sorte de phénomène d'hypnose collective dans lequel rien ne serait évident.
07:13Macron avait dit, avait répondu à quelqu'un, votre erreur c'est de croire qu'un père c'est forcément un homme.
07:21Donc effectivement, on est dans une post-réalité.
07:30On réinvente tout.
07:32On réinvente tout, votre erreur c'est de croire que je ne suis pas un pélican sous prétexte que je ne ressemble pas à un pélican.
07:38Voilà, c'est-à-dire que toutes les évidences communes sont détruites.
07:42Ce qui veut dire aussi que tout entendement commun qui est nécessaire pour qu'une société fasse sens est supprimé.
07:50Et donc évidemment, avec la suppression de l'entendement commun, on entre aussi dans une période post-politique.
07:56Comment avoir un projet politique partagé au sein d'un peuple s'il n'y a plus d'entendement commun ?
08:04S'il n'y a plus le common sense, comme disaient les Anglais, et puis aussi la décence commune, la décence ordinaire dont parlait George Orwell.
08:13Alors le délire des wokistes va jusqu'à affirmer que leur idéologie en réalité n'existe pas.
08:22Le wokisme, pour un wokiste, ça n'existe pas.
08:25C'est quoi le but de cette manœuvre ?
08:27Alors c'est un peu comme la théorie du genre.
08:29Le meilleur moyen de ne pas être critiqué, c'est de dire non mais notre idéologie n'existe pas.
08:35Le wokisme c'est simplement refuser les discriminations.
08:39C'est simplement trouver normal qu'un handicapé ait accès à un cinéma, par exemple.
08:46Alors ça, tout le monde est d'accord, pour autant que les équipements physiques le permettent.
08:51Mais le wokisme, c'est pas du tout ça.
08:54C'est pas du tout faire en sorte que les personnes qui ont une difficulté, qu'on les aide à surmonter cette difficulté.
09:03Ça consiste pas à mettre des ascenseurs dans les musées.
09:08Ça va bien au-delà.
09:10Ça consiste à nier les essences.
09:12Ça consiste à tout mettre sur le même plan.
09:15Ce qui est une aberration.
09:18Donc ça consiste aussi à enlever le tragique du monde.
09:23Parce qu'en fait, quand on considère qu'il ne faut pas mettre à part les handicapés, on nie la réalité.
09:30On nie tout simplement qu'être handicapé, c'est une souffrance.
09:33En fait, on essaye d'enlever le tragique du monde.
09:36Or, en fait, le tragique, il existe.
09:39Les handicapés, malheureusement, souffrent de ce qui leur manque.
09:45Mais le wokisme consiste à nier, en disant qu'il n'y a pas de normes.
09:49Et que donc, c'est pas grave d'avoir perdu ses deux jambes.
09:52Qu'on va mettre des jambes artificielles qui permettent, au demeurant d'ailleurs, de courir, par exemple, plus vite, avec des prothèses, qu'un homme handicapé.
10:01Sauf que ce sont des prothèses.
10:03On met sur le même plan des choses qui ne peuvent pas, raisonnablement, être mises sur le même plan.
10:09Donc en fait, c'est une négation de la nature humaine.
10:11Et c'est aussi une négation du tragique de la nature humaine.
10:15Donc c'est une déchéance anthropologique, pour reprendre une expression qui avait été celle de Loïc Chéniaud.
10:22Oui, qu'on avait déjà reçue sur Politique et Économie.
10:25Et vous vous rappelez d'ailleurs, à ce titre, que c'est un mouvement purement bourgeois, le wokisme.
10:30Et qu'il n'y a pas de prolétariat wok.
10:33Et que c'est donc des petits bourgeois qui racialisent tout dans la société, plutôt que de voir les faits à l'aune du social.
10:42Absolument.
10:43Alors, l'un des intérêts du wokisme, du point de vue de la domination du capital, et de la section française de la SFIC,
10:52section française de l'international du capital, dont Macron est l'actuel fondé de pouvoir.
10:57Mais il y en aura d'autres.
11:00L'un des objectifs, c'est aussi de racialiser les questions sociales.
11:05C'est-à-dire de prétendre qu'à la limite, un charpentier blanc est moins proche de son collègue charpentier noir
11:14qu'un professeur d'université noire ne le serait proche du charpentier noir.
11:19Contre toute évidence, finalement.
11:21Parce que le partage d'un travail commun, à vrai dire, crée quand même un certain nombre de rapprochements.
11:26Donc cette racialisation, elle va avec l'immigration de masse, avec le mélangisme généralisé,
11:36consistant à considérer, là aussi, que les peuples n'ont pas d'essence,
11:42qu'ils ne sont pas porteurs d'une culture, de tradition,
11:47qui gagnerait à être associés chacun à un territoire spécifique.
11:52– Ça c'est du rousseauisme.
11:54– Un peuple, une terre.
11:56Mais le wokisme dit non, n'importe quel peuple sur n'importe quelle terre.
12:00– On déracine tout le monde.
12:03– Oui, alors Rousseau, pour le coup, était plutôt patriote et anticosmopolite.
12:07Il était contre le déracinement, pour le coup.
12:10– Alors avant de connaître son essor aux États-Unis,
12:13la déconstruction est bien née en France, avec le philosophe Jacques Derrida, entre autres.
12:21Quels sont, selon ce philosophe, les objectifs de la déconstruction ?
12:27– Oui, alors Jacques Derrida, qui est souvent assez lisible,
12:34en fait, produit une philosophie inspirée en quelque sorte de Heidegger,
12:41mais totalement tordue, c'est du Heidegger déformé.
12:45Et dans la pensée de Derrida, en fait, il n'y a ni place pour Dieu,
12:53ni place pour l'être, la pensée de l'être.
12:57Et donc c'est le stade ultime de la déconstruction.
13:02C'est pour ça que j'ai souhaité parler de Derrida.
13:05Et ensuite, j'ai remonté dans cet ouvrage sur des déconstructeurs
13:10beaucoup plus partiels, mais qui sont quand même des déconstructeurs.
13:13Donc, par exemple, j'ai parlé de Lévinas.
13:16Alors Lévinas ne se présente pas du tout comme un déconstructeur.
13:19Néanmoins, j'estime qu'il l'est.
13:21Parce que Lévinas, c'est en fait une pensée de Dieu,
13:24mais un Dieu qui exclut l'être,
13:26qui exclut toute continuité avec la pensée de l'être,
13:29et qui exclut totalement le sacré.
13:32La pensée de Lévinas, c'est une pensée qui ne fait aucune place
13:35au sacré dans le monde, ni même hors du monde,
13:38puisque Dieu n'a aucun rapport avec le sacré,
13:41contrairement à ce qui est, en bonne part, la tradition chrétienne.
13:45Et aussi la tradition de la religiosité païenne
13:49et du sacré dans les paganismes.
13:52Et puis j'ai commencé aussi par Sartre,
13:55parce que Sartre a commencé ce mauvais travail.
13:58– Alors justement, avant Cédrida et Lévinas,
14:01c'est le père de la déconstruction en substance,
14:04c'est ce que vous dites dans votre ouvrage Jean-Paul Sartre.
14:07Comment il a lancé l'idéologie déconstructrice ?
14:10– Alors avec ce qu'on a appelé l'existentialisme,
14:15qu'il a vulgarisé dans son petit ouvrage
14:18« L'existentialisme est un humanisme »,
14:21en fait, Sartre explique que l'homme est un être jeté dans le monde.
14:28C'est une idée qu'il a prise chez Heidegger.
14:31Sauf que, contrairement à Heidegger,
14:34pour Sartre, il est jeté à partir de rien,
14:37et non pas à partir d'un vécu, à partir d'un environnement,
14:42à partir d'un milieu culturel, il est jeté à partir de rien
14:46et donc peut aboutir, si j'ose dire, Dieu sait où.
14:51Donc l'idée de Sartre, c'est que c'est l'idée de négation
14:55de tout sacré dans le monde et c'est l'idée ultime
15:00que finalement l'homme doit se faire Dieu.
15:04Alors à la fois Sartre nie l'existence de Dieu,
15:07mais il considère qu'au final, puisque Dieu est mort,
15:11il reste à l'homme à se faire Dieu,
15:15mais à se faire Dieu non pas en visant le plus haut,
15:19mais en acceptant de se jeter, en quelque sorte,
15:22dans le monde au hasard, indépendamment
15:25de toute transmission, de toute communauté,
15:28puisque la seule communauté qu'envisage Sartre,
15:31c'est ce qu'il appelle le groupe en fusion.
15:33Alors le groupe en fusion, c'est la communauté hystérisée,
15:37par exemple, de certains concerts de rock,
15:40ou c'est la communauté de gens qui vont lapider
15:45une femme dans une fureur hystérique,
15:48ou un homme au demeurant.
15:50Si vous voulez, la communauté, c'est pas en fait
15:54une communauté de gens qui prennent conscience
15:57de ce qui les unit dans la durée.
15:59C'est une communauté, encore une fois, en fusion.
16:02Or la fusion, c'est un état transitoire
16:04et à certains égards, pathologique.
16:06C'est-à-dire que quand vous faites bouillir de l'eau
16:08dans une casserole, à un moment donné,
16:10il faut arrêter pour vous servir, que sais-je, une boisson.
16:13Si vous laissez l'eau bouillir indéfiniment,
16:16eh bien il n'y aura plus d'eau,
16:18puisque tout ce sera évaporé,
16:19et votre casserole va finir par se déformer.
16:21Donc l'apologie du groupe en fusion,
16:23c'est l'apologie d'un moment qui ne peut être que transitoire,
16:26et s'il n'est pas transitoire, il devient pathologique.
16:29C'est pas du tout la communauté,
16:31comme une communauté villageoise,
16:33qui comporte ses contradictions
16:35et qui s'élabore dans le temps,
16:38qui s'élabore dans la durée,
16:40avec des transmissions culturelles
16:42qui se reposent, qui se recoupent les uns les autres,
16:46un peu comme sur une toiture, par exemple,
16:49vous avez des tuiles qui se reposent l'une sur l'autre.
16:52Non, ça, ce travail qui s'élabore dans le temps
16:56n'intéresse pas Jean-Paul Sartre.
16:58– Il n'a jamais essayé de philosopher sur sa pathologie, Jean-Paul Sartre ?
17:01– Non, parce que…
17:02– Vous allez qu'il se touche, là, non ?
17:04– Oui, si j'ose dire, mais…
17:06Bon, Sartre, bien entendu,
17:09est en contradiction avec lui-même,
17:11parce qu'il parle beaucoup de l'engagement,
17:13mais au moment où les engagements
17:15pouvaient être des engagements à risque,
17:17c'est-à-dire, sous l'occupation,
17:19il s'est bien gardé de s'engager,
17:21ni dans un sens, ni dans l'autre.
17:23Donc, voilà, bien sûr,
17:25Sartre est un bourgeois mondain, avant tout.
17:29Il s'est beaucoup inspiré d'Heidegger,
17:31mais a déformé Heidegger,
17:33comme, dans un autre registre,
17:35les Vinas, voilà.
17:37– Alors, justement, Sartre, dans son discours,
17:40puisqu'il s'agissait d'un discours,
17:42à l'origine, l'existentialisme est un humanisme,
17:44il dit ceci,
17:45« Si j'ai supprimé Dieu le Père,
17:47il faut bien quelqu'un pour inventer les valeurs. »
17:49À qui pense-t-il, alors ?
17:51– Il pense à l'homme.
17:53Il pense à l'homme, comme créateur de valeurs…
17:57– Mais sur quelle morale ?
17:59– Eh bien, justement,
18:01une morale totalement autofondée…
18:04– Donc, on fait ce qu'on veut, on viole des gosses…
18:06– Totalement, une morale…
18:08– En 1970, en pleine puissance…
18:10– Une morale totalement transitoire,
18:12et qui n'est valable que pour un individu particulier.
18:16– D'accord.
18:17– Et du reste, je fais cette remarque dans l'ouvrage,
18:21c'est comment Sartre peut-il faire, en quelque sorte,
18:25l'apologie de l'épuration,
18:27au nom, finalement, de ce que la collaboration aurait été immorale,
18:32puisque lui-même considère que chaque cas doit être examiné
18:36au regard de la façon dont il était envisagé
18:40par la personne concernée.
18:42Donc, en quelque sorte, on ne pourrait pas condamner,
18:44globalement, une attitude politique,
18:46puisque chaque cas est particulier,
18:48puisque celui que l'on considère comme traître
18:50ne se considérait sans doute pas,
18:52à quelques exceptions près, lui-même comme traître.
18:56Donc, à partir de là, il invalide toute action collective,
19:01toute condamnation collective d'un acte,
19:04quel qu'il soit.
19:06Voilà, ça marche dans tous les sens.
19:08On ne pourrait pas condamner les collaborationnistes,
19:11on ne pourrait pas non plus condamner les porteurs de valise du FLN,
19:14puisqu'effectivement, ils estimaient peut-être
19:16être dans la justesse de leur cause,
19:20mais à ce moment-là, il faut que ça marche dans tous les cas de figure.
19:24Or, ce n'est pas du tout ce que dit Sartre,
19:26puisqu'il n'arrête pas de parler de salaud.
19:29Par exemple, il dit que tout anticommuniste est un chien.
19:32Là, on se dit qu'il est dans le jugement moral,
19:34et pourtant, il estime qu'il n'y a de morale
19:37que par rapport à celui qui produit l'acte,
19:40et qu'en même temps, on ne peut jamais se mettre
19:42à la place de celui qui produit l'acte.
19:44Conclusion, on ne peut jamais juger personne.
19:47Mais alors, pourquoi se permet-il de juger,
19:50à ce moment-là, de dire tout anticommuniste est un chien ?
19:53C'est un mondain, en tout cas.
19:56C'est un mondain, c'est un homme en pleine contradiction,
20:00c'est un homme qui joue.
20:01Mais alors, c'est très cohérent,
20:03puisque dans un ouvrage que lui avait opposé
20:08un intellectuel communiste, Henri Mougin, en 1946,
20:12quelques mois avant de mourir,
20:14cet intellectuel communiste disait,
20:16enfin, rappelait, source à l'appui, bien sûr,
20:19que Sartre fait l'apologie du jeu.
20:22Et il disait, et là, je dirais qu'on pourrait avoir
20:25un point commun avec ce que disait ce communiste à l'époque,
20:29eh bien non, ce communiste disait,
20:32non, la vie n'est pas un jeu.
20:34Dans la vie, il faut du sérieux.
20:36Et effectivement, là, pour le coup,
20:38nous n'avons absolument aucun besoin
20:40d'être marxiste ou communiste pour répondre à Sartre.
20:43Non, la vie n'est pas un jeu.
20:45La vie nécessite l'esprit de sérieux.
20:47Et si votre philosophie, vous la voyez comme un jeu,
20:50eh bien, votre philosophie n'est certainement pas la nôtre.
20:54Parce que la vie nécessite un certain esprit de sérieux.
20:58Alors, vous faites aussi d'Heidegger un ancêtre
21:01à sa façon de l'idéologie de la déconstruction.
21:04Quel a été son message ?
21:06Alors, Heidegger, ce qu'il explique,
21:09c'est qu'il faut déconstruire la métaphysique,
21:12c'est-à-dire les réponses à la question
21:16qu'est-ce que l'être, en quelque sorte,
21:19qui sont, sous le nom de métaphysique,
21:22la plupart du temps, des réponses trop simples.
21:24Par exemple, ce qu'explique Heidegger,
21:26c'est que les réponses en termes de valeurs,
21:29le bien, les droits de l'homme,
21:32bon, on n'en parlait pas beaucoup à l'époque d'Heidegger,
21:35mais c'était tout de même le début,
21:37même les valeurs telles que la volonté de puissance,
21:41ou encore Dieu,
21:43sont des réponses partielles, insatisfaisantes...
21:47Mais ça pense, donc, je suis.
21:49Il aurait été insatisfait, alors.
21:51Voilà, à la question du mystère de l'être,
21:54à la question qu'est-ce que l'être,
21:56il considère qu'il y a quelque chose
21:59auquel on ne pourra pas répondre,
22:01ni par la volonté de puissance Nietzschéenne,
22:04ni par la référence à Dieu,
22:08c'est-à-dire qu'il ne suffit pas de dire
22:10l'être, c'est Dieu.
22:11Pour Heidegger, ce n'est pas une réponse.
22:13Heidegger ne dit pas que Dieu n'existe pas,
22:17il ne dit pas non plus que Dieu existe,
22:19mais il dit qu'en tout cas,
22:21la question de Dieu se pose dans un entre-deux
22:24entre les choses qui existent,
22:26qu'Heidegger appelle les étangs,
22:28et le mystère de tout ce qui est dans le monde
22:32qui excède les étangs,
22:34qui excède les choses qui existent,
22:36et dans cet entre-deux,
22:37entre le mystère de tout ce qui est
22:39et les choses qui existent,
22:40que nous pouvons identifier,
22:42qui sont vous, qui sont moi,
22:43qui sont cette table,
22:44eh bien, il y a un entre-deux
22:46qui est l'espace du sacré,
22:47et dans cet espace du sacré
22:49se tient sans doute ce que l'on appelle Dieu,
22:51ce que les religieux,
22:53ce que les esprits religieux
22:55qui font une place au sacré appellent Dieu.
22:57C'est très différent de la position de Lévinas,
23:00puisque pour Lévinas,
23:01Dieu n'est pas dans l'espace
23:04entre les choses et l'être.
23:06Il est totalement hors de l'être,
23:08il est totalement hors du monde.
23:10Or, selon Heidegger,
23:12l'espace du sacré est donc le lieu de Dieu
23:15n'est pas hors du monde.
23:17Il est quelque part dans le monde,
23:21voilà, il est quelque part pensable
23:24dans ce monde.
23:26Pensable ne veut pas forcément dire
23:28connaissable, définissable,
23:30Dieu n'est pas forcément grand avec une barbe,
23:33Dieu n'est pas Charlemagne,
23:34on ne peut pas le décrire,
23:36plus faussement,
23:37puisque Charlemagne n'avait en fait pas de barbe.
23:39Mais Dieu est pensable dans ce monde,
23:42et à partir de ce monde,
23:43et à partir de l'homme
23:44qui est le berger de l'être,
23:46nous dit Heidegger.
23:48Le berger, c'est-à-dire celui
23:49qui doit prendre soin,
23:51ménager l'être,
23:53l'avoir sous sa garde,
23:55en quelque sorte.
23:56Et pour terminer, Pierre Levigland,
23:58vous dites qu'au fond,
23:59la déconstruction est faite
24:01pour les esprits faibles et fourbes.
24:03Est-ce que vous mettez
24:04tout ce dont on vient de parler
24:06dans cette appellation ?
24:08Non, la déconstruction, oui,
24:09j'ai, je crois, un chapitre
24:11sur la déconstruction
24:12et le désamour du monde.
24:14La déconstruction est faite
24:15pour les gens
24:17qui n'aiment pas vraiment le monde
24:20et qui parfois, d'ailleurs,
24:22se voulant d'ultra-gauche,
24:23voudraient, soi-disant,
24:25reconstruire un autre monde.
24:26Mais on ne peut pas
24:27construire un autre monde
24:28si on nie déjà
24:29la réalité de ce monde,
24:30si on dit que le réel est fasciste,
24:32le réel n'est pas réformable.
24:35Nous souhaitons, par exemple,
24:36une Europe plus forte,
24:37une Europe plus digne,
24:38une Europe plus haute,
24:39en quelque sorte.
24:40Mais à partir de là,
24:41nous ne crachons pas sur l'Europe
24:43telle que les siècles
24:44nous l'ont construite,
24:46nous l'ont produite.
24:47Et donc, effectivement,
24:48on ne peut pas vouloir
24:51améliorer le monde
24:53si on crache sur le monde.
24:55Or, la déconstruction consiste
24:56à cracher sur le monde.
24:57Ce qui amène à mon diagnostic,
25:01la déconstruction, finalement,
25:02est une forme du nihilisme
25:04qu'aussi bien Nietzsche
25:06que Heidegger,
25:07avec des approches
25:08un peu différentes,
25:09ont su critiquer
25:12et qui reste notre ennemi principal.
25:15Les démons de la déconstruction,
25:17c'est le titre de votre ouvrage
25:19d'Erida Levinas Sartre.
25:21Au-delà de la déconstruction,
25:23Heidegger à retrouver
25:25sur la boutique de TV Liberté.
25:27Merci à vous, Pierre Leving.
25:28Merci, Pierre.

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