La contractualisation : les conditions ne sont-elles pas réunies pour signer des contrats ?

  • il y a 3 mois
Congrès 2011 de la Confédération paysanne/Interview de Philippe Collin, porte-parole (1ère partie)

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Transcription
00:00M. Collin, merci de nous recevoir une semaine de votre congrès à Lille. Vous êtes porte-parole de la Confédération Paysanne, ce congrès électif va être l'occasion de renouveler l'équipe du syndicat.
00:17Je vous propose une interview en deux temps. Une partie sera filmée et enregistrée. Une autre partie, je vous invite à répondre par écrit à des questions qui s'inscrivent dans la suite des questions que je vais vous poser cet après-midi,
00:31qui vous permettront de développer certains sujets auprès de nos lecteurs pour les informer un petit peu des événements et de la stratégie de votre syndicat pour les 2-3 ans à venir.
00:42La première partie, la contratualisation, c'est le dernier événement d'actualité qui marque surtout les producteurs de lait et au mois de mars, c'était les producteurs de fruits.
00:53En matière de production laitière, les contrat types ont été publiés par décret le 31 décembre. Le 1er avril, les industriels ont été dans l'obligation d'envoyer des propositions de contrat.
01:08Ils sont arrivés en principe chez les éleveurs. Un médiateur a été nommé pour pallier au dysfonctionnement du dispositif et pour éviter des abus.
01:18Est-ce que toutes les conditions sont réunies pour signer des contrats et se lancer dans la contratualisation ?
01:24D'abord, bonjour. Non, les conditions aujourd'hui ne sont pas requises pour signer les contrats.
01:33Ce que la Confédération paysanne craignait depuis le début de la discussion sur la modernisation de l'agriculture se concrétise.
01:42C'est-à-dire qu'aujourd'hui, les contrats ne peuvent pas être une garantie pour les paysans de voir leurs intérêts défendus puisque les contrats sont imposés par l'élettrie, par individu.
01:54C'est-à-dire qu'il n'y a pas eu ce que nous avions espéré, la possibilité que les paysans se groupent pour discuter collectivement vis-à-vis de leurs acheteurs des contrats,
02:06et que le ministre, dans sa précipitation, a mis, comme on le dit dans le langage agricole, la charrue devant les bœufs,
02:13puisqu'aujourd'hui, il a mis l'élettrie dans le droit d'imposer les contrats qu'il veut aux producteurs de lait.
02:20Parmi les éléments les plus contestables, c'est l'interdiction du droit de manifestation qui devient une clause de résolution des contrats.
02:29Donc le médiateur, dans ce cadre-là, ne pourra pas faire grand-chose, aussi longtemps qu'on n'a pas inversé.
02:35Et ce qui est dommage dans cette histoire, c'est que ça avait fait partie des souhaits énoncés par le ministre lui-même,
02:43les rapports de force entre les producteurs et les industries agroalimentaires.
02:48Donc aujourd'hui, les contrats ne sont pas satisfaisants du tout, dans les conditions dans lesquelles ils ont été rédigés.
02:55Le chenot manquant sont les organisations de producteurs.
02:59Alors, quel type d'organisation ? Quel type de regroupement ?
03:02Aujourd'hui, ce à quoi on risque d'assister, c'est toujours la même chose.
03:07Ce sont des organisations de producteurs qui viennent d'en haut, créées par les industriels eux-mêmes.
03:13C'est-à-dire qu'ils vont avoir, ça existe déjà, et aujourd'hui on n'a pas un cadre qui nous permet de grouper plus largement les producteurs,
03:21pour qu'ils puissent réellement peser, inverser ce rapport de force asymétrique,
03:26entre une multitude de producteurs qui pèsent individuellement peu, et un acheteur qui pour eux est essentiel.
03:32Et c'est d'autant plus crucial dans la production laitière,
03:36où on ne va pas tous les matins choisir un acheteur différent, en fonction du contrat du plus offrant.
03:44Et quel accompagnement vous offrez aujourd'hui aux agriculteurs, pour éviter d'échapper moins seul ?
03:49Déjà de se regrouper, de faire vérifier les contrats qui sont proposés.
03:55Donc là on a regroupé un certain nombre de contrats qui ont été proposés, qui sont relativement semblables dans l'esprit.
04:02Les industriels laitiers visiblement se sont sans doute concertés, et rédigent des contrats qui sont assez convergents,
04:09qui sont à peu près tous le droit des industriels d'imposer ce qu'ils veulent, comme ils veulent, quand ils veulent aux producteurs.
04:17Et qu'attendez-vous dans l'immédiat, comme mesure du ministre, pour essayer d'arriver à certains abus ?
04:24Parce qu'il est peut-être soucieux d'assurer le service après-vente, ou de moins vous allez lui demander d'assurer le service après-vente.
04:30Oui, mais naturellement. Dans cette histoire, ce qui est quand même dommageable, c'est que le ministre,
04:34la situation qu'on connaît, ça fait plus d'un an qu'on lui en parle.
04:38Plus d'un an qu'il est totalement hostile, qu'il est sourd à ces remarques-là, en lui disant que les contrats ne seraient pas la solution.
04:44Il est obligé de le reconnaître maintenant. Il est obligé de monter, en première ligne,
04:48trois mois après avoir signé un arrêté, qu'il met en place ces contrats, pour dire
04:53« Ah, je vais être méchant avec les industriels, je vais leur taper sur les doigts ». Je crois que c'est les termes exacts qu'il a utilisés.
04:58Alors qu'il leur a donné justement la possibilité de pouvoir imposer les contrats tels que les industriels le voulaient.
05:04Donc le ministre a été fort peu prévenant, quand même, dans cette histoire.
05:08Et ce n'est pas les mises en garde qui ont manqué. Elles sont venues de différents horizons de l'agriculture.
05:13L'agriculture paysanne, évidemment, a fait partie de ceux qui ont mis en garde, de façon très forte,
05:19sur le fait que les contrats pouvaient être un piège pour les producteurs. Et c'est la situation dans laquelle on est.
05:23Donc aujourd'hui, le ministre peut éventuellement se montrer menaçant, mais en droit.
05:29Qu'est-ce qu'il peut faire, puisqu'il a signé un arrêté, à part de modifier son arrêté ?
05:33C'est tout ce qu'on peut lui demander, maintenant.
05:35Parce que le ministre donne comme argument que si on veut développer la contractualisation,
05:40chose par ailleurs que vous n'êtes pas forcément opposé, si vous êtes opposé, c'est le rapport de force.
05:46Il dit que c'est une façon aussi de porter la contractualisation en Europe.
05:49C'est-à-dire que s'il fallait attendre la fin de l'année, ce n'était pas possible d'attendre la fin de l'année
05:54et la modification du droit de la concurrence européenne pour pouvoir imposer la contractualisation,
06:00parce que la France n'aurait pas fait office de pont pour porter ce projet-là au niveau européen.
06:08Il fallait que la France donne l'exemple.
06:10Oui, mais je crois que la France donne un mauvais exemple, aujourd'hui, de ce que seront les contrats.
06:13C'est-à-dire que si le développement de la contractualisation ne succède pas à rien, il y a des contrats actuellement.
06:22Il y a des contrats tacites, il y a des contrats dont les jurisprudences ont établi les conditions
06:26dans lesquelles ces contrats pouvaient être rompus.
06:29Ces contrats, actuellement, sont des contrats qui sont largement aussi protecteurs que ceux que proposent les industriels.
06:36Au fil du temps, de la même manière que dans le domaine foncier, pas de bail, vaut bail,
06:41dans le domaine laitier, pas de contrat, vaut contrat.
06:44Et donc, le ministre, visiblement, a ignoré cet élément-là.
06:49Et les industriels, aujourd'hui, disent de toute façon, maintenant, nous sommes en droit,
06:54après avoir proposé les contrats aux producteurs, de ne plus être liés par le contrat antérieur.
07:01Puisque l'arrêté qui a été pris par le ministre rend caduque l'ancien système de jurisprudence en matière de production laitière
07:08où l'absence de contrat était reconnue comme un contrat, avec des modalités qui avaient été reconnues par les tribunaux de résiliation, par exemple.
07:18Et donc, là, maintenant, les industriels vont être dans une situation dans laquelle ils pourront imposer des contrats beaucoup plus contraignants.
07:26Puisque l'arrêté prévoit, par exemple, la séparation des volumes de livraison en période bien précise, ce qui n'existait pas auparavant.
07:35Et donc, les contrats, tels qu'ils sont rédigés actuellement, ne sont pas protecteurs.
07:41Et le ministre précarise la situation des éleveurs.
07:44Il les rend totalement dépendants du bon vouloir des lettriers, puisque le ministre n'a pas donné les moyens aux producteurs de se grouper
07:50pour pouvoir peser dans les négociations pour la rédaction des contrats.
07:54Ce qui peut sauver pendant un an ou deux, c'est peut-être le maintien des quotas, dans ce cas-là, quand même.
07:58C'est une alternative, le fait qu'on raisonne les contrats par rapport aux quotas.
08:02Oui, mais sauf que les contrats, aujourd'hui, sont placés dans le cadre du volume défini par le contrat.
08:08Rien n'interdit, aujourd'hui, l'arrêté-le-précis, que l'industriel dise « Moi, de toute façon, vous avez le droit, on va prendre ce chiffre, parce qu'il est simple, à 240 000 litres de lait par an.
08:17Donc, vous en produisez 20 000 tous les mois.
08:20Et puis, si vous dépassez ce volume ou si vous êtes très en dessous de ce volume mensuel, l'arrêté-le-précis, c'est moi, industriel, acheteur,
08:28qui fixerai dans les conditions dans lesquelles les litres de lait excédentaires ou les litres de lait manquants seront payés ou pas payés. »
08:36Et ça, c'est une nouveauté par rapport au régime actuel du quota laitier.
08:39De l'expérience que vous commencez à tirer de la contratuation laitière, et là, ça va être la fin de la première partie de l'interview filmée,
08:46quelles leçons tirez-vous pour la contratuation interfilière ?
08:51Les contrats-types vont arriver au début juillet et ça va être mis en place.
08:58Donc, est-ce qu'il y a une leçon que vous tirez ?
09:00Est-ce que vous dites « Monsieur le ministre, attention, ne recommettez pas certaines erreurs comme celle-ci ou celle-là ? »
09:06Je pense qu'on n'est pas dans un débat de même nature entre les contrats qui lient les industries agroalimentaires avec leurs fournisseurs,
09:14qui sont les paysans, et les contrats interfilières, où là, on ne sait pas bien, aujourd'hui, qui seront les acheteurs.
09:21Est-ce que ce seront les éleveurs qui seront les acheteurs ? Est-ce que c'est les céréaliers qui seront les vendeurs ? On ne sait pas.
09:27Actuellement, il y a un grand flou. Ce qui semble émerger des propositions, c'est que ce sont les organismes stockers qui seront les vendeurs.
09:34Le contrat de gré à gré entre un producteur et un acheteur n'est pas évoqué.
09:41Pourtant, ce serait une solution relativement simple. Il y a un éleveur qui est là, un céréalier qui est là,
09:46on peut trouver un circuit court, l'armoire qui se déplace entre les deux, livre le grain chez l'éleveur qui le transforme.
09:53On ne peut pas faire beaucoup plus simple, on ne peut pas faire beaucoup moins cher, et rien n'interdit de mettre en place des moyens
10:00qui permettent d'assurer le contrôle des marchandises, puisque de toute façon, il n'y aura pas d'avenir pour une production agricole
10:07sur laquelle on n'aurait pas une connaissance des marchandises qui sont produites, qui sont échangées.
10:11Je crois que c'est quelque chose qu'il faut garder à l'esprit. Même la vente interfilière doit se fixer comme objectif,
10:17de toute façon, même en circuit court, de garder une connaissance des productions, une connaissance des volumes qui sont échangés.
10:24C'est indispensable si on veut imaginer pouvoir continuer d'organiser les marchés agricoles.
10:28À vous écouter, les rapports de force entre vendeurs et acheteurs seront vraiment complètement différents,
10:34et à la rigueur, institueront peut-être ou développeront des pratiques qui existent déjà en partie.
10:42Alors qui existent en partie, et puis j'ai l'impression là encore qu'on a confondu un raisonnement sur le long terme
10:49avec une réponse à une situation conjoncturelle qui est précise, qui est un élevage qui globalement va très mal,
10:56une situation des éleveurs qui est catastrophique, les éleveurs de bovins bien sûr, mais les éleveurs de porcs également,
11:02avec un secteur céréalier qui va très bien.
11:07Du coup la question se pose aujourd'hui, imaginons, on n'est jamais à l'abri d'une bonne...
11:13Est-ce qu'il y a 250 euros la tonne, on contre-actualise...
11:16Est-ce que vous pensez sérieusement qu'aujourd'hui...
11:18Si il n'y a pas de garantie, voilà.
11:20Est-ce que vous pensez sérieusement aujourd'hui que les éleveurs sont prêts à se jeter pieds et poings liés,
11:25de façon contractuelle et durable avec des fournisseurs, vu le prix aujourd'hui des céréales ?
11:32Personne ne va discuter, ne va s'engager sur 5 ans avec des marchés qui sont aussi volatiles,
11:37qui passent de 1 à 2 et de 2 à 0,8 en l'espace de 6 mois ou d'un an.
11:43Donc ça n'a pas de sens, si ce n'est d'asservir, là encore, ou de lier des éleveurs à des fournisseurs,
11:52que serait le secteur céréalier, qui cherchent aujourd'hui une clientèle captive.
11:55Ça c'est quand même quelque chose qu'il faut avoir à l'esprit.
11:59La première partie de l'interview de Philippe Collin est terminée.
12:02Retrouvez tout de suite la deuxième et la troisième,
12:05qui traitent successivement de la place et du rôle de la Confédération paysanne et de son rapport d'orientation.
12:11En complément, retrouvez également à l'écrit les positions du syndicat sur l'avenir de la PAC,
12:16la régulation de la production agricole et le G20.

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