Les Khazakh les héritiers de Genghis Khan

  • il y a 2 mois
Vivant en hautes montagnes dans des conditions climatiques extrêmes, entre la Mongolie et la Russie, les Khazakh sont un peuple ancien de la République de l'Altaï. Isolés au milieu des steppes, leur vie est rude et n'a rien de commun avec la nôtre. Nous partons à la découverte d'un peuple qui a su conserver ses valeurs ancestrales.
Transcript
00:00Les montagnes alentours culminent à plus de 3500 mètres, et pourtant le paysage est
00:15d'une aridité extrême. Dès que le vent se lève, le froid est insoutenable.
00:19Cette nuit, la température est descendue au-dessous des moins 30 degrés centigrade,
00:30mais Ralaam a enfourché sa moto pour faire sa tournée habituelle. Faire de la moto à
00:3552 ans par un temps pareil ? Dès que l'on dépasse les 30 km heure, la peau gèle à
00:40se fendre.
00:41Ralaam a l'habitude. Depuis 10 ans, il parcourt la campagne pour un institut de lutte contre
00:50la rage, un mâle qui ronge la province sans que l'on puisse le maîtriser. Alors, il
00:55se bat, avec de petits moyens. Pourtant, sa passion pour la chasse pourrait bien faire
01:00de Ralaam lui-même un propagateur de la rage.
01:02A 1300 km à l'ouest d'Ulaanbaatar, la capitale mongole, la province de Rovd, une
01:17enclave de 70 000 habitants, en majorité des Kazakhs devenus citoyens mongols et des
01:22héritiers de Gengis Khan par les hasards de l'histoire. Rovd est à quelques kilomètres
01:27seulement du Kazakhstan. Entre les deux nationalités, le cœur des Kazakhs balance
01:31encore. Rovd, la plus grande ville de la province, vit au rythme trop tranquille de ses 35 000
01:46habitants. Comme tous les matins en hiver, Rovd est noyé sous un brouillard melé à
01:51la poussière de charbon de la centrale thermique. Voici deux ans, une panne importante avait
02:02endommagé les installations. L'électricité a été coupée, manque de pièces détachées,
02:08manque de budget aussi, car la municipalité était si endettée que le courant n'a été
02:13complètement rétabli qu'un an et demi plus tard. Les ouvrages laissés par les soviétiques
02:18après leur retrait en 1990 ne suffisent plus pour faire vivre la communauté. Ils
02:23n'ont d'ailleurs jamais suffi. Des bâtiments construits à la hâte, voire bâclés dans
02:28le plus pur style du réalisme communiste, on se demande s'ils ont jamais été neufs.
02:49Un monde de survie s'est déployé autour de la ville. Les plus démunis n'ont pas le choix,
02:54ils se blottissent encore sous le feutre de la yourte traditionnelle.
03:00Cette nuit, la centrale a déversé tant de poussière qu'il faut balayer le toit de
03:05sa yourte si l'on veut lui garder un aspect décent et ne pas risquer la silicose.
03:19Le laboratoire où travaille Ralin met modeste. Une quinzaine de personnes en tout sont chargées
03:30du traitement et de l'information sur les méfaits de la rage. Les affiches sont conçues ici et
03:40fabriquées à l'unité pour être placardées dans la ville. Elles expliquent la maladie et la
03:45propagation de la rage. Trois animaux en sont responsables, les chiens bien sûr mais aussi les
03:51marmottes et les renards. Un animal est absent de la liste et des affiches. L'aigle est pourtant
03:56un vecteur non négligeable car il se nourrit de rongeurs mais aussi de petits quadrupèdes.
04:01D'autres affiches mettent enfin en garde les chasseurs et même les automobilistes
04:08pour les inciter à se faire vacciner gratuitement.
04:16Pour donner encore plus de sérieux à son action, l'institut a pris la peine de placarder
04:20des portraits de tous les chercheurs qui ont oeuvré à l'éradication de la maladie.
04:34Lorsque Ralin trouve un animal suspect, vivant ou mort, ou une personne qui pense avoir été
04:39contaminée, des prélèvements sont effectués et injectés à des souris. Cette partie du
04:45laboratoire n'est pas sans risque pour les opérateurs. Plusieurs cas douteux ont été
04:50repérés dans les environs. Ralin attend le diagnostic pour un ami qui a été mordu. De
04:56la survie de ces souris dépendra le verdict. Malheureusement, depuis quelques mois, les
05:01souris meurent souvent dans ces petites boîtes en fer.
05:10Le week-end approche et Ralin cherche des amis pour aller à la chasse, sa véritable passion.
05:18Rasnaï est un vieil ami et un fin chasseur. Il accepte volontiers de passer le week-end au
05:25grand air comme il dit.
05:39L'approvisionnement de Rovd tient du miracle permanent. Le marché quotidien n'est que le
05:49reflet d'une débrouille collective organisée. La moindre pièce détachée est une aubaine. Pour
06:03preuve, les haut-parleurs débitent des petites annonces gratuites récapitulant les perles rares
06:08du jour. Ulaanbaatar est à plus de 1300 km. Cela signifie une semaine de transport. Le
06:20camionneur courageux qui parvient à Rovd n'aura aucun mal pour écouler sa marchandise,
06:24voire même pour vendre le conteneur qui deviendra mur de boutique en un clin d'œil.
06:38La bimblotterie « Made in China » rivalise de tape à l'œil avec la Kamlot rustique « Made in
06:50Russia » dans un océan d'inutilité. Il est bien difficile de trouver ici ce dont on a vraiment
06:56besoin. Le nécessaire se trouve dans l'un des cinq supermarchés. Des biscuits, des gâteaux,
07:10du pain, quelques produits sanitaires. Les bonbons ne sont pas un luxe, ils apportent
07:15de l'énergie. Pour le superflu, il vaut mieux espérer un arrivage de la capitale.
07:26La mairie fait l'objet des ambitions politiques locales. Plus qu'une ville,
07:34c'est une province qui se gère à partir de ses bureaux. Tout passe par la mairie,
07:38dont le rôle confine à celui d'une préfecture. Le maire et ses adjoints ont difficilement gagné
07:44les élections. Ils doivent maintenant faire face à l'endettement chronique de la ville avec les
07:48moyens du bord. Alors ils improvisent avec talent. Rovd ne capte pas la télévision nationale. Les
08:04habitants ne recevaient que des programmes débordants de publicité, où les spectacles
08:08de théâtre chinois rivalisent avec la toute nouvelle complaisance des télés russes pour
08:12les films et les grands shows américains. Alors, M. le maire a créé sa télévision locale pour
08:34diffuser des nouvelles, pour faire connaître les décisions du conseil municipal et, bien sûr,
08:39informer son électorat. Deux caméras amateurs, un petit banc de montage et un émetteur de faible
08:54puissance ont transformé la vie des habitants de la ville. Avec beaucoup de débrouillardise et de
09:01bonne volonté, le monteur, réalisateur, caméraman, son assistant et la secrétaire réussissent
09:07l'exploit de produire six heures de programmes par semaine. L'événement est bien sûr le journal
09:18télévisé réalisé en direct. L'information n'est pas le seul souci des élus. L'éducation est un
09:30problème majeur qui tarde à se résoudre. A l'époque de la présence soviétique, l'enseignement
09:37était obligatoire. Mais depuis 1990 et le départ de l'occupant, la Mongolie doit faire face aux
09:42dépenses d'éducation. Les budgets manquent, les écoles ferment les unes après les autres et
09:49l'absentéisme devient un lieu commun. Une révolution tranquille se développe dans l'enseignement. La
09:58réintroduction de l'écriture traditionnelle calca. Jusqu'en 1990, seule la transcription en
10:05cyrillique de la langue mongole était utilisée et autorisée. Trois heures par semaine sont
10:10réservées à ces disciplines quelque peu hermétiques. La génération des 15-20 ans n'a plus qu'à
10:22s'accommoder de trois alphabets en sachant écrire de haut en bas, de gauche à droite et de droite à
10:28gauche s'ils sont musulmans. Les enseignants réservent une partie des classes à des matières
10:35simples telles que des conseils d'hygiène et de propreté. Quant au vieux livre inspiré du
10:40communisme, ils servent davantage de décorations que de modèles à suivre.
10:53Les garçons sont les plus nombreux à déserter l'école. L'obligation de
10:59scolarité n'est plus vraiment vérifiable et les pères ont besoin de bras pour faire vivre la famille.
11:03Il ne serait pas surprenant qu'une partie de ces jeunes rêvant encore de la capitale reste
11:15à la campagne pour s'assurer un minimum vital fait de lait, de viande et d'une
11:19yourte plantée dans la banlieue. Pendant 70 ans, le communisme a tenté d'écraser tout désir
11:29d'identité dans le pays. Cazacs comme mongols ont subi un régime acharné à imposer son idéal.
11:39La majorité des mongols est de confession bouddhiste. Le communisme ne pouvait le tolérer.
11:44Les destructions de temples, les déportations de moines et les massacres des années 30 semblaient
11:51avoir eu raison de la foi d'un peuple. Il n'y avait presque plus de temples ni d'officiants.
11:56Et pourtant, dès 1991, le bouddhisme est réapparu. Les temples sont peu à peu reconstruits même s'ils
12:04semblent un peu vides. La majorité des habitants de la province sont des cazacs, de confession
12:12musulmane. Eux aussi ont souffert du communisme. Et aujourd'hui, les deux communautés vivent
12:17côte à côte, dans un respect mutuel, un exemple rare de tolérance.
12:21Ran a été maréchal ferrant toute sa vie. Il a fort à faire, car dans la province,
12:31il y a deux fois plus de chevaux que d'habitants. Ran fabrique tout lui-même. Les fers comme les
12:39clous sont façonnés dans du fer à béton ou à partir de n'importe quelle matière adaptée. La
12:44débrouille fait vivre sa famille depuis bien longtemps. Ran aussi est pris entre marteau et
12:53enclume. Trois de ses enfants vivent avec lui à Rov. Les deux autres ont émigré au Kazakhstan. Alors
13:00que faire? Rester en Mongolie ou rejoindre ceux qui ont trouvé du travail et un permis de séjour?
13:05Ralaam est venu donner un coup de main à Ran pour ferrer un cheval qu'il souhaite préparer pour la
13:24chasse. Dans tout le pays, le cheval est un mythe. Il existe 100 mots dans la langue pour désigner sa
13:31taille, sa robe ou son allure. Une question de passion. Le cheval local est petit et nerveux.
13:42Il conserve probablement des gènes de l'ancêtre des chevaux, le cheval de Préhavalsky disparu de
13:48la planète à l'état sauvage et que l'on envisage de réintroduire dans les steppes
13:52mongoles. Mais pour l'instant, le fier coursier est bel et bien ligoté.
13:56Ran fabrique ses fers en une seule pointure qui doit convenir à tous ses patients. La taille
14:09d'un sabot est, paraît-il, la même dans toute la région. Pas question non plus de pose à chaud.
14:15Le fer est placé à froid, au risque de laisser un espace entre fer et sabot.
14:19Les Kazakhs adorent les chevaux, mais ce n'est pas pour autant qu'ils les ménagent. C'est la
14:28tête en bas et les quatre fers en l'air que l'animal reçoit les accessoires nécessaires à
14:32son confort. En hiver, les chevaux marchent souvent sur la glace, alors Ran leur adapte
14:39des crampons. Ils laissent dépasser la tête des clous pour assurer une meilleure prise sur le sol.
14:44Et comme le sabot du cheval mongol est très aplati, Ran doit recourber les
14:49pointes le long du sabot. Autant dire que si le cheval trébuche, il risque de se blesser.
14:54L'animal est maintenant chaussé de neuf. L'opération a pris quelques minutes. Ran
15:05Lam ne déboursera que 10 francs français par fer.
15:0840 francs pour une demi-journée de travail. Une belle somme pour la région quand on sait
15:24qu'un mouton entier livré congelé par mère nature se négocie au même prix.
15:28Le revenu des familles suffit pour vivre modestement, mais dès qu'il s'agit d'acheter
15:39un véhicule ou de construire une maison, l'entreprise relève du défi. Ran Lam a un
15:44travail bien payé, mais il a dû attendre l'année dernière avant de pouvoir construire
15:48sa maison et quitter Sayour. Il a dû faire venir le bois de Sibérie, 10 000 francs,
15:54qu'il a faillu économiser sur un salaire unique de 500 francs par mois.
15:58La périphérie de Rovd se gonfle tous les mois de quelques habitants de plus. Aujourd'hui,
16:0450% de la population de la province vit en ville. Ici, chacun parle plus souvent de survie que d'avenir.
16:24A Rovd, la rivière Bouillante-Gaulle est large de plusieurs centaines de mètres. En été,
16:30elle est une aubaine pour les agriculteurs, mais d'octobre à fin mars, elle devient
16:35une désespérance glacée. Les enfants s'en accommodent plus facilement que les adultes.
16:54La couche de glace mesure plus de deux mètres. Les habitants se succèdent pour
17:05extraire des blocs que les gamins transportent jusqu'aux maisons, moyennant quelques centimes.
17:24Aujourd'hui, Ralaam, sa femme et leurs quatre enfants vivent
17:54dans trois pièces, vastes, bien isolées, échauffées par l'unique poêle à crotin
17:58et à charbon trônant dans la cuisine. Ralaam a passé deux heures à l'extérieur et il est gelé.
18:18Les Kazakhs ne semblent jamais s'arrêter de manger. Il faut avant tout engranger des
18:23calories pour se protéger du froid. Les menus ne changent guère d'un jour à l'autre. Le thé
18:30est servi au beurre rance et salé. Les beignets sont bourrés de sucre et s'il en manque un peu,
18:35un bol de kasana, du sucre roux, est à la portée de tous. Ralaam ajoute encore un peu de beurre dans
18:57son bol. Les invités font honneur aux tartines de pain beurré. Enfants comme adultes se gavent
19:03de bonbons. Et si d'aventure quelqu'un avait encore faim après le goûter,
19:08maman n'hésiterait pas à sortir un morceau de mouton bouilli.
19:11Ran est venu se réchauffer après le travail. On ne plaisante pas avec le froid en terre
19:29kazakh. Dans toutes les maisons, il y a une place à table et de la nourriture
19:33pour un ami ou un voyageur arrivant à l'improviste.
19:59Le dîner est servi. Ran est resté juste pour grignoter un morceau. En fait, il n'a pas
20:16arrêté de grignoter depuis la fin de l'après-midi. Au menu, pas de surprise,
20:21du mouton bouilli assorti de pommes de terre et d'oignons.
20:24Immanquablement, la conversation entre Ralaam et Ran tourne autour de la chasse. La chasse
20:35aux renards, leur spécialité. Ralaam raconte ses plus belles sorties et Ran se moque de ses
20:41exagérations. Ralaam lui demande s'il veut venir chasser. Ran refuse. Pourtant, il aurait bien
20:47aimé sortir sa fille, comme il dit, mais il a trop de travail.
20:50Le week-end est enfin arrivé. Ralaam et Rasnaï emmènent leur fille à la chasse. La protégée
21:12de Ralaam s'appelle Kak, un aigle femelle de 6 ans, pesant une douzaine de kilos. Excellente
21:17chasseuse, mais parfois un peu feignante, parait-il. L'aigle de Rasnaï s'appelle Kek,
21:27une jeune de 2 ans, qui apprend encore son métier, mais ne peut s'empêcher de crier.
21:32Les aigles de chasse sont gardés dans une cabane ou une yourte, au fond du jardin,
21:38dans le noir le plus complet, pour ne pas émousser leur regard. Le propriétaire les
21:43nourrit dans la pénombre et ne les sort que pour les dresser ou pour chasser.
21:46La chasse à l'aigle est une tradition plus que millénaire. Gengis Khan lui-même entretenait
22:00plus de 100 aigles pour ses chasses. Ralaam a capturé Kak dans son nid à la fin d'un été,
22:08alors qu'elle n'avait que quelques jours. Il l'a lavée plusieurs fois pour lui faire
22:13perdre ses repères. Puis il a commencé à vaincre sa résistance en lui masquant la vue
22:18et en la posant sur une pelote de laine pour qu'elle ne s'endorme pas. Ce traitement a duré
22:23deux semaines et l'aigle a commencé à comprendre qui était le maître.
22:26Pendant les mois qui suivent, le dresseur lâche le rapace vers des bouts de viande
22:39posés à quelques mètres, mais il le tient par une longe jusqu'à ce que l'aigle revienne de
22:43lui-même. Au bout de cinq ou six mois, l'aigle sait chasser, mais il ne sait pas encore bloquer
22:49la proie sans la dépecer. Si l'on demande à Rasnaï comment on peut dresser un animal sauvage,
23:19a fortiori un rapace, il répond avec philosophie que c'est comme élever un enfant. On lui donne
23:25le meilleur de soi-même. Après, il en fait ce qu'il veut, avec une part d'espoir et de désillusion.
23:31Les deux hommes parviennent sur un rocher surplombant la vallée.
23:48Ils frappent sur leur manteau pour débusquer un renard ou un lapin. Si l'aigle l'aperçoit,
23:54il n'a presque aucune chance de lui échapper. Mais Kek n'arrête pas de crier, les proies vont
24:00rester bien au chaud.
24:19Kek s'est immédiatement envolé pour prendre position sur une crête toute proche. Mais la
24:30vieille kak n'a pas l'air d'humeur à faire un effort ce matin.
24:48Chaque fois que l'aigle et le chasseur se font face,
24:50on se demande s'ils échangent des expressions de méfiance, de crainte ou de complicité.
25:10Finalement, Kek rejoint la jeune sur son perchoir.
25:13Les deux aigles sont ensemble, il vaut mieux les faire revenir, enfin essayer.
25:21Rasna est en un bout de viande qui fait merveille et Kek se décide la première.
25:34La récompense est immédiate. En trois coups de bec,
25:37Kek a déchiqueté une patte de lapin. Impressionnant.
25:41Ralaam a déjà élevé cinq aigles dans sa vie. Il les garde quatre ou cinq ans et leur rend
25:50toujours la liberté à un âge où ils peuvent encore se reproduire. Alors,
25:54il repart dans la montagne, trouve un autre aiglon et reprend les séances de dressage et d'entraînement.
26:00Les aigles de Ralaam ne sont jamais revenus, sauf un, tellement paresseux qu'il vient
26:13mendier un bout de viande les jours de famine.
26:30Les deux chasseurs savent bien que l'aigle participe à la propagation de la rage. Il
26:35suffit qu'il dévore un renard contaminé et le mal est fait. Ralaam rétorque qu'il apprend à ses aigles
26:42à capturer les proies, mais à ne pas les dépecer. Cela abîmerait les pots qu'il vend pour 8 ou 10
26:47dollars à un marchand de Rovd. Et puis, il fait toujours analyser la viande des renards qu'il
26:53capture. Enfin, pas aujourd'hui. Alors que les deux hommes redescendent vers la plaine,
27:14Kek ne veut peut-être pas rentrer et reste perché sur son promontoire.
27:18Rasnaï la laisse faire jusqu'à un certain point. Dès qu'il est à plus d'une centaine de mètres,
27:29il ne prend pas de risque. Il rappelle l'oiseau. Les jeunes sont trop désobéissants de nos jours.
27:44Aigles et chasseurs rentreront bredouilles ce soir. Tant pis. Demain,
27:59leur passion pour la chasse les entraînera vers d'autres collines.
28:14L'isolement dans lequel vivent les Kazakhs ailleurs qu'à Rovd permet à la population
28:28de conserver une partie du mode de vie qui a été le leur dans le passé. Une vie de nomade
28:33et d'éleveur. La plupart des familles vivent encore dans le respect des traditions. L'une
28:43de ces traditions va entraîner Ralaam dans une expérience étrange. Quelques jours après sa
28:54partie de chasse, Ralaam accompagne son frère dans une démarche peu commune. Son frère est
29:00veuve et veut se remarier. Une tradition kazakh veut que son frère enlève sa fiancée et que la
29:09négociation avec le père se fasse par un intermédiaire. Une simple formalité à laquelle
29:14Ralaam souscrit bien volontiers. Les deux musulmans ont loué une voiture. Le chauffeur
29:21qui est bouddhiste s'amuse déjà de l'aventure. Ralaam ne sait pas grand chose de la future
29:27épouse si ce n'est qu'elle plaît beaucoup à son frère et qu'elle a élevé ses jeunes frères et
29:31soeurs après la mort de la mère. Le futur beau-père voudrait émigrer en Kazakhstan mais
29:37la jeune femme préférait rester en Mongolie. Et le frère de Ralaam a une bonne situation, un robe.
29:56Environ 120 000 kazakhs vivent aux frontières du pays auquel ils ont donné leur nom, le
30:00Kazakhstan, qui est là, juste derrière ces montagnes. Le Kazakhstan fait l'objet de bien
30:06des questions, entre autres celles de l'immigration.
30:15Le Kazakhstan est un pays neuf qui vit des périodes troublées. Mais il y a du travail et des opportunités.
30:24Côté Mongolie, la vie est plus tranquille, le calme politique est revenu. Certaines familles
30:29émigrent mais elles doivent rester au moins cinq ans. D'autres sont revenus, parfois encore plus
30:35pauvres qu'à leur départ, et souvent dégoûtés par l'intolérance qui règne là-bas.
30:41Il y a plus de 300 kilomètres pour se rendre chez la promise, autant dire une très longue
30:46journée de route. La route est dangereuse aussi. Au sommet de chaque col se trouve un obu, un
30:52tumulus de pierre symbolisant le corps de Bouddha. Le obu protège les voyageurs. Malgré le vent et
30:59le froid, le chauffeur ne saurait passer près du obu sans faire l'offrande d'un peu d'encens
31:03et souscrire à une vieille tradition. Le bouddhiste et les deux musulmans ramassent
31:10donc des pierres et font ensemble le tour du obu en passant par la gauche pour se porter chance
31:16dans leur entreprise. L'un des aspects les plus étonnants du peuple mongol est sa tolérance envers
31:29toutes les religions et son attachement à des traditions qui ne sont parfois pas les siennes
31:33à l'origine. Peut-être un héritage de l'empereur Kublaï Khan qui accueillait à sa cour des savants
31:38et des sages de cultures radicalement différentes. Il leur faut encore traverser des rivières gelées
31:47sans trop savoir si la glace va tenir, franchir des cols par des pistes mal indiquées. La voiture
31:54est de plus en plus poussive et la nuit tombe si vite qu'ils auront du mal à atteindre la
31:58maison de la fiancée. La steppe a eu raison de la résistance des trois hommes, ils n'ont pu faire
32:24le chemin en une seule journée. Et la journée commence mal, la voiture est en panne. Heureusement
32:30qu'ils se sont arrêtés devant chaque obu, sinon qu'est-ce qui leur serait arrivé ?
32:34La réparation s'éternise, le frère de Halam est inquiet, il devrait déjà être chez sa
32:51bien-aimée. La steppe apprend à être patient mais il y a des limites. Il faut chercher pour
32:58trouver signe de vie dans la région, pourtant elle existe. Cette gamine garde son troupeau,
33:02elle a six ans, elle est partie à l'aube sans eau et sans nourriture. Elle ne rentrera chez
33:08elle qu'à la tombée du jour. Au détour d'un rocher, un petit campement de caravaniers. Deux
33:19familles vivent de la location d'une douzaine de chameaux. Les Kazakhs n'entravent jamais leurs
33:36chameaux. Comme un troupeau est capable de s'éloigner d'une vingtaine de kilomètres en
33:40une seule nuit, la seule chose à faire est de les garder à proximité des yourtes tout en
33:45leur permettant de se nourrir.
34:15Le campement dépend d'un petit village de la vallée et madame le maire doit régulièrement
34:19faire sa tournée. Elle ne chaume pas tellement ses administrés sont éloignés les uns des autres.
34:25Il lui faut parfois rouler deux jours entiers pour visiter trois ou quatre familles.
34:29Il n'y a pas de travail en hiver, les nomades attendent le printemps pour
34:44migrer et les négociants préfèrent voyager en été. Femmes et hommes tuent le temps en jouant
34:50à des jeux de cartes dont les règles défient parfois l'analyse. Madame le maire est leur
34:58seul lien réel avec l'extérieur et cela crée des obligations qui vont au delà de ses fonctions.
35:03Alors elle est aussi assistante sociale, médecin, un peu banquière et trésorier payeur.
35:38La tournée se poursuit à quelques kilomètres de là, derrière un long mur de pierres sèches,
36:02deux stèles gravées de caractère ancien indiquent que madame le maire n'entre pas
36:07chez une famille ordinaire. Elle rend visite à un homme respecté. Beaucoup de nomades
36:12viennent le consulter, il est l'un des derniers chamanes de la région. Cette province musulmane
36:19dans un pays à majorité bouddhiste fait encore une place au chamanisme. Tantôt exorciseur,
36:25tantôt médecin, le chaman exerce toujours une influence sur les populations locales car il est
36:31en relation avec des mondes inconnus pour soigner des maux mystérieux. Cela suffit pour affirmer
36:36son emprise sur une société rurale. Ce chaman dit prévoir l'avenir mais en des termes tellement
36:43incompréhensibles que sa femme doit les traduire aux visiteurs. Malgré sa tenue bariolée et le
36:51mystère de ses borborygmes, la crédibilité du personnage n'est pas évidente. Le bonhomme
36:57semble répéter devant son assistance une leçon mal apprise auprès d'un être peu scrupuleux.
37:06Une musique interprétée à la guimbarde, quelques agitations convulsives et une transe
37:15de complaisance suffisent pour assurer de son avenir prometteur une famille
37:19venue dépenser l'équivalent d'une semaine de revenus.
37:27Avec les années, madame le maire s'est habituée à gérer sa commune en tenant compte de toutes les
37:32diversités. Car la région est une terre de contraste, dans ce village il n'y a qu'une seule
37:51école, une école coranie. Un mola enseigne le coran à un petit groupe d'enfants qui ont fait
37:56la preuve de leur désir d'apprendre l'enseignement de Mahomet. Les autres enfants du village trouveront
38:01d'autres solutions pour s'instruire. Les gamins passent tour à tour devant le bureau du professeur,
38:14ils récitent des paragraphes du livre dont on espère qu'avec le temps ils comprendront
38:19enfin le sens riche et profond. Outre l'enseignement religieux, ces enfants suivent
38:38une initiation à la grammaire arabe classique, ils doivent donc acquérir la maîtrise d'un
38:42troisième style d'écriture, un défi lancé à la dyslexie.
39:00Juste devant l'école, une dizaine d'hommes à cheval se sont rassemblés,
39:03ils ont sorti les selles et les tenues d'apparat pour célébrer le début d'un mariage traditionnel.
39:13Le rite est immuable, il faut organiser un bouskashi, un sport millénaire venu des
39:18confins de l'Afghanistan. Un mouton décapité sert comme une sorte de ballon que les cavaliers se
39:23disputent pour l'emporter vers le but. Le but aujourd'hui c'est le domicile du marié.
39:28En temps normal, le bouskashi est un sport extrêmement violent, on ne compte pas les
39:38chutes ni les coups de cravache, mais cette fois, la bonne humeur est de rigueur.
40:00Ceci est de bon augure pour Alam et son frère,
40:02un mariage sur leur route ne peut que les encourager dans leur démarche.
40:09La vérité est tout autre, les deux frères sont enfin arrivés, mais la fiancée n'est pas là.
40:20Le père les a reçus très sèchement, il a même menacé de les chasser à coups de fusil.
40:26La mission de Alam s'annonce très délicate. Le père ne sait rien de cette histoire de
40:33mariage ou peut-être il ne veut rien entendre. La discussion s'éternise et la tension monte.
40:39Une heure plus tard, Alam et son frère ressortent très gênés, la situation est délicate. La jeune
40:48femme n'a jamais avoué à son père son envie de se marier et le père ne veut pas en entendre
40:52parler. Elle a trop de travail avec ses frères et soeurs, elle est partie à Bayanulgi, la ville
40:58voisine, il ne sait pas où elle est ou bien il ne veut pas le dire, l'impasse est totale. Et le
41:05père enfourche son vélo pour, dit-il, faire des courses, mais il part en direction du désert,
41:09les négociations sont rompues.
41:11Comment retrouver dans Bayanulgi, la capitale de la province voisine, une jeune femme cachée et
41:31probablement honteuse ? Une ville de 20 000 habitants, presque exclusivement kazakh mais
41:36par où commencer ? Le chauffeur bouddhiste, de plus en plus amusé par l'aventure, décide par
41:43souci de discrétion d'installer Alam et son frère dans le seul hôtel de la ville et il envoie des
41:49amis à lui chercher des informations sur la fugueuse.
42:06Les heures s'égrènent, le frère ne tient pas en place, peut-être pense-t-il à l'époque où il
42:15l'a rencontré ou peut-être que son mariage est fichu, toujours est-il qu'il grille une cigarette
42:21après l'autre. L'information arrive enfin, la fiancée s'est réfugiée chez un cousin dans les
42:45faubourgs de la ville. Ce faubourg manque un peu de charme, il est la dernière escale de ceux qui
42:52ont obtenu ou qui espèrent obtenir un permis de travail pour le Kazakhstan. En 1995, Bayanulgi
43:00abritait 29 000 habitants, depuis 9000 ont franchi la frontière. Presque toutes les yourtes sont
43:07remplacées par des maisons, les nostalgiques ont conservé sur leur toit le cercle central en bois
43:12de leur habitat traditionnel. Les deux frères retrouvent enfin la fiancée, la maison est
43:35proprette mais l'ambiance est morose, il est temps d'avoir une explication.
43:53Les deux fiancées se sont isolées, ils parlent à voix basse, elle est confuse et apporte enfin la
43:59nouvelle. Elle a discuté longuement avec son père au téléphone, il ne voulait pas entendre parler
44:06d'enlèvement et il veut respecter une autre vieille tradition kazakh, il offrira sa fille
44:12lui-même à l'occasion des fêtes de printemps. Les deux soupirants sont rassurés et heureux,
44:26même si la joie ne se lit pas sur leur visage. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes,
44:32il ne reste plus qu'à manger un morceau, se réchauffer et reprendre la route de Rov.
44:37Ralaam est heureux, malgré l'échec de sa négociation, son frère aura une épouse dans
44:53quelques semaines, s'il ne se passe pas autre chose entre temps. Maskant du mieux possible sa
45:03petite infirmité, la future mariée raccompagne le prétendant. Pas d'effusion, presque pas
45:09d'émotion dans leur attitude, rien de surprenant à cela, les kazakhs sont des gens discrets.
45:24Le mariage, le frère de Ralaam en rêve, la petite communauté du village est encore
45:42plus vide qu'à l'habitude, les habitants n'arrêtent pas de festoyer depuis leur dernier passage.
45:46Le mariage kazakh est surprenant, car il fait encore appel à des troubadours qui
45:54viennent chanter les louanges des époux. Improvisant sur des airs traditionnels,
45:59ils écrivent des paroles qui mettent les mariés en valeur.
46:16Une fois le compliment terminé, le troubadour a le privilège de dévoiler la mariée au regard
46:46des invités. Les mariés sont jeunes mais ce n'est pas leur premier mariage, en fait c'est
46:54le troisième, ils ne comptent pas s'arrêter là. En effet, la maison est trop petite pour
47:03accueillir tous les invités, alors la famille les reçoit par petits groupes et les mariés
47:08refont à chaque fois toute la cérémonie afin que personne ne soit privé de la joie de ses épousailles.
47:16Le groupe des femmes aussi a son troubadour,
47:28une femme professeur qui s'amuse sur un vieillère kazakh. Les paroles sont
47:39pleines de sous-entendus féminins qu'il n'est peut-être pas utile de traduire.
47:47Toutes les noces ont leur bout en train. Un petit malin a lancé un défi à un vieux du village. La
48:01soirée est déjà bien entamée mais la noce se retrouve à l'extérieur par un froid normalement
48:06sibérien, moins 30 degrés. L'alcool et l'équitation font souvent mauvais ménage. Avec difficulté,
48:14les opposants se sont tissés sur leur monture afin de disputer un bouskachi en nocturne. Quelqu'un
48:20leur a fait croire qu'en enlevant le mouton, ils gagneraient une récompense digne de la
48:24jartelle de la mariée. Il est tard et personne n'a dîné. Le maître de la cérémonie ne saurait
48:38présenter le repas sans le dédier et prier à Allah. La tête du mouton est le morceau servi aux
48:57invités de marque. La joue en particulier est réservée aux anciens. Le reste de l'animal
49:02ainsi que les kilos de friandises seront engloutis avant la fin de la nuit.
49:09Le repas et la noce se poursuivent dans une belle ambiance. Mais les jeunes
49:14mariés ne pourront pas s'éclipser. Demain, ils doivent encore se marier.
49:19Halam et son frère ont repris la piste de Khoft. 300 kilomètres pour réfléchir sur leurs
49:28mésaventures. La tradition a failli leur jouer un vilain tour. Mais cette tradition est bien
49:33présente. Le futur beau-père a trouvé une excuse pour ne pas perdre la face.
49:38Les jeunes mariés vont se remarier aujourd'hui et le chauffeur s'arrêtera toujours au prochain
49:43au bout. Halam retournera à la chasse à l'aigle même s'il lutte contre la rage. Son frère a
49:50déjà accepté l'idée de son mariage aux fêtes du printemps. Le maréchal Ferrand hésitera toute
49:55sa vie pour émigrer au Kazakhstan. Les Kazakhs de Mongolie regarderont longtemps de l'autre
50:00côté de la frontière. La tradition est parfois un peu pesante pour les Kazakhs. Mais leur force
50:07n'est-elle pas de savoir rester entre marteau et enclume ?

Recommandée