Le parti de la raison économique : antidote ou poison démocratique ? [Olivier Passet]

  • il y a 3 mois
Face à la montée des extrêmes, à la radicalisation des opinions, se dresse le parti de la raison, l’ensemble des mouvances politiques qui revendiquent leur subordination aux lois de l’économie et de la gestion érigées en science ; une rigueur qui se pose en antidote aux dérives démagogiques et populistes. Mais lorsque le rejet des partis dits modérés s’étend, ne faut-il pas aussi s’interroger sur l’acceptabilité politique du discours de la raison, voire la violence symbolique ou réelle qu’il véhicule ? [...]

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00:00Face à la montée des extrêmes, à la radicalisation des opinions, se dresse le parti de la raison, l'ensemble des mouvances politiques qui revendiquent leur subordination aux lois de l'économie et de la gestion érigées en science.
00:24Une rigueur qui se pose en antidote aux dérives démagogiques et populistes.
00:29Mais lorsque le rejet des partis dit modérés s'étend, ne faut-il pas aussi s'interroger sur l'acceptabilité politique du discours de la raison, voire la violence symbolique ou réelle qu'il véhicule ?
00:41Car au fond, que cautionne-t-on lorsque l'on place la pérennité, la stabilité, l'optimisation et la reproduction du système au cœur de sa démarche ?
00:52C'est le non-dit des corpus de connaissances autorisées qui se veulent adogmatiques, purement instrumentaux, considérant les institutions, les rapports de force qui traversent la société comme extérieurs à leur champ.
01:05Les sciences économiques ou de gestion, dans leur version orthodoxe, se rejoignent sur un point.
01:10La maximisation du profit ou de la valeur actionnariale qui gouverne les choix d'investissement, dans un cadre concurrentiel,
01:18n'ont d'autre vocation que d'instaurer une juste rémunération de tous les facteurs et d'accroître l'efficacité d'ensemble du système productif, pour majorer le gâteau à partager, au bénéfice de tous.
01:32C'est là où le marché est défaillant, l'État supplé, par une intervention correctrice sociale ou environnementale notamment.
01:41Mais derrière ce propos raisonnable, comment se résolvent concrètement les rapports de force qui se nouent entre les différentes parties prenantes, et notamment entre détenteurs du capital et du travail ?
01:54Au sommet de la chaîne de commandement économique, ce sont aujourd'hui les fonds de gestion d'actifs ultra concentrés, les grands fonds d'investissement, les banques d'affaires qui règnent en maître.
02:06Sur les choix d'investissement, la performance exigée du capital, la configuration de nos usages et l'avenir de la planète.
02:14Des fonds qui négligent le bien commun pour être avant tout l'échantre de la market value et engranger des plus-values immédiates.
02:23Avec pour mission prioritaire d'enrichir les détenteurs de gros patrimoines financiers, autrement dit, une infime portion de la société.
02:33Sous leur égide, l'entreprise est instrumentée, abordée comme un portefeuille d'actifs que l'on vend à la découpe.
02:40Sous leur égide et au profit de la rente, le contrôle se concentre, produisant des mastodontes au pouvoir de marché et d'acquisition exorbitants.
02:50Sous leur égide, les entreprises cibles deviennent des terrains de jeu pour faire du levier, surchargeant leur bilan de dette au bénéfice des détenteurs de fonds propres.
02:59Sous leur égide, le rachat d'actions est encouragé pour doper les cours, au détriment de la croissance organique.
03:07Sous leur égide, enfin, les talents se picorent, faisant quelques heureux gagnants à la loterie du capital investissement.
03:13Acheter et revendre des parts d'entreprise, comme on vend et revend des appartements, c'est devenu le cœur de métier de cette finance patrimoniale,
03:22qui oublie au passage que derrière l'immatérialité des transactions financières, il y a des organisations humaines, des traumas à chaque changement de contrôle,
03:32une pression sur la performance, tout cela au bénéfice d'un tout petit nombre et au détriment d'un développement harmonieux et soutenable des entreprises, des territoires et des hommes.
03:45Et c'est le grand non-dit des sciences de gestion de fournir une caution à ce jeu à la violence larvée.
03:51Sacrant un déséquilibre de plus en plus poussé dans le rapport de force entre le capital et le travail, et surtout entre le capital financier et le capital réel.
04:04Au service de ce projet, il y a ensuite toutes les professions managériales et de conseil qui disposent d'un pouvoir de prescription sur l'entreprise,
04:13moulé au même corpus de connaissances raisonnables dans des filières d'élite.
04:18Ces sous-officiers de la financiarisation forment un club policé, une bureaucratie d'entreprise reliée par des connivences de réseau,
04:26qui s'étoffe toujours plus, s'enfle de métiers à l'utilité sociale contestable, se pervertissant en bullshit jobs.
04:35Là règne la solidarité de corps, une grande mensuétude à l'égard de sa propre performance peu objectivable,
04:43et la mise sous pression et sous surveillance des autres métiers subordonnés,
04:48d'autant plus violente qu'elle s'opère dans la méconnaissance intime de ces métiers.
04:53Au service de ce projet, il y a enfin les États et les banques centrales, qui deviennent les serviteurs dociles de ce grand jeu de levier.
05:01Se détournant de leur mission première, régalienne, sociale, infrastructurelle, pour protéger la rente,
05:09renflouer le système à chaque crise, éradiquer le risque en organisant des transferts toujours plus pléthoriques sur les agents privés,
05:17délestant les détenteurs du capital de leur responsabilité en matière de valorisation du travail.
05:24Tout cela adossé à une dette surdimensionnée, que seule l'action arbitraire des banques centrales rend soutenable.
05:31Et puis il y a les autres, salariés peu ou moyennement qualifiés, les invisibles ou les métiers de moins en moins valorisés aux fonctions sociales vitales,
05:41les TPE, PME, les entrepreneurs, etc.
05:44Cette multitude qui se laisse de plus en plus tenter par les discours de la rupture.
05:50Les dérives oligarchiques du capitalisme n'ont rien de nouveau, avec pour premier effet dominer la démocratie.
05:57Lutter contre les extrêmes, c'est d'abord cela, prendre conscience de la violence du logiciel, de ceux qui prétendent jouer au centre du jeu,
06:06et dont la raison flirte aussi avec la déraison.

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