Le déclin est-il un drame ? [Pierre-Yves Gomez]

  • il y a 4 mois
Xerfi Canal a reçu Pierre-Yves Gomez, professeur émérite à emlyon business school, Institut Français du Gouvernement des Entreprises, pour parler du lien entre déclin et transformation. Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

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Transcription
00:00Bonjour Pierre-Yves Gomez.
00:10Bonjour Jean-Philippe.
00:11Pierre-Yves Gomez, professeur émérite, donc vous prenez votre retraite.
00:14Voilà.
00:15Incroyable.
00:16Pierre-Yves Gomez prend sa retraite, mais on se doute que ça va être une retraite
00:19très active.
00:20Le Mion Business School, fondateur de l'Institut français de gouvernement des entreprises.
00:24J'ai envie de dire avant que le gouvernement des entreprises ne fasse la une, comme il
00:28a fait la une depuis le début des années 2000, quand même, gouvernance d'entreprise.
00:33Pierre-Yves Gomez, pour vous on ne peut pas penser la transformation, cette fameuse transformation
00:38qui est dans toutes les têtes, sans penser le déclin ? En fait, on ne veut pas penser
00:42le déclin ?
00:43Tout à fait, c'est exactement ça, on ne veut pas, ou on ne peut pas, on ne supporte
00:49pas de penser le déclin.
00:50Alors pourquoi d'abord le déclin, c'est un sujet intéressant.
00:57Depuis que je suis amené à réfléchir et à travailler sur les organisations, j'entends
01:02parler de changement, de transformation, là je vous parle des années 70, fin des années
01:0770.
01:08Depuis, le thème constant, c'est le changement.
01:11Le changement c'est maintenant, l'ère du changement.
01:13Changement, change management, c'est tout ce qu'on a pu raconter depuis cette époque
01:16sur le changement.
01:17L'obsession des gens.
01:18Voilà.
01:19Une sorte d'obsession et d'une dynamique qui passe par le changement permanent et accéléré
01:24depuis les dernières années.
01:25Très bien.
01:26Mais pour comprendre le changement, il est important aussi de savoir ce qu'on abandonne.
01:31Et ça, c'est pour moi la partie toujours oubliée de ces analyses.
01:35Elles sont très progressistes, au sens, le changement c'est toujours le progrès, c'est
01:40toujours un plus, c'est toujours une amélioration.
01:44Et ce qu'on abandonne, ma foi, c'est l'écriture de l'histoire, c'est le story, mais on avance.
01:51Et on se pose très rarement la question, jamais je crois, du déclin, c'est-à-dire
01:56du fait qu'il y a des choses qu'on abandonne et qu'on ne voulait pas abandonner.
01:59Et qu'une société comme une organisation est amenée, quand elle change, à perdre
02:10peut-être une partie d'elle-même qui était bien, qui était bonne, qui était partie
02:17des valeurs qu'elle voulait défendre et dont il faut constater le déclin.
02:22C'est pour ça que j'aime le mot déclin, parce qu'il nous interpelle, tu disais tout
02:28à l'heure qu'on n'ose pas, on n'aime pas, on se refuse à penser le déclin, parce
02:34que c'est une réticence morale et presque magique.
02:39Penser le déclin, c'est être absorbé par la question, mais au fond, quand on change,
02:45est-ce que c'est si bien que ça ?
02:47Est-ce qu'il n'y a pas des choses qu'on abandonne et qui étaient bien ?
02:49Et je crois qu'il faut affronter cette question du déclin des sociétés, du déclin de l'Europe,
02:55du déclin de la France, du déclin d'une organisation, pas pour se faire mal ou pour
03:01être négatif, mais pour se dire, dans ce déclin, est-ce qu'il y a des choses à
03:05sauver ? Est-ce qu'il y a des choses à conserver malgré tout ? Et pas simplement
03:11être absorbé par une sorte de futur supposé apporteur de progrès, sans se poser cette
03:18question-là.
03:19Pour moi, c'est une question politique et presque anthropologique qui est très importante,
03:24très responsabilisante.
03:25Qu'est-ce que je suis prêt à accepter d'abandonner ? Et si ça décline, jusqu'où
03:29je suis prêt à combattre ce déclin ? Parce que ce déclin ne me va pas.
03:32Pour une entreprise, ça peut être certaines valeurs, une certaine sorte de relation, qui,
03:41confrontées à la modernité des relations et des valeurs, sont considérées comme obsolètes.
03:46Mais, ok, elles sont obsolètes, peut-être, mais ce déclin, est-ce qu'il est acceptable ?
03:50Alors, on se refuse au déclin parce qu'on va condamner ceux qui parlent du clétin au
03:57déclin de déclinistes.
03:58C'est une sorte de maladie.
04:00On va voir le collapsologue.
04:02Le collapsologue, là, c'est carrément la rupture, mais les déclinistes, c'est des
04:05gens qui n'arrivent pas à penser le futur et son progrès.
04:09Non, non, non.
04:10C'est pour bien penser le progrès, je pense qu'il faut bien penser ce qui décline,
04:14comme a fait Montesquieu, par exemple, sur la décadence de l'Empire romain.
04:18Et au XVIIIe siècle, on a beaucoup pensé, d'ailleurs, la décadence de l'Empire romain
04:22pour comprendre ce que peut être le progrès.
04:24Je pense que c'est une vertu intellectuelle qu'il faudrait retrouver aujourd'hui.
04:29Maintenant qu'on a compris que le PIB ne faisait pas le bonheur, il est sans doute
04:33urgent de se demander si le déclin ne peut pas rendre un peu heureux, en tout cas, avec
04:38lucidité.
04:39Et finalement, ce n'est pas forcément un drame.
04:43Merci Pierre-Yves Gomez.

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