Jérôme, 58 ans, est un militant écologiste opposé au projet de l'autoroute A69 dans le Tarn. Le 25 avril, des gendarmes sont venus l'interpeller brutalement chez lui devant sa famille. Il a subi plusieurs fractures et un traumatisme crânien.
Category
🗞
NewsTranscription
00:00On est dans la répression, on n'a plus le droit de manifester.
00:04Les forces de l'ordre sont arrivées à 18h35
00:08et c'est là qu'ils m'ont chopé de suite, ils m'ont claqué au sol.
00:11Je ne suis plus dans la réalité, qu'est-ce qui se passe ?
00:14Ils rentrent comme ça, sans nous expliquer pourquoi.
00:18Trois fractures au visage, un traumatisme crânien,
00:22et un peu plus de toutes les contusions.
00:24J'avais l'impression qu'il s'était trompé
00:27et qu'ils étaient venus chercher un criminel, en fait.
00:33Dans cette vidéo, je vais vous raconter comment un couple,
00:36après avoir participé à une manifestation,
00:38a été traumatisé par une interpellation violente.
00:41Jérôme et Christelle sont deux militants de La Voix et Libre.
00:44C'est un collectif d'habitants du Tarn
00:46qui se bat contre le projet de construction de l'autoroute A69.
00:49L'A69, c'est un projet d'autoroute entre Castres et Toulouse.
00:52Une deux fois deux voies, privée, payante.
00:57Juste à côté de la nationale existante, en fait.
01:00Voilà l'aberration de ce projet.
01:02C'est une route en ligne droite,
01:04une autoroute à 17 euros à côté de l'aller-retour.
01:06Il y a des enquêtes qui l'ont démontré.
01:08C'est un projet, en fait, pour l'intérêt de quelques-uns.
01:13En gros, pour faire du fric, quoi.
01:15Quasiment dès le départ du démarrage du chantier,
01:20en fait, il a été question de l'abattage des arbres
01:23pour pouvoir construire cette autoroute.
01:26On est là face à des arbres qui ont...
01:29Ces flannes-là, ils ont au moins 200 ans.
01:32Abattre tout ça pour gagner 10 minutes,
01:34on ne voit pas l'intérêt, quoi.
01:35Ça fait, en gros, depuis bientôt 15 ans
01:38que je lutte contre ce projet écocide.
01:41Pour bloquer l'avancement du chantier,
01:42des militants se sont installés dans les arbres
01:45situés sur le tracé de la future autoroute.
01:47Ils se sont appelés les écureuils.
01:49Mais depuis plusieurs semaines,
01:50les forces de l'ordre multiplient les interventions
01:53pour tenter de les déloger.
01:54Le 29 février, un rapporteur de l'ONU
01:57a même demandé aux autorités françaises
01:59de prendre des mesures
02:00pour rassurer la protection des militants
02:02et permettre le ravitaillement des écureuils.
02:05Le lendemain, un groupe de citoyens
02:07apporte de l'eau et de la nourriture aux militants.
02:10Ce jour-là, en fait, on est venus de façon
02:12totalement détendue, comme chaque fois, pacifiste.
02:15Pas boire, pas manger !
02:18Notre seul objectif était de ravitailler les écureuils
02:22et de défendre ce bois.
02:25Légalement, nous, on doit aller les ravitailler.
02:29Ce qui serait bien, c'est de pouvoir y aller
02:31à quelques heures en bonne intelligence.
02:33Vous pouvez regarder ce qu'il y a dans les sacs.
02:34Je veux dire, il n'y a rien de...
02:35Il n'y a aucun souci.
02:36C'est simplement les ravitailler,
02:37donner à boire et à manger
02:38à des personnes qui en sont privées depuis 15 jours.
02:40Mais on a dû faire face
02:43à un déploiement démesuré des forces de l'ordre.
02:48Ils étaient armés.
02:50Et c'est surtout ce qui m'a vraiment surprise.
02:54Ce sont les blindés qui se trouvaient sur place.
02:57Ça a commencé un peu à se cristalliser.
03:01Au moment où nous, on a décidé d'avancer
03:03pour les ravitailler.
03:06On n'a pas le choix d'y aller,
03:07donc on va avancer de manière tout à fait...
03:11On n'est pas dans la confrontation.
03:12Moi, j'étais avec la pancarte, là,
03:14où il y a M. le Préfet,
03:16nos droits sont vos devoirs.
03:18Un moment, ça a commencé à bousculer aux forces de l'ordre.
03:21Je tamponne à peine un peu avec la pancarte.
03:25Et pour vous dire que c'est un grand violent,
03:28je m'excuse auprès du policier.
03:31On a le devoir d'y aller.
03:34Donc il y a eu des bousculades,
03:37ça a poussé un peu d'un côté.
03:40Avec deux, trois collègues,
03:42en fait, on a réussi à passer une fois,
03:49un peu comme un match de rugby,
03:50on a évité,
03:52mais on s'est fait refouler.
03:55Moi, je me suis fait refouler deux fois,
03:57pris par le call-back,
03:58et on m'a dit, rentre chez toi.
04:04Quand j'ai vu Jérôme au sol, par terre,
04:08on commence à s'inquiéter,
04:10à se dire, mais qu'est-ce qui va se passer ?
04:12Comment ça va évoluer ?
04:14Donc, il y a eu un moment de flottement
04:17où on est restés tous là,
04:19face aux forces de l'ordre,
04:20jusqu'à ce qu'on reçoive les grenades lacrymogènes.
04:26Et là où on s'est dit,
04:26ben non, là, ça devient trop dangereux.
04:29Il faut qu'on parte, il faut qu'on se protège.
04:32À ce moment-là, on a traversé le champ
04:34avec les personnes âgées.
04:36On s'est toutes donné la main.
04:38Les grenades traversaient la route,
04:42je crois que cette image,
04:43elle m'est restée longtemps en tête.
04:45Les cris des gens, le bruit,
04:47la fumée des lacrymos.
04:49Je pense qu'il a fallu quelques jours
04:51pour que je m'en remette un peu.
04:56Ce jour-là, il n'y a aucune arrestation.
04:59Mais le 25 avril,
05:00près de deux mois après la manifestation,
05:03on sonne chez Jérôme et Christelle.
05:05Il est 6h30 du matin.
05:07J'ai eu un moment d'inquiétude
05:08parce que c'est quand même pas habituel.
05:10J'ai eu peur qu'on nous annonce
05:12une mauvaise nouvelle.
05:13Et là, en fait, quand j'ai ouvert la porte,
05:16face à moi, il y avait deux gendarmes
05:19qui ont demandé à voir Jérôme.
05:23Donc, je suis allée le chercher.
05:26J'ai monté les escaliers.
05:28Et là, en fait, ils m'ont suivie,
05:30m'ont devancée et ils se sont retrouvés
05:33face à Jérôme qui venait de sortir
05:35de la chambre.
05:36Il n'était pas encore habillé.
05:39Et à partir de ce moment-là,
05:40tout est allé très vite.
05:42Ils sont directement montés sur moi.
05:44Ils ont dû m'annoncer un truc,
05:46mais franchement, je ne m'en souviens pas
05:48parce que c'était vraiment au réveil
05:50et j'étais tellement surpris du truc.
05:52Et c'est là, ils m'ont chopé de suite.
05:54Ils m'ont claqué au sol.
05:55J'étais tellement surpris du truc.
05:58Je n'ai pas eu le temps de me poser.
06:02C'est-à-dire que là, j'ai vu Jérôme
06:05plaqué au sol, les mains dans le dos,
06:08entouré de cinq à six gendarmes.
06:11Ils m'ont gros pète à l'épaule,
06:13gros pète aux genoux.
06:16Ils m'ont éclaté le genou et la tête.
06:21Je ne suis plus dans la réalité.
06:22Qu'est-ce qui se passe ?
06:24Ils rentrent comme ça,
06:26sans nous expliquer pourquoi.
06:28Ils le mettent au sol et je suis choquée.
06:31Et puis, c'est vrai que je n'arrêtais pas
06:34de leur dire, mais laissez-le au moins s'habiller.
06:37J'avais l'impression qu'ils s'étaient trompés
06:40et qu'ils étaient venus chercher un criminel.
06:42Je ne comprends pas ce qui s'est passé.
06:44C'est ensuite, une fois que j'ai été habillé,
06:47qu'ils m'ont descendu, j'avais le genou en vrac,
06:49je ne pouvais pas marcher.
06:50Je me suis assis sur la table,
06:52et c'est là qu'ils m'ont expliqué qu'ils me prenaient
06:55en garde à vue sur des faits qu'ils m'étaient reprochés
06:58pour la manifestation du 1er mars.
07:00Bien sûr, ils auraient pu m'envoyer une convocation.
07:02Je serais allé m'expliquer.
07:07Après, une fois que j'ai signé tout ce qu'ils voulaient,
07:12ils me menottent, ils fouillent ma voiture,
07:16et on part à Albi, à 40 km d'ici.
07:19Pendant le trajet, menotté dans le dos,
07:22j'hallucine, en plus j'ai la tête comme un panier.
07:28Je suis complètement perdu.
07:31Au moment où j'arrive au commissariat,
07:33ils m'amènent voir un médecin, un médecin policier.
07:36Il signe comme quoi je suis apte à subir une garde à vue.
07:39Je suis jugé en CRPC,
07:41c'est comparution de reconnaissance préalable de culpabilité.
07:45Pour bien comprendre, la CRPC,
07:47aussi appelée plaie des coupables,
07:49est une procédure où l'auteur de l'infraction
07:51reconnaît sa culpabilité.
07:53Ce qui permet au procureur de proposer une peine sans procès.
07:56La CRPC, c'est très expéditif,
07:59et qu'en fait, on vous menace en quelque sorte
08:04que si vous signez pas ça,
08:06vous risquez de prendre plus grave encore.
08:08Moi, j'étais dans un tel état qu'en fait,
08:10il ne me tardait qu'un truc, c'était de sortir de cet enfer.
08:13C'est ce qu'ils ont cherché,
08:16en me pétant dès le matin au réveil.
08:19Et donc, j'ai été jugé dans la journée,
08:21au tribunal, à 18h.
08:23Et je suis accusé de violence
08:25sur personne dépositaire de l'autorité publique.
08:28Ma peine, c'est 10 mois de prison
08:32et avec 24 mois de sursis prouvatoires.
08:34Du coup, je suis sorti suite à ça.
08:38Quand Jérôme est sorti,
08:41on ne l'a pas reconnu.
08:43Il avait le regard complètement ailleurs.
08:47Il était apeuré.
08:48Il avait la joue encore plus gonflée.
08:51Il était choqué.
08:53Et mon fils,
08:57plusieurs heures après, dans la soirée, m'a dit
09:00« Mais maman, je n'ai pas reconnu mon papa. »
09:03Parce qu'on ne l'avait jamais vu dans un tel état.
09:08Donc là, en fait, quand il sort,
09:11on part avec mes enfants,
09:12on prend la voiture
09:13et juste avant de rentrer dans la voiture,
09:15il se met à vomir.
09:17Et puis là, on décide vraiment d'un commun accord
09:20qu'il fallait que j'amène Jérôme à l'hôpital.
09:22Ils m'ont fait un IRM,
09:24ils m'ont détecté les trois fractures au visage,
09:28les traumatismes crâniens
09:30et après, toutes les contusions que j'avais.
09:34C'est la première fois que je vois mon compagnon dans cet état-là.
09:37C'est-à-dire qu'à 6h30,
09:41mon compagnon était en bonne santé.
09:45Et quand je le retrouve le soir,
09:47à la sortie du tribunal à 17h,
09:50il était traumatisé et blessé
09:54et abîmé, en fait.
09:56C'est...
09:58Je ne comprends pas, en fait.
10:01Je suis choquée et je ne comprends pas.
10:06Depuis le 25 avril,
10:08ça fait plus d'un mois,
10:11je suis en arrêt maladie.
10:13Maintenant, j'ai des montées d'angoisse.
10:15Maintenant, je fais des cauchemars la nuit.
10:17Moralement, ce n'est pas le top.
10:19Il a été broyé, en fait.
10:24Et je me dis que là, maintenant,
10:28ce qui est important, c'est de montrer qu'on est dignes,
10:32que nous, on est des gens,
10:34des citoyens comme les autres,
10:36des habitants du territoire qui
10:38veulent protéger leur environnement.
10:41Mais au-delà de ça, je me rends compte que
10:45c'est...
10:48C'est la défense de nos droits aussi.
10:50On est dans la répression, là.
10:52On n'est plus dans un état de droit.
10:54C'est important pour nos enfants,
10:56après avoir vécu quelque chose comme ça,
10:59de leur montrer que non, on ne se laisse pas faire
11:01parce que ce n'est pas normal.
11:02Donc l'objectif, c'est de faire en sorte que la vie,
11:05elle essaye de retrouver un peu son cours normal,
11:09mais ça va prendre du temps.
11:11Je pense que ça va prendre beaucoup de temps.
11:14À la suite de cette interpellation,
11:16Jérôme s'est fait opérer de ses fractures au visage.
11:18Il a fait appel de sa condamnation
11:20et il a aussi porté plainte contre X
11:22pour violences par personne dépositaire
11:24de l'autorité publique.
11:25J'ai contacté le parquet de Castres
11:27pour avoir plus d'informations,
11:28mais je n'ai pas eu de réponse.
11:32Merci d'avoir regardé cette vidéo.
11:33N'oubliez pas de vous abonner à Street Press
11:35pour ne pas louper les prochaines.
11:37À bientôt.