• il y a 6 mois


Retrouvez "Pascal Praud et vous" sur : http://www.europe1.fr/emissions/pascal-praud-et-vous

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Transcription
00:00 - Et alors quel souvenir à la très jeune enfant que vous étiez, huit ans et demi, de cette journée il y a 80 ans ?
00:07 - C'est une journée qui marque spécialement, parce que des autres jours, je m'en rappelle pas toujours, mais celui-là beaucoup,
00:15 ce que j'en ai...
00:18 c'était la... il y avait beaucoup de bruit, beaucoup beaucoup de bruit, et puis
00:24 tout ce monde, la famille et les voisins, qu'on était tous ensemble,
00:29 un peu dans la crainte qu'il nous tombe une bombe sur la tête, je pense, en même temps, et puis
00:36 la journée a passé très vite, parce qu'on attendait quand même que les
00:42 soldats...
00:44 on savait pas qui c'est qui venait, c'est les Canadiens qui nous ont délivrés.
00:49 - Mais vous habitiez dans une maison ?
00:52 - Oui.
00:53 - Donc vous étiez avec votre père, votre mère, et peut-être des frères et soeurs ?
00:57 - Oui, frères et soeurs, et puis des voisins qui étaient là, parce qu'ils s'étaient
01:01 joints à nous le matin de bonheur, parce qu'on parle quand ils ont entendu tous les bruits.
01:06 - Mais vous vous souvenez précisément lorsqu'il est 5h, 6h, parce que tout ça est loin...
01:12 - Oui, 6h du matin.
01:14 - Vous vous réveillez toute seule, ou c'est vos parents qui viennent ?
01:17 - Non, je me suis réveillée toute seule, dans la chambre,
01:21 et il y avait déjà du monde dans ma chambre, un peu surprise. Les portes et fenêtres étaient grandes, ouvertes, parce que
01:29 il y avait tellement de bruit, que ça vibrait par les canons, et
01:35 les carreaux vibraient, alors les parents avaient laissé les portes et les fenêtres ouvertes.
01:40 - Et à l'heure du déjeuner, je crois que vous avez rencontré un soldat canadien ?
01:45 - Oui,
01:46 oui vers midi, on était
01:49 dans la cour de la ferme, quand un soldat canadien est arrivé,
01:55 les manches remontées,
01:57 le casque avec un filet sur la tête, et il nous a dit "où sont les Allemands ?"
02:03 Il était très surpris de l'entendre parler français.
02:06 - Et pour vous, ces souvenirs sont intacts ?
02:10 - Ah oui,
02:12 ça a dû me marquer beaucoup.
02:14 - J'imagine, et puis à 8 ans et demi, on a encore une mémoire,
02:18 on se souvient bien, forcément, de ces très jeunes années.
02:22 Alors ce qui est intéressant dans ce que vous dites, dans ce petit village de béni sur mer, c'est que vous ne rencontrez dans les premières
02:28 heures que des soldats canadiens.
02:30 - C'est-à-dire que oui, deux heures après,
02:33 mes parents voulaient quand même pas que j'aille trop dans la rue, mais on avait quand même été voir, au bout d'un petit chemin,
02:41 on voyait la mer au loin,
02:43 et là on a vu que la mer était noire de bateau,
02:47 avec des ballons qui
02:50 remontaient au-dessus, et puis il y avait un genre de brume, de brouillard, de fumée, au loin,
02:57 et puis ce bruit, ce bruit continuait par les tirs.
03:02 - Pour ceux qui ont vu les dernières images d'ailleurs, ou les derniers reportages rediffusés,
03:07 quand Madame Le Gouy parle de ballons, effectivement il y avait des ballons au-dessus, c'était des ballons dirigeables
03:12 qui étaient au-dessus de la mer, et qui accompagnaient ces bateaux pour des raisons de sécurité, sans doute.
03:18 - Exactement, parce que la chasse allemande était redoutable encore, malgré ce que dit le jour le plus long,
03:25 dans le film on voit que deux misérables
03:27 Messerschmitt, alors qu'il y avait encore 500 avions allemands à l'époque.
03:31 - Qu'est-ce qui s'est passé au soir du 6 juin
03:35 24, connaît Le Gouy, est-ce que vous avez dormi chez vous ?
03:39 - Le soir,
03:42 oui, non, on n'a pas dormi chez nous, mon père et mes parents avaient peur, donc on est allés coucher
03:50 à la carrière de Fontaine, dans la carrière de Pierre, une petite carrière à l'abri, on était dans l'oeuvre.
03:57 - C'est-à-dire vous étiez à combien ?
04:00 - Il y avait beaucoup de gens du village, il y avait des gens des autres villages à côté.
04:05 Il y avait des gens du camp qui étaient déjà partis de camp, parce que le camp était bombardé continuellement.
04:11 - Et j'ai compris que
04:14 vous habitiez une ferme le 6 juin 44 et que vos parents étaient donc agriculteurs.
04:19 - Oui.
04:21 - Qu'est-ce qui s'est passé ces jours suivants, parce qu'on se demande toujours comment on s'organise dans ces cas-là, où est-ce qu'on dort,
04:27 comment on mange, comment on se ravitaille, comment ça se passe, j'imagine il n'y a pas eu d'école au mois de juin 44 ?
04:35 - On n'a pas été très longtemps sans école, jusqu'à le 25, tout le mois de juin je pense.
04:42 - Et puis après c'était juillet-août les vacances, donc...
04:45 - Oui.
04:46 - Mais comment la vie s'organisait-elle au quotidien, puisque si vous n'étiez plus dans la ferme,
04:51 comment les bêtes étaient restées, j'imagine, sans qu'on s'occupe d'elles ?
04:57 - On avait six vaches, il y en avait une qui avait été tuée d'ailleurs, le matin du débarquement, le matin du 6 juin.
05:04 On est allés, mon père et mon frère, on est allés pour les rechercher, elles étaient dans la campagne,
05:10 et les rapprocher auprès de la ferme. Et les Allemands qui étaient encore en garde là,
05:16 ils ont dit "vous allez chercher les vaches ?" et ils ont dit "oui, vous, mais pas la petite".
05:21 La petite c'était moi, donc ils m'ont renvoyée dans ma maison.
05:24 - Et ces jours-là...
05:26 - On a ramené les vaches auprès de la maison, de façon à pouvoir les traire quand il fallait, et distribuer les autour.
05:32 - C'est pour ça que c'est toujours intéressant de savoir ce quotidien, comment il s'est mis en place.
05:38 Vous êtes retournés quand dans votre ferme ?
05:40 - On y retournait, dans la journée on y retournait, et c'est le soir, on allait coucher à la carrière.
05:48 - Ah oui d'accord, donc vous pouviez effectivement revenir pendant quelques heures.
05:55 Donc cette période est particulière, elle vous a fortement marquée bien sûr,
05:59 et quelle a été la suite de votre vie, Colette, une fois que la libération a été acquise en France ?
06:07 - C'est-à-dire qu'on avait trouvé une grande liberté.
06:13 On était plus... Quoi qu'il n'y avait pas dans l'occupation allemande à Bény, il n'y avait pas eu de problème.
06:19 Ça allait bien, mais après on sentait qu'on était libre de faire ce qu'on voulait.
06:25 - Mais vous n'avez jamais quitté Bény-sur-mer quasiment toute votre vie ?
06:30 Vous êtes quand même allé j'imagine de temps en temps en voyage ?
06:34 - Oui, oui, mais mon mari était un garçon du village aussi à ce moment-là,
06:40 et lui aussi il était né au pays, et on s'est mariés là en 57, et on est toujours restés au village.
06:49 - Et votre mari ?
06:51 - Maintenant il est parti, il est décédé.
06:53 - Et vous avez des enfants j'imagine, peut-être ?
06:56 - Oui, j'ai trois enfants, donc j'en ai deux qui sont agriculteurs au village.
07:01 - Non mais cette France-là, cette histoire de France que vous nous racontez,
07:05 vous êtes peut-être parmi les derniers éléments, les derniers individus d'ailleurs,
07:12 plus exactement, parce que vos parents étaient agriculteurs, vos grands-parents étaient agriculteurs à Bény-sur-mer,
07:17 vos enfants sont à Bény-sur-mer, c'est une histoire de France, c'est un pan d'histoire de France,
07:22 qui, je ne suis pas sûr qu'il se prolonge éternellement, Colette.
07:25 - Ah ben on verra bien.
07:29 - Mais vous êtes, vous-même, vous vivez toujours dans l'endroit où vous étiez il y a 80 ans ?
07:33 - Non, non, non, non, non, non, j'ai changé.
07:36 - Donc là vous êtes dans une maison peut-être ?
07:40 - Oui, oui, c'était une ancienne ferme qu'on a réhabilité pour y passer notre retraite.
07:45 - Bon, mais là aujourd'hui vous travaillez toujours un petit peu ?
07:49 - Ah non, non, non, non.
07:51 - Pas du tout ?
07:53 - Non, non.
07:55 - Bon, ben écoutez, vous êtes en forme ? Vous allez bien ? Vous trouvez que vous avez...
07:59 - Je suis en forme, sauf que j'ai du mal à marcher, parce que j'ai très mal au dos,
08:03 alors je m'aide d'un tombulateur, mais ça ne m'empêche pas de faire ce que j'ai envie de faire.
08:09 - Et qu'est-ce que vous avez envie de faire par exemple aujourd'hui ?
08:12 - Oh bien, j'ai une grande cour à un petit près, je m'occupe de mes fleurs, je vais et viens.
08:20 - Et qu'est-ce que vous aimez faire par exemple dans cette vie aujourd'hui à 88 ans, Colette ?
08:25 - Ce que j'aime faire... Déjà j'aime la compagnie, j'aime me recevoir, j'aime rencontrer beaucoup de monde,
08:33 et puis d'être dehors, d'être à la compagne. Moi, ma vie est là.

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