Une icône littéraire française
Le documentaire revient sur la vie et l'œuvre de Colette (1873-1954), l'une des romancières préférées des Français. Autrice d'une soixantaine d'ouvrages devenus des classiques comme "Claudine à l'école", "Chéri", "Le Blé en Herbe" ou "Gigi", elle a également écrit plus de 2000 articles de presse et une vaste correspondance sur un demi-siècle.
Une femme libre et scandaleuse
Bien que son nom évoque la liberté, Colette fut aussi une femme de paradoxes, insaisissable et excessive, allant là où on ne l'attendait pas. Elle s'affranchit des codes pour mener sa vie littéraire, artistique et amoureuse, passant notamment des bras de son mari Willy à ceux de Mathilde de Morny.
Une émancipation pionnière
Le documentaire montre comment la petite Bourguignonne est devenue une scandaleuse puis une idole, racontant son émancipation féminine pionnière à travers une œuvre incandescente. Narré par François Busnel, il comprend les témoignages d'écrivains, historiens et biographes.
Une plume intemporelle
Colette réussit à être à la fois lue dans les écoles et sulfureuse, plus accessible que Proust mais aussi moderne que ses contemporains. Son style unique et son parcours hors-norme en font une figure majeure des lettres françaises du XXe siècle.
Le documentaire revient sur la vie et l'œuvre de Colette (1873-1954), l'une des romancières préférées des Français. Autrice d'une soixantaine d'ouvrages devenus des classiques comme "Claudine à l'école", "Chéri", "Le Blé en Herbe" ou "Gigi", elle a également écrit plus de 2000 articles de presse et une vaste correspondance sur un demi-siècle.
Une femme libre et scandaleuse
Bien que son nom évoque la liberté, Colette fut aussi une femme de paradoxes, insaisissable et excessive, allant là où on ne l'attendait pas. Elle s'affranchit des codes pour mener sa vie littéraire, artistique et amoureuse, passant notamment des bras de son mari Willy à ceux de Mathilde de Morny.
Une émancipation pionnière
Le documentaire montre comment la petite Bourguignonne est devenue une scandaleuse puis une idole, racontant son émancipation féminine pionnière à travers une œuvre incandescente. Narré par François Busnel, il comprend les témoignages d'écrivains, historiens et biographes.
Une plume intemporelle
Colette réussit à être à la fois lue dans les écoles et sulfureuse, plus accessible que Proust mais aussi moderne que ses contemporains. Son style unique et son parcours hors-norme en font une figure majeure des lettres françaises du XXe siècle.
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00:00:00 Colette, un nom, un prénom, un pseudonyme, celui d'une icône de la littérature,
00:00:08 célébrée de son vivant comme l'un des plus grands écrivains français,
00:00:12 la première femme à recevoir l'honneur de funéraille nationale.
00:00:16 On doit à Colette une soixantaine d'ouvrages, des milliers d'articles de presse
00:00:21 et une correspondance qui parcourt plus d'un demi-siècle.
00:00:25 Colette, dont le nom évoque d'emblée une certaine idée de la liberté,
00:00:36 liberté d'être écrivaine, mais aussi mime, danseuse, comédienne, journaliste, publicitaire
00:00:43 et pourquoi pas, marchande de produits de beauté.
00:00:47 Liberté d'aimer un homme ou une femme, de ne pas choisir.
00:00:53 Liberté de disposer de son corps, de refuser les dictates de la mode, de la morale, jusqu'au scandale.
00:01:00 Elle qui ne détestait pas choquer la bonne société bourgeoise de son temps.
00:01:05 Elle a compris le buzz avant tout le monde.
00:01:07 Elle a compris qu'elle était dans la société du spectacle et que faire parler de soi était payant.
00:01:13 Il y a chez Colette une forme de ruse dans la manière dont elle se déplace comme ça,
00:01:18 sur l'échiquier social au long de sa vie.
00:01:20 Finalement, ce qu'elle dit, c'est "je ne suis pas faite pour le monde, mais c'est le monde qui va devoir se faire à moi".
00:01:26 C'est ça.
00:01:27 Des vies, Colette en en humile.
00:01:37 Dans son œuvre, elle n'a cessé de se raconter pour mieux se réinventer,
00:01:41 maîtresse d'un genre que l'on appellera plus tard l'autofiction.
00:01:45 Colette est l'écrivaine de la chose vue, du sensible et de la sensation.
00:01:51 Avec un mantra, il faut avec les mots de tout le monde, écrire comme personne.
00:01:57 C'est un coup de lame.
00:02:00 Quand elle écrit quelque chose, elle détourne avec une précision de bistouri et un choix des adjectifs toujours prodigieux.
00:02:09 C'est cette sorte d'absolue donnée à la beauté du monde qui fait, je trouve, le charme de Colette et son originalité.
00:02:17 C'est ce qui m'a plu chez Colette, c'est être traversée par une énergie vitale
00:02:22 et savoir en rendre compte en inventant un style d'écriture inspiré de la vie avec un grand V.
00:02:36 Dans ses livres, Colette renverse les normes et les stéréotypes.
00:02:40 Les hommes sont relégués au second plan, pauvres et jolies petites choses,
00:02:44 face à des héroïnes fortes, indépendantes, féroces et parfois impitoyables.
00:02:50 Colette fut-elle pour autant une féministe ?
00:02:53 Reine du paradoxe, elle disait détester les suffragettes.
00:02:57 Son parcours pourtant raconte une fabuleuse émancipation féminine
00:03:02 qui débute à la fin du 19e siècle dans un petit village de Bourgogne.
00:03:08 Colette s'appelle en réalité Sidonie Gabrielle Colette.
00:03:26 Colette, c'est son nom de famille.
00:03:28 Elle naît le 28 janvier 1873 dans une grande maison bourgeoise rue de l'Auspice
00:03:34 à Saint-Sauveur-en-Puisaye, petit village de Lyon.
00:03:37 Elle est la dernière des quatre enfants de sa mère, Sidonie, dite Sido.
00:03:44 "Le personnage principal de ma vie", écrira plus tard Colette.
00:03:49 Et c'est par elle que tout commence.
00:03:55 La mère de Colette, Sido, est orpheline.
00:03:58 Elle est élevée en Belgique par ses deux frères aînés,
00:04:01 journalistes et libres-penseurs.
00:04:03 La jeune fille est sans dot, alors on la marie loin d'ici,
00:04:07 avec un homme très riche mais très laid.
00:04:10 Ivreugne, violent.
00:04:12 Jules Robineau-Duclos, propriétaire terrien à Saint-Sauveur-en-Bourgogne.
00:04:18 Au village, on l'appelle "le singe", une bête sauvage, dit-on.
00:04:24 Sur Sido aussi, on cause beaucoup.
00:04:27 D'ailleurs, ici, rien n'échappe au regard des autres.
00:04:31 Sido est pour tous l'étrangère qu'on épie depuis les fenêtres voisines.
00:04:37 C'était une femme très libre d'esprit, c'était une femme qui lisait,
00:04:42 c'était une femme qui n'avait pas de religion,
00:04:44 ce qui, à cette époque et pour cette génération, n'était quand même pas évident.
00:04:49 Et très vite, elle va marquer sa différence avec le reste des habitants de Saint-Sauveur.
00:04:54 Profondément athée, elle emmène son chien aboyé à la messe
00:04:57 pendant l'élévation pour embêter le curé.
00:04:59 C'est quelqu'un qui, d'emblée, va créer, susciter l'hostilité et bientôt le rejet.
00:05:06 Colette disait d'elle une chose assez belle.
00:05:09 Elle disait "Pour être une vraie provinciale, il ne lui manque que le ressentiment."
00:05:18 Le Capitaine Colette
00:05:23 En 1860, Sido et le singe donnent naissance à un premier enfant, Juliette,
00:05:30 une petite fille aux cheveux épais et aux regards sombres.
00:05:34 C'est alors qu'arrive un nouveau voisin, venu de loin lui aussi,
00:05:38 le Capitaine Jules-Joseph Colette, un ancien militaire, amputé d'une jambe, perdu au combat.
00:05:46 Le Capitaine Colette est un homme gai et doux, un original à l'accent méridional.
00:05:52 Sido est sous le charme.
00:05:55 Lorsqu'elle accouche de son deuxième enfant, Achille, en 1863, la rumeur brûle.
00:06:06 Et si Achille était le fils du Capitaine ?
00:06:10 Deux ans plus tard, son mari, le singe, meurt brutalement d'une apoplexie.
00:06:15 Tiens, comme par hasard marmonnent les bonnes dames du village.
00:06:19 Mais qu'importe, là Sido épouse en seconde noce le Capitaine Colette,
00:06:25 son grand amour, avec qui elle aura deux enfants officiels.
00:06:29 Léopold, dit Léo, puis Sidonie Gabrielle, la petite dernière, notre Colette.
00:06:36 "C'était une sacrée bonne femme, Sido.
00:06:43 On la soupçonne quand même d'avoir empoisonné son premier mari pour pouvoir épouser le père de Colette.
00:06:51 Je sais pas si c'est vrai, mais on peut se dire qu'après,
00:06:55 les libéralités dont a fait preuve Colette en amour s'originent peut-être
00:07:00 dans des audaces qu'avait eues sa mère avant elle."
00:07:03 Sido et le Capitaine s'adorent, s'adorent comme peuvent s'aimer des adolescents.
00:07:08 Donc Colette a sous les yeux l'exemple d'un bonheur absolu,
00:07:13 ce qui va sans doute créer dans l'idée de Colette cette géographie mentale très particulière,
00:07:18 c'est-à-dire que la maison, les jardins, ses parents,
00:07:22 c'est une forme de bonheur, une forme d'Éden, à l'extérieur, dans le village,
00:07:27 c'est l'hostilité, c'est la haine, c'est le rejet.
00:07:30 "Oh, ma maison natale, naturellement, c'était une maison de village.
00:07:37 Un sas-au-veur en puisée, dans l'Yonne.
00:07:40 Elle a gardé pour moi tous ses charmes.
00:07:43 Elle est vieille, elle rassemble autour d'elle une petite cité
00:07:48 de treize ou quinze ou cent habitants, un jardin négligé.
00:07:54 Elle m'a vu naître, elle m'a vu grandir."
00:07:58 Colette dit aussi que sa maison ne souriait que d'un côté, celui des jardins.
00:08:05 Le royaume de sa mère, Sido.
00:08:08 Sido y consacre tout son temps.
00:08:11 Elle cultive les plantes exotiques, les arbres frutiers, les bêtes et les fleurs sauvages.
00:08:16 Il y a chez Sido une véritable religion du vivant,
00:08:19 un respect pour tout ce qui vit, jusqu'à l'infiniment petit.
00:08:23 Colette, sa fille, devient sa première disciple.
00:08:26 Un culte qui tient en un seul mot, regarde.
00:08:34 "Regarde la première pousse du haricot,
00:08:36 le cotyledon qui lève sur sa tête un petit chapeau de terre sèche.
00:08:40 Regarde l'agèbe qui découpe avec ses mandibules en cisaille une parcelle de viande crue.
00:08:46 Regarde vite, le bouton de l'iris noir est en train de s'épanouir.
00:08:50 Si tu ne te dépêches pas, il ira plus vite que toi."
00:08:54 "Sido, c'est une silhouette impériale, mais dont l'empire est domestique.
00:09:03 C'est un tout petit monde, une maison, un jardin des animaux.
00:09:07 Ça tient à ça, mais là-dedans, elle gouverne au destiné de tous."
00:09:11 Sido est une grande figure tutélaire pour Colette,
00:09:16 qui lui a appris à regarder, mais regarder comme on épie.
00:09:22 À écouter, mais à écouter comme quand on guette.
00:09:28 À toucher, mais comme quand on veut s'assurer de la solidité du réel, de l'existence des choses.
00:09:36 "Il me vient à l'esprit, à l'instant, cette phrase qu'elle prête à sa mère.
00:09:41 Elle dit "elle relevait le menton des roses pour les regarder en plein visage".
00:09:47 C'est magnifique de dire ainsi, vraiment."
00:09:49 "J'aime l'idée qu'elle manipule un peu de sorcellerie, oui, Colette.
00:09:54 Ça joue aussi sur la sorte d'enchantement qu'il vous prend quand vous vous faites taper par une oeuvre.
00:09:59 Et chez elle, l'attention aux détails, aux choses qui ne sont pas nécessairement des choses nobles,
00:10:06 fait que tout s'imprime avec une force sensuelle en vous."
00:10:19 Au sein de cette famille recomposée, Colette est une enfant choyée, adorée.
00:10:25 Petite, on l'appelle Gabrielle ou Gabri.
00:10:29 Pour Sido, elle est son minet chéri, son joyau tout en or, son chef d'oeuvre aux longs cheveux blonds.
00:10:36 Une mère aimante, Sido, oui, parfois dévorante peut-être.
00:10:45 Alors que les trois premiers enfants, Juliette, Achille et Léo, sont placés en pension,
00:10:50 Sido choisit de garder Colette à ses côtés, dans une petite chambre sous les toits, glacial en hiver,
00:10:55 séparée de la chambre maternelle par seulement quelques marches.
00:11:00 "La relation de Colette à Sido, sa mère, elle s'inscrit dans cette grande aventure des relations mère-fille,
00:11:10 qui est une affaire, on le sait, extrêmement compliquée, c'est-à-dire à la fois d'initiation,
00:11:17 de tendresse, de protection, de lien, et à la fois d'oppression, de culpabilité."
00:11:25 "Sido, je vous le rappelle, elle a perdu sa mère alors qu'elle n'a eu que deux mois.
00:11:29 Quand elle est devenue mère, à son tour, je crois qu'elle a fait comme elle imaginait devoir faire,
00:11:34 c'est-à-dire infiniment.
00:11:36 Elle a adoré tous ses enfants, véritablement, mais il est vrai que la petite dernière, Gabrielle,
00:11:42 fait l'objet d'une attention tout à fait singulière.
00:11:45 'Toi, c'est moi' lui dit-elle."
00:11:48 Le capitaine Colette, son père, est un homme instruit, passionné de sciences, grand lecteur.
00:11:59 Au premier étage de la maison, il a fait de la bibliothèque son bureau et son antre.
00:12:04 C'est là, sur les étagères d'Acajou, que la petite Colette découvre Balzac.
00:12:10 "À l'âge de la bibliothèque rose, je chus comme on se noie dans Balzac, et j'y restais."
00:12:22 Retraité, le capitaine Colette s'engage dans une carrière politique, sans grand succès.
00:12:29 Mais son rêve est ailleurs, devenir écrivain.
00:12:33 Tous les jours, il écrit.
00:12:35 Qu'écrit-il ? Ah, ça, eh bien, personne ne le sait.
00:12:39 Du moins, jusqu'à sa mort, en 1905, au sommet de la bibliothèque,
00:12:45 on trouve alors une douzaine de tomes cartonnés et reliés au titre écrit en lettres gothiques.
00:12:51 L'œuvre de toute une vie.
00:12:53 Mais une œuvre imaginaire, car, à l'intérieur, ses enfants découvrent des milliers de pages blanches.
00:13:02 Il n'aurait, d'après Colette Noircy, que la première page du premier volume,
00:13:06 avec une très jolie dédicace à "Ma chère âme, son mari fidèle, Jules-Joseph Colette et psch, plus rien".
00:13:13 Alors, évidemment, il est très tentant de dire que si Colette est devenue écrivaine,
00:13:18 c'est peut-être pour noircir les pages blanches de son père,
00:13:22 réparer l'handicap, l'impossibilité de son père.
00:13:26 Elle le dira elle-même, d'ailleurs, dans "Cirque du Soleil",
00:13:29 elle raconte une visite qu'elle rend à une voyante,
00:13:31 et cette voyante prétend avoir un message à lui transmettre d'une personne très haut placée qui veille sur elle.
00:13:37 Colette arrive persuadée qu'il s'agit d'un message de sa mère, Sido, mais la voyante la détrompe.
00:13:42 "Ah non, madame, c'est un homme avec une barbe et des yeux, des yeux.
00:13:46 Souvent, quand vous travaillez, il est par-dessus votre épaule et il sourit.
00:13:50 Car vous avez pu ce que lui n'a pas pu, vous êtes ce qu'il avait rêvé être."
00:13:56 En 1884, Juliette, la sœur aînée, se marie.
00:14:01 Un mariage aussi inattendu qu'inespéré.
00:14:04 Juliette a toujours eu un statut à part dans la famille, isolée de ses frères et sœurs par sa différence.
00:14:11 Achille est l'aîné sans rivaux.
00:14:15 Léo, le fantasque cadet.
00:14:18 Colette, le chanteur.
00:14:21 Juliette, elle, est une jeune femme solitaire, étrange et silencieuse.
00:14:26 Mais elle est, pour ainsi dire, bien née.
00:14:29 Son père, Feu le singe, lui a légué une fortune considérable.
00:14:34 Et la voilà, à 24 ans, dans les bras du docteur Charles Rocher,
00:14:39 peut-être plus sensible à sa dot qu'à son charme.
00:14:44 Au long de sa vie, Juliette est une jeune femme,
00:14:47 plus sensible à sa dot qu'à son charme.
00:14:51 Au lendemain du mariage, le couple réclame sa part sur l'héritage,
00:14:56 et découvre que le comte n'y est pas.
00:14:59 Les Colettes vivent depuis longtemps bien au-dessus de leurs moyens.
00:15:03 Les dettes s'accumulent, la ruine menace.
00:15:06 Nouveau scandale à Saint-Sauveur.
00:15:10 La famille est montrée du doigt, traquée, traitée en paria.
00:15:16 Avant de remonter la pente, elle organise une vente aux enchères.
00:15:20 Les meubles, le piano, même les livres sont vendus.
00:15:24 Les villageois, avec une curiosité malsaine,
00:15:28 pénètrent enfin dans cette maison où ils n'ont jamais été invités.
00:15:34 En 1891, la famille doit fuir, quitter Saint-Sauveur et ses jardins,
00:15:40 pour une petite maison à Chatillon-Coligny,
00:15:44 où le frère aîné s'est installé comme médecin.
00:15:49 Colette a 18 ans, elle dit adieu à son enfance.
00:15:55 Colette, si prompte à évoquer ses souvenirs d'enfance,
00:16:01 n'écrira jamais une seule ligne de ce départ.
00:16:04 Il n'y a qu'une seule confidence dans une être à une amie,
00:16:07 je faillis en mourir.
00:16:09 Et je crois que ce silence, c'est le cœur de toute l'œuvre de Colette.
00:16:13 Ça devient une sorte d'incarnation imagée de son enfance.
00:16:19 Il y a une autre manière de le lire,
00:16:22 qui est que c'est le moment où la famille de Colette déchoit socialement.
00:16:26 Et ça fait d'elle ce qu'on appelle une déclassée.
00:16:29 Et il me semble que ça explique une grosse partie
00:16:32 de la manière dont elle va mener par la suite ses carrières.
00:16:36 Pour Colette, l'attente commence.
00:16:42 Tout est espéré en cette fin de 19e siècle.
00:16:45 Une jeune bourgeoise déclassée, sans dot,
00:16:48 un monstre très riche, comme le premier mari de sa mère.
00:16:52 Une rencontre va venir tout bouleverser,
00:16:55 avec un homme dont le nom tient en cinq lettres.
00:16:59 Willy.
00:17:02 Le capitaine Colette compte parmi ses relations un jeune Parisien,
00:17:06 Henri Gauthier-Villard, Willy, de son nom de plume.
00:17:10 Un fils de bonne famille devenu critique musical réputé.
00:17:14 C'est l'un des hommes les plus en vue de la belle époque.
00:17:17 Noceur, hableur, tricheur.
00:17:20 Il est un homme qui a été élu au pouvoir,
00:17:23 et qui a été élu au pouvoir,
00:17:26 et qui a été élu au pouvoir,
00:17:29 noceur, hableur, tricheur.
00:17:32 Il a beaucoup d'esprit, jamais assez d'argent, des amis, des maîtresses.
00:17:36 Colette a 20 ans, Willy 34.
00:17:39 Willy est un héritier compromis, Colette une fille sans dot.
00:17:43 Un mariage arrangerait tout le monde.
00:17:46 Le 15 mai 1893, la messe est dite.
00:17:50 - Que veux-tu ?
00:17:53 Je n'avais pas le choix,
00:17:56 je ne voulais pas être substitutrice.
00:17:59 Je lui apportais mes 20 ans, ma fraîcheur, et 1,58 m de cheveux.
00:18:03 Ça l'a amusé un temps.
00:18:06 - Cette espèce de père de substitution qu'est Willy,
00:18:09 il l'a emporté, et il l'a un peu aussi sauvé de sa famille au départ.
00:18:12 C'était une famille très particulière, un peu dévorante quand même.
00:18:15 Mais heureusement qu'il a été là pour la rapter à un moment donné, je pense.
00:18:19 - On peut aussi imaginer
00:18:22 que la vie où l'entraîne Willy,
00:18:26 une vie un peu dissolue,
00:18:29 mais avec des intrigues, des potins, etc.,
00:18:34 au fond, ça a probablement plus fait
00:18:37 pour la réussite littéraire future de Colette
00:18:42 qu'une vie à Saint-Sauveur-en-Puisaye.
00:18:45 - C'est une sorte de pacte qui va se nouer entre eux.
00:18:48 Je crois que ni l'un ni l'autre ne se doutaient qu'ils allaient former
00:18:51 le couple le plus célèbre de la Belle Époque.
00:18:54 - Au lendemain de la nuit de Noss, le couple part pour Paris.
00:19:00 Les premiers temps sont difficiles.
00:19:03 Loin de sa famille, la jeune provinciale s'ennuie
00:19:06 en attendant le retour de Willy, qui, lui, court les salles de rédaction,
00:19:10 les salons et les garçonnières.
00:19:14 Très vite, Colette commence à recevoir des lettres anonymes
00:19:17 l'informant des tromperies de son mari.
00:19:20 Et un jour, elle le surprend avec une autre.
00:19:23 Colette vacille et sombre dans le désespoir.
00:19:27 - Il y a toujours une époque dans la vie des êtres jeunes
00:19:31 où mourir leur est tout juste normal et aussi séduisant que vivre.
00:19:35 J'hésitais.
00:19:37 - Tout le monde raconte, elle y compris, d'ailleurs,
00:19:39 qu'elle a failli mourir d'amour, vraiment,
00:19:41 qu'elle a eu un chagrin d'amour très important,
00:19:45 qu'elle est tombée si malade que sa mère est venue la veiller à Paris.
00:19:49 Enfin, en résumé, tout le monde a cru qu'elle y passerait, quoi.
00:19:52 Et moi, je lis la chose de la manière suivante,
00:19:55 c'est-à-dire que j'ai le sentiment, quand on regarde la façon
00:19:58 dont par la suite Colette a vécu ses histoires d'amour,
00:20:02 qu'elle s'est dit qu'on n'y reprendrait pas, qu'une fois, ça suffisait.
00:20:06 - Au bras de Willy, Colette se lance dans la conquête du tout Paris.
00:20:15 En quelques saisons, elle devient la coqueluche des salons.
00:20:18 Elle y côtoie des écrivains en vogue,
00:20:20 Paul Valéry, Jules Renard, la poétesse Anna de Noailles
00:20:25 et même le jeune Marcel Proust, encore inconnu.
00:20:30 Passionnée de musique, Colette se lie aussi d'amitié
00:20:33 avec les compositeurs Maurice Ravel et Claude Debussy.
00:20:37 Et elle rencontre celle qui restera l'une de ses plus proches amies,
00:20:41 l'actrice Marguerite Moreno.
00:20:44 - Elle plaît beaucoup.
00:20:46 Elle a le parler franc, un peu canaille.
00:20:53 Elle a de l'esprit.
00:20:55 Elle a ces fameuses longues tresses qui séduisent
00:20:59 et cet accent bourguignon qu'on trouve tellement exotique.
00:21:03 - En cette fin de siècle,
00:21:07 Willy met en place ce qu'il faut bien appeler son atelier.
00:21:10 Il fait écrire, par une écurie de petites mains,
00:21:13 des romans grivois qu'il corrige,
00:21:16 agrémentent de quelques obscénités et signent de son seul nom.
00:21:20 Willy devient une marque qui vend et qui vend bien.
00:21:24 Très vite, il encourage Colette à écrire ses premières chroniques musicales.
00:21:31 La petite a du talent, il y a peut-être quelque chose à en tirer.
00:21:36 Willy suggère alors à sa femme d'écrire ses "Mémoires de jeune fille".
00:21:41 Et surtout, ajoute-t-il, n'ayez pas peur des détails piquants.
00:21:45 Colette se met à la tâche, sans grand enthousiasme.
00:21:50 Dans un mélange d'autobiographie et de fiction,
00:21:53 elle écrit "Le journal intime de Claudine",
00:21:56 une jeune écolière de 15 ans, intelligente et rebelle.
00:22:00 De sa plume acide, Colette revisite son enfance à l'école laïque,
00:22:05 un petit théâtre où se nouent les amitiés entre filles,
00:22:08 les rivalités et les premières expériences amoureuses,
00:22:12 comme celle entre Claudine et son institutrice, Mademoiselle Aimée.
00:22:17 "Pendant les récréations, comme le froid humide de ce vilain automne
00:22:22 m'engage guère à jouer, je cause avec Mademoiselle Aimée.
00:22:26 Notre intimité progresse très vite.
00:22:29 Nature de chatte caressante, délicate et frileuse,
00:22:33 incroyablement caline, j'aime à regarder sa frimousse rose
00:22:37 de blondinette, ses yeux dorés aux cils retroussés."
00:22:41 C'est culotté, quoi.
00:22:44 Et à côté, Bollisson se dit "Mais comment ça passe à l'époque ?
00:22:48 Comment elle arrive à faire passer ?"
00:22:50 Parce que c'est quand même des histoires de jeunes filles,
00:22:52 de pensionnats, ça brécole sans cesse à chaque page.
00:22:56 "Claudine à l'école, je me méfie, parce que vous savez
00:22:58 que c'est quand même retravaillé par Willy.
00:23:02 On le sait aujourd'hui, Willy a imposé d'une certaine manière
00:23:06 ses thèmes qu'il trouvait les plus succulents,
00:23:10 les plus aptes à faire saliver.
00:23:13 Donc je ne suis pas tout à fait sûre que tout soit réellement de Colette."
00:23:17 "Il y a souvent dans ces textes un peu de mépris
00:23:24 pour le troupeau ordinaire de la classe.
00:23:28 Tout ça, dit-elle, assez mal lavé.
00:23:31 Donc, dérision aussi de celle qui sait ce que c'est qu'une salle de bain.
00:23:38 Et chez Colette, on sent aussi cette sorte de dénivellation bourgeoise
00:23:45 par rapport au petit peuple mal dégrossi."
00:23:49 "Elle avait un regard sévère sur le village, Colette,
00:23:55 et sur l'étroitesse de vue des villageois
00:24:02 qui ont malmené cette famille,
00:24:04 en tout cas qui l'ont critiqué violemment."
00:24:07 "Colette confie à la littérature une mission tout à fait extraordinaire,
00:24:12 c'est de venger la vie.
00:24:14 Vous m'avez chassé, vous avez chassé ma famille,
00:24:17 vous m'avez empêché de garder ce paradis de mon enfance,
00:24:20 eh bien je vais le reconquérir."
00:24:22 [Musique]
00:24:33 Mais à la lecture du manuscrit,
00:24:35 Willy le juge inexploitable et le relègue au fond d'un tiroir.
00:24:41 Ici commence la légende.
00:24:45 "Monsieur Willy a pris connaissance des manuscrits
00:24:50 et il a dit tout de suite, ben non, je ne vois pas bien,
00:24:55 non, vraiment pas, à quoi ça pourrait servir.
00:24:59 Et on a laissé les cahiers là.
00:25:02 Un an après, monsieur Willy a rangé son bureau et les tiroirs.
00:25:05 Et puis il a retrouvé les cahiers et il a dit,
00:25:08 tiens, je ne croyais pas que je les avais laissés là.
00:25:10 Alors il a eu en effet une réaction que je n'ai pas oubliée.
00:25:16 Il a dit, nom de Dieu, je ne suis qu'un con.
00:25:19 Et puis il a mis son chapeau à bord plat et il est parti chez Jorlindorf.
00:25:22 C'est comme ça que je suis devenue écrivain."
00:25:24 [Musique]
00:25:31 Mars 1900.
00:25:33 En pleine exposition universelle, sort "Claudine à l'école",
00:25:37 premier livre de Colette, signé Willy.
00:25:40 Le ton est résolument nouveau, insolent,
00:25:43 et le succès est fulgurant.
00:25:45 Vite, Willy presse Colette d'écrire la suite.
00:25:48 Et de 1901 à 1903, paraissent successivement "Claudine à Paris",
00:25:53 "Claudine emménage" et "Claudine s'en va".
00:25:57 En véritable roi du marketing, Willy orchestre le succès.
00:26:02 Il fait de Claudine une marque et il imagine avant l'heure les produits dérivés.
00:26:07 Chapeaux, parfums, gâteaux, cigarettes, jusqu'au fameux col Claudine
00:26:13 que l'on porte aujourd'hui encore un peu partout dans le monde.
00:26:17 [Musique]
00:26:20 Les jeunes filles de l'époque veulent ressembler au personnage de Claudine.
00:26:24 Ce sont ce que Colette va appeler les aspirantes Claudine.
00:26:27 Donc on veut porter les cheveux courts, on veut avoir la même tenue,
00:26:30 le sarrot, le petit ruban, et puis ce même tempérament un peu voyou,
00:26:35 un peu iconoclaste qui refuse l'autorité.
00:26:38 On estime qu'entre les droits des ouvrages, les produits dérivés,
00:26:43 il serait rapporté l'équivalent de 15 millions d'euros au couple.
00:26:47 C'est tout à fait considérable.
00:26:49 [Musique]
00:26:53 En 1902, Claudine est incarnée au théâtre par Polaire, l'étoile de la belle époque.
00:27:00 Une fois encore, c'est un triomphe et un nouveau filon à exploiter.
00:27:05 Quelques mois après la première, Willy suggère à Colette de couper ses longs cheveux.
00:27:10 La fierté de Sidot, pour ressembler à Polaire et à leur création.
00:27:15 Partout dans Paris, Willy se promène au bras de ses "twins" comme on les appelle.
00:27:20 Deux trentenaires qui jouent aux petites filles.
00:27:24 [Musique]
00:27:26 Sur mes traits, on lit, comme sur la plupart de mes photographies de la même époque,
00:27:30 une expression tout ensemble soumise, fermée, mi-gentille, mi-condamnée, dont j'ai plutôt honte.
00:27:37 Je crois que Willy l'exploite et la révèle.
00:27:41 C'est-à-dire qu'au début, on se dit "mais qu'est-ce que ce bonhomme, voilà, il voit cette petite jeune fille,
00:27:47 il fait ce qu'il veut, il prend de quoi son profit, bon".
00:27:51 Et c'est vrai.
00:27:53 Mais s'il n'y avait pas eu Willy, on ne saura jamais s'il y aurait eu Colette.
00:27:58 [Musique]
00:28:03 En 1904, la série est terminée et Colette publie "Dialogue de bêtes",
00:28:09 premier livre signé de son nom, du moins de celui qu'elle s'est choisi, Colette Willy.
00:28:16 Elle y met en scène Toby Chien, le bulldog, et la chatte Kiki la doucette,
00:28:20 qui prennent la parole comme dans les fables de La Fontaine.
00:28:23 Cet ouvrage, salué par la critique, révèle une autre image de Colette qui lui collera longtemps à la peau,
00:28:30 celle de l'amoureuse des bêtes.
00:28:32 Mais c'est aussi un premier pas vers l'indépendance.
00:28:35 Lassée des infidélités de Willy, Colette veut désormais exister par elle-même
00:28:40 et goûter à tous les plaisirs.
00:28:44 C'est à cette époque qu'elle a sa première aventure avec une femme,
00:28:48 Georgie Raoul Duval, une américaine de la Bonne Société parisienne,
00:28:52 qui devient aussi la maîtresse de Willy.
00:28:56 Divorcée, elle y pense.
00:28:59 Mais que peut faire au début du XXe siècle une jeune femme seule,
00:29:03 loin de sa famille, sans formation ni fortune ?
00:29:07 Parce que n'oublions pas que c'est donc Willy qui a signé les contrats avec les éditeurs,
00:29:16 c'est lui qui a empoché l'argent.
00:29:18 Colette en a certes profité, mais au moment de la séparation,
00:29:22 elle n'a plus aucun droit sur ce qui avait été ses œuvres et ce qui avait été ses succès.
00:29:30 Elle ne peut pas revenir dans sa famille.
00:29:33 Le capitaine Colette, son père, est mort en 1905.
00:29:36 Sido s'enfonce petit à petit dans la misère.
00:29:39 Elle se trouve à nouveau à une croisée des chemins.
00:29:42 Il va falloir pour elle se réinventer.
00:29:44 « Se reconstruire, renaître, ça n'a jamais été au-dessus de mes forces »
00:29:48 et je la cite.
00:29:50 C'est une phrase mantra que j'ai pu naiser absolument partout dans la maison.
00:29:54 « Que voulez-vous que je fasse ? De la couture ? De la dactylographie ? Ou le trottoir ?
00:30:01 Le musical, c'est le métier de ceux qui n'en ont appris aucun. »
00:30:06 [Musique]
00:30:19 Montée sur une scène, Colette en rêve depuis longtemps.
00:30:23 Au-dessus de son appartement, elle fait aménager une salle de gym
00:30:27 et prend des cours avec le célèbre mime Georges Vague.
00:30:31 Elle prépare son corps pour une liberté à venir
00:30:34 et se crée un nouveau refuge auprès des femmes.
00:30:38 [Musique]
00:30:42 « Au tournant du siècle, le lesbianisme, les amours sapphiques
00:30:46 font l'objet d'une étonnante bienveillance,
00:30:49 en tout cas à Paris et dans les milieux littéraires et culturels,
00:30:53 qui est due à une personnalité qui va beaucoup marquer la vie littéraire et intellectuelle de l'époque,
00:30:58 qui est Nathalie Barnet, la célèbre amazone,
00:31:01 qui regroupe autour d'elle toute une communauté de femmes,
00:31:05 mais d'hommes aussi, sensibles à ce renouveau des amours sapphiques
00:31:10 sous l'ombre un peu réinventée de sa faute. »
00:31:14 « La vraie Colette, pour moi, fascinante, c'était à la fin de l'adolescence,
00:31:18 et c'était un temps de découverte du corps,
00:31:21 un temps de découverte de l'homosexualité, de plein de choses comme ça,
00:31:24 où il y avait des passages où Colette, avec ses petites amies,
00:31:29 vivait des choses, mais des choses, j'aime bien dire, homoérotiques,
00:31:33 mais botaniques, des choses avec des fruits,
00:31:37 où les lèvres sont des cerises mordues.
00:31:40 C'était un érotisme gourmand, léger, simple. »
00:31:44 « Colette dit qu'auprès des femmes, elle a trouvé une sorte de repos sentimental,
00:31:49 c'est-à-dire de havre de paix dans ses relations de douceur.
00:31:53 Ça dit quelque chose de très fort d'elle,
00:31:57 c'est-à-dire d'abord de sa curiosité, de son ouverture,
00:32:02 et surtout de son rapport à son corps. »
00:32:05 Le 27 mars 1905, au Cercle Victor Hugo,
00:32:16 une salle de jeu fréquentée par toute la belle société parisienne,
00:32:19 autour d'un tapis vert enfumé,
00:32:22 Colette rencontre Mathilde de Morny, dite Missy.
00:32:26 Une rencontre qui va bouleverser sa vie.
00:32:30 Missy a dix ans de plus que Colette.
00:32:33 C'est la fille du duc de Morny, la nièce de l'empereur Napoléon III,
00:32:37 l'ex-marquise de Belleboeuf.
00:32:40 En privé, elle se fait appeler Max, ou Oncle Max.
00:32:44 Elle aime les femmes, porte des cheveux courts,
00:32:47 et s'habille comme un homme.
00:32:49 Scandaleux à une époque où le port du pantalon pour une femme
00:32:53 est interdit, sauf circonstances exceptionnelles.
00:32:57 Missy est une aristocrate, alors on la tolère.
00:33:00 Mais elle dérange.
00:33:02 En androgyne accomplie, elle devance d'un siècle
00:33:05 les questionnements sur le genre et la transsexualité.
00:33:09 « Missy me touche beaucoup parce que son existence
00:33:14 était un défi à la société.
00:33:18 C'était un défi à son milieu d'origine, aristocratique,
00:33:22 mais c'était un défi plus large, c'est-à-dire
00:33:26 elle ne se cachait pas.
00:33:28 C'est quelqu'un qui portait sa différence aux yeux du monde,
00:33:34 quitte à être vilipendée, interdite, censurée.
00:33:39 Je crois que c'est sans doute une des choses
00:33:42 qu'il n'y a plus à Colette.
00:33:44 Elle a trouvé chez elle effectivement quelqu'un
00:33:47 qui avait une forme de pureté dans ce que l'époque
00:33:50 considérait comme une anomalie absolue.
00:33:52 Elle dit à Missy « tu m'as donné des fleurs désarmées,
00:33:56 tu m'as donné la meilleure place à l'ombre,
00:33:59 tu m'as donné le pain le plus doré,
00:34:02 tu m'as donné la crème du petit pot de lait. »
00:34:05 Je trouve ça vraiment magnifique, magnifique de tendresse aussi.
00:34:09 Elle est allée plusieurs fois au tapis, vraiment, Colette.
00:34:12 Elle a été trompée, elle a eu le cœur brisé
00:34:16 plusieurs reprises.
00:34:17 Peut-être qu'elle s'est sentie justifiée
00:34:20 à vivre le plus possible partant de ces grandes peines-là.
00:34:26 En tout cas, les libertés qu'elle prend,
00:34:29 avec les mœurs de son temps et avec ce qui est communément admis,
00:34:32 on a le sentiment tout le temps qu'elle se dit
00:34:35 « on n'a qu'une vie, allons-y pieds au plancher ».
00:34:43 Ils ont vécu cinq années extrêmement fortes ensemble.
00:34:48 Je crois qu'il faut quand même saluer le courage de Colette
00:34:51 qui n'a jamais eu peur d'assumer ses choix.
00:34:54 Grâce à l'aide financière de Missy,
00:35:00 Colette fait ses premiers pas sur scène.
00:35:03 Elle joue en 1906 un petit faune
00:35:05 dans le mimo-drame Le Désir, la Chimère et l'Amour,
00:35:09 avant la Romanichelle à l'Olympia et Pan au Théâtre Marigny.
00:35:14 Toujours des rôles de créatures libres, très légèrement vêtues.
00:35:18 Colette vit désormais séparée de Willy en bonne entente.
00:35:27 Missy l'aide financièrement,
00:35:29 mais Colette n'est pas une femme entretenue.
00:35:31 « Elle est dure à gagner l'argent », dit-elle.
00:35:34 En la matière, Colette ne l'hésine pas.
00:35:37 Elle a retenu la leçon de Willy.
00:35:39 Le scandale aide à remplir les salles.
00:35:42 Ce soir du 3 janvier 1907,
00:35:48 c'est la première de Rêve d'Egypte au Moulin Rouge.
00:35:51 Colette y joue le rôle d'une momie
00:35:53 ressuscitée par le baiser d'un vieux savant,
00:35:56 interprétée par Missy.
00:35:58 Jamais une aristocrate de son rang,
00:36:00 descendante de Napoléon III, rappelons-le,
00:36:02 n'avait osé se produire sur une vulgaire scène de musical.
00:36:07 Pour l'occasion, tous les bonapartistes de la capitale
00:36:12 remplissent les premiers rangs du Moulin Rouge,
00:36:14 prêts à déclencher l'assaut.
00:36:16 Et le scandale, en effet, est énorme.
00:36:19 Sifflets, huées, insultes et objets en tout genre
00:36:22 volent à travers la salle.
00:36:24 Le préfet de police interdit le spectacle.
00:36:28 L'affaire est dans tous les journaux.
00:36:30 C'est une formidable publicité pour Colette.
00:36:33 Quelques mois plus tard,
00:36:41 Colette triomphe à nouveau dans La Chaire, à l'Apollo.
00:36:44 Dans une scène inoubliable,
00:36:47 le mime Georges Vague déchire sa robe,
00:36:50 un sein jaillit, et parfois deux.
00:36:53 C'est une première au musical.
00:36:57 Je veux faire ce que je veux.
00:36:59 Je veux jouer la pantomime, même la comédie.
00:37:02 Je veux danser nue, si le maillot me gêne
00:37:05 et humilie ma plastique.
00:37:07 Je veux me retirer dans une île, s'il me plaît,
00:37:10 ou fréquenter des dames qui vivent de leur charme,
00:37:13 pourvu qu'elles soient gaies, fantasques,
00:37:15 voire mélancoliques et sages,
00:37:17 comme sont beaucoup de femmes de joie.
00:37:19 La manière dont Colette va se mettre en scène
00:37:22 est pire que moderne.
00:37:24 Toutes nos images scolaires de la littérature
00:37:28 tendent vers le recueillement.
00:37:31 Il y a des écrivains qui se prêtent bien à ça,
00:37:35 qui sont dans le sacrifice, la cèze.
00:37:38 Non, non, Colette a tout donné,
00:37:41 a tout dévoré, a tout montré.
00:37:44 Colette, c'est Miley Cyrus.
00:37:47 Une fois qu'on a bien montré son cul,
00:37:50 on ne pourra jamais plus vous le reprocher.
00:37:54 Au côté de Miss Tinguette,
00:37:56 Polaire ou la Belle au terreau,
00:37:59 Colette, rebaptisée la danseuse nue,
00:38:02 devient une vedette du musical.
00:38:05 Pendant six ans,
00:38:07 elle enflamme les planches de province
00:38:10 et elle réussit son pari,
00:38:12 devenir indépendante financièrement.
00:38:15 Mais Colette n'a pas renoncé à écrire.
00:38:18 Pendant ses tournées,
00:38:20 elle consigne tout ce qu'elle vit,
00:38:23 tout ce qu'elle voit.
00:38:25 "Regarde", lui disait Sido, sa mère.
00:38:28 Et en effet, Colette regarde
00:38:31 ce que les autres ne savent plus voir.
00:38:34 -En devenant mime,
00:38:36 elle va fréquenter un monde
00:38:38 qui lui était inconnu à l'époque,
00:38:40 ce qu'elle va appeler l'envers du musical.
00:38:43 Elle voit des petits artistes
00:38:45 qui vont de théâtre en théâtre,
00:38:47 d'hôtel miteux en hôtel miteux,
00:38:49 qui vont exercer avec une discipline,
00:38:51 avec un courage tout à fait extraordinaire, leur art.
00:38:54 -Elle n'a que des personnages puissants.
00:38:57 Des personnages qui commencent dans la douleur,
00:39:00 dans la rupture, dans la perte, etc.,
00:39:03 et puis qui se redressent et qui se relèvent.
00:39:06 Finalement, c'est la résilience,
00:39:08 la résilience incarnée, les personnages de Colette.
00:39:11 ...
00:39:14 -L'expérience du musical inspire à Colette
00:39:17 un nouveau livre, "La vagabonde".
00:39:20 Au moment de son écriture, en 1909,
00:39:23 elle apprend que Willie, criblé de dettes,
00:39:26 a vendu en son seul nom
00:39:28 les droits des Claudines à son éditeur.
00:39:31 Une trahison qu'elle ne lui pardonnera jamais.
00:39:34 ...
00:39:36 Désormais, c'est la guerre.
00:39:38 Le 21 juin 1910,
00:39:40 le divorce du couple est officiellement prononcé.
00:39:43 5 mois plus tard,
00:39:45 Willie apparaît dans "La vagabonde"
00:39:47 sous les traits d'Adolphe Taillandis,
00:39:50 un odieux personnage, menteur et infidèle.
00:39:53 ...
00:39:55 Un roman de vengeance, donc,
00:39:57 mais qui est aussi un roman d'apprentissage.
00:40:00 Colette y raconte sa propre histoire,
00:40:02 celle d'une femme douloureusement divorcée
00:40:05 qui exerce le métier de mime
00:40:07 et tente d'exister en dehors de l'amour des hommes,
00:40:10 au risque du déclassement social.
00:40:12 ...
00:40:14 -Il n'y a pas une vision
00:40:16 extraordinairement désenchantée de l'amour.
00:40:19 Il n'y a pas beaucoup d'écrivains
00:40:21 qui ont une vision aussi triste de l'amour.
00:40:24 Pour une oeuvre aussi ensoleillée,
00:40:28 aussi pleine de bonheur,
00:40:32 c'est particulièrement sombre.
00:40:36 Ça fait un contrepoint à une oeuvre
00:40:40 qui est une oeuvre presque émerveillée
00:40:42 par le spectacle du monde.
00:40:44 ...
00:40:46 -Je suis une vagabonde.
00:40:48 J'ai devant moi, de l'autre côté du miroir,
00:40:51 dans la mystérieuse chambre des reflets,
00:40:54 l'image d'une femme de lettres qui a mal tourné.
00:40:57 ...
00:41:00 -La vagabonde est sélectionnée pour le Prix Goncourt,
00:41:03 une première reconnaissance.
00:41:05 Au moment de sa publication,
00:41:07 un journaliste demande à Colette si elle est féministe.
00:41:11 Sa réponse fuse.
00:41:13 -Ah non, les suffragettes me dégoûtent.
00:41:16 Et si quelques femmes en France s'avisent de les imiter,
00:41:19 j'espère qu'on leur fera comprendre
00:41:21 que ces moeurs-là n'ont pas cours en France.
00:41:23 Savez-vous ce qu'elles méritent, les suffragettes ?
00:41:26 Le fouet et le harem.
00:41:28 ...
00:41:34 -Quelques années plus tard, Colette persiste et signe.
00:41:37 Elle déclare que les femmes
00:41:39 ne devraient pas se mêler de politique
00:41:41 pour la simple raison que 2 à 3 jours par mois,
00:41:44 elles ont leurs règles et deviennent, je cite,
00:41:47 "irritables, colériques, imprévisibles".
00:41:50 Colette la divorcée ?
00:41:52 Colette l'indépendante ?
00:41:54 Colette la bisexuelle ?
00:41:56 Serait-elle antiféministe ?
00:41:58 -C'est le paradoxe d'une femme libre
00:42:02 et qui pense que l'agitation politique des suffragettes
00:42:07 n'a aucun sens pour elle.
00:42:09 Que l'engagement politique, en général, n'a pas de sens,
00:42:13 en tout cas n'a pas de sens pour les femmes.
00:42:16 Si on pense qu'une féministe est une femme
00:42:20 qui mène un combat
00:42:22 pour la reconnaissance des talents,
00:42:27 des capacités ou simplement de la dignité des femmes,
00:42:31 Colette n'est pas le moins du monde féministe.
00:42:35 Elle est même totalement étrangère à ce type de revendications.
00:42:39 -Par contre, il est absolument évident que dans ses livres,
00:42:43 les personnages féminins mènent la danse,
00:42:47 qu'elle les décrit non seulement dans toutes leurs ambiguïtés,
00:42:51 c'est-à-dire leur faiblesse mais aussi leur puissance,
00:42:55 leur jeunesse mais aussi leur vieillesse.
00:42:58 -C'est vrai qu'elle a plaidé comme personne
00:43:02 pour l'émancipation des femmes, pour la liberté sexuelle,
00:43:06 qu'elle a été une grande louangeuse de la sororité,
00:43:10 qu'elle a contesté l'institution du mariage.
00:43:14 Elle disait des épouses qu'elles étaient les "nurses"
00:43:17 pour messieurs adultes.
00:43:19 Bref, elle a été une femme libre, libre dans sa vie,
00:43:23 sans qu'elle puisse le traduire sur un plan doctrinal,
00:43:27 et c'est peut-être très bien comme ça.
00:43:30 En tout cas, vivre doit lui suffire.
00:43:33 -La manière dont elle s'est conduite et méconduite,
00:43:37 c'était déjà un peu politique à son époque.
00:43:41 -Si bien qu'on ne peut pas la réduire, me semble-t-il,
00:43:45 était-elle féministe ou ne l'était pas,
00:43:48 par contre, il y a une chose qui est sûre,
00:43:51 c'est que quand on est féministe, on est très contents qu'elle ait écrit.
00:43:58 -En décembre 1910, Colette commence à collaborer
00:44:01 au journal "Le Matin", l'un des plus grands quotidiens de l'époque,
00:44:05 et elle s'imagine déjà une nouvelle carrière,
00:44:08 en même temps qu'un nouvel amour.
00:44:25 Printemps 1911, quelques mois après son arrivée au "Matin",
00:44:29 les tensions entre Colette et Missy se multiplient.
00:44:33 Alors qu'elles séjournent ensemble à Rosven,
00:44:36 près de Saint-Malo, dans la villa que Missy a achetée pour Colette,
00:44:40 l'apprenti journaliste trouve tous les prétextes pour rentrer à Paris,
00:44:44 où l'attend son nouvel amant.
00:44:46 Et cette fois-ci, l'affaire est sérieuse.
00:44:49 Colette est amoureuse.
00:44:51 ...
00:44:58 Le baron Henri de Jouvenel-des-Ursins
00:45:01 est l'un des deux rédacteurs en chef du "Matin".
00:45:04 Il est beau, riche, séducteur
00:45:06 et promis un brillant avenir politique.
00:45:09 A 35 ans, il est divorcé de sa première épouse,
00:45:12 avec qui il a eu un fils, Bertrand.
00:45:15 Colette a 38 ans,
00:45:17 et entre la saletin banque et le grand patron de presse,
00:45:21 c'est le coup de foudre.
00:45:23 ...
00:45:28 À l'été, Missy doit se résoudre.
00:45:31 Élégante, comme à son habitude,
00:45:33 elle écrit à Henri de Jouvenel-des-Ursins
00:45:36 pour lui confier officiellement Colette.
00:45:39 Les deux femmes ne se reparleront plus pendant 20 ans.
00:45:43 ...
00:45:48 -Colette, qui va la mettre en scène
00:45:50 dans ses plaisirs devenus le pur et l'impur
00:45:53 sous le nom de la chevalière,
00:45:55 fera dire à la chevalière qu'elle n'aura été qu'un fantôme.
00:45:59 Elle aura été dans la vie de Colette cette ombre qui passe,
00:46:03 mais qui fut une belle ombre.
00:46:05 ...
00:46:11 -Octobre 1911.
00:46:13 Colette s'installe avec Henri de Jouvenel
00:46:16 dans son chalet rue Cortembert, dans le 16e arrondissement.
00:46:20 Elle se lance à corps perdu dans le journalisme.
00:46:23 ...
00:46:25 Reporter, chroniqueuse judiciaire,
00:46:27 biétiste, critique théâtrale,
00:46:29 Colette endosse tous les rôles.
00:46:31 Elle tente toutes les expériences,
00:46:33 en ballon ou en avion
00:46:35 pour le premier vol civil de l'histoire.
00:46:38 Colette impose surtout un style, un ton,
00:46:42 une façon de se mettre en scène qui n'appartient qu'à elle.
00:46:46 ...
00:46:49 Noyée dans la cohue qui se presse
00:46:51 pour assister à l'arrestation de la bande à bonneau,
00:46:54 elle note ses impressions de foule.
00:46:57 De cette expérience, elle gardera cette règle,
00:47:00 voir et non inventer,
00:47:02 palper et non imaginer.
00:47:05 ...
00:47:08 -Il y a quelque chose de fondamental
00:47:10 dans le trajet de Colette quand elle devient journaliste,
00:47:13 c'est qu'elle y apprend à écrire vite.
00:47:15 Les romans qui sont postérieurs à cette époque
00:47:18 ont une frappe, une vitesse,
00:47:20 une manière d'aller à l'essentiel.
00:47:22 -Colette, le mot qui me vient peut-être le premier,
00:47:25 c'est l'allure.
00:47:27 C'est une littérature qui lève le menton.
00:47:30 Il y a de la fierté, de l'orgueil.
00:47:33 On la voit passer dans une pièce,
00:47:35 elle est dans un grand froufrou.
00:47:37 Colette, elle est comme ça, elle en jette.
00:47:40 Et puis, il y a l'allure au sens de fouette cochée.
00:47:45 Ca va vite, ça fuse.
00:47:47 On a le sentiment parfois
00:47:49 qu'il y a presque des plaques de verglas dans les fras.
00:47:52 Ca fait "zit". Ca cingle.
00:47:55 ...
00:48:01 -Cette vie de reporter menée tambour battant
00:48:04 et surtout ce nouvel amour
00:48:06 laisse peu de temps à Colette pour rendre visite à sa famille.
00:48:10 Sido, pourtant, est malade.
00:48:12 Lettre après lettre, Sido réclame sa fille,
00:48:16 mais Colette ne vient pas, ou peut.
00:48:19 ...
00:48:25 Sido meurt le 25 septembre 1912.
00:48:28 Colette ne se rend pas à son enterrement.
00:48:31 Pas plus qu'elle n'est allée à celui de sa demi-soeur, Juliette,
00:48:35 qui s'est suicidée 4 ans plus tôt.
00:48:37 Elle n'ira pas non plus aux enterrements
00:48:40 de ses frères adorés, Achille et Léo.
00:48:43 La mort ne l'intéresse pas.
00:48:46 La vie avant tout.
00:48:48 ...
00:48:53 -Achille fout furieux que Colette
00:48:55 ne soit pas rendue à l'enterrement.
00:48:58 Brûlera, du moins le dit-on,
00:49:00 toutes les lettres de Colette à Sido.
00:49:03 Aujourd'hui, nous restons de cette correspondance,
00:49:06 qui eut été probablement une des plus belles de l'histoire de la littérature,
00:49:10 uniquement les lettres de Sido.
00:49:12 -Tes cheveux ne t'appartiennent pas.
00:49:14 Ils étaient mon oeuvre, l'oeuvre de 20 ans de soins.
00:49:17 Tu as disposé d'un dépôt précieux, que je t'avais confié.
00:49:21 -Dans leur correspondance, on voit bien,
00:49:24 que Sido est assez souvent en train de la pourrir.
00:49:27 "Tu peux pas faire ça."
00:49:29 On sait bien que c'est compliqué.
00:49:31 C'était à la fois un socle et un étouffoir,
00:49:36 un tremplin et un couvercle.
00:49:39 La relation qu'elle a eue avec sa mère,
00:49:42 je n'en plairais pas des mots comme toxique,
00:49:45 mais c'était copieux.
00:49:50 -Donc c'est un rapport compliqué à cette mère
00:49:53 qui lui a appris à la fois
00:49:55 mille choses qui vont compter dans sa vie
00:49:58 et de qui elle doit un peu se garder.
00:50:01 Et donc, cette mère aimée,
00:50:04 elle va, pour s'en émanciper, la tenir à distance, je crois.
00:50:08 -Le fait de ne pas être allé à la mort de Sido
00:50:12 va donner naissance, 10 ans plus tard,
00:50:14 au grand renouveau de l'oeuvre de Colette,
00:50:17 comme s'il fallait, pour se faire pardonner cet abandon,
00:50:21 faire de sa mère un personnage de littérature
00:50:24 qui échapperait pour toujours à la mort
00:50:27 et dont elle pourrait fixer pour l'éternité une image,
00:50:31 peut-être son image.
00:50:33 -Au moment où Colette devient orpheline,
00:50:36 elle s'apprête elle-même à devenir mère.
00:50:39 A 40 ans, elle est enceinte.
00:50:42 Un accident qu'elle accueille avec méfiance.
00:50:45 Elle craint d'être trop vieille,
00:50:47 doute de sa capacité à aimer,
00:50:49 à comprendre cet enfant.
00:50:51 En attendant, Colette et Henri de Jouvenel se marient.
00:50:55 La Saltinbank devient baronne.
00:50:58 Un titre qui lui va comme une plume dans le derrière, dit-elle.
00:51:02 Le 3 juillet 1913,
00:51:04 Colette donne naissance à une fille
00:51:07 qu'elle prénomme Colette, aussitôt surnommée Belle Gazou,
00:51:11 ce qui veut dire "beau gazouilli" en provençal.
00:51:15 -Je crois que la maternité la dérangeait un peu.
00:51:18 Beaucoup, peut-être.
00:51:20 Quand elle parle de sa fille, elle dit...
00:51:23 Le mot "minutieux",
00:51:29 ça montre quand même une sorte de manque de spontanéité.
00:51:34 Elle refusait d'ailleurs que la femme se définisse par la maternité,
00:51:39 ce qu'on peut tout à fait comprendre.
00:51:42 -On la critique beaucoup,
00:51:44 on la juge beaucoup pour avoir été une mauvaise mère,
00:51:48 au motif qu'elle aurait laissé l'éducation de sa fille
00:51:52 d'abord à une horrible nourrice,
00:51:54 et puis par la suite à un pensionnat où la petite était très malheureuse.
00:51:59 C'est vrai.
00:52:01 Je remarque qu'au passage,
00:52:03 personne ne demande de compte à Henri de Jouvenel
00:52:06 sur sa paternité dans cette affaire.
00:52:09 ...
00:52:14 -Août 1914.
00:52:16 Le monde entre en guerre et plonge dans le chaos.
00:52:20 Henri de Jouvenel, mobilisé, part aussitôt sur le front.
00:52:24 Belgazou est envoyé en Corrèze, chez sa nourrice.
00:52:30 Colette, elle, reste à Paris, entourée de quelques amis.
00:52:35 Les comédiennes Musidora et Marguerite Morino,
00:52:39 et l'écrivaine Annie De Pen.
00:52:42 Mais l'absence d'Henri lui est insupportable.
00:52:49 En décembre 1914,
00:52:51 Colette part clandestinement à Verdun pour le retrouver.
00:52:55 Elle y retournera à trois reprises.
00:52:58 ...
00:53:07 A Paris, comme tout le monde,
00:53:09 Colette se bat pour survivre
00:53:11 et multiplie les collaborations avec différents journaux.
00:53:15 Fidèle à sa devise, elle décrit ce qu'elle voit,
00:53:18 c'est-à-dire les femmes à l'arrière du front.
00:53:21 Elle raconte le quotidien de celles qui travaillent,
00:53:25 qui ont perdu un fils, qui accouchent d'enfants nés de viols
00:53:29 ou de liaisons interdites.
00:53:31 Un journalisme de guerre qui ne ressemble à aucun autre.
00:53:35 C'est aussi à cette époque que Colette publie
00:53:41 ses premiers articles sur le cinéma, un art encore balbutiant.
00:53:45 Elle est l'une des rares de sa génération
00:53:48 à s'y intéresser de façon si précoce et durable.
00:53:51 Le cinéma le lui rendra bien,
00:53:53 en témoigne le nombre d'adaptations posthumes
00:53:56 de son oeuvre et de sa vie.
00:53:58 ...
00:54:02 -Elle est à l'époque où le cinéma va utiliser les effets spéciaux
00:54:07 et où elle va découvrir des petits films
00:54:10 où on fait éclore une fleur, non plus en temps réel,
00:54:14 mais avec l'accélération au cinéma.
00:54:17 Et je pense que ça, ça a inspiré aussi son écriture,
00:54:20 parce qu'il ne faut pas oublier qu'un écrivain vit dans son temps.
00:54:24 ...
00:54:28 -La guerre a changé le siècle.
00:54:30 Avec ses 10 millions de morts,
00:54:32 la Première Guerre mondiale emporte avec elle le monde d'hier,
00:54:36 celui des cocottes, des rois et des reines de la Belle Époque.
00:54:40 Elle a aussi changé leur couple.
00:54:45 Colette et Henri de Jouvenel s'éloignent.
00:54:48 Il est un mari volage, encore un,
00:54:51 et un homme ambitieux, républicain, dréphuzard,
00:54:54 qui se prépare à devenir ministre.
00:54:56 Colette se désintéresse de la politique depuis toujours,
00:55:00 bien trop occupée ailleurs,
00:55:02 car son emploi du temps est infernal.
00:55:05 Des reportages aux conférences,
00:55:07 elle saute d'un train à l'autre avec une vitalité extraordinaire.
00:55:11 Elle prend aussi la direction littéraire du matin.
00:55:14 En à peine 10 ans, la femme de lettres qui a mal tourné,
00:55:17 dont elle se surnommait elle-même,
00:55:19 est devenue une femme d'influence courtisée,
00:55:23 mais pas encore une écrivaine célébrée.
00:55:26 Or, un roman va tout changer.
00:55:29 En juillet 1920, Colette publie Chéri.
00:55:37 Elle y raconte l'histoire d'un jeune homme de 25 ans surnommé Chéri,
00:55:41 qui entretient une relation passionnelle
00:55:44 avec une courtisane de 20 ans son aîné.
00:55:47 Malgré le titre, c'est elle le personnage principal du roman.
00:55:51 Une femme mûre, confrontée à la vieillesse du corps
00:55:54 et qui revendique son droit au plaisir et à la liberté.
00:55:58 Il y a chez Colette, dans les relations de Colette
00:56:04 avec les hommes en général,
00:56:07 une sorte d'attendrissement maternel,
00:56:13 un peu condescendant.
00:56:15 C'est mon petit, mais c'est aussi ma petite crapule,
00:56:19 ma petite merveille.
00:56:21 Voilà.
00:56:23 Colette a inventé l'homme-objet.
00:56:25 Chéri, c'est un gros succès.
00:56:40 C'est un livre qui est reconnu, qui est admiré.
00:56:45 Et même le redoutable et parfois sinistre André Gide
00:56:49 finit par écrire à Colette que quand même,
00:56:52 elle en a sous le pied.
00:56:54 Pour le public de l'époque, c'est une révélation.
00:56:56 Colette est considérée comme le plus grand écrivain vivant,
00:57:00 une des rares à avoir pu se renouveler littérairement
00:57:04 après la Première Guerre mondiale.
00:57:06 Il suffit de comparer La Vagabonde et Chéri
00:57:09 pour vraiment mesurer l'évolution de son style.
00:57:11 Il y a des écrivains qui peuvent passer toute une vie
00:57:13 à écrire des dizaines de bouquins
00:57:14 sans trouver deux adjectifs côte à côte comme elle le fait.
00:57:17 C'est vraiment sidérant.
00:57:18 Pour moi, la magie de son style,
00:57:22 c'est d'arriver à ne pas regarder exactement la personne,
00:57:26 mais de faire un pas de côté et d'y revenir par des comparaisons.
00:57:32 Et des comparaisons parfois extrêmement gonflées.
00:57:35 On fait des espèces de mosaïques avec des bouts de ci, de là,
00:57:40 de plantes, de bêtes, etc.
00:57:42 Colette avait-elle imaginé, en écrivant Chéri,
00:57:52 que ce roman était prémonitoire ?
00:57:55 Peut-être écrirait pour elle une manière de se chercher,
00:57:59 de s'essayer à d'autres rôles, à d'autres personnalités,
00:58:03 comme si la littérature précédait la vie.
00:58:07 Imaginez-vous à me lire que je fais mon portrait.
00:58:11 Patience, c'est seulement mon modèle.
00:58:15 À l'été 1920, Colette séjourne à Rosven et accueille pour les vacances
00:58:22 Bertrand Jouvenel, le fils aîné de son mari.
00:58:25 Il a 16 ans, bientôt 17.
00:58:27 Elle en a 47.
00:58:29 Et c'est le début d'une liaison secrète qui durera 5 ans.
00:58:34 Colette a écrit ce qu'on écrit à Rive,
00:58:39 toujours la sorcière,
00:58:41 qui se passait dans Chéri et est arrivée dans sa vie à elle,
00:58:44 c'est-à-dire une femme vieillissante, avec de l'ascendant,
00:58:47 initie,
00:58:49 alors "initie" c'est le mot fréquentable pour dire "dépucelle",
00:58:53 on peut le dire,
00:58:55 un très jeune homme qui s'avère être son beau-fils.
00:58:57 Il l'appelle "ma mère".
00:58:59 Et il a un rapport sexuel avec elle,
00:59:04 c'est plus que troublant.
00:59:06 Moi j'ai un fils adolescent,
00:59:09 et si demain il me dit "maman,
00:59:11 je vis une folle histoire d'amour avec la femme de papa",
00:59:14 ça se terminera sans doute en justice.
00:59:16 Et je suis obligée de lire l'histoire de Colette
00:59:20 avec ce que je suis aujourd'hui
00:59:22 et avec ce que la société nous apprend aujourd'hui.
00:59:24 C'est une histoire qu'on a souvent tort de présenter
00:59:27 de façon grivoise ou scandaleuse.
00:59:30 Pour Bertrand Jouvenel,
00:59:32 qui lui-même en parlera bien des années plus tard,
00:59:35 ça a été vraiment une étape extrêmement importante dans sa vie.
00:59:39 Et il y a cette anecdote que j'aime beaucoup
00:59:41 et qui dit quelque chose de cette relation.
00:59:45 Lorsque Bertrand Jouvenel va la quitter,
00:59:49 Bertrand raconte qu'il voit un petit papier tomber du balcon,
00:59:53 il l'ouvre et sur ce papier il y avait écrit "je t'aime".
00:59:57 Il dit que c'est la première fois qu'elle lui avait dit
00:59:59 et je crois que Colette ne l'a pas souvent dit dans sa vie.
01:00:02 Cet amour subversif inspire à Colette
01:00:16 l'un de ses romans les plus célèbres,
01:00:18 "Le blé en herbe",
01:00:20 premier livre signé de son seul nom.
01:00:22 "Le blé en herbe" raconte l'histoire de deux amis d'enfance,
01:00:25 Phil et Vinca, et de leurs premiers émois amoureux.
01:00:29 L'été de leurs 16 ans, sur une plage bretonne,
01:00:34 apparaît une mystérieuse dame en blanc, Madame Dalrey.
01:00:38 Âgée d'une trentaine d'années,
01:00:40 elle entreprend l'initiation sexuelle de Phil,
01:00:43 le double littéraire de Bertrand Jouvenel.
01:00:46 "Le blé en herbe" paraît d'abord en feuilleton dans "Le matin"
01:00:50 pendant l'été 1922.
01:00:52 Et quelques mois plus tard,
01:00:54 la publication est interrompue.
01:00:56 Effectivement, la publication est stoppée
01:00:59 en raison des plaintes des lecteurs.
01:01:01 Pas du tout parce qu'ils se plaignent
01:01:04 de la relation d'amour entre Madame Dalrey et Phil,
01:01:08 mais parce que Colette s'apprête à décrire
01:01:10 la nuit d'amour entre les deux adolescents,
01:01:13 ce qui paraissait à l'époque absolument inconcevable.
01:01:15 Il n'y a pas du tout chez Colette
01:01:17 d'atmosphère moralisante ou culpabilisante.
01:01:22 Le péché n'a aucun sens pour elle, je crois.
01:01:28 Ça fait partie de ses livres.
01:01:29 Quand on lit les livres, on a l'impression
01:01:31 qu'on prend des coups de soleil.
01:01:33 "Le blé en herbe" provoque le départ d'Henri Jouvenel,
01:01:41 lui qui ne voulait rien voir jusque-là
01:01:43 de la relation entre sa femme et son fils.
01:01:47 Leur divorce est prononcé en avril 1925,
01:01:51 date où s'interrompt aussi la liaison de Colette et Bertrand.
01:01:55 Mais Colette n'en a pas fini avec l'amour,
01:01:59 la grande affaire de sa vie.
01:02:02 "Le blé en herbe"
01:02:06 En 1925, Colette a 52 ans.
01:02:25 Elle rencontre Maurice Goodquet, de 16 ans son cadet.
01:02:29 Il sera son dernier grand amour,
01:02:31 celui qu'elle appellera "mon meilleur ami"
01:02:33 et qui deviendra son mari 10 ans plus tard.
01:02:37 D'origine hollandaise, Maurice Goodquet a alors 36 ans.
01:02:41 Il est courtier en pierres précieuses,
01:02:43 mais c'est aussi un grand lecteur,
01:02:45 un dandy cultivé, généreux.
01:02:48 Il dit que c'est la plus belle saison de sa vie.
01:02:51 C'est la saison du renouveau, c'est la saison de la paix.
01:02:54 Pour Colette, il y a trois saisons de la vie d'une femme.
01:02:58 Il y a la saison qui englobe l'enfance et l'adolescence
01:03:03 et qui est une saison parfaitement libre.
01:03:07 Deuxième saison, la saison de l'éveil à la sexualité,
01:03:14 une saison qui est cette fois une saison pour la femme soumise.
01:03:23 Et puis, troisième saison, une saison bénie, si on en croit l'optimisme de Colette,
01:03:31 qui est la vieillesse, où la femme retrouve sa pleine liberté,
01:03:37 son indépendance et elle retrouve aussi la capacité de nouer avec les hommes
01:03:44 un rapport d'amitié, de camaraderie, d'entente, etc.
01:03:50 [Musique]
01:03:59 Colette est devenue après guerre un classique.
01:04:03 Chacune de ses parutions est un événement.
01:04:05 Quelques années après la sortie de la maison de Claudine,
01:04:08 recueil autobiographique sur l'enfance,
01:04:10 l'un de ses lecteurs rachète la maison natale de Saint Sauveur en Puyset
01:04:14 et en offre l'usufruit à Colette.
01:04:17 Elle y vient à plusieurs reprises pour de courts séjours,
01:04:20 mais sans jamais s'y installer.
01:04:22 Sur la façade, on appose une plaque.
01:04:25 Ici, Colette est née.
01:04:28 [Musique]
01:04:33 Une femme se réclame d'autant de pays natal qu'elle a eu d'amours heureux,
01:04:37 déclare Colette dans La naissance du jour.
01:04:41 Il y eut pour elle les Monts Boucon de Willy à Besançon,
01:04:44 la Bretagne de Missy, le château des Jouvenelles près de Brive-la-Gaillarde.
01:04:49 Il y a désormais Saint-Tropez.
01:04:52 Avec Maurice Goodquet, Colette tombe sous le charme de ce petit port encore préservé.
01:04:58 Elle achète à l'écart du village une modeste bâtisse
01:05:02 qu'elle bâtise la Treille Muscat.
01:05:05 [Musique]
01:05:15 La Treille Muscat.
01:05:18 Est-ce que son nom ne vous en dit pas assez ?
01:05:21 Un jardin, une vigne, beaucoup d'arbres,
01:05:25 sans compter ceux que tous les ans, je replantais et je redoublais.
01:05:30 Elle dit qu'elle a une courte main de jardinière qui écrit.
01:05:36 Et elle va beaucoup insister sur ces choses très terriennes, sur la chair.
01:05:42 Colette n'a d'intérêt que pour ce qui est proche.
01:05:45 Le panorama lui est indifférent, c'est trop loin.
01:05:49 Elle le dit d'ailleurs quand on aime la terre, on a envie d'être près de la terre.
01:05:54 Et on voit bien que la posture favorite de Colette, c'est le nez dans l'herbe.
01:06:03 Elle peut décrire les grêtes du pissenlit,
01:06:08 le zigzag d'un lézard dans l'herbe, un insecte, etc.
01:06:13 (musique)
01:06:26 La treille muscate sert de décor à son nouveau roman,
01:06:30 La naissance du jour, publié en 1928.
01:06:34 Comme tous les autres, il a été très difficile à écrire.
01:06:38 Elle dit souvent qu'elle écrit sans joie, juste pour gagner sa vie.
01:06:43 Mais doit-on croire tout ce que disent les écrivains ?
01:06:49 Je travaille avec un dégoût incroyable et une constance méritoire.
01:06:54 Je ne suis pas sûre que ce soit difficile pour elle d'écrire.
01:06:57 Est-ce qu'il n'y a pas de temps en temps une posture, parce que ça sauve d'écrire.
01:07:01 Elle le dit, elle n'avait qu'une hâte, c'était d'aller à son journal,
01:07:05 développer dans du papier.
01:07:08 Elle dit "je menais une lutte impatiente amoureuse avec la phrase pour l'assouplir
01:07:14 et l'amener à s'asseoir comme une bête apprivoisée".
01:07:18 Je trouvais ça extraordinaire.
01:07:20 On a l'impression que Colette est fatiguée avant d'arriver au dénouement
01:07:24 et qu'elle se débarrasse souvent de l'intrigue avec une sorte de grande désinvolture.
01:07:32 Elle ne sait pas beaucoup comment finir ses romans et du reste,
01:07:38 la composition du roman lui-même est un peu négligente, un peu lâche.
01:07:45 Là où elle excelle à mon avis, c'est dans le texte court.
01:07:50 Et la naissance du jour est de cela.
01:07:56 Une sorte de journal poétique qui la ramène à l'enfance avec en fil rouge Sido.
01:08:02 Avant de l'écrire, Colette relit émerveillé les 400 lettres de sa mère.
01:08:08 16 ans ont passé depuis sa mort.
01:08:10 Il est temps désormais de faire entrer Sido en littérature.
01:08:14 Un personnage hissé à la hauteur d'un mythe.
01:08:19 Dans la naissance du jour, il y a la fameuse lettre de Sido
01:08:24 qui dit "non, non, je ne vais pas venir à Paris, j'ai autre chose à faire d'une certaine manière,
01:08:30 mon cactus rose va fleurir".
01:08:32 Ce miracle de la nature n'arrive que tous les quatre ans
01:08:36 et que du coup, elle ne peut pas le manquer.
01:08:39 Et donc, Colette dit qu'elle est fière d'être la fille de cette femme
01:08:45 capable de refuser quelque chose qui est pour elle un plaisir énorme
01:08:51 au profit du spectacle du cactus rose.
01:08:55 Et puis, on a retrouvé dans sa correspondance la véritable lettre de Sido
01:09:07 et la vraie lettre dit "bien sûr, je viens".
01:09:10 Mais le vrai travail de la Colette de 55 ans, son vrai travail va être de falsifier la lettre
01:09:18 et de la faire réécrire par la femme qu'elle est aujourd'hui, elle.
01:09:23 C'est ça l'autorjet de roman, c'est ça être fille de ces hommes.
01:09:25 1929, la crise financière frappe les écrivains comme tout le monde.
01:09:44 Les romans se vendent moins et l'activité de Maurice Goodcat périclite.
01:09:49 Colette s'imagine alors un nouveau métier.
01:09:56 Elle ouvre un institut de beauté Rumi-Rumé-Nil à Paris.
01:10:00 A l'époque, le maquillage est une activité encore artisanale.
01:10:04 Colette comprend qu'il faut inventer des produits simples, prêts à l'emploi,
01:10:09 des trucs à se foutre sur la peau comme elle dit.
01:10:12 Pour le reste, elle applique une méthode bien rodée, héritée de Willy,
01:10:16 faire de son nom une marque.
01:10:19 "Elle fait tout, elle fait le marketing, elle fait le logo de la maison,
01:10:27 le slogan "Croyez-vous au nom" au second métier de l'écrivain.
01:10:31 Elle pose, elle écrit les recettes, elle va suivre les préparations chimiques,
01:10:35 elle va faire des représentations dans les grands magasins,
01:10:38 dans toute la France, elle fait des tournées pour vendre ses produits."
01:10:42 "Je vous conseille un rouge bien mis, qui n'est pas le toit,
01:10:45 réflectant, car je trouve que c'est les femmes."
01:10:48 "C'est rigolo cette histoire de magasin de beauté de Colette,
01:10:51 mais en fait, ça ne dure qu'un an dans sa vie,
01:10:54 donc on ne peut quand même pas tout à fait le comparer à ses autres métiers,
01:10:57 et d'ailleurs on ne peut pas le comparer parce que dans ses autres métiers,
01:11:00 elle était bonne et là non, ça a fait faillite."
01:11:02 "Elle n'était pas douée, il faut dire les choses assez nettement.
01:11:05 En réalité, Colette avait du maquillage d'une expérience qui datait de la Seine,
01:11:08 c'est-à-dire un maquillage qui était fait pour être vu dans la nuit à 10 mètres."
01:11:13 On reproche beaucoup à Colette de se consacrer au commerce plutôt qu'à l'écriture.
01:11:24 Qu'importe, Colette se sera bien amusée.
01:11:27 Et pas seulement, car en les maquillant,
01:11:29 elle dit qu'elle a redécouvert avec admiration le visage des femmes.
01:11:35 À partir de 1938, Colette inaugure dans Paris Soir une nouvelle rubrique faite pour elle justement.
01:11:41 Vêtements, régimes, maquillages,
01:11:44 Colette s'intéresse à tout mais toujours à contre-courant des dictates de la mode.
01:11:49 Aux silhouettes zweltes des magazines,
01:11:54 elle oppose le droit à la gourmandise, aux corps libres et souples comme le sien.
01:12:02 "Colette disait qu'elle pensait avec son corps,
01:12:05 et j'ai envie de dire qu'elle écrit avec son corps, vraiment.
01:12:08 Et elle écrit, coctaudisait, dans un style où elle use de l'ail,
01:12:15 de toutes sortes d'herbes et de piments rouges qui emportent la bouche."
01:12:20 "Colette, c'est d'abord un corps qui éprouve.
01:12:24 Elle le dit quelque part, ma peau a une âme.
01:12:29 Elle sent les choses. C'est son grand appétit qui dicte sa conduite."
01:12:34 "Dans sa correspondance, elle finissait souvent ses lettres par
01:12:38 'je t'espère pleine d'appétit' et même d'appétit avec un S."
01:12:43 Un appétit qui est aussi une soif de reconnaissance.
01:12:55 L'ex-scandaleuse aspire désormais à une respectabilité très bourgeoise
01:13:00 et sa Légion d'honneur ne lui suffit plus.
01:13:03 "Elle écrit au ministre, mon cher, je serai éligible aux grades supérieurs,
01:13:09 mais je vois qu'un tel l'a déjà obtenue, mais apparemment vous m'avez oublié,
01:13:13 et elle réclame tous les grades.
01:13:15 Et c'est comme ça qu'elle va arriver à obtenir le grade de grand officier
01:13:19 de la Légion d'honneur que peu de femmes avaient obtenue à l'époque.
01:13:23 Et on a des échanges qui sont savoureux, où le grand chancelier fait dire au ministre,
01:13:29 ce n'est pas simplement que Colette se soit montrée à poil sur scène,
01:13:34 mais c'est toute sa littérature qui est à poil."
01:13:37 1936, l'heure de la consécration est aussi celle de régler les comptes.
01:13:44 Colette publie "Mes apprentissages", livre de souvenirs au sous-titre éloquent,
01:13:50 ce que Claudine n'a pas dit.
01:13:52 Il s'agit d'une véritable mise à mort posthume de Willy, enterré depuis 5 ans.
01:13:58 Impuissant, menteur, infidèle, tyrannique, voire violent,
01:14:03 Willy restera pour la postérité ce vieux salaud qui exploite le talent des autres,
01:14:08 à commencer par celui de sa jeune épouse.
01:14:11 "Mais je crois que monsieur Willy avait fait plus que vous demander d'écrire Claudine,
01:14:16 il vous l'avait presque ordonné, n'est-ce pas ?
01:14:19 - Ordonné, ordonné, ce sont des choses.
01:14:23 Est-ce que vous n'êtes venu que pour me rappeler une époque déplaisante de ma vie ?"
01:14:28 Colette continue d'écrire sa légende.
01:14:38 Ceux qui connaissaient Willy assurent qu'il n'en méritait pas tant.
01:14:42 On reproche beaucoup à Colette son infernale méchanceté.
01:14:46 "Alors, cruelle, Colette ?"
01:14:49 "Vous voulez dire par là qu'elle se laissait pas faire ?
01:14:52 Ben non, oui, c'est vrai, Colette se laissait pas faire,
01:14:54 et certainement pas par les hommes, et certainement pas par les hommes qui avaient abusé d'elle."
01:14:58 "Elle a quelque chose d'échat, je trouve qu'elle comprenait si bien,
01:15:02 elle a des coups de griffe terribles, terribles."
01:15:05 "Pardon de le rappeler, mais les créateurs, les écrivains, ce sont des monstres.
01:15:09 On ne fait pas de littérature avec de bons sentiments,
01:15:12 je veux dire, Colette, elle a voulu créer une œuvre, écrire,
01:15:17 imposer sa liberté, imposer ses choix,
01:15:20 et Colette est un monstre, un monstre magnifique, mais c'est un monstre."
01:15:25 À la fin de l'entre-deux-guerres, Colette emménage dans ce qui sera sa dernière maison.
01:15:34 Alors qu'elle habite sur les Champs-Élysées,
01:15:36 elle confie à un journaliste son regret de ne pouvoir occuper le premier étage du 9 rue de Beaujolais,
01:15:42 place du Palais-Royal, où elle a vécu jadis dans un entre-sol.
01:15:46 Quelques jours plus tard, elle reçoit un courrier des occupants.
01:15:50 "Madame, nous déménageons, cet appartement est à vous."
01:15:54 Elle y entre le 5 janvier 1938 pour ne plus le quitter.
01:15:59 Colette endosse alors son tout dernier rôle, celui de la bonne dame du Palais-Royal.
01:16:06 [Musique]
01:16:19 Le 3 septembre 1939, la France et le Royaume-Uni déclarent la guerre à l'Allemagne.
01:16:24 Dans un premier temps, et contre l'avis de tous, Colette décide de rester à Paris.
01:16:30 Mais en juin 1940, c'est l'Exode.
01:16:33 [Musique]
01:16:35 Colette se réfugie auprès de sa fille, installée en Corrèze.
01:16:38 Avec le temps, leur relation s'est apaisée, toujours distante, mais empreinte de tendresse.
01:16:46 L'écrivain Jean Cocteau, ami de longue date, disait qu'il vit toujours la mère et la fille,
01:16:53 se cherchèrent à tâton comme dans une amoureuse partie de cache-cache.
01:16:59 Colette ne reste que quelques mois en Corrèze, avant de rentrer à Paris,
01:17:03 bien décidée à y rester jusqu'à la fin de la guerre.
01:17:06 [Musique]
01:17:12 Dès lors, il s'agit pour Colette de gagner sa croûte.
01:17:15 D'autant que son mari, Maurice Guttkett, est juif,
01:17:18 et se voit progressivement interdire toutes les professions qu'il pourrait exercer.
01:17:22 La signature de Colette s'invite dans plusieurs journaux collaborationnistes,
01:17:27 comme Le Petit Parisien, Gringoire ou Candide.
01:17:30 L'écrivaine prétend ne rien comprendre aux péripéties politiques,
01:17:34 et se cantonne le plus souvent aux pages pour dames,
01:17:36 comme dans Marie-Claire, qui lui dédie son centième numéro.
01:17:40 À celle qui reste, elle donne ses conseils pour survivre,
01:17:44 des recettes de pauvres comme sa flognarde, qui connaît un immense succès.
01:17:48 Mais en écrivant dans les journaux Colabo,
01:17:51 Colette s'est-elle compromise avec l'occupant allemand.
01:17:56 Pour dire les choses, moi je suis plus qu'agacé, extrêmement en colère,
01:18:00 face au procès qu'on fait à Colette pendant la Seconde Guerre mondiale.
01:18:04 Qu'attendait-on d'une femme de 70 ans, immobilisée par l'arthrose au Palais-Royal,
01:18:09 qui continuait à vivre menacée parce qu'elle avait un mari juif ?
01:18:14 Qu'attendait-on d'elle ? Qu'elle prenne le maquis ?
01:18:17 Il y a une chose à mettre à son crédit, c'est qu'elle ne publie pas de textes idéologiques.
01:18:21 Elle ne fait pas d'ode à Pétain, elle ne glorifie pas les Allemands,
01:18:26 elle n'appelle jamais à la délation, elle n'appelle jamais à la persécution,
01:18:31 elle n'exprime rien contre les juifs.
01:18:34 Il n'y a rien de tout ça dans les écrits de Colette de cette époque.
01:18:37 Mais elle écrit dans des journaux qui sont, pour certains,
01:18:41 non seulement fréquentés par des gens infréquentables,
01:18:45 mais dirigés par des gens infréquentables.
01:18:47 Elle a des raisons financières de devoir écrire dans les journaux,
01:18:50 mais ça c'est une chose qui, malgré tout, me gêne un peu.
01:18:55 Et Aragon avait eu cette phrase très belle dans un poème qui lui est dédié après sa mort.
01:19:02 Il dit « Quand tout n'était qu'horreur, elle regardait les arbres ».
01:19:08 Ça m'embête, ou plus que ça.
01:19:13 Je trouve qu'Aurad et Pâquerette, c'est une formule qui dit beaucoup
01:19:19 de la posture favorite de Colette, comme j'ai dit, le nez sur l'herbe,
01:19:24 mais aussi le côté qu'on pourrait un peu moquer.
01:19:30 Quand on vit la tragédie, au milieu d'une guerre, de bombardements,
01:19:37 de souffrances épouvantables, il vaut mieux ne pas avoir seulement le rat des Pâquerettes.
01:19:45 Le rat des Pâquerettes ne suffit pas tout à fait.
01:19:47 Aujourd'hui, on a assez de recul et de pièces pour pouvoir voir ce qui était de l'ordre du compromis
01:19:56 ou ce qui était vraiment de l'ordre de la pure saloperie,
01:19:59 comme ont pu le faire des gens comme Wilferdine Ancenine ou Robert Braziac.
01:20:03 Je pense qu'on peut exclure la pure saloperie.
01:20:06 Et on est quelque part entre la survie, le compromis et la compromission.
01:20:15 Le 12 décembre 1941, la guerre rattrape Colette.
01:20:20 Au petit matin, Maurice Goodquet est arrêté par la Gestapo
01:20:25 et conduit avec 742 autres personnes au camp de Compiègne-Royalieux pour y être déporté.
01:20:32 C'est la rafle des notables.
01:20:34 Tous sont juifs, français et appartiennent à l'élite intellectuelle.
01:20:40 Colette remue ciel et terre.
01:20:42 Elle fait jouer toutes ses relations, frappe à toutes les portes,
01:20:45 jusqu'à celle de l'ambassadeur d'Allemagne à Paris, dont l'épouse est une grande admiratrice.
01:20:50 Grâce à son aide, Maurice Goodquet est libéré le 6 février 1942,
01:20:56 un mois avant le départ du premier convoi pour Auschwitz.
01:21:00 Jusqu'à la fin de la guerre, il mènera une vie semi-clandestine,
01:21:09 cachée dans le midi, puis à Paris, quittant l'appartement chaque soir pour aller dormir ailleurs.
01:21:15 Colette, elle, confinée au palais royal, regardera la guerre de sa fenêtre.
01:21:21 À la libération, Colette n'est pas inquiétée.
01:21:30 Elle peut compter sur le soutien de Louis Aragon, qui lui vaut une immense admiration.
01:21:35 Colette semble intouchable, et elle continue d'enchaîner les honneurs.
01:21:40 Le 2 mai 1945, à 72 ans, elle est élue à l'académie Goncourt,
01:21:46 avant d'en devenir la présidente quatre ans plus tard.
01:21:50 Pour résumer son improbable trajectoire, une danseuse nue devenue monument national,
01:22:00 Jean Cocteau, son voisin du palais royal, a cette formule.
01:22:05 Vite Colette, scandale sur scandale, puis tout bascule, et elle passe au rang d'idole.
01:22:12 - C'était Cocteau qui regardait toute la célébrité de la vieille Colette d'un œil extrêmement critique,
01:22:21 ça ne lui plaisait pas du tout.
01:22:23 Parce qu'il y a toujours une forme de malentendu dans la célébration.
01:22:28 Quand on rend hommage, quand on célèbre, c'est qu'évidemment, on n'éclaire pas les zones d'ombre.
01:22:35 Or, ce qui rend Colette fascinante, c'est aussi l'ombre.
01:22:38 - La consécration, c'est bien, mais je pense que ça a un peu occulté, pendant quelques décennies,
01:22:45 tout ce qu'il y avait de percussions, d'audaces, de transgressions dans son travail.
01:22:54 Quand on la voit comme ça, en baronne, aux yeux en amande, avec son trait de maquillage,
01:23:00 et puis quand on relie les premiers Claudine, on se dit "Waouh !"
01:23:05 En fait, sous la montagne, se cacher quelque chose, c'est quand même du vif argent.
01:23:13 Jusqu'aux plus noirs de l'occupation, Colette a toujours écrit et publié.
01:23:23 Notamment une oeuvre majeure, "Gigi", parue en 1945.
01:23:27 L'histoire, là encore, d'une jeune fille amoureuse de l'amour, sur fond de belle époque.
01:23:32 "Gigi" est un immense succès, traduit dans le monde entier, adapté au théâtre et au cinéma,
01:23:38 avec Audrey Hepburn notamment, découverte par Colette elle-même, qui lui offre son premier grand rôle.
01:23:48 "Gigi" sera aussi la dernière créature légendaire de Colette, sa dernière fiction.
01:23:53 Au soir de sa vie, elle doit désormais affronter, seule, sa dernière épreuve, la vieillesse et la maladie.
01:24:14 Depuis plusieurs années, Colette souffre d'arthrite sévère.
01:24:18 Elle a beau multiplier les traitements et les cures, rien n'y fait. La douleur est implacable.
01:24:24 Dès la fin des années 40, Colette est gravement handicapée,
01:24:29 et ne quitte presque plus son appartement du Palais Royal, veillé par Maurice Gaudquette et Pauline Vérine, sa gouvernante depuis 38 ans.
01:24:41 Lors de son revenu, elle allume ce qu'elle appelle son "fanale bleu", une lampe recouverte de feuilles bleues, son papier d'écriture.
01:24:48 Le "fanale bleu", ce sera d'ailleurs le titre de son dernier livre, publié en 1949, un essai aux allures de testament.
01:24:56 "Quand elle sera plus âgée, et qu'elle aura du mal à se déplacer, qu'elle ne pourra plus écrire assise sur une chaise à un bureau,
01:25:04 elle aura ce fameux radeau de travail, une espèce de lit dans lequel elle va écrire "couchée assise",
01:25:13 et elle va dire qu'elle a plein d'amis qui viennent s'asseoir, je la cite, à la poupe de son radeau de travail,
01:25:20 donc il y aura Cocteau, Marais, etc. qui vont venir là."
01:25:23 "On vient la voir, on vient la visiter comme le pape,
01:25:29 alors que beaucoup de femmes comme elle, c'est-à-dire des femmes qui ont joué de leur image publique et de leur beauté,
01:25:38 ne souhaiteraient pas qu'on les voit.
01:25:40 Et elle, elle s'expose, et on le voit dans les derniers portraits,
01:25:47 particulièrement dans ce portrait admirable fait par le grand photographe américain Irving Penn,
01:25:51 où elle le regarde comme ça, et on dirait presque un dompteur."
01:25:57 "C'est un peu comme un film, un film de l'âme,
01:26:00 c'est-à-dire que l'âme est une espèce de créature qui est en train de se développer,
01:26:05 et qui est en train de se développer, et qui est en train de se développer,
01:26:09 et qui est en train de se développer, et qui est en train de se développer,
01:26:13 et qui est en train de se développer, et qui est en train de se développer,
01:26:17 et qui est en train de se développer, et qui est en train de se développer,
01:26:21 et qui est en train de se développer, et qui est en train de se développer,
01:26:24 et qui est en train de se développer, et qui est en train de se développer,
01:26:27 et qui est en train de se développer, et qui est en train de se développer,
01:26:30 et qui est en train de se développer, et qui est en train de se développer,
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