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00:00 rendez-vous. Bienvenue dans Derrière l'image, notre rendez-vous pour prendre le temps de
00:04 décrypter l'info à partir de photos qui font sens. Et nous nous rendons aujourd'hui
00:09 au Hauteschade où Idriss Déby a prêté serment la semaine dernière en tant que président.
00:13 On le rappelle, il a remporté l'élection dès le premier tour, c'était le 6 mai,
00:17 un scrutin boycotté par l'opposition. Les résultats de l'élection ont été annoncés
00:21 dès le 9 mai, soit trois jours après. Dans la foulée de l'annonce, des tirs de célébrations,
00:28 dont ont eu lieu dans différentes villes du pays, notamment à Djamena la capitale.
00:32 Des armes lourdes et légères ont été utilisées, dont une roquette. C'est notre image du jour,
00:38 vous allez la découvrir. Elle est commentée aujourd'hui par Chloé Lauvernier des Observateurs
00:42 de France 24. Bonjour Chloé, que nous dit cette photo exactement ?
00:44 Et bien cette image montre les restes d'une roquette de type RPG-7, selon plusieurs experts
00:50 que nous avons contactés. C'est précisément un porte-élètes, donc c'est la partie de
00:54 la roquette qui permet de la stabiliser en vol. Et j'ai choisi de vous montrer cette
00:58 image car les restes de cette roquette ont été retrouvés dans la maison d'un habitant
01:02 de N'Djamena, dans le quartier Ridina. Cet habitant, il s'appelle Hassan Baba Abazen.
01:07 Il a perdu sa femme le soir du 9 mai à cause de cette roquette qui est rentrée dans leur
01:12 maison. Et ses trois filles, âgées de 6 et 7 ans, ont aussi été blessées. Donc on
01:17 va tout de suite écouter son témoignage pour comprendre ce qui s'est passé ce soir-là.
01:20 Après avoir donné le résultat, on a commencé à écouter des tirs, des tirs qui venaient
01:28 de partout. Ma femme et mes enfants étaient dans la cour. Comme je commençais à écouter
01:33 des tirs, j'ai demandé à madame de faire entrer les enfants dans sa chambre. Et j'attends
01:39 derrière moi un bruit que je n'arrive même pas à comprendre, un bruit que jusqu'à là
01:45 je n'arrive même pas à vraiment le décrire. C'était fort horrible. Dès que je me suis
01:50 retournée, je vois ma femme par terre, du sang qui coulait de partout, mes enfants.
01:55 J'ai crié. Entre temps, j'ai même perdu un peu de connaissance. J'ai crié à l'aide,
02:01 à l'aide, au secours, au secours. On les a amenés à l'hôpital. Mais malheureusement,
02:06 ma femme n'a pas pu résister. Voilà, donc cet habitant a perdu sa femme
02:11 et ses filles. Ses trois filles ont aussi été blessées. Elles ont reçu des éclats
02:16 à différents endroits du corps. La plus grande a même été gravement touchée au
02:19 niveau de l'abdomen. C'est ce qu'on voit sur cette photo qu'on a évidemment décidé
02:24 de flouter. Donc voilà, c'est encore une photo, comme vous pouvez le voir, de l'aîné.
02:30 Voilà, il y avait un événement absolument dramatique. Est-ce qu'on a des nouvelles
02:34 des enfants de cette famille ? Oui, alors les trois filles d'Hassan sont
02:37 toutes sorties de l'hôpital. La plus grande qu'on a vue précédemment a été opérée
02:41 au niveau du ventre. Et elles vont bien. En tout cas, elles sont hors de danger désormais.
02:45 Mais tout ne va pas bien pour autant. On va réécouter leur père pour comprendre dans
02:51 quel état d'esprit il se trouve actuellement.
02:53 Ça va un peu, mais elles ne faisaient que demander leur maman. Et jusqu'à présent,
03:02 on ne les a pas dit que leur maman est décédée. On continue à leur mentir en disant qu'elle
03:08 est partie en voyage, voilà, voilà, voilà. Vous savez, c'était ma moitié qui est partie.
03:12 Donc moi-même, je suis touché. C'est-à-dire psychologiquement, je suis là, d'accord,
03:18 mais c'est compliqué. La nuit, on n'arrive pas à dormir. J'ai fait semblant, mais en
03:23 réalité, je ne dors pas. On n'est même pas les responsables.
03:26 Voilà, donc Hassan est très touché, on le comprend. C'était lui qu'on voyait sur
03:32 les images avec sa femme. Et alors leur maison a aussi été très endommagée le soir du
03:37 9 mai. Comme ça, c'est des dégâts dans la maison d'Hassan. Selon un expert en balistique
03:45 que nous avons contacté, on a donc une tête de roquette qui a explosé avec des fragments
03:50 qui ont été projetés dans toute la pièce. On va voir une autre photo juste après où
03:55 on va voir, ça c'est encore les impacts sur les murs du salon de Hassan. Et ça, c'est
04:02 une autre photo qu'on a voulu vous montrer. En fait, c'est un autre morceau de la roquette
04:06 qui a été retrouvé dans la maison d'Hassan. C'est la partie qui se trouve derrière la
04:11 tête de la roquette. Voilà, c'est une roquette qui a donc été tirée le soir du 9 mai, on
04:18 revient au début de l'histoire. Des tirs de célébration avaient lieu un peu partout,
04:23 dans différents endroits de Jaména. Est-ce que l'on sait si cette maison a été touchée
04:26 par une advertence ou s'il a été ciblé délibérément ? Alors, toujours selon l'expert
04:32 en balistique que nous avons contacté, au vu de ces images, la maison n'était probablement
04:36 pas visée en tant que telle. Cela dit, personne ne comprend pourquoi une roquette a été
04:41 utilisée ce soir-là pour célébrer la victoire du président. En fait, ce soir-là, ce sont
04:47 surtout des armes légères, comme des kalachnikovs qui ont été utilisées, ou encore des mitrailleuses.
04:52 Donc, ce sont surtout ces armes-là qui ont fait des victimes parmi la population.
04:57 Vous avez d'ailleurs parlé avec une autre personne qui, elle, a été victime de ces
05:01 tirs là aussi ce soir-là. Oui, j'ai aussi parlé avec un infirmier
05:05 qui s'appelle Issa Algoni Abakar, qui vit dans le quartier Ridina. C'est le même quartier
05:10 que celui d'Assane. Lui, c'est sa fille de 5 ans qui a été touchée par une balle
05:15 au niveau de la jambe alors qu'elle dormait dans sa maison. La balle a transpercé le
05:20 toit. Donc là, on voit la balle qui a transpercé le toit, qui est arrivée dans la maison d'Issa.
05:26 C'est une balle de calibre 7,62 mm qui vient d'un tir de kalachnikov. Un expert nous l'a
05:32 confirmé. Ça, c'est le trou qui a été causé par cette balle. C'est un trou dans
05:38 le toit de la maison d'Issa. Et comme Issa avait un petit peu de matériel chez lui,
05:44 il a pu extraire lui-même la balle de la jambe de sa fille. Il a pu suturer la blessure.
05:50 Donc là, on voit quelques images. Il lui a mis un bandage. Une radio a été faite
05:54 de la jambe de sa fille. Et il nous a dit que la plaie évoluait bien, heureusement.
06:01 Et Issa nous a dit un petit peu la même chose qu'Assane. Il ne sait pas qui a tiré cette
06:06 balle. Mais dans la rue, il a vu des hommes habillés en civil qui tiraient en l'air depuis
06:12 des motos et des véhicules. Cela dit, il nous a bien précisé que ces hommes ne semblaient
06:17 pas tirer directement sur les maisons. Donc en fait, les témoignages et les photos et
06:22 les images qui ont circulé ce soir-là montrent que ce sont à la fois des hommes habillés
06:26 en civil et des hommes en uniforme militaire qui ont tiré en l'air dans les rues. On va
06:31 d'ailleurs écouter une de ses vidéos. Voilà, donc là, en fait, ce sont des hommes en uniforme
06:49 qui ont tiré depuis l'enceinte de la présidence à N'Djamena, le soir du 9 mai. Des tirs de
06:55 célébration, donc, si on vous suit bien, qui ne sont pas sans conséquence. Est-ce
06:59 qu'on sait combien de personnes ont été tuées ou encore blessées ce soir-là ? Non,
07:04 en fait, cela fait presque trois semaines que ces tirs ont eu lieu et les autorités
07:07 n'ont toujours pas communiqué de bilan des victimes. La semaine dernière, nous avons
07:11 parlé avec le ministre de la Communication du Tchad. Sa réponse apparaît d'ailleurs
07:16 dans un article que nous avons publié sur le site des observateurs. Il nous a dit qu'un
07:21 bilan serait fait d'ici deux ou trois jours. Il a aussi reconnu qu'il y avait eu, je cite,
07:25 « beaucoup de blessés et peut-être un ou deux morts », mais on attend toujours le
07:30 bilan définitif. Alors, du côté des médias tchadiens, le quotidien Le Progrès a recensé
07:36 sept morts, dont six dans la capitale et près d'une centaine de blessés. C'est un article
07:41 qui a été publié le 13 mai. RFI et TV5 Monde ont parlé d'une dizaine de morts au moins
07:48 dans la capitale. Il faut rappeler qu'il n'a pas été facile pour les journalistes
07:52 d'établir un bilan des victimes, car au lendemain de ces tirs de joie, une circulaire
07:57 du ministère de la Santé a circulé. Elle a interdit aux hôpitaux de leur fournir les
08:02 chiffres relatifs au nombre de blessés et de morts en raison de ces tirs de joie.
08:06 Voilà les cas notamment de cette famille dont on parlait tout à l'heure, cette femme qui
08:11 est décédée, sa fille, ses enfants blessés qui sont loin d'être des cas isolés. Comment
08:17 est-ce qu'on explique, comment est-ce que les autorités expliquent que des tirs aient
08:21 eu lieu comme ça ce soir-là ?
08:23 C'est effectivement la grande question. Selon le ministre de la Communication, ces
08:28 tirs s'expliquent par une joie spontanée de la part des militaires après l'annonce
08:32 du résultat de la présidentielle. Mais le ministre a quand même reconnu que les militaires
08:37 avaient exprimé leur joie de façon excessive et disproportionnée. Donc il a condamné
08:42 ce qui s'était passé. Il a dit qu'une enquête avait été ouverte et que les auteurs
08:46 des tirs seraient poursuivis.
08:48 De son côté, l'expert en balistique avec qui nous avons parlé nous a dit qu'il faudrait
08:53 un meilleur encadrement de ces militaires. Car en voyant l'une des vidéos, il a dit
08:58 que ces tirs ne semblent choquer personne alors qu'ils peuvent avoir des conséquences très
09:02 graves. Car on le rappelle, les tirs de joie font des morts chaque année dans différents
09:07 pays du monde. C'est le cas notamment en Irak, au Liban, au Pakistan ou même aux Etats-Unis.
09:13 Mais pour revenir au Tchad, ces tirs ont été interprétés aussi comme une forme d'intimidation.
09:19 L'un de nos observateurs, N'Djamena, nous a d'ailleurs raconté que le jour de l'élection,
09:24 l'armée a déployé des armes lourdes un peu partout en ville, avant même l'annonce
09:29 des résultats. Cet observateur nous a dit, je cite, "c'était une façon de faire peur
09:35 pour qu'il n'y ait pas de contestation des résultats et pas de manifestation".
09:38 Voilà, après on va le rappeler, le résultat de cette élection qui a été annoncé seulement
09:43 trois jours après le scrutin, ce qui a surpris beaucoup d'observateurs et suscité des interrogations
09:48 quant à la fiabilité des résultats. Merci beaucoup, Chloé Lauvernier des observateurs
09:52 de France 24, cette enquête menée à partir de ces témoignages et après ces victimes,
09:59 des blessés mais aussi des morts, cette soirée-là au Tchad.

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