À 9h05, les débatteurs du jour sont Jérôme Fourquet, Nicolas Beytout et Michaël Zemmour. Thème du jour : De quoi l’économie française est-elle malade ? Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-mardi-28-mai-2024-9114332
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00:00Ce débat, ce matin, sur un tableau plutôt sombre de l'économie française, dressé
00:06par le politologue Jérôme Fourquet dans une longue étude publiée dans le Figaro.
00:10Un concept y est avancé pour décrire la France, c'est le stato-consumérisme, soit
00:18d'un côté l'extension permanente de la dépense et de la sphère publique et de l'autre
00:25le primat accordé à la consommation au détriment de la production.
00:30Alors on va voir ce que ça veut dire exactement, on va rentrer dans les détails, mais à lire
00:35Jérôme Fourquet, on sent bien que ce n'est pas le signe d'une économie en bonne santé.
00:40Pour en parler, l'auteur de l'étude, Jérôme Fourquet, bonjour, politologue, directeur
00:46du département d'opinion de l'IFOP, Michael Zemmour, bonjour, économiste, enseignant-chercheur
00:53à l'université Lumière-Lyon 2 et chercheur associé à Sciences Po, et pour boucler ce
00:59tour de table, Nicolas Béthoud, le directeur du quotidien L'Opinion, bonjour à vous
01:04aussi.
01:05Bonjour.
01:06Et merci d'être là.
01:07Avant d'entrer dans les chiffres, d'ouvrir le débat, et pour qu'on comprenne bien les
01:10tenants et les aboutissants, parlez-nous, Jérôme Fourquet, du fonctionnement économique
01:15d'une ville moyenne.
01:16C'est une bonne porte d'entrée, je crois, dans le sujet, d'où vient l'argent, comment
01:20circule-t-il, comment est-il dépensé, quel est le modèle économique ?
01:24Écoutez, je circule pas mal en France, et cette réalité m'est apparue il y a quelques
01:32temps déjà.
01:33Historiquement, beaucoup de nos villes étaient organisées autour des activités productives
01:39avec la présence d'industries, et au terme d'une quarantaine d'années de désindustrialisation,
01:46si on a des signaux positifs aujourd'hui qui s'allument, ce tissu industriel a été
01:53disloqué dans de très nombreuses villes moyennes françaises.
01:56Aujourd'hui, le premier employeur est soit la grande surface du coin, soit l'hôpital
02:01public.
02:02Donc, quel est le métabolisme simplifié, bien évidemment ? Comment circule la masse
02:09monétaire dans une ville moyenne française ?
02:11Le principal apport financier, c'est la dépense publique via le traitement des fonctionnaires,
02:18fonctionnaires d'État, hospitaliers, fonctionnaires territoriaux, les prestations sociales, allocations
02:25chômage, allocations familiales, RSA, etc., toutes les autres aides qui existent, et puis
02:32bien évidemment aussi les pensions de retraite, puisqu'on est un pays qui vieillit et on
02:36a un nombre très important de retraités.
02:38Cette masse financière ensuite est dépensée.
02:41Voilà, alors comment ?
02:42Elle est dépensée, et quand on regarde un petit peu le fonctionnement de l'économie
02:47commerciale en France, 70% du commerce s'effectue dans les zones commerciales de périphérie
02:52qui sont quadrillées par la grande distribution, et donc qui récupère toute une partie de
02:57cette masse financière, sur laquelle est assise de la TVA, également de la fameuse
03:04l'ancien nom c'était la taxe intérieure sur les produits pétroliers, puisqu'on sait
03:08que plus de 60% du carburant est écoulé par la grande distribution, et donc tout ça
03:13repart ensuite dans les caisses de l'État.
03:14Donc on peut se dire, bon c'est un circuit fermé qui fonctionne pas mal, à ceci près
03:18qu'on a deux fuites dans le système, d'une part la puissance publique injecte plus qu'elle
03:24ne retire, d'où le déficit public, et d'autre part toute une partie de ce qui est consommé
03:28dans ces zones commerciales n'est plus produit en France, alors ça fait longtemps que tout
03:32n'est pas produit en France, mais le taux de couverture de notre consommation par la
03:37production nationale s'est très fortement abaissé, et donc l'année dernière c'est
03:44au bilan 100 milliards d'euros de déficit commercial.
03:47Michael Zemmour, est-ce grave docteur ?
03:50Sans doute un peu moins grave que le portrait qui en est dressé, parce que dans une ville
03:58moyenne comme partout ailleurs, d'abord ce diagnostic il est commun à beaucoup de pays,
04:02si vous prenez l'Angleterre par exemple, l'essentiel du PIB vient de ce qui se passe
04:06à Londres, et en particulier à la City, et le reste du pays est aussi lié par des
04:12transferts.
04:13La deuxième chose, et ça c'est très net dans l'essai de Jérôme Fourquet, il y a
04:18une forme de confusion je crois entre production industrielle et production de valeurs.
04:23Il y a clairement eu un processus de désindustrialisation en France, et dans beaucoup de pays développés
04:28en réalité, qui marquent fortement certains territoires, et qui ont du mal à s'en relever,
04:33mais la production de valeurs elle est multiple.
04:35Un service public, ça produit de la valeur, d'ailleurs quand les services publics partent,
04:39il y a des services qui ne sont pas rendus.
04:40Des entreprises privées de services, ça produit aussi de la valeur, et donc l'idée
04:45de dire la France dépense beaucoup mais ne produit plus rien, ça c'est un diagnostic
04:49avec lequel les économistes ne peuvent pas être d'accord de manière générale.
04:53Nicolas Béthoud sur la question de la production, elle est centrale dans l'étude de Jérôme
05:00Fourquet, sur la production, tableau sombre, l'automobile, les usines délocalisées
05:06dans l'Est de l'Europe, agriculture soumise à la concurrence du modèle productiviste
05:10de l'Europe du Nord et de pays du Sud à faible coût de main d'œuvre, transport
05:15de marchandises, etc.
05:16Il a une formule, il dit en gros ce qui reste c'est le rafale, le champagne et le cognac.
05:22Le luxe et les armes.
05:24D'abord je trouve que c'est une démonstration qui est saisissante, absolument saisissante,
05:29et qui colle vraiment bien à la réalité.
05:32Jérôme Fourquet donne dans son papier comme exemple la vallée de la Seine qui était
05:36une vallée industrielle.
05:37Je connais pas mal une ville moyenne qui s'appelle Les Anglis que Jérôme pointe dans ses tableaux.
05:46Et on voit là-bas comme la pauvreté est arrivée sur un secteur dans lequel à la
05:53fois le chômage et la sortie complète du marché du travail ont touché toute une série
06:01de populations.
06:02Ce qui me paraît, contrairement à ce que disait Michael Zemmour, non pas moins grave
06:07mais plus grave même que ce que dit Jérôme, c'est qu'on a du mal à imaginer comment
06:12on sort de ce constat.
06:15Il existe, il est là, comment est-ce qu'on en sort sans une rupture ou même deux ruptures
06:21très franches ?
06:22La première rupture qui me paraît indispensable c'est casser cette logique d'échec, des
06:29aides, des passes ceci ou cela.
06:32Vous regardez dans les différents sites de l'administration publique le nombre d'aides
06:41et de passes, y compris ceux qui ont été créés très récemment.
06:44On a probablement sur votre antenne aussi beaucoup brocardé le bonus réparation pour
06:51les vêtements, les chaussures, etc.
06:53Imaginez que ce bonus avec tout ce que ça comporte de règles absolument ridicules date
07:00de novembre 2023, c'est-à-dire à un moment où on avait dit c'est fini le quoi qu'il
07:04en coûte, c'est fini la distribution des aides, c'est fini la distribution de chèques
07:07cadeaux.
07:08Cette logique-là, il faut en sortir et donc ce sera douloureux par un certain nombre d'années.
07:11La deuxième logique qu'il faut casser c'est la logique de l'assistanat sur un certain
07:16nombre de sujets et en particulier celui de l'indemnisation du chômage.
07:21C'est ce que le gouvernement est en train d'essayer de faire en durcissant les modalités
07:28d'indemnisation du chômage pour essayer de revenir à un standard européen.
07:32Jérôme, dans son travail, parle de la France.
07:37C'est vrai qu'il y a d'autres pays qui ont à peu près la même situation que la
07:41nôtre.
07:42La différence entre la France et beaucoup d'autres pays, en particulier l'Allemagne
07:45qui est une économie à peu près comparable, c'est l'indemnisation du chômage.
07:48Michael Zemmour puis Jérôme Fourquet.
07:50Je ne suis absolument pas d'accord quand on compare l'assurance chômage, les différents
07:54paramètres à la fois de durée, de niveau d'indemnisation de la France et des autres
07:58pays européens.
07:59En fait, la France se situe dans la moyenne.
08:01Par exemple, le niveau d'indemnisation en France est plutôt plus bas que dans beaucoup
08:04d'autres pays.
08:05La durée peut être un peu plus longue que dans certains.
08:07Et l'éligibilité à l'assurance chômage est comparable.
08:10Il faut rappeler qu'il y a seulement 40% des chômeurs et des chômeuses qui sont indemnisés.
08:14Mais l'assurance chômage a une fonction économique.
08:16La première, c'est que quand vous perdez votre emploi, on amortit la baisse de revenu.
08:21Par exemple, si vous finissez un CDD à Radio France, vous devez continuer à payer votre
08:25loyer.
08:26L'assurance chômage est là pour ça.
08:27Et puis, la deuxième fonction, c'est de permettre de trouver un emploi qui correspond
08:31à votre qualification.
08:32Et là, ça rejoint la tribune de Jérôme Fourquet.
08:34C'est-à-dire que si on précipite les gens à accepter le premier emploi qui passe,
08:38le risque, c'est que les personnes qui ont un certain niveau de qualification, c'est
08:41ce qu'on observe, acceptent des emplois plutôt déqualifiés.
08:44Et en ce moment, ce qu'on observe, c'est certes une baisse du chômage, mais une vraie
08:48baisse de la productivité.
08:49Donc, ce qui est très inquiétant avec la réforme de l'assurance chômage…
08:52Le baisse de la productivité n'est pas liée à l'évolution du chômage, franchement.
08:57Justement, si.
08:58Il y a une inquiétude…
08:59C'est un sujet qui interroge les économistes depuis plus de 10 ans et qui n'est pas lié
09:03au fait que le chômage baisse en ce moment.
09:05Alors, la baisse de la productivité n'a pas plus de 10 ans, mais une des raisons,
09:08et certainement pas la seule, je suis d'accord avec vous, c'est que quand vous précipitez
09:11quelqu'un à accepter un emploi de moindre qualité, l'emploi risque d'être moins
09:16productif.
09:17Jérôme Fourquet, sur le durcissement, puisque c'était le second point de Nicolas Béthoud,
09:22sur le durcissement des droits à l'assurance chômage.
09:28On voit la logique du point de vue du gouvernement.
09:33Je ne sais pas si c'était sur votre antenne, il y a quelques mois, le ministre de l'économie,
09:37Bruno Le Maire, avait dit à périmètre constant, nous n'arriverons pas à ramener à 5% le
09:44taux de chômage.
09:45Et donc, eux sont convaincus qu'il faut faire bouger le curseur.
09:51Moi, je n'ai pas forcément d'avis sur cette question-là.
09:55Je voudrais souligner un autre point qui me semble important, c'est que ce gonflement
10:03de la sphère publique, c'est un coût bien évidemment, mais ça induit aussi une bureaucratisation
10:10à tous les étages.
10:11Et donc ça aussi, ça coûte beaucoup et ça pénalise.
10:17Je vais reciter Bruno Le Maire qui, pour présenter un énième choc de simplification il y a quelques
10:24mois, a estimé, je ne sais pas comment ça a été calculé, mais que le coût du remplissage
10:32de la paperasserie et de se mettre au standard des contraintes administratives s'est estimé
10:39à trois points de PIB.
10:40Ce qui est énorme et ce qui est assez fascinant, c'est qu'on a une dépense publique qui
10:45est parmi les plus élevées au monde, mais quand vous prenez les enseignants, quand vous
10:49prenez les chercheurs, quand vous prenez les policiers, quand vous prenez les infirmières,
10:52ils sont tous parmi les moins bien payés de la zone euro.
10:57Donc on a aujourd'hui un problème manifeste dans ce fonctionnement de la sphère publique
11:06et parapublique.
11:07Et je prends aussi par exemple le cas de l'hôpital de Valenciennes, qui est un des rares hôpitaux
11:13français qui est à peu près à l'équilibre, où le taux, la proportion de personnel non-soignant
11:19est parmi les plus faibles de France.
11:22Sur le sujet du chômage, il faut rappeler des choses assez simples.
11:28Lors du premier quinquennat d'Emmanuel Macron, la logique a été installée de dire qu'il
11:34faut ramener les gens dans la sphère du travail.
11:37Il faut redonner aux gens, si ce n'est l'envie, en tout cas le besoin qui provoquera aussi
11:42l'envie de travailler.
11:43Et tout ça s'est calé sur un exemple qui a plutôt pas mal fonctionné, qui est l'exemple
11:49allemand avec deux réformes qui se sont passées en quatre temps, mais deux réformes
11:53qui s'appellent les réformes Hartz.
11:55La première réforme a flexibilisé le droit du travail, c'était les premières réformes
12:00Macron il y a cinq ou six ans maintenant.
12:02Et la deuxième réforme qui est en cours aujourd'hui, qui avait été faite par l'Allemagne, c'est
12:08précisément raccourcir la durée d'indemnisation du chômage pour que les gens sentent le besoin
12:13impérieux de retourner vers le travail.
12:15Le chômage en Allemagne est descendu jusqu'à un peu moins de 4%.
12:19Aujourd'hui, il remonte, la crise en Allemagne est plus forte qu'en France, il est au-delà
12:23de 5%.
12:24Nous sommes à 7%.
12:25Nous sommes aujourd'hui au plus bas taux de chômage depuis 40 ans.
12:29Est-ce qu'on peut imaginer que les premières réformes sur ce plan ont servi à quelque
12:36chose ?
12:37A mon avis, oui.
12:38Alors évidemment, je pense bien qu'il y a Zemmour qui a soutenu Jean-Luc Mélenchon
12:41en 2022.
12:42Vous étiez un des économistes qui soutiennent Jean-Luc Mélenchon, qui proposait par exemple
12:45l'indemnisation totale sur la base du dernier salaire et de proposer à tout chômeur de
12:50longue durée un emploi au moins égal au SMIC dans les secteurs en tension.
12:55Je comprends que la réforme de l'assurance-chômage ne vous plaît pas beaucoup.
12:57Vous avez la parole.
12:59Alors, concernant les effets des précédentes réformes de l'assurance-chômage, ce n'est
13:03pas mon diagnostic personnellement qui est intéressant, il y a un comité d'évaluation
13:07mis en place par le ministère des précédentes réformes et ce comité d'évaluation dit
13:12plusieurs choses.
13:13Premièrement, on n'a pas de résultats visibles de ce qui s'est passé précédemment.
13:17La seule chose qui est certaine, c'est que les réformes ont diminué le nombre de personnes
13:20indemnisées et appauvri les personnes concernées.
13:23Concernant l'emploi, quand on raccourcit la durée d'indemnisation, on a un effet
13:27de précipitation à la reprise d'emploi, c'est-à-dire que si vous raccourcissez de
13:32plusieurs mois la durée d'indemnisation, la durée de chômage va être réduite un
13:35petit peu.
13:36Mais on n'est pas sûr que ça améliore la situation du chômage parce que, comme je
13:40le disais, on peut être poussé vers des emplois de moins bonne qualité et notamment
13:43de plus courte durée, revenir plus rapidement.
13:46Juste un mot pour compléter ce que disent les études du ministère du Travail, on sait
13:55qu'un chômeur qui commence immédiatement à chercher du travail dès qu'il tombe
14:01dans une situation de chômage a infiniment plus de chances de trouver un emploi rapidement.
14:08Il faut arrêter avec cette vision de l'assurance chômage comme une incitation à ne pas travailler.
14:14D'abord, ce n'est pas vrai.
14:15Vous avez quatre chômeurs.
14:16Plus on va vite à la recherche d'un emploi, plus on le trouve facilement.
14:21Mais c'est déjà le cas aujourd'hui et la fonction de l'assurance chômage, en fait
14:25ça concerne tout le monde, la moitié des salariés qui au cours de leur vie vont avoir
14:30une période de chômage et donc c'est une protection des salariés qui en cas de rupture
14:35conventionnelle, CDD, perte d'emploi, licenciement, vont pouvoir avoir une sécurisation assez
14:41minime du revenu et la question c'est si on détruit ou raccourcit très fortement
14:47cette indemnisation, est-ce qu'on ne va pas dégrader finalement le fonctionnement
14:50du marché du travail ?
14:51Merci à tous les trois.
14:53On a fait qu'esquisser la lecture de l'étude de Jérôme Fourquet publiée par le Figaro.
14:59On indiquera le lien évidemment sur le site internet de France Inter pour nos auditeurs
15:04qui souhaiteraient la lire.
15:06Merci Jérôme Fourquet, merci Mickaël Zemmour et merci Nicolas Béthoud.