Michaël Zemmour, maître de conférences en économie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, était l'invité éco de franceinfo le 30 janvier 2023.
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00:00 L'invité éco, Isabelle Raymond.
00:05 Bonsoir à toutes et à tous, la deuxième journée d'action contre la réforme des retraites s'annonce donc massive demain alors que le texte commence à être examiné aujourd'hui au Parlement en commission des affaires sociales de l'Assemblée.
00:17 Bonsoir, Michael Zemmour.
00:18 Bonsoir.
00:19 Vous êtes économiste, maître de conférence à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, chercheur associé à Sciences Po.
00:26 Vous êtes contre cette réforme, disons-le. Certains députés de la majorité plaident pour des améliorations du texte actuel. Sur quel point doivent porter ces améliorations en priorité ?
00:37 Alors sur l'essentiel du texte, on ne s'attend pas vraiment à des changements puisque dès le départ, le gouvernement a défini à la fois quand il voulait démarrer dès cet été, combien il voulait économiser, 12 milliards en 2027, et quel levier il voulait activer, dès quel est l'âge légal.
00:52 Une fois que vous avez fixé tout ça, et accélérer la réforme Touraine comme deuxième paramètre.
00:58 Une fois que vous avez fixé tout ça, il ne reste plus grand chose à négocier.
01:01 Alors on s'attend éventuellement à des petits changements à la marge, mais le cœur du projet, ce qui fait aussi le cœur de l'opposition des syndicats, c'est-à-dire le décalage de l'âge légal et l'accélération de la durée de cotisation, ça ne devrait pas bouger comme l'a annoncé la première ministre hier.
01:15 Alors vous avez commencé à l'aborder, il y a certains points à la marge qui peuvent bouger, notamment pour ceux qui ont commencé à travailler très jeunes.
01:24 Ils vont devoir cotiser pendant 44 ans pour prétendre à une retraite à taux plein.
01:28 Est-ce que, à votre avis, c'est injuste ou c'est une répartition au fond équitable de l'effort ? Tout le monde doit travailler un peu plus selon Elisabeth Borne.
01:37 Alors, effectivement, tout le monde est touché.
01:40 On avait commencé à dire que notre réforme prend en compte des situations particulières.
01:44 En fait, il y a des situations prises en compte, mais tout le monde est décalé, ou quasiment tout le monde.
01:48 Les gens dont on reconnaît la pénibilité sont décalés de deux ans, les carrières longues de six mois à un an et demi.
01:54 Et effectivement, on a vu dans la presse qu'il pourrait y avoir un aménagement de 2 milliards qui limiterait l'augmentation de la durée pour les carrières longues, qui permettraient aux gens de partir au bout de 43 ans.
02:05 Mais même dans ce cas-là, on aurait quand même des décalages de six mois à un an pour les personnes concernées.
02:09 Et est-ce que ce serait une priorité à votre avis ?
02:11 C'est un petit peu difficile à dire, parce que d'un côté, pour les personnes concernées, ça serait effectivement un aménagement, un aménagement coûteux pour le gouvernement.
02:19 Et en même temps, ça ne changerait pas l'économie générale de la réforme.
02:22 Mais parce que ce sont des gens, en règle générale, quand ils ont commencé à travailler tôt, qui ont aussi des métiers pénibles, qui accumulent un petit peu tout ça.
02:30 Alors, effectivement, les personnes qui ont commencé à travailler tôt, c'est surtout des hommes, en réalité, de profils différents, plutôt des ouvriers, des employés qualifiés.
02:38 Et on peut comprendre l'idée que, passés 43-44 années, on ait son bon de sortie.
02:43 Après, cette réponse-là, ça ne répondrait pas à l'idée qu'il faut protéger les plus modestes, parce que les personnes qui ont les plus petites pensions,
02:50 ou les femmes dont on a beaucoup parlé, ne seraient pas concernées par une mesure spécifique sur les carrières longues.
02:55 Alors, vous avez commencé à l'aborder aussi, la question des femmes.
02:58 Il y a beaucoup de voix qui s'élèvent ces derniers jours pour pointer du doigt la situation spécifique des mères de famille.
03:04 Chaque enfant, aujourd'hui, donne droit à 8 trimestres de cotisation dans le privé, 4 dans le public.
03:09 Un bénéfice qui sera en partie annulé par le recul de l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans.
03:15 Là aussi, Michael Zemmour, faut-il rectifier le tir ?
03:18 Alors, ça, ça paraît très difficile dans le cadre de la réforme actuelle.
03:21 Parce qu'en fait, ce qui touche particulièrement les femmes, ça va être le cœur de la réforme.
03:26 En fait, la pire chose qui puisse vous arriver dans le cadre de la réforme, c'est de pouvoir partir à 62 ans à taux plein,
03:31 parce que dans ce cas-là, vous subissez un décalage de 2 ans.
03:34 Et aujourd'hui, vous avez à peu près 35% des femmes contre 25% des hommes qui partent à 62 ans à taux plein.
03:40 Donc, on peut se dire, en gros, que pour la génération 68, qui connaîtra la réforme en plein,
03:45 on aurait une femme sur 4, à peu près, qui aurait un décalage maximal de 2 ans.
03:49 Et pour revenir là-dessus, on ne peut pas faire un aménagement à la marge.
03:52 Il faut revenir sur le projet de décalage de l'âge légal,
03:55 ou alors faire une pause et changer complètement le système de retraite tel qu'il est aujourd'hui.
03:58 - Donc, vous ne voyez pas de changement là-dessus ?
04:01 Ça veut dire que tous les bénéfices qui sont liés à la maternité,
04:03 puisqu'on sait que les femmes, du coup, ont souvent des carrières moins rectilignes, plus hachées,
04:08 ce bénéfice-là va disparaître avec le recul de l'âge de départ à la retraite ?
04:13 - Effectivement, une partie du bénéfice, parce que les femmes concernées vont perdre l'équivalent du bénéfice d'un enfant,
04:18 pour les femmes salariées du privé.
04:20 Alors, il faut être très prudent.
04:21 Il y aura peut-être des aménagements concernant les femmes,
04:23 mais ceux dont il a été question jusqu'à aujourd'hui concernaient en fait très peu de monde.
04:27 On a parlé de la prise en compte du congé parentalité dans les carrières longues.
04:31 En fait, ça concerne 2000 à 3000 femmes par an,
04:33 alors que le nombre de femmes qui va être concernées par le décalage,
04:36 on est plutôt du côté de 200 000, 300 000 femmes par an.
04:39 - Donc, ce sera là aussi un changement à la marge.
04:43 Alors, venons-en aux alternatives, à l'alternative possible.
04:46 Où est-ce qu'il faut aller chercher l'argent, si ce n'est pas en faisant travailler les gens plus longtemps, à votre avis ?
04:52 - Alors, traditionnellement, on dit que pour gérer le système de retraite, il y a trois leviers.
04:55 Soit le niveau des pensions, ça a été fait par le gouvernement Hollande précédemment,
04:58 ou par le gouvernement Macron, qui ont désindexé les pensions.
05:01 Soit l'âge légal ou l'âge de départ à la retraite, c'est l'option du gouvernement.
05:05 La troisième option, c'est de chercher des financements pour éviter que les recettes ne baissent.
05:10 Et là, en fait, on a un peu l'embarras du choix.
05:12 Pour l'instant, le gouvernement écarte cette option.
05:14 Mais si on allait la chercher, on pourrait, par exemple,
05:17 revenir sur des baisses d'impôts sur les entreprises,
05:20 et donner les moyens à l'État de maintenir sa participation au système de retraite.
05:24 On pourrait augmenter de manière très modérée les cotisations sur les cinq ou dix prochaines années.
05:28 - Alors, justement, de quel ordre est-ce qu'il faudrait augmenter les cotisations
05:32 pour parvenir à cet équilibre financier ? Il y a pas mal de chiffres qui circulent.
05:36 - Alors, ce que nous dit le COR, mais c'est pas très loin des chiffres du gouvernement,
05:39 il faudrait pour 2027 de l'ordre de 0,8 points de cotisation en tout,
05:43 pour atteindre l'équilibre d'ici 2027.
05:45 En ordre de grandeur, ça fait à peu près 14 euros pour un salarié au SMIC.
05:49 Ça fait à peu près 28 euros pour un salarié qui a deux fois le SMIC.
05:53 - Mais qui le paye ? Côté patronal, côté salarié ?
05:56 - Ça peut être réparti. Normalement, la règle c'est deux tiers employeurs, un tiers salariés.
06:00 Après, les économistes pensent que même quand c'est du côté des employeurs,
06:03 souvent les employeurs font derrière de moindres augmentations de salaires.
06:07 Mais ce qu'il faut garder en tête, c'est que c'est des ordres de grandeur relativement modérés,
06:10 qui sont pas un épouvantail en eux-mêmes, et qui devraient être discutés
06:14 au regard du choc que représente un décalage de deux ans de l'âge de départ en retraite
06:18 pour certaines populations.
06:19 - Et pour l'instant, c'est un sujet qui n'est donc pas discuté.
06:22 Merci beaucoup pour votre éclairage, Michael Zemmour, maître de conférence à l'université Paris 1,
06:26 Panthéon-Sorbonne, co-auteur d'un livre sur le système français de protection sociale aux éditions La Découverte.
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