Emmanuelle Reungoat et Pierre-Olivier Gaumin, co-réalisateurs du film "Des goûts de lutte"

  • il y a 5 mois
Avec la pandémie de Covid 19 puis le déclenchement des guerres en Ukraine et au Proche Orient, on les a sans doute un peu oublié: les gilets jaunes !
Un film intitulé "Des goûts de lutte" est projeté en avant-première ce soir au cinéma Diagonal à Montpellier.
On en parle ce matin avec les deux co-réalisateurs, Emmanuelle Reungoat et Pierre-Olivier Gaumin.

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Transcript
00:00 - Olivier Gamin, les choralisateurs du film "Des goûts de lutte" sont avec nous ce matin, Guillaume.
00:03 - C'est un film que vous pourrez aller découvrir ce soir en avant-première au Diago,
00:07 comme on dit, diagonale à Montpellier, à 18h30.
00:11 Bonjour Emmanuel Renguatta. - Bonjour.
00:12 - Merci d'être venu nous rejoindre.
00:15 Sociologue, spécialiste des mouvements sociaux au CPL notamment,
00:18 Université de Montpellier, laboratoire dirigé par Emmanuel Négrier,
00:23 notre ami Emmanuel, qu'on salue peut-être s'il nous écoute,
00:25 qui vient souvent donc nous éclaircir sur la vie politique de notre région et de notre pays.
00:29 Bonjour Pierre-Olivier Gamin. - Bonjour.
00:31 - Vous êtes réalisateur, vous co-réalisez tous les deux ce film "Des goûts de lutte"
00:35 donc qui va être projeté ce soir.
00:37 J'adore le titre "Des goûts de lutte".
00:38 Alors c'est pas des goûts de luxe, mais des goûts de lutte.
00:41 Évidemment le jeu de mots est volontaire, j'imagine, Emmanuel Renguatta.
00:44 - Absolument. On a voulu tenter un double jeu de mots sur "Des goûts de lutte", "Des goûts de luxe"
00:49 et puis jouer aussi sur les goûts et les dégoûts,
00:51 parce que c'est à ça qu'invite le film, de voir ce qu'il reste ensuite après une lutte
00:56 et si on a envie d'y retourner ou pas, jusqu'où.
00:57 - Un film qui parle des gilets jaunes, de l'après, l'après gilet jaune
01:02 et de nos gilets jaunes à nous notamment,
01:05 puisque à travers le portrait de cinq d'entre eux,
01:09 on redécouvre les gilets jaunes des Pré-Darènes, du fameux rond-point des Pré-Darènes,
01:14 Pierre-Olivier Gamin qui avait fait beaucoup parler d'eux au moment de ce mouvement.
01:17 - Alors effectivement on a suivi pour partie de nos personnages,
01:22 qui sont issus du rond-point Pré-Darènes, d'autres de Lunel,
01:26 on a une dessinatrice de BD aussi qui nous vient de Saint-Brieuc,
01:29 qui était active en tout cas sur le rond-point de Saint-Brieuc
01:31 et qui l'a documenté sous la forme d'une BD.
01:35 Voilà, ça forme un peu le lot de nos personnages.
01:38 - Et il raconte, alors ce film je crois que vous l'avez tourné au moment de la campagne
01:43 pour l'île présidentielle de 2022,
01:45 donc on est déjà presque trois ans, quatre ans même,
01:48 après le mouvement des gilets jaunes,
01:50 mais on sent qu'il s'est encore à fond dedans quand même, quatre ans après.
01:53 - Oui, alors on a commencé le tournage à l'anniversaire des trois ans,
01:56 donc c'était à l'automne 2021,
01:57 et on a tourné pendant trois ans jusqu'au mouvement contre la réforme des retraites de 2023.
02:02 Et l'idée c'était vraiment ça, c'était de se demander ce qu'il reste après une révolte pareille,
02:06 notamment pour des gens qui n'étaient jamais sortis dans la rue de leur vie,
02:09 donc des primo-contestataires,
02:11 et donc on regarde comment ça infuse dans plein de dimensions de leur vie,
02:14 le rapport au travail, le rapport aux amis, le rapport au couple,
02:17 il y en a que ça a complètement bouleversé, d'autres moins.
02:20 - Il y en a que ça a libéré, révélé. - Il y en a que ça a émancipé absolument.
02:23 Et l'idée c'est de montrer ça chez ces gilets jaunes,
02:26 mais aussi plus largement en fait,
02:28 c'est des choses qu'on a vues après mai 68 aussi,
02:30 les luttes, ça a une puissance émancipatrice les luttes.
02:32 Et donc on a regardé ce que ça a changé sur le rapport à la politique,
02:34 notamment pendant les présidentielles.
02:36 - Oui, on essaiera de reparler des présidentielles,
02:38 mais on sent effectivement, alors au moment où vous les filmez,
02:42 Pierre-Olivier Gomain,
02:44 il y a plusieurs sentiments qui s'expriment,
02:46 il y a ceux qui sont en manque d'abord, parce que le mouvement est terminé,
02:49 qu'il s'est passé quelque chose de fort,
02:51 qu'ils ont dit, certains d'entre eux, trouver une nouvelle famille,
02:56 ils ne sont plus dans une forme d'isolement,
02:58 mais on sent quand même qu'il y a une douleur,
03:00 il y a un manque aussi par rapport à ça, non ?
03:02 - Oui, c'est ça, vous parliez du titre,
03:04 on a essayé de montrer un panel de goûts différents,
03:07 il y a les goûts sucrés,
03:09 avec lesquels on a envie d'y retourner,
03:11 les goûts salés, les goûts plus acides et plus amers,
03:14 effectivement dans nos personnages, des fois les goûts sont confondus aussi,
03:16 ce n'est pas que du sucré et pas que de l'amer,
03:19 mais c'est ça, souvent on mélange les goûts,
03:22 il y a un manque qui s'exprime beaucoup chez nos personnages,
03:26 qui ont envie d'y retourner,
03:27 il y a aussi une montée en compétence,
03:30 il y a tout ce qu'ils ont vécu pendant ces cinq années quasiment,
03:33 parce que là on est cinq ans après,
03:35 tout ce qu'ils ont vécu, partagé, ça les a fait monter en compétence,
03:39 ça a amené les amitiés.
03:40 - Il y en a même qui essaient de se présenter logiquement.
03:42 - Voilà, un personnage qui a fait une tentative,
03:45 qui s'est présenté effectivement aux législatives,
03:48 il y a cette autrice de BD qui a documenté le mouvement
03:51 et qui en est venue à devenir autrice finalement,
03:53 qui a changé de métier,
03:54 elle l'évoque comme ça, une révolution intérieure,
03:57 quelque chose de très profond,
03:58 qui l'a fait changer de statut social aux yeux d'elle-même et des autres.
04:03 - Il y a une séquence...
04:04 - Il y a un de nos personnages, Christophe,
04:07 qui dit en fait on n'est plus intimidé par la politique,
04:10 donc cette montée en compétence, il y a quelque chose de cet ordre-là,
04:13 qui est de se sentir légitime,
04:14 à prendre la parole en tant que citoyen.
04:16 On dit beaucoup en socios qu'ils sont passés de la honte à l'injustice,
04:20 de trajectoires qui étaient vues comme des trajectoires de perdants,
04:23 parfois dans la société,
04:24 difficulté de trouver un boulot,
04:25 difficulté de finir le mois,
04:26 même si ce n'était pas que ça.
04:27 Et là c'est en fait comprendre que ça,
04:29 ça vient d'un système qu'on peut changer
04:31 et réussir à prendre la parole
04:32 et être écouté par les médias pour le faire.
04:34 - Passer de la honte à l'injustice,
04:35 entre-temps il y a peut-être eu de la déception
04:36 parce qu'il y a une séquence assez marquante dans votre film
04:38 qui est celui où ils sont 7 ou 8
04:40 devant le poste de télévision
04:42 à attendre le résultat du premier tour de la présidentielle,
04:44 le résultat s'affiche
04:45 et ça va être Macron, Marine Le Pen,
04:47 ils sont très déçus parce qu'ils disent
04:48 "Bon bah ça y est, ok, on a compris,
04:50 Mélenchon n'est pas qualifié,
04:51 certains disent "Bon bah Macron va repasser, c'est sûr".
04:54 On a le sentiment à ce moment-là
04:56 que beaucoup d'entre eux croyaient qu'ils avaient fait le boulot
04:59 pour, comme ils le disent, sortir Macron.
05:01 Donc on sent qu'il y a énormément de déception de leur part à ce moment-là.
05:04 - Oui, c'est une séquence assez émouvante dans le film,
05:06 en tout cas c'est les retours qu'on en a
05:08 parce que les gens revivent aussi un peu la campagne
05:10 en regardant le film sur ce moment-là.
05:11 C'est une question qu'on a voulu poser dans le film aussi,
05:14 c'est où est-ce que se fait la politique aujourd'hui ?
05:17 Où est-ce que se construit la citoyenneté ?
05:18 Qu'est-ce que c'est la place de l'élection
05:20 par rapport à la place des mouvements sociaux ?
05:22 Et pour qui ?
05:22 Et pour ces gilets jaunes-là,
05:24 c'est en passant par les mouvements sociaux
05:26 que ça a conduit à produire de l'engagement
05:28 qui se retraduit après encore dans l'élection
05:30 mais qui se traduit aussi ailleurs.
05:31 En fait, on voit que ce qui les a changés,
05:33 c'est qu'en fait la politique allait rentrer dans leur vie
05:35 dans plein de moments,
05:36 dans leur mode de consommation,
05:37 dans leur type d'amitié,
05:39 dans leur capacité à prendre la parole
05:40 mais aussi tous les jours maintenant.
05:42 Donc pendant l'élection et après.
05:44 - Sébastien, je n'ai pas vu votre documentaire
05:46 mais si je comprends bien,
05:47 vous suivez majoritairement des gilets jaunes,
05:50 des prés d'arène, enfin d'ici.
05:52 Est-ce que c'est parce que vous-même vous êtes d'ici,
05:54 vous travaillez ici
05:55 ou parce qu'ils avaient quelque chose de particulier,
05:58 les gilets jaunes, Héroltais ?
06:01 - En fait, le film est né d'une enquête sociologique
06:04 qu'a mené Emmanuel et ses collègues
06:06 qu'on a tordue finalement,
06:08 on a effectué une torsion sur ce travail sociologique
06:10 pour en extraire des personnages de films
06:12 et en écrire un documentaire
06:15 que vous pouvez voir ce soir au Diago
06:17 qui dessine, voilà, à très un peu souligner
06:20 des personnages qu'on a créés
06:21 en fait qui sont loin de la réalité finalement
06:24 mais qui sont autant d'allégories
06:26 pour traiter les transformations intimes,
06:29 traiter la création de réseaux amicaux,
06:33 presque familiaux en fait,
06:34 qui s'est créé entre ces gilets jaunes.
06:36 Voilà, on a essayé de tirer ces traits-là.
06:38 Donc on est parti des gilets jaunes montpelerins
06:41 mais on a aussi élargi à Lunelle, à la Bretagne, voilà.
06:44 - Et ce qu'ils ont de particulier, si j'ajoute quelque chose,
06:47 effectivement on ne les a pas pris pour leur particularité
06:49 mais ce qui était quand même intéressant pour nous,
06:51 outre que moi je les connaissais,
06:52 on avait un lien de confiance aussi
06:54 et puis qu'ils m'ont touché,
06:55 c'est ça qui nous a donné envie de faire le film,
06:57 c'est qu'eux ils sont encore en lutte cinq ans après.
07:00 Donc c'est qu'ils ont une pérennité dans la lutte qui est particulière.
07:03 - Alors justement, ce qui nous intéresse aussi
07:05 à travers votre expertise de sociologue, Emmanuelle Nogouat,
07:10 c'est de savoir ce mouvement aujourd'hui.
07:12 Donc on est six ans après,
07:14 on sent que pour beaucoup d'entre eux c'est encore très très présent,
07:17 mais pourquoi n'a-t-il pas duré ?
07:18 Bon, on sait qu'entre temps il y a eu la pandémie,
07:21 il y a eu le déclenchement des guerres en Ukraine
07:23 et au Proche-Orient,
07:26 mais aujourd'hui vous, quel regard vous portez sur ce mouvement
07:29 qui a été quand même un mouvement très particulier,
07:31 très violent, totalement différent de mai 68,
07:34 mais pourquoi n'a-t-il pas duré ?
07:35 Pourquoi n'a-t-il pas repris de la vigueur
07:37 au moment de la contestation contre la réforme des retraites par exemple ?
07:41 - Oui, alors moi je dirais que c'est un mouvement
07:43 qui a duré particulièrement longtemps
07:45 par rapport à d'autres mouvements sociaux.
07:47 C'est même difficile de savoir quand il s'arrête,
07:49 effectivement je pense qu'un des gros temps d'arrêt
07:51 c'est la pandémie de 2020,
07:52 mais c'est un mouvement qui a commencé à l'automne 2018.
07:55 Donc on est sur plusieurs semaines pour certains,
07:57 plusieurs mois, voire plusieurs années.
07:59 Les Gilets jaunes qu'on a suivis par exemple de près d'Arène
08:01 et les Montpellierains le savent,
08:02 ils sont sur le rond-point toutes les semaines,
08:04 depuis trois ans, même maintenant depuis cinq ans.
08:06 Donc une des singularités du mouvement c'est qu'il a été long.
08:09 Alors effectivement il s'est arrêté à un moment donné.
08:11 - Je vais rechanger ma question, pourquoi n'a-t-il pas repris alors ?
08:13 - Oui, ça explique, enfin c'est un peu les mêmes motifs
08:17 qui font qu'il s'est arrêté, c'est que
08:19 d'abord il y a de l'usure, comme dans tout mouvement sociaux
08:21 et c'était vrai en mai 68 aussi,
08:23 qu'à un moment donné quand on est resté cinq mois, six mois sur un rond-point,
08:26 il y a des rappels à l'ordre économiques, familiaux,
08:29 qui demandent de revenir au foyer.
08:31 Il y a eu beaucoup de répression, policière et judiciaire, de ce mouvement-là.
08:35 Ce qui a contribué à démobiliser, clairement.
08:37 Et pas que les Gilets jaunes, les violences qui sont en manifestation que vous évoquez,
08:40 aujourd'hui ça démobilise beaucoup de gens.
08:42 Et puis il y a eu aussi de l'usure, les élections ont créé du conflit.
08:47 Donc c'est difficile de repartir après tous ces éléments-là.
08:51 Et puis après la pandémie qui a effectivement arrêté pour le coup
08:54 toute activité sur les places publiques.
08:56 - Et pour compléter la question de Guillaume,
08:58 est-ce que du côté du pouvoir, vous avez le sentiment qu'on a peur
09:02 que ce mouvement reprenne un moment où on considère que c'est du passé
09:06 et s'il y a un mouvement, ce ne sera pas de cette forme-là,
09:09 de toute façon, donc il n'y a pas à craindre.
09:11 - Oui, c'est aussi pour ça qu'on a fait le film sur les Gilets jaunes.
09:15 Parce que c'est un mouvement, on voulait lui restituer aussi une place
09:18 dans l'histoire des luttes sociales, le réinscrire dans l'histoire des luttes sociales,
09:20 mais c'est aussi une manière de dire que c'est un marqueur
09:22 de notre histoire politique aujourd'hui, de plusieurs sens.
09:25 Parfois on appelle, certains appellent de leur souhait un retour,
09:29 et d'autres, comme au gouvernement, craignent une gilets-organisation des luttes
09:32 ou un retour des Gilets jaunes, parce que c'était un mouvement
09:34 difficile à gérer par sa forme, par la violence qu'il a pu engendrer.
09:38 Donc en ce sens-là, c'est un mouvement qui a marqué l'histoire, je pense.
09:41 - Très rapidement pour finir, j'aime beaucoup le côté,
09:43 j'ai vu votre film hier, j'aime beaucoup le côté,
09:45 pour ceux qui étaient fans de cette émission, ce qui a été mon cas,
09:48 Strip-Tease, sur France 3, il y a un côté Strip-Tease,
09:50 c'est-à-dire qu'il n'y a pas de voix-off, aucune voix-off,
09:52 donc intrusive, vous filmez les séquences comme si on était avec eux tout le temps,
09:56 quoi, Pierre-Olivier.
09:58 - Oui, l'idée c'était effectivement qu'on a voulu,
10:01 enfin ce qu'on a voulu restituer c'était finalement le temps long,
10:03 on a tourné trois ans avec eux, avec tous nos protagonistes,
10:07 et l'idée c'était de ne plus rendre le dispositif visible,
10:11 c'est-à-dire d'instaurer une confiance,
10:13 on a souvent répété l'exercice d'interview,
10:16 l'idée c'était d'avoir la confiance de tout le monde,
10:19 et puis de libérer la parole, de rendre les choses naturelles,
10:23 et lors de nombreuses reprises, la caméra s'est faite oublier,
10:28 finalement on était… - Ils vous ont oublié au bout d'un moment.
10:30 - Ouais, c'est un cinéma un peu de repli, on était dans les murs,
10:33 et puis on observait, l'idée c'était aussi de leur donner existence,
10:37 parole et liberté d'expression, pour les mettre en lumière.
10:40 - Des goûts de lutte, des goûts de lutte, je dis bien,
10:43 ce soir à 18h30, au Diagonal à Montpellier,
10:46 vous entamez toute une tournée en France,
10:48 de projections de votre film, suivie de débats,
10:50 comme ce sera le cas ce soir,
10:52 et pour ceux qui ne pourront pas être au Diago ce soir,
10:54 vous revenez au mois de septembre, à Prades-le-Laize et à Frontignan.
10:57 - On va le 7 septembre à Prades-le-Laize, sans doute au CinéMistral à Frontignan,
10:59 et puis on va faire plusieurs cinémas dans le coin à l'automne.
11:02 - Très bien, on s'en fera l'écho à ce moment-là.
11:04 Merci Emmanuel Renougoit et Pierre-Olivier Gomain d'être venus,
11:07 vous parler de votre film aujourd'hui, merci.
11:09 Et vous retrouverez cette interview sur notre site internet francebleu.fr,
11:12 comme toutes les interviews de ce 6/9 de France Bleu Héro.
11:15 Pascal Obispo, il sera en concert, lui, à Lunel, le 13 juillet,
11:19 avec Zazie dans les arènes,
11:21 et juste après, la petite histoire du jour de Léopoldine Dufour,
11:23 on va fêter les 80 ans de la Libération.
11:25 J'ai vécu

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