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Rencontre entre les réalisateurs Éric Toledano, Olivier Nakache et l’activiste Pauline Boyer
Comment le cinéma met-il en lumière les actions, les mouvements de citoyens engagés ? De quelle manière économie et écologie sont-ils liés, et par quel prisme deux réalisateurs à succès, experts de l’humour, ont-ils réussi à mettre leur grain de sel dans un sujet de société polémique ?
C’est ce dont nous avons discuté dans « Réplique », le podcast cinéma de Canal+ en invitant Pauline Boyer, activiste climat, écoféministe et autrice, et les deux réalisateurs Éric Toledano et Olivier Nakache qui viennent de sortir leur film « Une Année difficile », avec Jonathan Cohen, Noémie Merlant et Pio Marmaï.
L’humour ose tout ?
Remerciements à nos invités et à Gaumont, d’avoir permis cet échange.
« Une année difficile » est sorti au cinéma le 18 octobre 2023.
Le podcast Réplique de Canal+ est animé par Steph Chermont et Marie Salah, d’après leur idée originale. Il est produit par François Saltiel pour Art2voir, réalisé et monté par Nicolas Bergman.
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Transcription
00:00 On aime bien parler de l'ordinaire et on sait que dans l'ordinaire, il y a de l'extraordinaire aussi.
00:05 Et donc, on est focus sur le fait de faire un film du cinéma.
00:10 C'est une comédie, c'est de la fiction, mais on a besoin d'une trame très, très, très réaliste.
00:15 Sinon, notre cerveau ne se met pas bien en marche.
00:19 Donc, on a besoin de cette connexion avec le contemporain, avec notre époque.
00:23 Les anti-héros surendettés qui ne savent pas de quoi sera fait leur lendemain.
00:39 Des activistes écologistes qui, eux, luttent pour offrir un avenir à tout un chacun.
00:44 Comment concilier ces deux combats du quotidien ?
00:47 Et surtout, comment faire rire en en parlant ?
00:50 C'est tout l'enjeu du film "Une année difficile", la nouvelle comédie d'Olivier Nakache et Éric Tolédano.
00:56 Le pitch ? Albert et Bruno, interprétés par Pio Marmaille et Jonathan Cohen, sont surendettés.
01:02 Et c'est dans le chemin associatif qu'ils empruntent ensemble, qu'ils croisent des jeunes militants écolo.
01:06 Plus attirés par la bière et les chips gratuites que par leurs arguments,
01:10 ils vont pourtant peu en peu intégrer le mouvement et tomber sous le charme de ses membres.
01:14 Pour parler du film et des sujets de société qu'ils traitent,
01:17 Stéphanie Chermont est allée rencontrer le duo de réalisateurs,
01:20 accompagnée d'une véritable militante écologiste, Pauline Boyer.
01:25 Bonjour Éric Tolédano et Olivier Nakache.
01:30 Bonjour.
01:31 Bonjour Pauline Boyer.
01:32 Bonjour.
01:33 Merci d'être là pour parler du film "Une année difficile", réalisé par vous deux, Éric et Olivier.
01:38 Vous me permettez de vous appeler par vos prénoms ?
01:40 Évidemment, évidemment. Pas de problème.
01:43 Et oui, pour cet épisode, on sort un peu de la rencontre entre un acteur et son double dans la vie.
01:47 Pour vous, tendre le micro, vous réalisateur.
01:50 Éric et Olivier, on vous connaît pour vos films à succès, "Intouchables", "Le sens de la fête", "Hors norme".
01:55 Pourquoi cette fois-ci, vous attaquez-vous à deux grands thèmes dans cette comédie,
01:59 le surendettement et l'activisme écologique ?
02:02 Peut-être parce que pendant le Covid, il y a eu pour nous une forme d'introspection générale qui nous a été donnée.
02:11 Nous, on l'a vécu comme un moment de remise en question générale.
02:16 Et au moment de cette remise en question, tous les discours ont émergé.
02:19 Le discours le plus large qui a émergé, qui a été d'ailleurs le moins suivi, c'est "Le monde d'après".
02:24 C'est-à-dire qu'on a construit une idée qu'on allait vivre différemment,
02:28 parce qu'on avait peut-être justement, à un moment ou à un autre, pas vraiment observé la façon dont on se comportait.
02:34 Et évidemment est venue l'idée de la consommation, de la surconsommation.
02:38 Aussi, on était forcé d'être beaucoup à la maison.
02:41 Je pense qu'il y a eu un dialogue avec les enfants qui a été nouveau.
02:44 Et on a entendu leur discours aussi sur leurs peurs, leurs échos, anxiétés, leurs peurs de l'avenir.
02:50 Et donc tout ça nous a questionnés, nous a invités à réfléchir.
02:55 Et est sortie cette idée de parler de ce moment de transition, cette photographie de l'époque,
03:01 entre, comme à l'image dans le film, un moment d'un blocage entre des militants qui empêchent des gens de rentrer à Black Friday,
03:08 et des gens qui veulent absolument rentrer.
03:10 On s'est dit "Mais qu'est-ce que ça nous raconte de façon photographique ?"
03:12 On s'est dit de façon objective "Prenons cette photo et essayons de l'analyser".
03:17 Pauline, vous êtes activiste pour le climat, écoféministe, chargée de campagne pour Greenpeace à propos de la transition énergétique,
03:25 et directrice de publication de la revue Alternative Non-Violente.
03:28 C'est pas mal, hein ?
03:30 Et si vous êtes avec nous, c'est parce que le film vous a beaucoup touché.
03:34 En off, vous nous avez même dit que vous êtes reconnue dans un personnage, même très fortement,
03:39 de Noémie Merland, ce personnage qui est un peu central dans le film.
03:43 Pour ceux qui n'ont pas vu justement Une Année Difficile,
03:46 Noémie, elle joue une activiste écologiste, rigoureuse, intense.
03:50 Et en quoi vous êtes reconnue dans ce personnage ?
03:53 Dans plusieurs choses, notamment l'intensité avec laquelle elle lutte,
04:03 le cœur qu'elle met dans toutes ses actions, et ça c'est pas propre à ma personne,
04:09 c'est le cas des activistes avec lesquels je fais mes actions.
04:14 Et c'est cette envie-là et cette détermination qui vient justement transcender l'angoisse
04:22 qui nous fait quand même agir, et la lucidité qu'on a sur les problèmes,
04:29 sur les crises actuelles, que ce soit le dérèglement climatique,
04:33 la surconsommation de ressources naturelles qui entraînent l'effondrement de la biodiversité.
04:40 Et ça, je trouve très bien que ce soit lié dans le film,
04:42 parce que souvent on pense au climat, mais pas forcément lié à la surconsommation.
04:46 Et donc, oui, Noémie Merlin joue très bien par ailleurs.
04:51 Donc ça sert beaucoup nos actions et le fait qu'on puisse être entraînée dans l'envie d'agir.
05:00 Je rebondis, il y a vraiment deux thèmes dans le film,
05:02 en tout cas pour Marie et moi qui avons préparé ce podcast,
05:06 le surendettement et l'activisme écologique.
05:10 C'est ça. Et c'est intéressant parce qu'on a d'un côté le récit de l'éco-anxiété,
05:18 de pourquoi les militants passent à l'action et veulent aller vers moins de consommation.
05:23 L'impact sur deux personnages qu'a la surconsommation.
05:26 Donc on a l'impact sur la planète et l'impact sur les vies de ces personnes-là,
05:31 qui je trouve est très intéressant d'illustrer dans un même film.
05:35 Et que la solution pour sortir de ça, c'est le passage à l'action.
05:40 C'est parce que dans l'action et dans ce groupe-là, ils y trouvent la solidarité,
05:45 l'acceptation des personnes qui arrivent telles qu'elles sont,
05:49 alors qu'ils sont complètement ovnis au milieu des militants.
05:53 Et puis à la fin, on se demande pourquoi reste-t-il ?
05:57 Et c'est, je pense, cette joie partagée,
06:00 cette amitié qui naît aussi au fur et à mesure des actions qui sont très intenses
06:09 et donc sont vraiment des moments d'accélération, de création de lien.
06:13 Éric, Olivier, comment vous réagissez au propos de Pauline ?
06:17 Est-ce que ça fait écho à ce que vous aviez imaginé pour ce film ?
06:21 Oui, fortement.
06:23 Comme souvent, quand on fait un film, il nous parle par intermédiaire.
06:27 Et là, Pauline nous parle par intermédiaire encore mieux de ce qu'on a essayé de dire,
06:32 et notamment sur l'effet fédérateur et donneur de sens.
06:37 C'est-à-dire que, si on résumait, ils sont un peu épuisés par leur consommation
06:42 qui les a un peu sortis du cercle de l'existence,
06:45 puisqu'il y en a un qui vit à Roissy, l'autre qui a perdu la garde de son fils,
06:49 qui est carrément en train d'être déprimé, au point presque même de vouloir,
06:53 même si c'est qu'une tentative, mais presque atteindre à ses jours.
06:56 Donc ils sont en train de sortir d'un circuit,
06:58 et comment la création d'un sens commun et d'un objectif en commun
07:05 peut les remettre en selle et peut leur redonner aussi une énergie
07:09 en dehors même de la cause, parce que justement,
07:12 ils sont tellement loin au début que peut-être qu'ils n'y comprennent pas grand-chose.
07:15 Effectivement, il y a une image qui me revient, qui est dans la bande-annonce,
07:19 où ils écoutent le discours et Jonathan regarde plus et il se dit
07:23 "Je suis désolé, c'est un traquenard".
07:25 Jonathan Cohen, Pio Marmaï, qui incarne un peu ce duo,
07:29 qui comprend les choses pendant le film.
07:32 Voilà, c'est-à-dire que, et puis j'aime aussi l'idée,
07:34 mais c'est ce qu'on défend depuis le début,
07:36 que contrairement à certains, peut-être qui auraient voulu
07:39 que nos personnages deviennent une caricature de faim,
07:43 c'est-à-dire arrivent à habiter, je sais pas moi, dans la nature
07:47 et à cultiver des légumes, ils n'ont bougé, mais ils ont bougé
07:50 de façon ultra fine, ultra étroite,
07:54 mais c'est ce mouvement-là qui s'est amorcé
07:56 et c'est ce mouvement-là qui raconte le film.
07:58 Pas un mouvement à l'américaine radical d'un bad guy qui est devenu un good guy.
08:03 Si vous voulez boire des coups et parler justice sociale,
08:05 on est à la ruche.
08:06 J'y vais.
08:07 Attends, tu veux pas boire un coup ?
08:09 Je t'invite.
08:10 Puis la ruche, c'est très sympa, c'est gratuit en plus.
08:12 Donc toi, tu m'invites, mais c'est gratuit ?
08:13 Ouais, c'est exactement ça.
08:15 Certains prévoient 45 degrés en 2050.
08:18 Je suis désolé, c'est un traquenard.
08:19 Peut-être que vous êtes simplement venus boire une bière gratuite.
08:23 Nous, on est vraiment venus pour parler justice sociale avec mon copain.
08:25 Excuse-moi, tu peux me mettre deux bières, s'il te plaît ?
08:28 C'est prix libre, tu choisis entre 0 et 5 euros.
08:30 Je vais te donner 0.
08:32 J'aimerais créer une équipe forte pour une série d'actions beaucoup plus musclée.
08:36 Dans le film, on voit des scènes de manifestations,
08:40 vous en parliez à l'instant, notamment la scène d'ouverture,
08:43 où on voit justement les clients qui sont bloqués en plein Black Friday.
08:47 Est-ce que ça se passe comme ça en vrai, Pauline ?
08:50 Est-ce qu'il y a des scènes comme ça dans la vraie vie,
08:53 d'activistes, de personnes engagées, qui bloquent les citoyens,
08:58 qui aussi ont un intérêt économique, à aller pendant Black Friday faire leurs achats ?
09:03 On fait des actions contre le Black Friday régulièrement,
09:07 mais elles ne sont pas dirigées contre les citoyens.
09:11 On cible vraiment les multinationales, le gouvernement, pour faire changer les règles.
09:18 Cette scène est intéressante parce qu'elle introduit le film, les personnages.
09:25 Je pense que c'est quand même dangereux de s'opposer à cette foule-là dans la réalité,
09:31 mais je pense qu'elle sert bien le film, en tout cas comme porte d'entrée.
09:38 Mais effectivement, les actions que nous faisons
09:43 ont parfois un impact sur des employés de banque,
09:51 des employés de Total, parce qu'on fait beaucoup d'actions contre la licence de Total,
09:55 la licence sociale de Total notamment.
09:57 Mais l'objectif, c'est de dénoncer les responsables
10:02 qui ont le pouvoir de faire changer les règles,
10:06 de se comporter différemment, de changer leurs objectifs
10:10 de politique entrepreneuriale et les décideurs et décideuses politiques.
10:19 C'est ce qui est illustré dans beaucoup d'autres actions du film d'ailleurs.
10:22 On peut en parler un petit peu, les actions du film ?
10:25 Vous avez fait comment pour les mettre en scène ?
10:27 Est-ce que nos deux réalisateurs sont allés sur place ?
10:31 Comment vous avez fait ?
10:32 Oui, en fait, il y a des envies de parler de sujets sociétaux,
10:36 et il y a des envies de cinéastes aussi.
10:38 Et c'est vrai que quand on a commencé l'écriture du projet,
10:42 on se documente beaucoup,
10:44 vraiment on travaille avec une documentaliste,
10:48 et dans un des documentaires d'ailleurs, on a découvert Pauline.
10:51 C'est drôle ça, lequel du coup ?
10:53 C'était Génération...
10:55 C'est "Désobéissance" de Adèle Flo et Alizé Chapigny.
10:58 C'est ça, "Désobéissance", voilà.
10:59 Tu peux dire où c'est passé, etc.
11:01 C'est un film qui a été en ligne sur Arte pendant assez longtemps,
11:04 et qui est encore disponible.
11:06 Et donc c'est très touchant, parce qu'il y a évidemment ce qu'elle fait,
11:09 ses actions, puis sa vie aussi privée.
11:12 Donc on a amassé comme ça tout un tas de documentations,
11:15 et à un moment donné, il faut aller sur le terrain.
11:17 Et on a rencontré des gens de Extinction Rebellion,
11:20 parce qu'on s'est rendu compte assez vite que ce mouvement
11:23 nous correspondait assez, parce que déjà ils font de la mise en scène
11:26 de leurs actions, c'est vraiment... ils jouent.
11:28 Il y a toute une préparation,
11:30 il y a quelque chose de scénique en fait,
11:32 et c'est aussi non-violent.
11:34 Donc on s'est retrouvés dans leur philosophie,
11:38 on les a rencontrés ici à votre place,
11:40 ici on leur a expliqué ce qu'on voulait faire,
11:42 et tout simplement, comme c'est horizontal,
11:44 il n'y a pas de leader, comme tu disais tout à l'heure,
11:46 qui nous a donné le bienvenu.
11:48 On a été à des réunions, on a été à des débats,
11:50 on a été même à un accueil Novélo,
11:52 qui a été fait par une jeune fille qui a accompagné tout le tournage,
11:56 qui s'appelle Zita, qui a aussi accompagné Noémie Merland.
11:58 Et après on a fait des actions,
12:00 tout comme le début du film,
12:02 où on ne savait pas ce qu'on allait faire,
12:03 on était avec nos téléphones, on attendait,
12:05 et on a fait des actions.
12:06 Et ça a forcément nourri notre scénario
12:09 de manière exponentielle.
12:11 - Il faut dire que c'est très propice à une histoire,
12:14 à une narration cinématographique,
12:16 le fait que n'importe qui puisse venir rejoindre le mouvement.
12:19 Parce que comme le disait Pauline,
12:21 effectivement, on voit le côté ouvert des deux,
12:24 on va dire, pieds nickelés qui arrivent dans l'association,
12:27 à qui on offre à manger, à boire,
12:29 et à qui on dit écoute, juste écoute,
12:31 sans jugement, et même sans même donner son prénom,
12:34 puisque finalement, il n'y a même pas besoin de dévoiler,
12:36 ni si je m'appelle Jean-Baptiste,
12:38 ou si j'ai une origine ethnique ou sociale,
12:40 c'est vraiment une acceptation.
12:41 Et cette acceptation, on l'a vécue.
12:43 C'est comme ça qu'on a pu la raconter,
12:44 puisque nous-mêmes, on est venus,
12:46 et évidemment, personne ne nous a demandé rien du tout,
12:48 puisque c'est un accueil ouvert à tous.
12:50 Et on s'est dit, tiens, c'est effectivement possible
12:53 de faire glisser des gens qui seraient venus
12:55 dans une éducation budgétaire de surendettement,
12:57 dans le même local.
12:58 Il y a tellement d'associations et des maisons associatives.
13:01 Il y en a un qui s'appelle l'Ascenseur à Paris,
13:03 dans lequel, effectivement, dans le même endroit,
13:05 il peut y avoir une salle qui a été donnée
13:07 à une association d'activistes qui parle de climat,
13:10 et à une autre où c'est des gens qui sont surendettés.
13:12 Et finalement, cette maison représentait quelque chose pour nous.
13:15 On se disait, mais ils pourraient facilement se gourer de portes.
13:18 C'est ça qu'on s'est dit au départ, avant de se dire
13:20 que non, c'est encore plus opportuniste que ça,
13:22 ils y vont juste pour manger et boire.
13:24 C'est vrai que c'était, en tout cas,
13:25 on ne pouvait pas faire autrement que d'aller sur le terrain
13:28 pour bien le raconter.
13:29 Et aussi d'impliquer les militants vixers.
13:32 Est-ce qu'il y a des militants qui sont dans le film ?
13:34 Oui, bien sûr, je pense que Pauline en a reconnu pas mal.
13:36 Oui, j'en ai reconnu quelques-uns.
13:38 Ils sont même sur l'affiche, pour tout vous dire.
13:40 Ah bah dites-nous !
13:41 C'est-à-dire qu'il y a une affiche avec trois personnages
13:44 et c'est issu d'une scène où ils sortent de garde à vue
13:47 parce qu'il y a des gardes à vue, Pauline pourra en parler.
13:49 Il y a des risques et donc il y a tout un tas d'arsenal
13:52 pour accueillir les gens, les juridiques et les câlins
13:57 et les cafés, tout ça, on l'a appris.
13:59 Et donc, effectivement, pendant qu'on tournait cette scène de sortie,
14:02 tous les militants attendaient nos héros, nos acteurs.
14:05 Et c'est là que la photo du film a été prise.
14:07 Donc, tous ceux qui sont autour,
14:09 qui ont fait, on va dire, à peu près 40 jours
14:13 ou 30 jours de tournage en moyenne chacun,
14:15 on leur a proposé, puisqu'on a toujours ce principe de mélanger,
14:19 puisque c'est le sujet du podcast, la fiction et la réalité,
14:21 on l'avait fait dans Hors Normes avec des éducateurs,
14:24 on leur propose aux non-acteurs de venir jouer.
14:26 On pense que tout le monde peut jouer
14:28 et que parfois ça crée de la justesse
14:30 parce que comme ils sont en connexion,
14:32 parce qu'il y a beaucoup d'attentes au cinéma,
14:33 beaucoup de repas, de pauses,
14:35 et bien les gens discutent et se rapprochent
14:37 de la façon du sujet et de la façon de l'interpréter.
14:40 C'est vrai que c'est un peu un point de votre cinéma à chaque fois,
14:43 d'être très juste, d'être dans le vrai,
14:45 même si ça reste de la fiction.
14:46 Oui, ça reste du cinéma.
14:47 Si vous voulez, nous, on aime bien parler de l'ordinaire
14:50 et on sait que dans l'ordinaire, il y a de l'extraordinaire aussi.
14:53 Et donc, on est focus sur le fait de faire un film, du cinéma,
14:58 c'est une comédie, c'est de la fiction,
15:00 mais on a besoin d'une trame très, très réaliste,
15:03 sinon notre cerveau ne se met pas bien en marche.
15:07 Donc, on a besoin de cette connexion avec le contemporain,
15:10 avec notre époque.
15:11 Donc, on avait besoin de cette connexion avec eux,
15:13 à la fois des bénévoles et à la fois des militants.
15:16 Hier, à Paris, des militants écologistes
15:19 ont bloqué la circulation devant l'Assemblée nationale.
15:22 Une jeune femme s'est même collée la main sur le goudron.
15:25 Il y a quelques jours, d'autres avaient bloqué une autoroute.
15:28 Des actions très différentes, mais qui portent des objectifs communs.
15:31 Alerter l'opinion publique et demander une action politique
15:34 à la hauteur de l'urgence écologique.
15:36 Nous représentons la dernière génération
15:38 avant le point de basculement climatique.
15:40 C'est-à-dire que collectivement,
15:41 nous avons encore une chance d'échapper à la destruction.
15:44 C'est pour ça que je suis dans la résistance
15:45 et que j'y consacre ma vie.
15:47 Pauline, quand tu as regardé le film,
15:50 qu'est-ce que tu en as pensé ?
15:51 Est-ce que tu as retrouvé des scènes ?
15:53 Est-ce que tu as trouvé que c'était juste,
15:55 dans le vrai, dans cette connexion ?
15:57 Déjà, les premières secondes, j'étais là,
15:59 ils sont en action.
16:01 Ils sont juste dans le métro en train d'attendre.
16:03 Mais ça se pète le soin.
16:05 Déjà, dès les premières secondes,
16:06 j'ai senti une petite émotion de reconnaissance
16:10 de ce que ça fait d'être dans cette situation-là.
16:12 Et il y a beaucoup de moments dans le film
16:15 qui sont frappants.
16:17 L'équipe Roco, parce qu'au début,
16:20 ils ne se comprennent pas entre Jonathan Cohen,
16:23 puis Omar Maï et puis Naomi Merlin.
16:26 Dans les personnages qu'ils incarnent,
16:28 ils se répondent à côté,
16:29 parce que Naomi Merlin, donc Cactus,
16:32 est complètement dans, déjà,
16:35 une conscientisation des problèmes
16:38 qui est très aboutie.
16:42 Et eux ne comprennent pas encore.
16:45 Donc ils sont, eux, focalisés sur leurs problèmes personnels,
16:47 qui n'arrivent pas à se sortir.
16:49 Et elle, elle est déjà dans un autre espace.
16:53 Et donc, ces moments-là,
16:55 nous, on les vit en tant que militants, militantes,
16:58 au quotidien, sur des choses où, en fait,
17:01 on jauge très vite où en est la personne à qui on parle.
17:04 Et en fonction de ça, on ne peut pas tout dire,
17:07 parce qu'on ne se comprendrait pas.
17:09 Et donc, c'est pour ça que c'est l'intérêt aussi
17:13 de ce film, de montrer aussi ce décalage
17:16 d'une manière assez drôle,
17:18 mais qui illustre bien la réalité.
17:21 Et donc, je pense que c'est...
17:23 Il y a beaucoup de moments comme ça, très réalistes.
17:26 Une des scènes d'action,
17:29 je ne sais pas dans quelle mesure on peut raconter,
17:32 la scène de blocage de l'avion.
17:35 Mais c'est ça, quoi.
17:37 Enfin, on aurait pu le faire comme ça.
17:39 Donc, on l'a fait de manière différente dans notre réalité,
17:42 mais c'est quasiment...
17:44 Tout aurait pu...
17:46 Tout pourrait se passer comme ce qui est raconté dans le film.
17:49 Et c'est ça qui est passionnant.
17:51 - Nous, c'est en fait ce que dit...
17:53 En fait, à chaque film qu'on fait,
17:55 c'est pour ça qu'on fait des enquêtes.
17:57 C'est pour entendre les gens qui sont sur le terrain,
18:00 pour ne pas les trahir,
18:02 et d'être, même si c'est un film de cinéma,
18:05 mais d'être quand même attaché à une réalité,
18:08 pour ne pas que quelqu'un comme Pauline nous dise
18:11 "Non, mais les gars, vous rêvez, on n'a jamais fait cette action,
18:14 on ne fera jamais comme ça."
18:16 Alors oui, on scénarise,
18:18 on a des scénarios,
18:20 mais on tient vraiment à ce que ce soit le plus proche de la réalité
18:23 comme on l'a fait dans "Hors Normes" ou dans d'autres films.
18:26 - Et puis au cinéma, ce qui est intéressant,
18:28 c'est qu'on rentre dans la tête de tous les personnages.
18:31 Et donc, peut-être qu'il peut y avoir des critiques
18:34 de "Non, mais là, c'est totalement irréaliste."
18:37 Mais en fait, non.
18:39 Et c'est ça qui est intéressant,
18:41 de pouvoir rentrer dans la tête de personnes
18:44 dont on ne comprend pas forcément les actions.
18:47 Là, vous avez choisi d'illustrer le moment
18:50 où il y a l'action, donc un peu spectaculaire,
18:53 de désobéissance civile, etc.
18:55 Et derrière, il y a énormément de travail qui est fait,
18:58 qu'on voit un peu dans les réunions, etc.
19:00 Parce que c'est toujours des stratégies qu'on met en place
19:03 et avec beaucoup de plaidoyers,
19:05 de montées en compétences,
19:07 de personnes qui n'y connaissent rien sur un sujet,
19:09 et puis elles se passionnent,
19:11 et donc elles deviennent expertes dans des sujets.
19:13 Et après, ce moment un peu d'apothéose,
19:16 qui est illustré dans le film,
19:18 c'est là où il y a une tension assez forte
19:21 et que le film restitue bien.
19:23 - Un des sujets principaux de ce film "Une année difficile",
19:27 c'est la fracture entre ceux qui sont dans le besoin
19:30 et l'engagement écologique.
19:32 Comment on peut concilier les deux ?
19:34 Quand on est occupé à se nourrir, à trouver un toit,
19:37 est-ce qu'on peut vraiment se soucier du climat ?
19:40 - En fait, il y a différents exemples à ça.
19:43 Et le mouvement climat a eu toujours à cœur
19:46 justement de lier fin du monde et fin du mois.
19:49 Quand il y a eu le mouvement des Gilets jaunes,
19:52 il y a eu un rapprochement entre plein de groupes
19:55 des Gilets jaunes et du mouvement climat.
19:57 Alors qu'à la base, c'est un peu contre-intuitif,
20:00 puisque c'était contre la taxe carbone,
20:02 et donc on se dit "la taxe carbone, c'est bien,
20:04 parce qu'il faut réduire nos émissions de carbone".
20:06 Mais le gouvernement avait fait une taxe carbone
20:09 qui était complètement injuste,
20:11 et les ménages les plus précaires allaient payer
20:13 beaucoup plus cher la facture.
20:15 Et donc on se bat pour une transition juste.
20:17 Et toutes les revendications qu'on porte
20:20 et qu'on voudrait mettre en place dans la société aujourd'hui,
20:23 même s'il n'y avait pas de dérèglement climatique,
20:26 on aurait besoin de les mettre en place
20:28 pour créer une société qui est beaucoup plus juste,
20:31 où les richesses sont réparties,
20:33 où on préserve les ressources naturelles, etc.
20:35 Donc on fait ce lien-là dans les alternatives
20:38 même qu'on propose, et dans le fil qu'on tire
20:43 sur la vision de la société qu'on veut créer,
20:45 et des ingrédients qu'il faut aujourd'hui choisir.
20:48 Et puis il y a une association, par exemple,
20:52 que j'aimerais bien citer aux Pays Basques,
20:54 qui s'appelle ALDA, et qui a travaillé énormément
20:57 sur le logement, sur l'accès au logement
20:59 aux Pays Basques, pour enlever un peu l'emprise
21:03 permise par Airbnb, et en fait le détournement
21:05 d'utilisation d'Airbnb avec des gens
21:07 qui achètent des logements juste pour les louer,
21:09 et donc qui enlèvent tous ces logements
21:11 du parc locatif disponible pour les habitants.
21:14 Ils ont réussi à faire voter des lois
21:17 pour justement limiter l'accès au Airbnb
21:21 et refaire venir dans le parc locatif
21:24 ces logements, qui ont été rénovés
21:26 pour être loués, et donc là on reloge
21:28 des familles qui seraient potentiellement
21:31 dans des passoires énergétiques,
21:32 dans des nouveaux logements.
21:34 Donc on ne construit pas de logements ailleurs
21:37 parce qu'on en a assez, donc on évite
21:39 des émissions de gaz à effet de serre,
21:40 on sort des gens de la précarité énergétique,
21:42 et donc en fait on lit là complètement
21:45 justice climatique et justice sociale.
21:47 Éric, Olivier, je vous vois écouter Pauline
21:50 les grands yeux. - Religieusement.
21:52 - Je découvre deux réalisateurs, enquêteurs,
21:54 vous laissez une grande place à tous ces sujets
21:58 de société aussi, à toutes ces personnalités
22:00 engagées comme Pauline.
22:02 Ce qui nous fascine, c'est les mouvements
22:04 dans la société, et voilà encore
22:07 d'autres chapitres qui s'ouvrent,
22:09 parce qu'elle nous parle d'autres mouvements,
22:11 et des mouvements d'union entre justice sociale
22:13 et justice climatique, c'est très intéressant.
22:15 Parce qu'évidemment, en dehors du fait
22:18 de préserver la planète, il y a aussi
22:20 de toute façon, et c'est ce que je disais
22:22 tout à l'heure sur le Covid, il y avait
22:23 une façon d'exister qui était à remettre en cause.
22:25 Sur une espèce de vertige de l'illimité
22:28 dans lequel on vit, c'est-à-dire que
22:30 moi je repense souvent à cette assiette
22:32 que l'on remplit dans les buffets,
22:34 dans les hôtels dans lesquels on ne va plus
22:38 évidemment, mais dans lesquels on a pu aller.
22:40 Ils appellent ça les "all-include".
22:42 Vous avez tout à volonté, vous savez
22:44 que vous n'allez rien manger, mais vous avez
22:46 envie de remplir l'assiette de façon démesurée.
22:48 Vous voyez des gens passer avec beaucoup trop,
22:50 qui vont laisser 80% de l'assiette de côté.
22:52 Je trouve que c'est un peu le symbole
22:54 de comment on vit jusqu'à aujourd'hui,
22:56 et que indifféremment de ce qui se passe
22:58 c'est pas une façon de vivre.
23:00 De prendre 100% pour en jeter 80%.
23:02 En tout cas, c'est pas comme ça que nos mamans
23:04 nous ont élevés.
23:06 - Et même si vous êtes réalisateur d'une fiction,
23:08 est-ce que le film a un impact aussi sur vous,
23:10 en tant qu'homme ?
23:12 - Ah oui, oui.
23:14 - Parce que vous enquêtez, vous passez énormément de temps,
23:16 vous écoutez beaucoup de gens, vous êtes dans le mouvement.
23:18 - On est de toute façon, on est poreux,
23:20 on est concernés, évidemment, sinon
23:22 on ne parlerait pas de ces sujets,
23:24 et puis on parlerait d'autres choses.
23:26 - En tout cas, oui, c'est vrai que ça...
23:28 On sort pas pareil quand on a passé
23:30 un an, deux ans à écrire ce scénario,
23:32 à enquêter, à être sur le terrain.
23:34 C'est sûr qu'on voit des choses,
23:36 on entend ces choses, on entend des militants
23:38 comme Pauline,
23:40 mais ça va au-delà du militantisme,
23:42 parce qu'on se dit, il faut chercher des solutions,
23:44 et il y a des solutions, il faut les écouter.
23:46 Ce qu'elle raconte là, sur cette association
23:48 ALDA, c'est ultra intéressant.
23:50 Donc ça, c'est vrai que ça nous...
23:52 On a beaucoup de questions,
23:54 on se questionne beaucoup, on n'apporte pas de réponses,
23:56 on n'est pas ni militant, ni politique,
23:58 mais de temps en temps, on cherche des solutions.
24:00 Et voilà, il n'y a pas un chemin
24:02 pour parler de l'économie,
24:04 de l'écologie, pardon, et de l'économie d'ailleurs aussi.
24:06 Il y a plusieurs chemins. Nous, le nôtre,
24:08 c'est le cinéma,
24:10 Pauline, c'est l'engagement,
24:12 et elle va trouver des solutions.
24:14 Et elle fait partie de la société civile,
24:16 c'est pas une politicienne,
24:18 donc c'est vrai que c'est très intéressant.
24:20 Et nous, on a beaucoup de respect pour les gens qui s'engagent,
24:22 comme les bénévoles,
24:24 comme les gens qui vont un peu vers l'autre
24:26 pour faire que, ensemble, on peut peut-être arriver à quelque chose de mieux.
24:28 Pourquoi t'as remis ton t-shirt ?
24:30 De toute façon, toi aussi, tu le gardes ?
24:32 Tu sens l'impact, là ?
24:34 Ah oui, je sens l'impact, comme par...
24:36 - Bravo, mon gars, t'es fort ! - T'as de l'intune ? - Oui.
24:38 Laisse-moi faire. Allez, c'est bon, monsieur. Allez, on y va.
24:40 Ça va, ça va.
24:42 Comment ça se fait que le monsieur est passé, là ?
24:44 On fait une sensibilisation sur la crise climatique.
24:46 Est-ce que t'as 20 ballons ?
24:48 On ne sait rien.
24:50 Opérations en avant,
24:52 dispersez-vous ! On est un rapat !
24:54 Nélon, chef, chef !
24:56 Je pense qu'il y a un truc entre toi et moi.
24:58 Et il ne se passera rien entre nous.
25:00 On est un rapat ! Nélon, chef, chef !
25:02 Si je ne suis pas pressé, je peux t'attendre.
25:04 Je vais essayer de créer un peu un lien
25:08 entre ce que vous avez dit, vous trois.
25:10 Pauline, à un moment donné, tu as dit
25:12 qu'on rentre un peu dans la tête de chaque personnage.
25:14 Eric, Olivier,
25:16 vous avez parlé de
25:18 montrer aussi par
25:20 le mouvement. J'aime bien cette idée-là
25:22 parce que Extinction Rebellion, si je ne me trompe pas,
25:24 se définit comme un mouvement.
25:26 Il y a un côté dans le cinéma
25:28 d'avoir ces actions, ces mouvements
25:30 qui font qu'à la fois dans la tête
25:32 des personnages, à la fois dans toutes ces scènes d'action,
25:34 on touche un peu plus
25:36 les gens. Est-ce que vous pensez qu'aussi
25:38 une comédie, d'en rire un peu,
25:40 de mettre en scène, ça peut aussi
25:42 avoir un impact assez costaud
25:44 sur la société et les gens ?
25:46 On ne sait pas qu'on le pense,
25:48 c'est une conviction. C'est-à-dire qu'on est
25:50 certains qu'avec l'humour,
25:52 il y a quelque chose
25:54 qui est atteint
25:56 presque comme une petite explosion
25:58 qui se passe en chacun d'entre nous,
26:00 qui fait qu'on est touché et c'est physique.
26:02 D'ailleurs, c'est pour ça qu'on aime ça,
26:04 aller dans les salles et entendre le physique
26:06 presque chimique
26:08 du rire.
26:10 Et ça opère, ça opère sur les personnes
26:12 et donc cette fameuse
26:14 identification, parce que quand on dit
26:16 on est dans la tête des gens, ça veut dire qu'on s'identifie.
26:18 C'est ce qui le différencie du documentaire,
26:20 où il y a quelque chose de plus objectif, alors que
26:22 la fiction, on est avec eux dans leur
26:24 combat et donc forcément,
26:26 grâce à l'humour, on apporte
26:28 une certaine distance, on dédramatise
26:30 un tout petit peu, on envoie
26:32 des signaux de recul
26:34 communs, comme tacites, entre le spectateur
26:36 et nous, mais en réalité, pour moi,
26:38 ça peut passer par une autre porte.
26:40 Et c'est un autre canal qui fait que
26:42 évidemment, on peut...
26:44 Ça peut parfois être
26:46 rebutant de culpabiliser les gens. On a déjà
26:48 vécu ça par exemple sur le handicap.
26:50 On a beaucoup, beaucoup travaillé sur ce sujet-là
26:52 pour essayer de parler du handicap.
26:54 Si vous en parlez de façon frontale,
26:56 les gens, et ça s'est même retrouvé
26:58 dans des questions marketing pour nous,
27:00 quand on fait "Intouchables", il y a des gens qui nous disent
27:02 "si vous mettez le fauteuil sur l'affiche, vous n'aurez personne dans la salle".
27:04 - Vraiment ? - Vraiment.
27:06 - Vous avez vu ces échos ? - Bah non, c'est des
27:08 réalités, je veux dire, les gens vont au cinéma,
27:10 ils ont une vie compliquée, ils vont pas aller
27:12 se détendre en voyant quelqu'un qui a une histoire...
27:14 Sauf que si vous en faites une
27:16 comédie, il se passe ce qui se passe
27:18 peut-être avec "Intouchables". Alors pas tout le temps,
27:20 mais en tout cas, il se serait pas passé ça
27:22 si on avait pas choisi le filtre de la comédie.
27:24 Si "Intouchables" avait été traité d'une façon
27:26 plus dramatique, il n'aurait jamais eu cette carrière.
27:28 Mais il a beaucoup plus touché
27:30 parce que les gens sont, entre guillemets,
27:32 entretenus
27:34 par quelque chose d'assez puissant qu'est le rire
27:36 et donc peut-être ouvrent encore plus leur façon
27:38 de s'identifier derrière parce qu'ils ont été séduits.
27:40 Le rire, c'est séduisant. On lui dit toujours
27:42 "quelqu'un de drôle est plus séduisant".
27:44 Au début, quand on est jeune, il n'y a que le physique.
27:46 Mais quand on avance un petit peu, heureusement
27:48 pour d'autres, il y a aussi le fait que l'humour
27:50 puisse, le charme puisse opérer.
27:52 Et nous on a de la chance parce qu'on a les deux.
27:54 C'est ça, c'est notre chance.
27:56 Et on est humble.
27:58 La journaliste ne répond plus rien.
28:00 Elle est médusée par cette comédie.
28:02 Elle se sent cet humour et ce charme.
28:04 Mais l'humour est également
28:06 un registre qu'on utilise
28:08 dans nos actions non-violentes.
28:10 On joue sur tous les registres.
28:12 Quand on pense qu'il faut avoir un moment plus grave,
28:14 on a fait des actions
28:16 pour dénoncer le traitement
28:18 des personnes migrantes.
28:20 Là, on était dans un registre grave.
28:22 Il y a des fois, on fait des actions.
28:24 Une fois, on est allé trois fois devant EDF.
28:26 Et le troisième jour,
28:30 juste pour ne pas lâcher
28:32 ce qu'on leur demandait,
28:34 on arrive juste avec une bande drôle.
28:36 "Coucou".
28:38 Et en fait, c'est un moyen
28:40 de faire monter la pression.
28:42 Mais on est dans un registre
28:44 assez drôle.
28:46 Et c'est nécessaire
28:48 pour toucher.
28:50 C'est parfois nécessaire pour toucher
28:52 les gens, pour aussi
28:54 ne pas trop se prendre au sérieux.
28:56 Parce qu'on agit
28:58 dans un domaine
29:00 qui génère
29:02 de l'éco-anxiété
29:04 ou de différentes peurs.
29:06 C'est aussi comment on arrive
29:08 à apaiser ces peurs
29:10 et à en faire un moteur
29:12 et à ouvrir.
29:14 Parce que, nous aussi, notre objectif,
29:16 c'est de toucher les gens.
29:18 Et les actions de désobéissance civile,
29:20 elles sont faites pour ça.
29:22 Parce qu'il y a un côté un peu
29:24 scandaleux. On enferme une loi
29:26 pour dénoncer son injustice,
29:28 pour dénoncer
29:30 quelque chose
29:32 qui nous paraît complètement
29:34 inacceptable.
29:36 Et ça, pour toucher
29:38 les mentalités, toucher les consciences,
29:40 on réfléchit
29:42 à quel va être le registre de notre action
29:44 et quel va être le meilleur
29:46 moyen de faire passer nos messages.
29:48 - Mais alors Pauline,
29:50 est-ce qu'on rigole de surnoms
29:52 qui sont donnés dans le film ?
29:54 Quinoa, cactus, poussin ?
29:56 J'en oublie sans doute.
29:58 - On peut rigoler de ça,
30:00 mais c'est une réalité dans le mouvement
30:02 d'extinction rébellion.
30:04 On sait qu'au début,
30:06 ça peut paraître un peu cliché,
30:08 mais on aime mieux en partir du cliché
30:10 que d'y arriver.
30:12 Encore une fois, c'est une comédie.
30:14 On a entendu des surnoms marrants,
30:16 rigolos. - Bien plus que ça.
30:18 - Bien plus que ça. - Comme quoi, dites-nous ?
30:20 - Il y en a eu pas mal.
30:22 On a eu des noms de... BBFoq, j'ai entendu.
30:24 - OK. - BBFoq.
30:26 J'ai entendu BBFoq. Non, il y en a d'autres.
30:28 Il y en a des marrants, c'est sûr qu'il y en a des rigolos.
30:30 Et ça, on ne l'a pas inventé.
30:32 C'est sûr que ça nous nourrit, ça nous inspire.
30:34 - Ça nous a même détendu. Je trouve que ça...
30:36 Il y avait un petit côté...
30:38 Comme ça, on se maquille
30:40 un peu devant les autres, mais on se maquille intelligemment
30:42 parce que chacun avait un symbole derrière.
30:44 On a demandé aux gens pourquoi.
30:46 Pourquoi tel surnom, etc.
30:48 Mais pour revenir, pour terminer sur le rire,
30:50 on s'est beaucoup basé,
30:52 on l'a souvent dit ailleurs,
30:54 mais il faut aussi le dire ici,
30:56 sur la comédie italienne. Et la comédie italienne,
30:58 elle avait pour vocation, dans les années 60-70,
31:00 de déminer
31:02 une société, pendant les années de plomb,
31:04 qui était en crise
31:06 totale, et d'aborder des sujets
31:08 ultra-complexes avec légèreté,
31:10 en mettant de l'absurde.
31:12 Et en cela, ils étaient héritiers
31:14 de la commedia dell'arte, et en cela,
31:16 ils étaient héritiers de Molière,
31:18 qui ridiculisait
31:20 les radins, les misanthropes,
31:22 et dans toutes ces...
31:24 Il y a toujours un miroir tendu
31:26 pour rire non pas des autres, mais rire de soi.
31:28 Et ce rire de soi,
31:30 il est nécessaire. A partir du moment où on ne rit pas de soi,
31:32 je pense que c'est... En tout cas, c'est le rire
31:34 qu'on préfère. C'est le rire qui a le plus de recul.
31:36 On est en train de fabriquer des générations
31:38 de surconsommateurs compulsifs.
31:40 J'aimerais pousser un cri d'alarme.
31:42 Objectif, c'est...
31:44 Un accord !
31:46 Tu sais ce que je leur ai offert à mes neveux,
31:48 au Noël dernier ?
31:50 Je leur ai dit "Mes chéris, cette année,
31:52 je vous offre toute mon estime
31:54 et tous mes encouragements."
31:56 C'est... C'est... C'est... C'est... C'est... C'est fort, hein ?
31:58 Ça va être tellement génial de passer un Noël avec toi.
32:00 Et c'est pas cher.
32:02 Et c'est pas cher.
32:04 Et c'est pas cher.
32:06 (musique)
32:08 - Je vais terminer cet épisode
32:10 avec quelque chose d'assez...
32:12 qui, moi, m'a marqué pendant
32:14 la vision du film. C'est vraiment le
32:16 tout début. Votre film,
32:18 il commence avec une sélection d'archives
32:20 de différents présidents de la République française
32:22 décrivant les uns après les autres
32:24 une année achevée comme une année difficile.
32:26 C'est d'ailleurs le titre du film.
32:28 Il vient
32:30 spontanément ce titre,
32:32 c'est-à-dire ces archives.
32:34 Est-ce qu'on peut faire un lien
32:36 avec l'actualité ? Est-ce que c'est encore une année difficile ?
32:38 Qu'est-ce que vous en pensez ?
32:40 - Ce qu'on pense, c'est que
32:42 ce que ça raconte, c'est une forme d'insatisfaction
32:44 chronique qui est liée sûrement à la consommation.
32:46 Puisque si, pendant
32:48 les 30 glorieuses, Pompidou
32:50 et plus tard Giscard,
32:52 qui a un moment aussi de plein emploi,
32:54 et puis l'arrivée de la crise,
32:56 si en fait le discours est toujours que
32:58 l'année à venir ou l'année passée
33:00 est difficile,
33:02 c'est qu'on cultive une forme d'insatisfaction
33:04 qui est sûrement liée à la consommation,
33:06 puisque la consommation, c'est un moment,
33:08 un des discours de Cactus dans le film,
33:10 qui dit "ça nous rend heureux une minute ou deux
33:12 et puis on passe à autre chose".
33:14 Finalement, si dans des pays
33:16 aussi riches que la France, l'année est difficile,
33:18 que dire des pays qui étaient, eux,
33:20 vraiment dans des années beaucoup plus
33:22 complexes ? Donc c'est peut-être
33:24 que ce modèle de croissance
33:26 qui nous a finalement habité depuis
33:28 des centaines d'années,
33:30 je ne suis pas en train de défendre un point de vue politique, mais en train d'être
33:32 à l'écoute de tout ce qui se raconte.
33:34 Je sais qu'on a beaucoup lu Hartmut Rosa
33:36 sur la préparation de ce film,
33:38 sur la théorie de l'accélération,
33:40 qui je sais sert de base à ceux qui
33:42 défendent la décroissance, mais en tout cas
33:44 ce principe de toujours être en augmentation
33:46 pour être en équilibre,
33:48 a quelque chose de complexe, et puis alors
33:50 au regard de la crise climatique,
33:52 a quelque chose de plus que complexe, de dramatique.
33:54 Pauline,
33:56 je te voyais acquiescer.
33:58 Les propos de Cactus,
34:00 enfin, les mots de Cactus dans le film.
34:02 Ah oui, oui, complètement.
34:04 Déjà, je suis totalement d'accord avec ce qu'Éric
34:06 vient de dire.
34:08 En fait,
34:10 on sait que là,
34:12 les scientifiques nous dessinent un avenir qui est
34:14 assez sombre,
34:16 duquel on est encore un peu
34:18 protégé par rapport aux
34:20 personnes qui, aujourd'hui, expérimentent déjà
34:22 de manière tragique,
34:24 l'impact du dérèglement climatique.
34:26 Et le
34:28 film ouvre aussi
34:30 cet angle
34:32 de vue de
34:34 quel moment présent
34:36 on construit dans la lutte,
34:38 en luttant contre ce système, parce qu'on
34:40 est encore minoritaire à lutter contre
34:42 un système capitaliste
34:44 qui est basé sur une croissance
34:46 infinie, qui est complètement insoutenable sur une
34:48 planète finie. Et donc, c'est
34:50 aussi, et je trouve
34:52 et on le sent dans le film, cette
34:54 nécessité
34:56 de trouver une manière de vivre
34:58 dans le moment présent,
35:00 en ne participant pas à ce système
35:02 et en essayant de tirer la corde
35:04 de l'autre côté.
35:06 Et en tout cas,
35:08 depuis que moi, je me suis vraiment
35:10 engagée en tant que militante,
35:12 je pense que
35:14 je vis beaucoup plus ce moment présent,
35:16 et ça rend l'absurdité du monde
35:18 beaucoup plus soutenable, parce qu'on
35:20 se dit "à mon échelle, je fais ce que je peux
35:22 et en tout cas, j'essaye de ne pas
35:24 aggraver la situation".
35:26 Et c'est
35:28 vraiment en lien, je pense, avec la
35:30 quête de sens, de pourquoi on est
35:32 là, qu'est-ce qu'on fait et qu'est-ce qu'on
35:34 peut faire pour laisser
35:36 aux générations futures
35:38 une planète
35:40 habitable et
35:42 un monde beaucoup plus soutenable.
35:44 - On va peut-être conclure là-dessus,
35:46 c'est que, en tant que réalisateur,
35:48 un film aussi peut arriver
35:50 à cette satisfaction du moment présent
35:52 et de laisser quelque chose pour...
35:54 - Oui, parce que ce que j'entends, c'est que ça peut paraître
35:56 dérisoire, et c'est toujours l'argument qu'on peut dire
35:58 "mais qu'est-ce que ça va changer ?" et en même temps,
36:00 c'est peut-être
36:02 absurde de penser que c'est dérisoire et qu'il faut
36:04 justement, parfois, dans l'absurdité
36:06 du monde, penser à ce moment présent,
36:08 ce fameux moment présent, qui est un cadeau,
36:10 le présent. En français, d'ailleurs, on le dit
36:12 pareil, "présent", c'est un cadeau.
36:14 Et donc, de le célébrer et de
36:16 le comprendre un peu mieux, et d'être déjà en cohérence
36:18 avec certaines valeurs
36:20 et certains choix philosophiques
36:22 de vie, c'est déjà pas si mal
36:24 au regard, effectivement,
36:26 de l'année difficile qu'on traverse à tous
36:28 les points de vue. - Je vous remercie tous les
36:30 trois. - Merci à vous.
36:32 [Musique]
36:42 - Vous venez d'écouter "Réplique",
36:44 le podcast de Canal+ qui questionne
36:46 la relation entre fiction et réalité.
36:48 Cet épisode est produit par François Saltielcher,
36:50 de Voir, et réalisé par
36:52 Nico Bergman, sur une idée originale
36:54 de Steph Charmond et Marie Sala.
36:56 N'oubliez pas de vous abonner à notre podcast
36:58 et à lui donner plein d'étoiles.
37:00 [Musique]
37:20 [SILENCE]

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