• il y a 8 mois
Il est historien, a dirigé le Centre français de recherche à Jérusalem et il est partout en ce moment en librairies :
Vincent Lemire a vendu 250.000 exemplaires de la bande dessinée "Histoire de Jérusalem", 4.000 ans d'histoire racontée avec des bulles. Son nouveau livre, "Israël-Palestine, anatomie d'un conflit", permet en 50 questions de mieux comprendre ce conflit si complexe.
Regardez L'invité de RTL Soir avec Julien Sellier du 22 avril 2024

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00:00Isabelle Choquet et Cyprien Cygne.
00:03Allez RTL, bonsoir, la deuxième heure continue.
00:0519h17, on accueille maintenant un nouvel invité.
00:08Il est historien, il a dirigé le Centre français de recherche à Jérusalem
00:11et il est partout en ce moment en librairie.
00:13Bonsoir Vincent Lemire.
00:14Bonsoir.
00:15Merci d'être avec nous.
00:16Je dis partout parce que vous avez vendu 250 000 exemplaires
00:19de 7 BD que je montre à la caméra sur rtl.fr.
00:22Histoire de Jérusalem, 4000 ans d'histoire racontée avec des bulles
00:25et puis votre nouveau livre Israël-Palestine-Anatomie d'un conflit
00:28permet en cinq ans de questions de mieux comprendre ce conflit
00:31ô combien complexe.
00:33Avant de revenir sur ce succès, sur ce besoin de pédagogie
00:35aussi visiblement de la part du grand public,
00:38je voudrais votre regard sur l'actu qui est toujours aussi brûlante.
00:42130 otages toujours aux mains du Hamas à Gaza.
00:45Demain ce sera leur 200e jour de détention.
00:47200 jours depuis les attaques du 7 octobre.
00:49Un quart des Israéliens disent aujourd'hui avoir besoin d'aide psychologique.
00:53Le traumatisme est toujours là.
00:55Alors que début de PESA à la Pâques juive,
00:57je ne sais pas si vous êtes retourné régulièrement sur place ces dernières semaines,
01:00mais on a la sensation que le traumatisme est toujours extrêmement profond.
01:03Oui, mais on a une société qui est en post-trauma
01:07et avec un gouvernement en plus qui fait tout pour qu'elle reste en post-trauma.
01:11On sait, si on parle avec des psychologues,
01:13le post-trauma c'est comme une capsule psychique.
01:16On est à la fois dans la souffrance et en même temps c'est protecteur d'une certaine manière.
01:19C'est de plus en plus dur d'en sortir au fur et à mesure qu'on s'en éloigne.
01:23Je ne suis pas retourné encore en Israël ni en Palestine depuis le 7 octobre,
01:27mais j'ai des contacts là-bas qui me disent qu'on est encore le 7 octobre.
01:30Il y a même des gens qui comptent qu'on est le 324 octobre là.
01:35Ils n'arrivent pas à sortir de ce calendrier.
01:38Effectivement, ce soir c'est le CDR de PESA.
01:41Normalement c'est un moment où toute la famille est réunie
01:44et symboliquement c'est toute la société qui est réunie.
01:46Tout le monde est là.
01:47Les absents sont hyper présents dans l'esprit de tout le monde.
01:52Et puis de l'autre côté, on a une population civile de Gaza
01:56dont on voit qu'elle se prépare à l'offensive de Rafa.
01:59Dans le sud de la bande de Gaza où 1,5 million de personnes ont été déplacées.
02:041,5 million de personnes qui vivent en ce moment à Rafa,
02:07qui est une ville qui était déjà hyper dense.
02:09La dernière fois que j'étais à Gaza c'était en juin dernier.
02:11À Rafa, avant le mois d'octobre, il y avait 275 000 habitants.
02:14Et c'était super dense.
02:16Là il y en a 1,5 million.
02:17Et les bombardements ont commencé.
02:19Et ce qui s'est passé hier à Rafa, il y a eu une frappe qui a fait 22 morts,
02:24dont 18 enfants et une femme enceinte.
02:26Ça nous donne à peu près le ratio de ce qui va arriver à Rafa
02:29si effectivement la bataille de Rafa est effectivement lancée.
02:32Vincent Lemire, le chef du renseignement militaire israélien a démissionné aujourd'hui.
02:36Est-ce que ça aussi ce n'est pas un aspect du traumatisme israélien ?
02:40Parce que le pays se croyait capable de prévenir une attaque d'envergure venue de Gaza
02:45et puis non en fait.
02:46Oui, et il y a eu une deuxième annonce de démission.
02:49Il y a quelques minutes, j'ai lu, le commandant de la zone centrale
02:53qui a annoncé sa démission.
02:54Donc ça fait déjà deux démissions, qu'elle sera effective au mois d'août.
02:57C'est haut gradé de l'armée.
03:00Ils ont un mot qui revient tout le temps dans leur lettre de démission,
03:04c'est responsabilité.
03:06C'est évidemment un message politique qui s'adresse
03:09au responsable en chef, au chef du gouvernement,
03:12à Benjamin Netanyahou, qui lui ne veut prendre aucune responsabilité
03:16dans ce qui s'est passé le 7 octobre.
03:18Alors c'est un aveu d'échec, ces démissions.
03:22On attendait tous, après le 7 octobre, plutôt une démission de Netanyahou.
03:27Elle n'arrivera pas.
03:28Spoil.
03:29Maintenant on peut...
03:31En fait Biden, tout le monde a essayé par tous les moyens, etc.
03:35Tant qu'il aura ses 64 députés, il pourra les stipendier d'une manière ou d'une autre.
03:40Il ne démissionnera pas.
03:41Donc pour l'instant, c'est des démissions qui se passent au niveau de l'armée.
03:45Ce qui est effectivement un aveu d'échec aussi pour le mouvement civique israélien qui continue.
03:50Ils n'attendaient pas des démissions de généraux de l'armée.
03:52Ils attendaient d'abord la démission de Netanyahou.
03:54Il y a eu une nouvelle frayeur aussi avec l'attaque des drones iraniens il y a 10 jours.
03:58L'escalade de violence, est-ce qu'elle va s'arrêter là, selon vous, entre Israël et l'Iran ?
04:03Les deux pays ont un peu sauvé la face et puis on arrête là ou ça va continuer ?
04:06Alors, moi je suis un peu abonné à RTL depuis 15 jours.
04:09Le dimanche, il y a 15 jours avec Mohamed Bouafsi, j'ai dit la réplique iranienne va avoir lieu.
04:14Et elle sera importante.
04:17Elle a eu lieu.
04:18Et puis lundi dernier, j'étais au micro d'Yves Calvi lundi matin.
04:21Et tout le monde attendait un embrasement.
04:24J'ai dit une désescalade est un scénario possible, plausible.
04:28Parce que les deux parties y ont intérêt.
04:31Et elles peuvent d'une certaine manière se retirer du jeu maintenant en prenant chacune leurs gains.
04:36Les Iraniens ont fait pour la première fois cette attaque massive.
04:39Ils ont franchi cette ligne rouge à moindre frais.
04:42Et les Israéliens, et en particulier le gouvernement Netanyahou, a retrouvé un peu d'oxygène.
04:48D'un coup, l'Occident soutient à nouveau Israël, le Conseil de sécurité.
04:52Ce qui n'était pas arrivé depuis plusieurs mois.
04:55Donc, chacune des deux parties peut retirer ses gains.
04:58Au détriment, encore une fois, et je l'avais dit dès lundi dernier, au détriment des populations civiles de Gaza.
05:04Et quand vous êtes venu la semaine dernière, moi ce qui m'a marqué dans votre entretien lors de la matinale de RTL,
05:10c'est que vous avez, avec votre rôle d'historien, vous nous avez raconté qu'avant 1979, avant la révolution islamique,
05:16Israël et l'Iran, ils étaient alliés.
05:19Mais oui, il ne faut jamais oublier, c'est des pays qui se connaissent parfaitement.
05:22Jusqu'en 1979, l'Iran c'était même le seul pays de la région avec lequel les Israéliens pouvaient parler.
05:29Parce qu'il n'y avait que des ennemis autour.
05:32C'est des pays qui se connaissent très bien, des sociétés qui se connaissent très bien, qui se respectent.
05:36Donc, c'est deux ennemis qui se jaugent, qui savent que c'est les deux plus sérieux dans la région,
05:44y compris sur le plan géostratégique.
05:46C'est pour ça que les répliques sont à chaque fois calculées au millimètre.
05:49Après, il y a d'autres proxys qui sont là pour être le bras armé de l'Iran, beaucoup plus proche de la frontière israélienne.
06:01On oublie toujours, pourquoi est-ce que l'Iran a besoin de proxys ?
06:05On parle de proxys tout le temps.
06:06Mais il faut prendre au pied de la lettre.
06:07Proxys, c'est aussi ceux qui sont proches de la frontière, pour frapper plus vite et plus fort.
06:12Et là, pour le coup, je ne serais pas si optimiste.
06:14Le front nord continue de se réchauffer.
06:16Et en plus, la société civile israélienne est pour une guerre contre le Hezbollah.
06:23Pour le coup, elle finira par arriver, à mon avis, dès que la guerre de Gaza sera terminée.
06:28Vous, l'historien, vous regardez derrière vous, mais j'imagine que vous vous demandez aussi ce qui se joue aujourd'hui.
06:37Qu'est-ce que ça peut conduire ? Dans quelle direction vont ces deux sociétés ?
06:43Quand on voit le traumatisme à la fois en Israël, la désolation, vous l'avez rappelé, la mort, la fin à Gaza,
06:49on se dit que l'espoir de paix est en train de reculer de plusieurs décennies.
06:54Parce qu'il y a des générations qui vont grandir en se détestant encore davantage des deux côtés.
06:58Oui, sauf si les deux sociétés comprennent qu'elles sont face à un risque existentiel.
07:05Et ça, je l'ai dit dès le 10 octobre.
07:08Les deux sociétés israéliennes et palestiniennes sont face à un risque existentiel pour leur survie même.
07:14Les attaques du 7 octobre, encore une fois, 1200 morts.
07:18À l'échelle de la France, c'est 10 000 morts.
07:20Un attentat avec 10 000 morts.
07:22Vous imaginez ce que ça provoque.
07:24Les 35 000 morts civiles de Gaza, et c'est sans doute plus parce qu'il y en a sous les décombres,
07:30à l'échelle de la population française, donc sur les 2,5 millions d'habitants de Gaza,
07:34ramenés à la population française, ce serait 1 million de morts, dont 600 000 femmes et enfants.
07:39Donc ces deux sociétés aujourd'hui qui sont face à des niveaux de souffrance et de traumatisme
07:45qu'elles n'ont jamais connus dans leur histoire.
07:48On n'exagère pas, il faudrait que les auditeurs le sachent,
07:52de faire des temps d'antenne sur le conflit israélo-palestinien actuellement,
07:56ce n'est pas exagéré, ce n'est pas du sensationnalisme, ça n'est jamais arrivé.
08:00J'ai donné un chiffre l'autre jour.
08:02La deuxième intifada, c'est 3 000 morts en 5 ans.
08:053 000 palestiniens morts en 5 ans.
08:08Là, c'est 10 fois plus de morts en 10 fois moins de temps.
08:11Facteur 100.
08:12C'est absolument vertigineux ce à quoi on est en train d'assister.
08:15Donc ça peut donner aussi un espèce de sursaut.
08:18C'est la seule chose qu'on peut espérer en tout cas.
08:21Vincent Lemire, vous restez avec nous, on va ouvrir vos livres dans un instant
08:24pour mieux comprendre justement l'histoire du Proche-Orient.
08:27Et puis vous allez aussi nous raconter vos jeunes années d'historien,
08:30le moment où vous avez mis un pied à Jérusalem, le nez dans les archives.
08:33Vous ne bougez pas, RTL Bonsoir revient dans une seconde.
08:36Il y aura aussi de la cuisine, de la musique et un joli cadeau à gagner d'ici 20h.
08:46RTL Bonsoir.
08:51Et la deuxième heure avec notre invité, c'est l'un des meilleurs spécialistes
08:54de Jérusalem, du Proche-Orient, Vincent Lemire est avec nous.
08:57Vos livres, Vincent Lemire, on l'a dit, ils sont disponibles dans toutes les librairies.
09:00C'est un succès, on les voit trôner.
09:01Moi, je les ai vus dans les gares, dans les librairies des gares,
09:04au milieu de magazines beaucoup plus futiles.
09:06Et tant mieux parce que ça veut dire qu'on s'intéresse, nous Français,
09:09à l'histoire du Proche-Orient.
09:11250 000 exemplaires vendus de l'histoire de Jérusalem.
09:14Cette BD avec Christophe Gauthier aux éditions Les Arènes,
09:16qui est sortie d'ailleurs bien, bien avant le 7 octobre,
09:18ça veut dire qu'il y a une envie de comprendre,
09:20qu'il y a un besoin de pédagogie autour de ces questions.
09:22Je ne sais pas si vous le constatez lors de dédicaces,
09:24de rencontres dans les librairies avec des lecteurs.
09:26Dédicaces, des centaines de mails que je reçois,
09:29beaucoup de mails de parents qui lisent la BD
09:33et qui disent on a quelque chose à raconter à nos enfants.
09:36Des parents de culture musulmane, de culture juive,
09:39de culture chrétienne, des athées, des parents.
09:42Ceux qu'on est parents d'élèves, qu'on croise.
09:45Et qui sont en fait confrontés aussi, qui sont eux traversés.
09:48J'ai reçu des mails très, très bouleversants de gens
09:51qui m'ont dit juste après octobre, le 7 octobre,
09:54qui m'ont dit j'avais des pensées très, très laides en moi.
09:58Alors on pouvait imaginer lesquelles ?
10:00De vengeance ?
10:02Et en fait, cette perspective historique,
10:04elle m'aide à respirer à nouveau,
10:06à pouvoir parler à mes enfants,
10:08parce qu'on ne veut pas, a priori,
10:10on ne transmet pas des mauvaises pensées à ses enfants.
10:12On a envie plutôt d'essayer de les réguler,
10:15de réguler leurs propres émotions, etc.
10:17Beaucoup de profs aussi,
10:18et ça c'est évidemment ce qui me touche le plus professionnellement,
10:21parce que je suis prof,
10:22qui m'ont dit ça m'aide à cadrer les débats entre les élèves,
10:27j'ai utilisé la planche de la page machin
10:29pour cadrer un débat ce matin, etc.
10:32Et ça, c'est une jolie récompense.
10:35C'est vraiment un encouragement.
10:38C'est un clin d'œil aussi de vous voir cartonner avec une BD,
10:41parce qu'il paraît qu'au collège,
10:42vous en vendiez une sous le manteau aux copains,
10:44en caricaturant les profs.
10:46C'est vrai ça ?
10:47Vous avez commencé par une BD ?
10:48Non, mais c'est vrai, c'est vrai,
10:50avec un copain qui s'appelle Pascal Sybertin-Blanc,
10:53dont j'ai le plaisir de rappeler le nom maintenant,
10:55qui est illustrateur aujourd'hui.
10:57On caricaturait les profs,
10:59on photocopiait ça,
11:01on agrafait, on mettait du scotch,
11:03et on vendait ça un peu sous le manteau.
11:05Et puis on avait sorti aussi une autre BD
11:07qui s'appelait « L'écho des savanes latines »
11:09parce qu'on était dans le quartier latin.
11:11« L'écho des savanes » ?
11:12Ouais, complètement.
11:13Et je me souviens, on avait interviewé les beruriers noirs.
11:16Enfin bref, on était des gamins, on était des sales...
11:18C'était un fanzine en fait ?
11:20C'était un fanzine, on était un peu des sales gamins.
11:23Mais c'est vrai que...
11:25Moi, la BD, j'ai toujours aimé en lire,
11:27et j'ai toujours aimé essayer d'en fabriquer,
11:29même si je dessine comme une patate.
11:31Pour cette BD-là, c'est moi qui ai fait le storyboard,
11:33en bonhomme patate d'ailleurs.
11:35Ça, tout le monde peut le faire.
11:37Bonhomme patate, il est fâché...
11:38On peut tous écrire des BD,
11:39il faut juste trouver le bon illustrateur.
11:41Et après, il faut un dessinateur qui a un vrai talent,
11:43et Christophe, j'adore son dessin.
11:45Alors, nouveau livre maintenant,
11:47c'est « Israël, Palestine, anatomie d'un conflit »
11:49avec Thomas Negaroff.
11:50Là aussi, 50 questions pour tout comprendre.
11:53Vous êtes atterré parfois par nos imprécisions,
11:56notre manque de connaissances sur le Proche-Orient,
11:58et franchement, je nous mets dans le lot.
12:00Surtout moi.
12:01Alors, moi, je vais vous le dire là au micro,
12:04je vais essayer de le dire très sincèrement
12:05pour pas que ça paraisse démago.
12:06Moi, j'ai un immense respect pour les journalistes,
12:08je les ai énormément côtoyés à Jérusalem,
12:11j'y ai vécu longtemps,
12:12et il y avait des correspondants qui étaient là,
12:13à qui des fois...
12:14Enfin, bon, les correspondants qui arrivent
12:16le 3 septembre avec leurs enfants,
12:18et ils arrivent le 7 octobre,
12:19ils ont besoin d'être aidés.
12:20Et moi, ce que j'ai entendu depuis le 7 octobre,
12:23c'est des journalistes qui m'appelaient en disant
12:25« Aidez-nous à cadrer les choses,
12:27à documenter, à raconter, etc. »
12:30Les journalistes, ils doivent tout couvrir.
12:32Enfin, je veux dire, vous devez couvrir le Covid,
12:33vous devez couvrir...
12:34Enfin, dans des temps limités, voilà.
12:36Donc, je pense qu'il y a vraiment une...
12:39Il y a eu, en particulier après le 7 octobre,
12:41je crois, parmi la...
12:43Enfin, dans les médias, je trouve
12:44un espèce de sentiment de gravité.
12:46On ne peut pas faire n'importe quoi,
12:48on ne peut pas raconter n'importe quoi.
12:49Et ils ont eu besoin, oui, d'experts, comme on dit,
12:53mais ça s'est fait très naturellement.
12:56Et ce podcast, il est énormément écouté,
12:59il a été énormément écouté par les ados.
13:01Il y a aussi un podcast.
13:02Il y a un podcast, mais on a voulu en faire un livre
13:05parce que, voilà, ce n'est pas forcément les mêmes publics.
13:10Et puis, le livre, il apporte beaucoup de choses.
13:11Il y a des cartes, il y a des infographies, il y a des...
13:13Mais en essayant de ne pas être intimidant,
13:16parce que c'est ça le problème sur ce sujet,
13:18c'est que tout le monde est un peu intimidé.
13:20Et en fait, ces formes-là, la BD, le podcast,
13:22ce livre illustré, ça permet de dire
13:24« Ouais, mais c'est compliqué, mais ça va,
13:26vous allez y arriver. »
13:27On peut comprendre.
13:28Ce n'est pas incompréhensible.
13:29Vous dites que vous comprenez la difficulté pour les journalistes.
13:31Pour les humoristes, c'est très compliqué.
13:35Israélo-Palestinien.
13:36Oui, il paraît.
13:37Qu'est-ce qu'on fait ?
13:38Au-delà de ça, est-ce que, justement,
13:41l'humour parvient occasionnellement à ressortir,
13:44maintenant qu'on est loin, évidemment ?
13:45Enfin, pas loin de 7 octobre,
13:47mais on avance un peu, j'imagine qu'à un moment...
13:49C'est vachement utile.
13:50Et la meilleure réponse que vous pourriez faire,
13:52vous, les humoristes,
13:53c'est qu'il n'y a pas de société qui rigole plus
13:57avec un humour noir
13:59que les sociétés israéliennes et palestiniennes.
14:01Les palestiniens aussi ?
14:03L'humour juif est connu.
14:05L'humour juif est hyper connu et l'humour palestinien.
14:07C'est des producteurs de blagues.
14:09On a du mal à suivre.
14:11Parfois, c'est gore, c'est hard.
14:13C'est dix fois pire que ce qu'on peut sortir ici.
14:16Mais ça leur fait un bien fou.
14:19Y compris depuis 7 octobre.
14:21Donc, il faudrait peut-être dire parfois à nos...
14:24Écoutez, je vais trouver deux correspondants là-bas.
14:27À nos censeurs, leur dire
14:29branchez-vous un peu sur les radios
14:31et sur les médias israéliens et palestiniens
14:33et sur les réseaux sociaux.
14:34Eux, ils n'ont pas le choix.
14:35Ils font des blagues tout le temps.
14:37Vous, vous arrivez, vous l'avez dit, à Jérusalem dans les années 90.
14:40À l'époque, et on le voit très bien dans votre dernier livre,
14:42c'est l'époque des accords d'Oslo,
14:44post-accord d'Oslo.
14:45On se dit que la paix est possible.
14:47Il suffit de regarder les cartes dans votre dernier livre.
14:49C'est une question conjointe des territoires qui est imaginée.
14:51Un corridor qui, d'ailleurs, ne verra jamais le jour
14:53entre Gaza et le reste des territoires palestiniens.
14:56Vous y avez cru en arrivant là-bas ?
14:58Oui.
14:59Oui, oui. J'y ai cru.
15:01On y a cru, je crois.
15:02Enfin, on a tous voulu y croire.
15:03On avait raison, peut-être, d'y croire.
15:05Aujourd'hui, on comprend pourquoi ça n'a pas marché.
15:07On a pris les choses à l'envers.
15:09On a voulu compliquer les choses au-delà du possible.
15:13Parce que, pour le coup, le conflit,
15:15je peux l'expliquer assez facilement à vos auditeurs
15:17ou dans un livre,
15:18les accords d'Oslo, moi-même,
15:20j'ai du mal à comprendre.
15:22Les phases A, B, C, tout ça a été fait
15:24pour que, d'une certaine manière, à un moment,
15:26ça devienne incompréhensible.
15:28Non, ça a été un vrai espoir.
15:30On circulait dans cette région.
15:32Il n'y avait pas le mur de séparation.
15:34On pouvait aller à Gaza et en sortir assez facilement.
15:38Tout ça paraît presque inimaginable.
15:41Moi, je vis encore dans l'énergie
15:45de l'espoir des années 90.
15:49Jérusalem, racontez-nous, Vincent Lemire,
15:51vous y arrivez comment, par hasard ?
15:53C'est ça, c'est votre directeur de thèse qui vous pousse ?
15:55Oui, on est dans les années 90.
15:57On est en printemps 1995.
15:59Je me souviens, c'était juste après les élections présidentielles, ici.
16:02Jospin Chirac.
16:07Et oui, c'est un endroit sur lequel, moi,
16:10je ne voulais pas travailler.
16:11Moi, je voulais travailler sur Jaffa Tel Aviv.
16:13Bon, la plage...
16:16Non, mais il y a ça, puis il y a aussi...
16:18C'est une société littorale, je me disais,
16:20je vais travailler sur ces sociétés cosmopolites, etc.
16:22Et mon directeur de thèse me dit, non,
16:24tu montes à Jérusalem.
16:25Parce que, oui, c'est à 800 mètres d'altitude.
16:27Et on a besoin d'historiens là-bas.
16:29Il n'y a que des dingos.
16:30Et moi, évidemment, je n'ai pas envie d'y aller.
16:32On a encore besoin d'historiens, là-bas.
16:34Il y a encore plein de choses à...
16:35Des archives à dénicher qui n'ont jamais été ouvertes.
16:37Et plus que nulle part ailleurs.
16:39Et pour une raison très simple, tout le monde peut comprendre,
16:41tout le monde a peur, là-bas.
16:42Donc, les documents, ils ne sont pas accessibles.
16:44Et donc, c'est un travail énorme.
16:45Moi, j'ai dirigé, je dirige toujours un grand projet
16:47qui s'appelle Open Jérusalem, qui est un projet européen,
16:49où on ouvre les archives les unes aux autres, aussi.
16:52Et on les traduit pour qu'elles puissent être lisibles et accessibles.
16:55Ils ont peur de quoi, en fait ?
16:57Ben, ils ont peur de...
16:59Pourquoi est-ce qu'on voudrait leurs archives ?
17:01Par exemple, là, en ce moment, il y a un conflit
17:03entre les Arméniens et des promoteurs israéliens,
17:05dans la vieille ville de Jérusalem, en ce moment même.
17:07Et il y a des archives qui permettent,
17:09des archives du XVIe siècle,
17:11qui permettent aux Arméniens de se défendre en disant
17:13« Non, ce terrain est bien à nous ».
17:15Vous voyez, les archives ont une vraie...
17:17Ce n'est pas juste pour faire de l'histoire et se raconter des histoires.
17:19Donc, on entretient le flou, en quelque sorte.
17:21Voilà, ça permet, en fait, d'entretenir le flou
17:23et de ne s'en servir que si on en a besoin.
17:25Et vous avez pu travailler aussi en Cisjordanie ou à Gaza ?
17:28J'ai travaillé à Gaza, je vous l'ai dit, la dernière fois,
17:30c'était au mois de juin.
17:32J'ai travaillé, bien sûr, en Cisjordanie, à Jérusalem-Est,
17:34j'ai travaillé en Jordanie.
17:36En fait, là aussi, peut-être qu'on voit
17:38notre rôle d'Européen, d'Occidental ou de Français.
17:40C'est-à-dire que, moi,
17:42j'assume une extériorité au conflit.
17:44Et même, des fois, je la surjoue.
17:46Je ne suis pas parti au conflit.
17:50J'ai un passeport européen.
17:52Et je leur ai dit plusieurs fois, la dernière fois que j'étais à Gaza,
17:54j'ai dit « Moi, la prochaine guerre, je ne serai pas victime ».
17:58Et quand je parle devant des étudiants israéliens,
18:01j'ai dit « Moi, je n'irai pas sous les drapeaux ».
18:04Et c'est ça qui me donne, non seulement une légitimité,
18:06mais aussi, peut-être,
18:08le fait qu'on peut apporter autre chose.
18:10Justement, on peut apporter autre chose,
18:12ne serait-ce que de circuler entre les différents acteurs
18:14et les aider, peut-être pas à dialoguer,
18:16mais en tout cas à s'écouter les uns les autres.
18:18Vous vous souvenez de la première fois
18:20où vous avez posé un pied à Jérusalem,
18:22ce que vous avez ressenti ?
18:24La lumière.
18:26On est à 800 mètres d'altitude,
18:28c'est une ville de montagne, c'est une ville de désert.
18:30Donc, c'est une lumière aveuglante.
18:32Le vent.
18:34Les pierres.
18:36Et puis, on entend parler toutes les langues.
18:38Et parfois, un certain calme
18:40et une certaine qualité de coexistence.
18:42Parce que, je dis toujours,
18:44je prends cette image, Jérusalem, c'est l'œil du cyclone.
18:46C'est ce qui organise toutes les tempêtes alentour.
18:48Mais dans l'œil du cyclone, pour ceux qui ont fait de la voile,
18:50c'est assez calme.
18:52Des fois même, c'est un peu bizarrement calme.
18:54Mais voilà, Jérusalem, c'est tout ça à la fois.
18:56C'est plein plein de paradoxes.
18:58C'est pour ça qu'il faut soit y aller,
19:00soit se documenter,
19:02parce que ça permet de tout observer.
19:04Vous restez avec nous, Vincent Lemire.
19:06Vous, l'historien. Histoire de Jérusalem.
19:08C'est la BD Israël-Palestine, Anatomie d'un conflit.
19:10C'est le petit livre si pratique
19:12et si intéressant. En librairie,
19:14la suite de Martiel Monsoir. C'est de la musique, c'est de la cuisine.
19:16Vous qui avez vécu à Jérusalem,
19:18on va vous demander si ces deux peuples peuvent parfois aussi se retrouver
19:20autour de la cuisine.
19:22A suivre, la playlist de Steven Bellery.
19:24Steven, on écoute qui ? On écoute quoi ?
19:26Jérémy Frérot et Lormann Audoux.
19:28Ce qui s'est terminé dans le plus grand secret,
19:30Jérémy Frérot en a fait une chanson.
19:32La cuisine aussi, la gaguette de Pierre Hervulot.
19:34Salut Pierre !
19:36Qu'est-ce qu'on a au menu ce soir ?
19:38Un pistou à l'ail des ours, avec des pâtes.
19:40Absolument, forcément. A tout de suite.

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