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Miriam Merad, directrice de l'institut d'immunothérapie du Mount Sinai, à New-York, reçoit jeudi le prestigieux prix Fondation ARC Léopold Griffuel.

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00:00 * Extrait de France Inter *
00:05 Il est 7h49, Sonia De Villere, votre invitée reçoit ce soir le prix Léopold Griffuel
00:12 de la fondation Arq.
00:13 Voilà, et en Europe c'est le prix le plus important pour la recherche en cancérologie.
00:17 Je vous présente une femme, à ce niveau en sciences, elles ne sont pas si nombreuses.
00:21 Elle est franco-algérienne, oncologue et directrice de l'Institut d'immunologie et
00:25 d'immunothérapie du Mount Sinai, c'est le grand hôpital de New York.
00:29 Elle est membre de l'Académie nationale des sciences aux Etats-Unis.
00:32 Bonjour Myriam Meharad.
00:34 Bonjour Sonia.
00:35 Vous parlez de la passion de votre vie, mais qu'est-ce qui vous passionne autant dans
00:39 le système immunitaire ?
00:40 Donc le système immunitaire c'est un système de cellules qui vous protège contre tous
00:45 les dangers.
00:46 En fait, il nous permet, l'espèce humaine, d'être vivante aujourd'hui.
00:49 Et donc on sait, il s'est adapté à nous protéger contre les infections, mais pas
00:54 seulement contre des espèces de problèmes métaboliques, on se dit qu'en fait, à
00:59 chaque fois que vous avez n'importe laquelle des maladies, ce système immunitaire arrive
01:04 pour essayer aussi de contribuer à se défendre.
01:07 Et en fait, on se rend compte qu'on a sous-utilisé ce docteur en nous, en fait, et que maintenant
01:14 il est peut-être une source de cibles thérapeutiques extrêmement variées et importantes.
01:19 Alors vous vivez dans un monde peuplé de macrophages et de dentitriques.
01:24 Est-ce que vous pourriez nous présenter ces macrophages et ces dentitriques ?
01:28 Les macrophages d'abord.
01:29 Alors le système immunitaire, il y a deux grandes branches, je vais faire simple.
01:33 Une branche, c'est les lymphocytes dont les gens ont beaucoup entendu parler pour
01:37 plein de raisons, on pourra en parler tout à l'heure.
01:38 Et ça c'est les cellules qui tuent.
01:41 Ce sont les, dans une armée on appelle ça quoi ? Ceux qui tuent.
01:45 Et les macrophages et les cellules dendritiques qui sont présents dans tous nos organes et
01:50 ce sont les sentinelles qui vont toujours essayer de sentir le danger, d'en fait d'alarmer
01:56 ces lymphocytes et de donner des instructions aux lymphocytes pour leur dire "allez tuer
02:00 cette cellule ou ne la tuez pas".
02:02 Donc c'est quand même fascinant.
02:03 Et donc j'ai passé ma vie, beaucoup de temps, à travailler sur ces deux cellules
02:09 et faire en sorte qu'elles donnent les bonnes instructions au système immunitaire.
02:13 Alors quel est le lien entre ces recherches en immunologie, ces défaillances du système
02:18 immunitaire et puis au contraire, le moment où on peut rétablir les fonctions du système
02:22 immunitaire et le traitement contre le cancer ?
02:24 Alors en fait le cancer ce sont des cellules de nos organes qui deviennent un peu anormales
02:29 et qui commencent à proliférer.
02:30 Et le macrophage et les cellules dendritiques peuvent percevoir qu'il y a quelque chose
02:35 qui ne va pas bien.
02:36 Et en général le macrophage surtout va les éliminer.
02:39 Et de temps en temps le cancer il arrive à se camoufler et il va utiliser en fait ses
02:44 capacités de réparation.
02:45 Alors le macrophage c'est une cellule super compliquée, je ne peux pas vous faire un
02:48 cours sur le macrophage, mais non seulement il détecte mais aussi il répare.
02:52 Et donc il va réparer et en essayant de réparer il va faire grandir le cancer.
02:56 Donc il peut l'éliminer et de temps en temps il peut contribuer à sa croissance.
03:00 Et alors c'est passionnant parce que les chimiothérapies, on sait aujourd'hui qu'elles
03:05 ne peuvent pas traiter tous les cancers, on sait aujourd'hui que la chimiothérapie
03:08 c'est un traitement souvent toxique.
03:10 Et donc l'immunothérapie qui se base sur des travaux comme les vôtres vient en complément
03:16 de la chimiothérapie ?
03:17 Oui, absolument.
03:18 Il y a eu une très grande découverte en 2018, le prix Nobel de 2018, c'est Jim Allison
03:24 et Tasso Konjonjo qui découvrent en fait deux molécules qui permettent de réactiver
03:28 ces lymphocytes.
03:29 Et ça, ces deux molécules font partie de traitements de plus de 18 cancers et ont changé
03:36 le pronostic de plusieurs cancers.
03:38 Plus de 18 cancers ?
03:39 18 cancers.
03:40 Parce qu'on dit souvent que c'est le cancer du poumon et c'est le cancer de la peau
03:43 le mélano.
03:44 Ah non, pas seulement.
03:45 Pas seulement, par exemple le cancer de la vessie, par exemple le cancer du rein.
03:50 Donc il y a plusieurs cancers qui utilisent cette immunothérapie.
03:55 Maintenant on essaie de combiner l'immunothérapie à la chimiothérapie.
03:58 L'intérêt majeur de l'immunothérapie c'est que ce système immunitaire, il arrive
04:01 à cibler la cellule cancéreuse et s'en toucher la cellule à côté qui est normale.
04:08 C'est que la chimiothérapie a tué tout.
04:10 Alors que la chimiothérapie c'est quand même beaucoup plus toxiqué.
04:12 Donc on pense que cette immunothérapie va transformer, peut-être guérir.
04:16 Là on a deux molécules, 18 cancers, des résultats fabuleux mais il y a encore beaucoup
04:21 de choses à faire.
04:22 Mon pari c'est qu'en fait en travaillant sur le macrophage on va découvrir des nouvelles
04:28 molécules qui est en fait une autre clé de l'immunothérapie du cancer.
04:32 Et au-delà du cancer ?
04:33 Alors au-delà du cancer c'est merveilleux.
04:35 Ce macrophage on pense qu'il a un rôle dans toutes les maladies de l'athérose
04:41 clérose à l'Alzheimer.
04:43 Alors l'athérose clérose c'est la famille des maladies inflammatoires ?
04:48 Voilà, vous savez on a tout le monde, on va tous développer l'athérose clérose.
04:52 C'est en fait une inflammation des vaisseaux et cette inflammation des vaisseaux elle est
04:56 due à la dépôt des cholestérols et en fait on développe tout ça avec l'âge,
04:59 certains de façon un peu plus précoce.
05:02 Le macrophage il est là, il contribue à cette inflammation et on pense qu'on pourrait
05:07 en utilisant et en le comprenant, utiliser ce macrophage pour diminuer l'inflammation
05:11 des vaisseaux.
05:12 Et donc les maladies neurodégénératives type Alzheimer ?
05:14 Absolument, par exemple l'Alzheimer, alors l'Alzheimer on pense que c'est, enfin
05:17 on pense mais il y a des datas maintenant très solides qui sont dues au fait que le
05:20 macrophage n'arrive plus peut-être à éliminer les cellules mortes, les neurones qui meurent
05:25 pendant le vieillissement et que si on pouvait réactiver leur capacité d'éliminer ces
05:29 cellules mortes, on pourrait agir sur l'Alzheimer.
05:32 Comment sont financés vos travaux docteur Merad à New York ?
05:37 Alors il y a deux grandes sources de financement à New York et en France, donc il y a une
05:42 grande source qui est le National Health Institute, donc le gouvernement américain, mais ça
05:46 ne suffit pas parce que souvent les financements gouvernementaux financent pas des projets
05:52 risqués parce qu'ils doivent financer plein de choses et une grande partie de mes
05:56 financements viennent de fondations comme la fondation Arc et une autre partie viennent
06:01 des donateurs, donc des philanthropes.
06:03 Et ces trois sources font, c'est un écosystème absolument nécessaire pour financer nos travaux.
06:08 Et la part des financements publics aux Etats-Unis, est-ce que par exemple le fait qu'on soit
06:14 en régime démocrate par rapport aux républicains ça améliore le financement de la science ?
06:17 Alors il y a toujours, en ce moment ils viennent de diminuer, alors surtout quand on est en
06:19 période de guerre, on est toujours atteint, donc nos financements de la science c'est
06:23 3% des budgets militaires en Amérique, c'est vraiment, c'est triste, c'est triste et
06:28 c'est important de comprendre quelle est la société qu'on veut construire, vous
06:31 voyez, donc 3% alors qu'il y a tellement de choses à faire, alors qu'on est dans
06:36 un moment absolument unique de l'histoire de la médecine.
06:40 Vraiment ?
06:41 Absolument.
06:42 L'immunothérapie c'est une révolution en marche, si on avait les limitations maintenant,
06:47 ce sont les financements.
06:49 C'est uniquement une question d'argent ?
06:51 Absolument.
06:52 D'accord.
06:53 Alors vous, vous êtes une chercheuse franco-algérienne, vous avez un parcours, donc vous êtes née
07:00 en France juste avant l'indépendance de l'Algérie, ensuite vous êtes retournée
07:04 en famille, vos parents étaient médecins en Algérie, vous avez grandi en Algérie,
07:09 étudiez à la faculté de médecine d'Alger, vous êtes revenue en France et ensuite vous
07:12 avez eu une bourse de l'Arc, voilà, donc la boucle est bouclée, pour partir faire
07:17 une thèse à Stanford.
07:19 Aujourd'hui quand vous recrutez, docteur Merad, des jeunes chercheurs au Monténay,
07:25 ils viennent d'où ces jeunes chercheurs ?
07:26 Alors ils viennent de partout dans le monde, là j'ai 14 nationalités dans mon laboratoire,
07:31 donc j'ai beaucoup d'élèves français et c'est super parce que je garde une proximité
07:36 avec toute la communauté immunologique en France, mais aussi ils viennent d'Inde.
07:40 Ça veut dire qu'il y a une fuite des cerveaux ?
07:41 Oui, je pense que c'est possible, il y en a qui reviennent bien sûr, j'ai plusieurs
07:49 de mes anciens élèves qui ont monté leur laboratoire en France et pas seulement à
07:53 Paris, donc je suis très fière, mais oui il y en a qui veulent rester parce qu'il
07:56 y a quand même un optimisme pour la recherche et aussi un respect je pense pour la recherche
08:00 en Amérique qui est assez frappant et qui ont envie de rester.
08:06 Alors il y a des français, 14 nationalités ?
08:08 Alors après j'ai des étudiants qui viennent d'Inde, du Mexique, du Brésil, j'ai une
08:14 jeune fille algérienne de Chine et de partout en Europe, beaucoup d'Allemagne, d'Espagne,
08:20 je pense en Italie.
08:22 Je m'en remets au communiqué de l'ARC, Myriam Mehrab, parce que je n'y connais
08:27 pas grand-chose, grâce à un gigantesque travail d'analyse et de synthèse de données
08:30 moléculaires, l'oncologue a développé les premiers atlas épigénétiques et transcriptionnels,
08:36 voilà, et là je me suis dit, est-ce que l'IA, est-ce que l'intelligence artificielle
08:42 va pouvoir vous aider à accélérer dans vos recherches quand on parle de gigantesques
08:46 travails de synthèse de données ?
08:48 Oui, absolument, ça, ça va aussi accélérer, c'est pour ça que je parlais de moment
08:52 historique de la médecine.
08:53 L'intelligence artificielle va maintenant permettre de vraiment comprendre, si on fait
08:59 des atlas de maladies et de tissus sains, de comprendre qu'est-ce qui ne va pas dans
09:05 ces tissus malades.
09:06 Et donc c'est pour ça que les limitations, c'est vraiment les financements.
09:10 Il y a plein d'hypothèses qu'on a envie de tester et pour pouvoir les tester, il faut
09:13 plus d'argent.
09:14 Est-ce que vos parents seront présents ce soir à la remise du prix ?
09:18 Oui, ils sont présents, enfin ma mère, mon père n'a pas pu venir, mes parents qui
09:23 sont en fait mes grands rôlements, c'est eux qui nous ont mis…
09:27 Des rôles models, c'est à l'américaine, vous êtes complètement américanisé, c'est
09:32 eux qui vous ont inspiré ?
09:33 Oui, c'est des gens extraordinaires qui se sont battus pour l'université, l'université
09:37 d'Algérie, l'université de médecine…
09:40 Quelle était leur discipline ?
09:41 Alors, mon père est professeur de cardiologie, ma mère de toxicologie, donc pharmacien et
09:45 médecin, mais ils ont énormément participé à créer en fait l'université de médecine
09:50 et de pharmacie d'Alger.
09:51 Donc c'est des gens très engagés, très engagés politiquement, très engagés dans
09:55 la société et ils m'ont donné envie d'intégrer le monde universitaire, mais aussi de faire
10:00 partie d'un projet sociétal.
10:01 C'est ça, et vous avez des oncles médecins, vous avez des frères et soeurs médecins.
10:05 Au moment où vous êtes nommée à l'Académie nationale de médecine aux Etats-Unis, la
10:11 presse américaine, c'est très américain, relève que vous êtes la première femme arabe
10:15 à y entrer.
10:16 Et ces identités multiples, américaine, française, algérienne, c'est quelque chose qui compte
10:21 pour vous ?
10:22 Oui, non, ça compte beaucoup.
10:23 D'abord, je ne suis pas la première femme arabe, Yasmine Belkaïd qui est maintenant
10:25 qui dirige l'Institut Pasteur, elle fait partie de l'Académie des sciences et de
10:32 médecine, qui est deux académies différentes.
10:33 Oui, c'est très important, c'est très important le multiculturalisme.
10:37 Quand vous faites de la science et qu'il y a 14 nationalités dans votre pays, dans
10:40 votre pays, dans votre laboratoire, c'est mon pays, mon labo, c'est mon pays, on se
10:45 rend compte que c'est très important de comprendre qu'il y a des talents partout,
10:50 qu'il faut les cultiver et qu'en les intégrant, on devient plus fort et on le voit bien en
10:54 science.
10:55 Merci beaucoup Myriam Merhab.
10:56 Oui, qui écoute France Inter à New York.
10:59 Tous les jours.
11:00 Tous les jours.
11:01 Pas en direct, en podcast.
11:03 A cause du décalage horaire.

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