Mardi 16 avril 2024, SMART BOSS reçoit Elizabeth Ducottet (PDG, Thuasne)
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00:00 *Générique*
00:08 Bonjour à tous et bienvenue dans Smart Boss, le rendez-vous des patrons et des patronnes.
00:12 Je suis ravie d'accueillir aujourd'hui Elisabeth Ducotet. Bonjour.
00:16 Bonjour.
00:17 Vous êtes PDG de Thuan, donc un fonds de sorte de matériel médical orthopédique.
00:22 Oui, tout à fait.
00:23 Alors au sommaire de l'émission, on va d'abord avoir la séquence David rencontre Goya.
00:26 Vous aurez une start-up face à vous et vous allez pouvoir parler un petit peu de vos sujets communs.
00:31 Ensuite, on fera plutôt un focus sur vous, sur votre rôle de dirigeant dans la séquence en coulisses.
00:37 Et on terminera par l'interview chrono, une série de questions réponses très rapides.
00:41 Voilà, merci beaucoup en tout cas d'avoir accepté notre invitation.
00:45 Et on va pouvoir maintenant commencer avec la séquence David rencontre Goliath.
00:49 *Générique*
00:52 Peace, Marthe.
00:54 La start-up qui va vous faire face est Japay Medical.
00:57 Je suis ravie d'accueillir son PDG Antoine Noël. Bonjour.
01:00 Bonjour.
01:01 Alors, Japay Medical, c'est un fabricant d'exosquelettes, mais alors spécialisé sur le mal de dos.
01:05 Est-ce que déjà, tu peux nous dire un petit peu à quoi ça ressemble concrètement et comment ça fonctionne ?
01:11 On fait des exosquelettes contre le mal de dos au travail.
01:14 Globalement, ça ressemble à une espèce de ceinture lombaire qui va agir comme un amortisseur sur la colonne vertébrale
01:20 pour à la fois soulager et donc maintenir en emploi des personnes qui souffrent du dos au travail.
01:25 On pense par exemple aux soudeurs chez Naval Group ou à la SNCF.
01:30 Mais également prévenir des personnes qui vont porter des charges lourdes.
01:34 On travaille notamment avec Nestlé, avec Bonduelle, chez qui les opérateurs vont porter des charges très très lourdes, ce qui est physique.
01:41 Et donc, notre objectif, c'est de diminuer ce risque.
01:44 Est-ce que vous connaissiez Elisabeth ou pas ?
01:46 Nous connaissons très bien, Jappé, parce que dans un passé qui est un petit peu lointain,
01:53 mais qui est quand même tout à fait réel dans ma mémoire, nous vous avons remis un prix.
01:58 À un moment où vous sortiez de votre école d'ingénieur et où vous commenciez à avoir l'idée qui était une magnifique idée.
02:07 Donc voilà, ça me fait plaisir de vous rencontrer aujourd'hui sur ce plateau alors que vous avez fait un grand chemin.
02:13 Tu t'en souviens ?
02:14 Exactement, c'était je pense en 2015, si je ne me trompe pas.
02:18 Oui, c'est pas d'hier, presque dix ans.
02:20 Exactement.
02:21 Et du coup, là, en dix ans d'ailleurs, est-ce que tu as vu les entreprises ou plutôt les usines s'intéresser plus,
02:29 vraiment avoir une meilleure compréhension des exosquelettes, parce que ce n'est pas non plus nouveau nouveau,
02:33 en tout cas l'univers des exosquelettes.
02:35 Les exosquelettes, c'est un marché qui, depuis peut-être cinq ans, a au moins été multiplié par dix.
02:42 Donc ça, c'était un tout petit marché initialement, mais c'est un marché qui double quasiment tous les deux ans.
02:46 Et effectivement, aujourd'hui, on reçoit entre 100 et 300 appels d'entreprises entrantes qui nous contactent pour acheter l'exosquelette.
02:52 Donc ça montre une vraie dynamique de ce marché.
02:54 C'est quel type d'entreprise en général ?
02:57 Partout, il y a du mal de dos, donc BTP, logistique, soins à la personne, industrie.
03:02 On a des boulangers qui sont équipés, on a des maçons.
03:05 C'est vraiment une diversité de savoir-faire qu'on va venir protéger au quotidien.
03:10 Et Isabelle, vous, vous travaillez un peu ou pas ?
03:13 Mis à part remettre des prix, vous travaillez avec des start-up ?
03:15 Ah oui, alors quand on met des prix, c'est qu'on est intéressé, je vous dis pas.
03:19 Oui, évidemment, on est en permanence avec des start-up.
03:22 On est d'abord en permanence avec des équipes internes qui développent des produits.
03:26 Vous savez, les ceintures lombaires chez nous, c'est-à-dire l'idée que le mal de dos est quelque chose de très handicapant,
03:31 il doit être traité, il doit être pris en charge.
03:33 C'est quelque chose qui, chez nous, date de 75 ans.
03:35 Ça fait 75 ans de ceinture et j'étais au lancement de ceinture chez nous il y a 3 jours, vous voyez, de ceinture nouvelle.
03:43 Et après avoir fait une espèce d'historique de nos 75 ans d'histoire dans les ceintures lombaires.
03:49 Donc c'est un sujet qu'on connaît bien, c'est un sujet dans lequel on est complètement convaincu
03:53 qu'il y a de vraies aides à apporter à des pathologies, comme vous l'avez dit, qui sont très fréquentes.
03:58 Il y a beaucoup de gens qui sont dans une situation où ils ont mal au dos.
04:00 Et il y en a de plus en plus parce que la vie active actuelle, je dirais,
04:05 est une vie dans laquelle on est trop sédentarisé et dans laquelle nos muscles,
04:10 qui sont les muscles qui portent notre colonne, sont des muscles souvent pas très... qui ne travaillent pas beaucoup.
04:16 Et puis il y a, comme vous le dites, des situations professionnelles, par exemple,
04:19 qui supposent qu'il y ait un véritable effort et que cet effort, il faut l'aider.
04:22 Donc c'est certain que le mal de dos et le prévenir ou le guérir est un problème qui vous intéresse vous
04:29 et qui nous intéresse nous. Et puis est-ce qu'on travaille avec les start-up ?
04:31 Oui, en permanence, bien sûr.
04:33 Et vous, en termes de recherche et développement, c'est quoi aujourd'hui un peu le budget ?
04:38 Et est-ce que vous êtes, à la jumelle, obligé d'aller financer quand même beaucoup
04:42 via, alors je ne sais pas, des fonds, soit peut-être d'autres subventions, prêts ?
04:47 Il faut savoir que pour développer un dispositif médical depuis zéro,
04:51 ça nous a à peu près coûté 5 millions d'euros avant de faire le premier euro de chiffre d'affaires.
04:57 Donc ce sont des sommes qui sont quand même très colossales, qui font appel forcément à des capitaux.
05:01 Donc des levées de fonds, initialement beaucoup de subventions, BPI notamment.
05:05 Donc très important pour faire émerger ces nouveaux produits.
05:09 Et aujourd'hui, on a la chance d'arriver à la rentabilité.
05:12 Donc maintenant, on va financer plutôt de l'investissement et des nouveaux produits
05:16 via des fonds, mais également des particuliers.
05:19 Puisque, effectivement, on a fait une levée de fonds participative avec Tudigal en passé,
05:23 qui a eu un grand succès, justement pour financer ces développements de produits.
05:27 Et alors après, ça va être un petit peu quoi ?
05:30 Les nouveaux produits, c'est vous allez sortir un peu du monde du dos,
05:34 ou vous attaquer à d'autres problématiques ?
05:37 Alors, notre objectif pour l'instant, c'est de rester sur la thématique du dos.
05:40 Mais plutôt faire comme ce qu'a pu faire Tuan il y a 70 ans, c'est de démocratiser encore plus ces technologies.
05:45 Notre expertise, c'est d'intégrer des robots dans du textile.
05:48 Quand on pense à Exoskeleton, on pense à une énorme structure, comme Avatar, Alien.
05:53 En fait, nous, c'est une toute petite ceinture avec des petits moteurs,
05:55 mais qui est encore trop imposante et surtout trop chère.
05:58 Notre objectif, c'est de le rendre acceptable financièrement,
06:01 mais également visuellement pour tout le monde dans son quotidien.
06:04 Que ce soit dans les entreprises industrielles notamment,
06:07 mais également dans les particuliers qui ont mal au dos dans leur quotidien.
06:10 Alors, quel conseil vous pourriez lui donner, Elisabeth ?
06:14 Moi, j'ai l'impression qu'il faut surtout continuer.
06:17 Il faut surtout continuer parce qu'effectivement,
06:19 quand une pathologie, je dirais, qui est une épidémiologie large,
06:23 comme celle du mal au dos, a été identifiée par des jeunes chercheurs,
06:27 et qui sont abouties à un produit qui apporte une véritable aide, je dirais,
06:32 à un moment où, effectivement, les gens ont soit besoin de porter des charges lourdes,
06:37 soit simplement mal au dos parce que leur structure lombaire ne les soutient pas bien,
06:42 c'est formidable d'avoir une aide pareille.
06:44 Et je dirais, on est dans la même logique, on est absolument dans la même logique.
06:48 Même si nous, nous avons commencé il y a 75 ans,
06:50 ce que nous apportons aujourd'hui est totalement innovant,
06:52 et on aboutit à des principes actifs qui sont les mêmes.
06:55 Un principe actif majeur d'une ceinture, qu'elle soit motorisée ou qu'elle soit non motorisée,
07:00 même si nous motorisons maintenant un certain nombre de choses,
07:03 c'est de pouvoir décharger et mettre au repos une musculature qui, tout d'un coup,
07:09 est inflammatoire parce qu'elle a trop porté ou qu'elle n'est pas en bon état
07:12 pour porter le haut du corps.
07:14 Donc le principe actif, si on veut parler en termes médicaments, enfin thérapeutiques,
07:19 il est le même.
07:20 Et donc c'est pour ça que c'est, je dirais, c'est dans une logique qui est absolument similaire.
07:25 Alors effectivement, il y a toutes les démarches, comme vous l'avez dit,
07:28 qui sont des démarches réglementaires, qui sont des démarches très lourdes.
07:31 On les conçoit en santé parce qu'en santé, on ne peut pas faire ce qu'on veut.
07:33 Mais effectivement, ces démarches de mise en marché de l'innovation,
07:39 ce sont des choses qui sont très lourdes, très longues.
07:41 Et donc ça suppose du temps et puis de l'investissement.
07:45 Le but de JAPE medical, c'est d'être une ETI un jour comme tu as ?
07:50 Forcément, c'est une histoire qui fait rêver.
07:52 Et notre objectif, c'est la croissance, mais également l'internationalisation
07:57 qui a été ce que vous avez notamment poussé ces 20 dernières années.
08:01 Donc c'est un bel exemple à suivre.
08:03 Merci beaucoup Antoine d'être venu pour nous partager tout ça.
08:07 Et maintenant, on va pouvoir passer à l'interview en coulisses.
08:11 Avant de rejoindre Thuane, l'entreprise familiale, et on y reviendra,
08:19 vous étiez psychologue clinicienne et orthophoniste à Paris.
08:23 Est-ce que vous avez gardé des choses, des réflexes, des enseignements de la psychologie ?
08:28 Oui, parce que vous savez, tout ce qu'on fait dans la vie nous marque.
08:31 Rien n'est indifférent dans la vie.
08:33 Tout ce qu'on fait dans la vie, même si ça peut apparaître comme quelquefois un peu distancé,
08:39 en fait, il y a une vraie ligne droite dans toutes nos vies.
08:42 Une ligne droite ou pas droite, mais il y a une ligne de continuité absolument dans nos vies.
08:46 Et effectivement, j'ai commencé parce qu'à l'université, la psychologie,
08:50 au moment où je devais m'orienter, la psychologie m'intéressait.
08:53 Je trouve qu'aller chercher ce qui se passe dans l'âme humaine, c'est très intéressant.
08:57 Et puis après ça, j'ai eu la chance d'avoir des patients,
09:00 j'ai eu la chance d'avoir des enfants qui étaient porteurs de handicap,
09:03 j'ai eu la chance de les aider, de les accompagner pendant des années.
09:07 Et ça a été des moments très forts, très intenses, très intéressants.
09:11 Et en plus, on parlait du langage.
09:13 Et moi, le langage, j'adore ça, j'adore la littérature,
09:15 j'adore cette langue française qui est la nôtre et dans laquelle, effectivement,
09:19 il n'est pas facile d'accéder, surtout si on est porteur d'un certain nombre de difficultés.
09:23 Donc c'était une période très intense, très intéressante.
09:27 Et ce que j'ai fait pendant cette période-là n'est pas indifférent pour ce que j'ai fait après.
09:32 Et c'est vrai que mon intérêt pour l'entreprise familiale, qui était déjà là,
09:37 moi j'ai été très très tôt intéressée par cette entreprise,
09:40 parce que dans une entreprise familiale, la famille et l'entreprise sont tout de même très proches.
09:46 Nous, le dimanche après-midi, notre grand-père, qui s'appelait Maurice Thuane,
09:50 nous emmenait voir une nouvelle machine qui avait été placée dans un atelier.
09:54 Et on avait 10 ans, 12 ans, 15 ans.
09:57 Donc cet intérêt, je dirais, il se génère en vie professionnelle à un moment ou à un autre.
10:03 Mais chez moi, il s'est généré après que j'ai fait 10 années de psychologie.
10:08 - Justement, votre grand-père, il a dit de vous, j'ai vu ça dans une interview,
10:11 "Elle sera dirigeante à 3 ans." Il a dit ça. "Elle sera dirigeante, elle sera une leader."
10:16 Comment il a vu ça ?
10:17 - Alors, c'est pas tout à fait ce qu'il avait dit.
10:19 Il y avait une photo de moi, une petite...
10:21 Comme on prend des photos quand on est enfant et où on avait les bras croisés.
10:25 Et il m'a dit, "Toi, tu commanderas."
10:27 Et j'ai trouvé que c'était...
10:30 A posteriori, j'ai trouvé que c'était amusant et intéressant.
10:35 Et intéressant parce que...
10:37 Qu'est-ce que ça veut dire "commander" si on regarde le mot lui-même ?
10:40 Ça veut dire porter ensemble des choses, commander, porter des mandats ensemble,
10:45 essayer de faire quelque chose ensemble.
10:47 C'est ça, l'entreprise.
10:48 On essaye à plusieurs de faire quelque chose qui va être intéressant pour tous.
10:51 - Et finalement, vous êtes entrée chez Tuann, mais pas tout de suite en tant que PDG.
10:56 Pourquoi d'ailleurs ? C'était un peu trop tôt ?
10:58 - Non, c'est parce que d'abord, j'avais un métier qui m'intéressait,
11:01 cette psychologie et ce travail de langage et de construction
11:05 de l'avancement de ces jeunes enfants porteurs soit de handicap auditif,
11:10 soit de handicap cognitif.
11:12 Ça me passionnait.
11:13 Et on a fait des choses extrêmement intéressantes.
11:15 On a fait du théâtre, on a fait beaucoup de choses qui ont été très intéressantes.
11:19 Et j'espère qu'en accompagnant ces jeunes jusqu'au langage,
11:23 on leur donnait ensuite un formidable outil pour leur vie.
11:26 Donc j'ai été très passionnée par ça.
11:29 Et donc je n'avais pas de regrets du tout par rapport à ça.
11:33 Par contre, en horizon, si vous voulez, en arrière-plan, il y avait l'entreprise
11:37 parce qu'elle était là, elle était portée par mon grand-père, par mon père.
11:40 Elle était géographiquement proche de l'endroit où on était.
11:44 Donc elle restait très présente.
11:46 Et notre père nous avait demandé d'être administrateurs très tôt.
11:49 Donc il y avait aussi tous ces lieux dans lesquels on voyait
11:52 comment l'entreprise était en train d'évoluer dans l'après-guerre,
11:56 en ce qui me concernait, donc après la Deuxième Guerre mondiale.
11:59 Donc un moment où beaucoup de choses étaient en train de se construire,
12:02 un moment où l'informatique arrivait,
12:04 où des métiers commandés de façon numérique arrivaient.
12:07 Donc il y avait beaucoup de choses qui changeaient
12:09 et qui étaient très intéressantes en soi.
12:11 Et puis un beau jour, mon père, je dirais, vieillissant,
12:16 ce qui est malheureusement ce qui nous arrive à tous à un certain moment,
12:20 mon père vieillissant, je me suis dit qu'effectivement c'était le moment
12:25 d'entrer plus dans la vie active de l'entreprise
12:28 et pas seulement dans une espèce de contrôle et de gouvernance
12:31 que me donnait le poste d'administrateur.
12:34 Et j'ai été auprès de mon père, effectivement.
12:38 D'abord un petit peu en second de mon père
12:41 et ensuite en directeur commercial.
12:43 Et cette direction commerciale m'a passionnée.
12:45 C'était juste ce qui vient d'être décrit par notre start-up,
12:50 c'était aller chercher des clients qui s'intéressent à ce qu'on va leur produire
12:55 et ces clients pourquoi ? Pour traiter un patient.
12:57 Et ça c'est quelque chose d'intéressant.
12:59 C'est même passionnant d'aller chercher un patient
13:01 qui va avoir besoin de ce qu'on va lui proposer
13:03 et de voir comment l'année d'après on va lui apporter d'autres choses
13:06 qui vont encore le prendre plus en charge.
13:09 - Et après vous devenez PDG en 1991.
13:12 - Oui.
13:13 - Et c'est quoi la première décision, la première chose que vous avez en tête ?
13:17 - Je peux vous le dire, c'est très clair.
13:19 D'abord si j'y suis venue c'est parce que mon père a eu un AVC.
13:22 Du jour au lendemain il était rendu non possible pour lui d'exercer son rôle.
13:27 Et donc très vite il m'a passé la main alors que j'avais déjà une direction.
13:31 Mais ce qui était absolument indispensable à ce moment-là
13:35 et ça s'est révélé comme vraiment naturel,
13:38 c'était l'Europe était en train de prendre une dimension nouvelle.
13:41 C'était le moment où le mur de Berlin tombait.
13:43 C'était le moment où les pays dits de l'Est étaient en train de rejoindre une Europe
13:47 qui était une nouvelle Europe avec une nouvelle dimension.
13:49 C'était le moment où l'Allemagne séparée en deux devenait une Allemagne unie
13:53 et d'un seul tenant, ce qui était considérable, 80 millions d'habitants
13:57 avec deux façons de vivre, ceux de l'Europe de l'Ouest.
14:00 Et donc nous ce qui s'est imposé, et moi ce qui s'est imposé tout de suite,
14:03 c'est qu'il faut que nous soyons allemands en Allemagne,
14:05 sinon nous ne serons pas européens.
14:07 Et donc dès 1990, et ça s'est réalisé en 1991,
14:12 j'ai recherché une entreprise que nous pourrions racheter en Allemagne.
14:15 Et ça a été mon premier geste, je dirais peut-être un peu marquant
14:19 de cette vie d'entrepreneur, c'est de devenir avec une première racine, européen.
14:25 Et maintenant international.
14:27 Maintenant international.
14:28 Comment justement on passe de cette vision très nationale, domestique, à internationale ?
14:33 Vous avez fait que ça passe surtout par des rachats en fait.
14:36 Oui, alors un peu tous les cas de figure, parce que si vous voulez,
14:38 dans des entreprises comme les nôtres, il faut être très près de ce qui va se présenter.
14:42 Les stratégies sont des stratégies très expérimentales, je dirais, très pragmatiques.
14:48 Et suivant les cas, on va trouver le moyen d'être présent dans un pays,
14:52 soit par un rachat, soit au contraire par une fondation d'une société à nous,
14:56 soit par une distribution.
14:58 Donc il y a eu un peu tous les cas de figure.
15:00 Mais ce que nous nous sommes dit à ce moment-là, c'est que l'Europe étant constituée,
15:05 et le métier de la santé étant un métier dans lequel on ne peut pas tellement déléguer à d'autres
15:10 le fait d'aller voir les médecins, le fait d'aller promouvoir un produit
15:13 qui n'est pas forcément très bien connu, une ceinture lombaire ou une orthèse
15:17 ou un produit de cicatrisation, eh bien il faut y aller soi-même.
15:21 Donc ça veut dire qu'il faut avoir une filiale, donc un département à nous dans ce pays,
15:25 et il faut le faire avec les moyens du pays, avec la médecine du pays
15:30 et avec la réglementation du pays.
15:32 Donc ça suppose qu'il faut effectivement filialiser.
15:35 Et donc c'est ce qu'on a fait pratiquement dans tous les pays d'Europe
15:38 avec presque une société par an.
15:42 Donc ça a été très vite à ce moment-là, en 10 ans.
15:44 Oui. Et alors le chiffre d'affaires, j'ai vu qu'il est passé de 27 millions à 280 millions
15:49 depuis que vous y êtes.
15:51 Et alors, quel est le cas le plus difficile à passer ? C'est les 30, les 50, les 100 ?
15:56 Alors, on ne l'a pas vécu comme ça, nous.
15:59 On peut dire qu'effectivement, ce qui est difficile à passer,
16:02 et ça c'est dans la santé, peut-être encore plus qu'ailleurs,
16:05 c'est qu'on ne soigne pas, l'Europe de la santé, elle n'existe pas.
16:08 Et on ne soigne pas de la même façon quand on est en Allemagne ou quand on est en France
16:12 ou quand on est en Suède et quand on est en France, et à plus forte raison
16:15 quand on est aux États-Unis ou quand on est en France.
16:17 Ça veut dire franchir des frontières dans un métier comme le nôtre,
16:21 c'est franchir presque une nouvelle gamme adaptée à chacun des pays.
16:26 Donc c'est un très gros effort de l'organisation elle-même,
16:29 et c'est un effort qu'on ne va pas demander aux pays dans lesquels on entre,
16:33 c'est nous qui devons faire l'effort, ce n'est pas eux qui vont le faire.
16:35 Donc ça veut dire se remettre en question à tout moment,
16:38 et par exemple, entrer en Allemagne avec une santé bien sûr déjà très constituée,
16:42 ça supposait de modifier nos gammes,
16:45 parce que ce qui est pris en charge par l'assurance maladie française
16:48 n'est pas pris en charge par l'assurance maladie allemande.
16:51 Donc voilà, c'est un exercice qui est compliqué.
16:53 - Et alors là, vous êtes à la tête d'un groupe qui a 175 ans,
16:57 est-ce que ça amène à avoir une très grande responsabilité,
17:01 encore plus, est-ce une responsabilité particulière du fait de la longévité de l'entreprise ?
17:05 - Oui, je crois que ce que vous dites est juste.
17:07 Ça suppose une responsabilité, parce que, bien sûr, il ne faut pas faire pareil.
17:12 Chaque génération va avoir son identité, sa signature, son aspect contemporain.
17:17 Et ma fille Delphine Anton, qui est directeur générale,
17:20 elle écrit et elle écrira les choses différemment de moi,
17:24 et moi je les ai écrites différemment de la façon dont mon père l'avait fait,
17:28 parce que nous essayons d'être contemporains du moment qu'il nous est donné, ça c'est certain.
17:32 Mais par contre, une obligation de longévité, oui.
17:35 Et c'est pour ça d'ailleurs que les ETI souvent fonctionnent bien,
17:39 c'est parce qu'elles ne sont pas détruites par des passations trop rudes,
17:43 qui sont des ventes intempestives ou des changements intempestifs de mode managerio.
17:49 Donc cette pérennité dans l'entreprise, elle est très utile aussi sur le plan économique
17:54 et de la capacité économique de l'entreprise.
17:57 - Justement, sur la passation, vous commencez à la préparer ?
18:00 - Plus que préparer, elle est déjà largement entamée.
18:04 - Et donc c'est facile pour vous de ne pas décrocher, finalement ?
18:07 - Écoutez, moi j'ai l'impression qu'il y a du travail pour tout le monde dans l'entreprise.
18:10 Alors, c'est vrai que ça suppose de s'organiser différemment,
18:14 et ça suppose de réfléchir un petit peu sur soi, ça c'est certain.
18:17 Et d'y réfléchir avec des amis ou des confrères qui ont les mêmes situations que nous,
18:24 c'est-à-dire de la passation.
18:26 Moi j'ai dans mon environnement des dirigeants d'entreprise qui sont en train de passer, comme moi.
18:30 Et donc on se parle.
18:32 Et on essaye d'y réfléchir les uns et les autres pour voir ce qui se fait chez l'un ou chez l'autre,
18:36 et comment on peut donner des idées aux autres.
18:38 Mais c'est vrai, c'est très très important que la transition puisse se faire.
18:43 Et c'est très important pour des tas de raisons, pour des raisons économiques,
18:46 mais aussi pour les équipes.
18:47 Les équipes nous le demandent.
18:49 Moi je sais que quand mon grand-père a disparu,
18:52 et où j'étais une fille, et où on se demandait qui prendrait,
18:56 ils ne se sont pas posé la question de savoir si c'était une fille ou pas.
18:59 Ils se sont dit "Est-ce qu'il y a quelqu'un qui suit ? Est-ce qu'on va poursuivre le chemin ?"
19:03 Et aujourd'hui, tout le monde est certainement très satisfait de voir que le chemin est en train de se poursuivre.
19:08 - Et vous travaillez aussi avec vos trois enfants, j'ai vu.
19:11 Comment on fait pour ne pas s'entretuer quand même ?
19:14 - Écoutez, pour l'instant on est tous en vie, et on va le rester.
19:19 Et ça suppose d'être contrôlé soi-même, tout le monde, enfin tous,
19:22 et d'avoir une vraie réflexion sur les sujets.
19:26 Je dirais qu'il ne faut pas céder du tout aux espèces d'images d'épinal.
19:30 Parce que la vie précise et la vie réelle n'est pas une image d'épinal.
19:34 Il faut être assez sérieux, assez engagé, assez volontaire pour surmonter d'éventuelles difficultés
19:41 et avoir une stratégie qui soit suffisamment commune.
19:45 Si la stratégie est commune, je dirais, les choses avancent.
19:48 Et chez nous c'est ce qui se passe. La pérennité est en train de s'assurer.
19:51 Et pour moi c'est une très grande satisfaction.
19:54 J'espère que c'est une grande satisfaction pour le monde économique que nous représentons en France.
19:58 Et c'est sûrement une satisfaction pour les collaborateurs.
20:01 Et on sent, derrière tout ce que vous dites, la fierté d'être une ETI.
20:06 Est-ce que ça vous fait peur ou pas que ça devienne justement une trop grosse machine ?
20:10 Non, ça ne me fait pas peur parce que c'est un passage obligatoire.
20:14 Et que je dirais, moi je crois beaucoup à l'intelligence des situations.
20:22 J'ai beaucoup de foi dans cette intelligence des situations,
20:25 de ce qu'ont eu ceux qui m'ont précédé, mon père, mon grand-père, de moi-même certaines fois.
20:32 Et puis de la génération qui vient, et en particulier Delphine Anton,
20:36 d'avoir l'intelligence de la situation.
20:39 Donc on a changé de taille, on a changé même de façon d'être à l'intérieur.
20:45 Le poids respectif des différentes géographies a changé.
20:48 Et moi j'ai une grande foi et une grande certitude que l'intelligence des situations
20:53 va permettre d'avoir une structure qui sera adaptée à ce que nous vivons demain.
20:57 Et vous avez vécu quand même pas mal de crises au fil des années.
21:01 Est-ce que maintenant, vous me dites, au bout d'un moment on est un peu immunisé ?
21:04 Non, on n'est jamais immunisé.
21:06 L'immunité, oui, quand on a traversé toute expérience,
21:10 voilà, mon idée c'est toute expérience compte, et toute expérience est utile à prendre,
21:14 et toute expérience nous apporte une leçon.
21:17 Mais on n'est jamais totalement préparé à ce qui va arriver, totalement.
21:22 Je dirais, on a eu un incroyable exemple qui était le Covid.
21:26 Personne ne s'y attendait.
21:28 15 jours, 3 semaines avant, personne, enfin, on y pensait tous plus ou moins,
21:32 mais la façon dont ça allait se vivre, la façon dont on allait être tenus
21:36 de modifier nos habitudes, etc., c'était absolument imprévisible.
21:40 Et donc, je dirais, pour moi c'est une excellente façon de se dire,
21:45 ayant confiance dans la prochaine crise, qui n'est pas celle que nous avons vécue,
21:49 mais que nous saurons surmonter, parce que nous aurons cette intelligence
21:53 de la situation qui nous permettra de le faire.
21:55 - Et vous vous souvenez d'ailleurs, le premier jour peut-être allé du confinement,
21:58 ce que vous aviez décidé ?
22:00 - Ah oui, je m'en souviens précisément, parce que le premier jour du confinement,
22:03 une société comme la nôtre a perdu 60% de son chiffre d'affaires.
22:06 Et c'est quelque chose dont on se souvient, parce que le lendemain matin,
22:09 on réunit l'ensemble des cadres et on dit, on va surmonter.
22:12 Et au fond de soi-même, on se dit, mon Dieu, pourvu qu'on y arrive !
22:16 - Et vous êtes toujours là. Dans une interview, vous disiez qu'un créateur d'entreprise
22:22 au profil atypique doit acquérir des outils indispensables.
22:26 Qu'est-ce que vous entendez par outils indispensables ?
22:28 - Bien sûr. L'entreprise, c'est un domaine qui a ses outils, qui a ses méthodes,
22:34 qui a ses façons de résoudre les problèmes, qui a ses exigences.
22:38 Et dans le fond, il y a des études qui vous préparent à ça.
22:43 Les études que j'avais faites m'avaient préparé à d'autres choses, mais pas forcément à ça.
22:47 Donc effectivement, il faut d'une façon ou d'une autre, et c'est totalement faisable,
22:51 retrouver les outils qu'on n'a pas forcément eus et faire bon usage des outils qu'on a.
22:56 Parce que les outils qu'on a, il ne faut pas les sous-estimer.
22:59 Moi, par exemple, j'avais fait beaucoup de physiologie.
23:01 Je peux dire que la physiologie, elle me sert tous les jours. Dans un métier de la santé, elle me sert tous les jours.
23:05 Donc, avoir cette espèce de regard suffisamment objectif en se disant, ça, je sais bien faire, mais ça, pas assez.
23:12 Donc, ce que je ne sais pas faire assez, je vais l'enrichir.
23:15 Et donc, moi, j'ai fait l'exécutive MBA du groupe HEC, et dans lequel j'ai appris énormément.
23:20 J'ai rencontré énormément de camarades, de promotions, de confrères, avec qui on a partagé énormément,
23:28 et qui ne faisaient pas le même métier que moi.
23:30 Et ne faisant pas le même métier, ça m'a énormément appris sur des métiers que je ne connaissais pas bien.
23:34 Par exemple, j'ai rencontré tout de suite des gens qui avaient déjà une forte expérience internationale, ce qui n'était pas mon cas.
23:39 Ça m'a énormément éclairée sur ma propre volonté de faire de l'international et d'en voir les difficultés.
23:47 Donc, je dirais, on apprend énormément par l'échange.
23:51 Moi, je crois beaucoup, beaucoup à la pédagogie par l'échange et par l'expérience.
23:54 Et donc, c'était une occasion. Et puis, après ça, toute la vie, on apprend. On n'a jamais fini avant.
23:59 - Et vous êtes donc une dirigeante aussi, quand même, dans l'industrie de la santé.
24:04 Est-ce que c'est quand même un... c'est un atout, vous diriez, ou pas ?
24:07 - Oui, c'est un atout. - Ou un inconvénient ?
24:10 - Non, c'est un atout. L'industrie, d'abord, c'est une activité noble.
24:16 C'est une très belle activité, très noble, très complète, très complexe, très évolutive.
24:22 Mais c'est extrêmement intéressant.
24:25 Pour ça, moi, je suis triste de voir, par exemple, pas assez de jeunes femmes dans les écoles d'ingénieurs,
24:30 parce qu'il y a vraiment des métiers magnifiques dans l'industrie.
24:34 Et je pense que peut-être qu'elles n'y sont pas encore assez averties.
24:37 Et dès qu'on pourra les avertir un peu plus, elles y viendront, parce que c'est passionnant.
24:41 Et c'est passionnant pour tout le monde, pour les jeunes gens comme pour les femmes.
24:44 Mais non, pour moi, c'est pas un handicap. C'est difficile, parce qu'aujourd'hui, l'industrie est difficile.
24:50 Et l'industrie en Europe, elle est difficile.
24:52 Et il y a d'ailleurs, dans tous les supports économiques qu'on voit,
24:56 on voit bien à quel point la difficulté de l'économie industrielle est présente.
25:01 Les bassins industriels du monde sont là pour nous challenger, et nous challenger difficilement.
25:05 Donc ça ne peut pas dire que ce soit facile.
25:07 J'ai même dit il n'y a pas longtemps que faire de l'industrie en France, c'était acrobatique.
25:11 Et je trouve que c'est vrai. Mais ça ne veut pas dire qu'on ne va pas le faire.
25:14 On va le faire, et on va le faire par l'excellence.
25:16 Et on va essayer d'être excellent, et c'est ce qu'on s'efforce de faire tous les jours.
25:19 Donc là, le mouvement, en plus de la réindustrialisation dont on parle, le Plan France 2030,
25:24 vous êtes plutôt une grande optimiste ou une grande pessimiste ?
25:27 Non, je ne suis pas une grande pessimiste.
25:29 Mais j'ai beaucoup de foi dans ces chemins, pas à pas, chaque jour,
25:37 qu'on développe en se disant que ce qu'on a fait aujourd'hui n'est pas suffisant,
25:41 allons plus loin demain, allons plus loin demain.
25:43 Et c'est vrai qu'actuellement, il faut beaucoup, beaucoup de persévérance.
25:47 C'est une qualité indispensable, parce que les choses ne viennent pas toutes seules.
25:52 C'est super, on va pouvoir passer maintenant à la dernière séquence, qui est l'interview chrono.
26:00 Vous jouez du piano depuis l'enfance. Votre pianiste préféré ?
26:10 Je vais vous dire, mon pianiste préféré, je l'ai écouté avant-hier.
26:15 Il n'était pas préféré jusque-là, parce que j'avoue, je ne le connaissais pas.
26:19 Il est devenu mon préféré en un concert. C'est un pianiste aveugle japonais, qui est éblouissant.
26:25 Et j'ai eu la chance d'avoir un concert avec ce pianiste il y a deux jours. Et il est magnifique.
26:30 Quel est le dernier livre que vous avez lu ?
26:33 Je suis en train de lire le livre qu'a écrit notre ministre de l'économie,
26:38 qui raconte justement une histoire de piano avec Horowitz.
26:42 Est-ce que vous pouvez me citer une entrepreneuse ou une dirigeante française ?
26:46 J'ai une immense admiration pour Christine Lagarde.
26:50 C'est une dirigeante, bien sûr, et elle a été dirigeante d'abord d'un grand groupe de conseils et d'avocats.
26:56 Ensuite, elle a fait un parcours politique exemplaire, et maintenant, c'est une autorité, au sens noble du terme.
27:02 J'ai une immense admiration pour à la fois l'intelligence, la grandeur de vue, l'autorité personnelle, et la simplicité, et la sincérité.
27:13 C'est quelqu'un qui a des qualités, quelquefois un peu contrastées, un peu contraires, et elle les a, elle, toutes ces qualités-là, et j'y suis très sensible.
27:22 Vous venez de Saint-Etienne, quel est votre endroit préféré de la ville ?
27:26 La place du peuple, parce que c'est un endroit où il y a plein de magasins sympathiques,
27:32 et en particulier des fromagers, des boulangers, qui sont dans la tradition de Saint-Etienne.
27:37 Est-ce que vous avez la date de votre départ de Tuyenne ?
27:41 Je n'ai pas une date précise, parce que Tuyenne sera présent dans mon esprit, je dirais, jusqu'à la fin de ma vie, je pense.
27:53 Alors, est-ce que ce sera un départ, je dirais, oui, bien sûr, il y a un moment où mon activité réelle quotidienne, en ce moment, se fera.
28:04 Alors, d'abord, je ne peux pas vous le dire, je ne le sais pas, mais par contre, dans ma pensée, Tuyenne sera présent jusqu'à la fin de ma vie.
28:11 Merci beaucoup encore, Elisabeth, d'avoir répondu à toutes ces questions, et merci à vous d'avoir suivi cette émission,
28:18 et moi, je vous donne rendez-vous prochainement pour un nouveau numéro. Merci, au revoir.
28:23 [Musique]