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Maurice Berger, pédopsychiatre et psychanalyste, répond aux questions de Dimitri Pavlenko.
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00:00 7h-9h, Europe 1 Matin. Il est 7h12 sur Europe 1, Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin le pédopsychiatre Maurice Berger.
00:08 Bonjour Maurice Berger. Bonjour Monsieur Pavlenko. Bienvenue sur Europe 1, vous êtes un spécialiste internationalement reconnu de la violence chez les enfants et les adolescents.
00:17 Vous avez écrit de nombreux ouvrages, je ne citerai que le dernier, "Faire face à la violence en France", c'est paru chez l'artilleur.
00:23 Pas un jour, ou presque ces derniers temps, Maurice Berger, sans qu'on apprenne le tabassage, parfois à mort, d'un adolescent, souvent de la main de jeunes de son âge.
00:32 On pense à Shem Sedin, à Véry Chatillon vendredi dernier, à Samara, à Montpellier, ou encore à Zacharias, cet ado de 15 ans, poignardé dans le dos, dans le quartier de la Monet, à Romand-sur-Isère, mardi soir.
00:44 Est-ce que dans l'enchaînement de ces affaires, Maurice Berger, vous voyez une série ou bien là ce n'est qu'un hasard des événements ?
00:52 J'ai écrit un livre qui est paru en 2008, donc il y a 16 ans, qui s'intitulait "Voulons-nous des enfants barbares ?"
01:02 Pour moi, ce qui se passe là est totalement prévisible, c'est-à-dire que c'est le prix que nous payons au déni, déni de la part de politique, de la part de magistrats, de certains magistrats seulement, pas de tous.
01:18 C'est une évolution qui va se poursuivre, vous allez avoir des faits comme ça pratiquement quotidiennement.
01:25 Vous écrivez, Maurice Berger, que face à cette ultra-violence des plus jeunes, nous nous sommes désarmés.
01:32 On va revenir sur ce point-là, mais j'aimerais d'abord solliciter votre expertise.
01:36 Qu'est-ce qui se passe dans la tête de ces gamins ? Est-ce qu'ils pètent les plombs ?
01:40 Est-ce qu'il y a abolition du discernement au moment où ils plantent le copain, ou bien on cogne à mort, on sort le couteau avec la conviction d'être dans son bon droit ?
01:48 Il y a les deux. Et ce que vous dites là, c'est intéressant, parce qu'on a différentes sortes de violences.
01:56 Ça, ça a été le travail de mon équipe, et le risque, c'est de ramener toutes les formes de violences à une seule cause.
02:04 C'est vrai par exemple qu'un jeune qui, tout d'un coup, trouve qu'on le regarde d'un mauvais regard,
02:10 et souvent, disons-le, c'est le regard de son père qu'il a vu être extrêmement violent dans la famille,
02:16 à ce moment-là, une fois que la machine est en route, le sujet est hors de lui et on ne peut pas l'arrêter.
02:21 Par contre, vous avez, si on prend la question de Samara, des processus beaucoup plus compliqués.
02:28 C'est-à-dire une jeune fille qui a décidé, soutenue par son milieu familial, on peut le dire,
02:36 d'être autonome, plus autonome, comme on l'est à l'adolescence.
02:41 De vivre à l'européenne, comme a dit sa maman.
02:44 Voilà, de vivre à l'européenne, de commencer à exprimer sa féminité en cherchant son style, d'avoir ses premiers flirts.
02:50 Et puis en face, vous avez quelque chose qui ne peut pas correspondre,
02:56 qui sont des jeunes qui sont prises dans un clan familial très rigoriste au niveau religieux.
03:02 Donc, pour ces jeunes filles, comme la graisseuse, c'est "ne pas, ne pas, ne pas".
03:07 Tu ne dois pas parler aux garçons, tu ne dois pas sortir sans voile,
03:10 tu dois t'habiller en cachant la totalité de ton corps, etc.
03:13 Et je pense que la graisseuse de Samara, elle avait une envie haineuse
03:19 de voir l'autre qui se permettait d'être occidentale.
03:23 Donc, ça devient "tu ne veux pas de voile, sois violée", puisque c'est ce qu'elle a dit en 2023.
03:29 C'est vrai que l'adolescence, c'est le moment des passages à l'acte.
03:33 On a plus de pulsions, on se contrôle beaucoup moins, on le sait, il y a même des travaux neurologiques.
03:41 Sauf que là, dans le cas de Samara, on a le groupe familial et religieux
03:48 qui donne en quelque sorte légitimité, qui lui dit "oui, ce que fait Samara, ce n'est pas normal"
03:55 et donc qui donne une certaine légitimité à la graisseuse pour y aller.
03:59 Sauf que ça ne justifie rien.
04:01 Et dans l'autre cas, du jeune Shensedin, j'espère que je ne déforme pas son nom...
04:07 Oui, à Viri-Châtillon, donc lui, il pouvait te taper...
04:10 Eh bien, Viri-Châtillon, on a là encore une question de code de l'honneur.
04:16 C'est-à-dire qu'il y a quelque chose d'extrêmement minime, à ma connaissance, sur Internet,
04:22 mais l'honneur de la sœur doit être protégé et c'est encore différent chaque fois.
04:30 Le point commun, quand même, il faut le souligner, c'est que c'est dans des milieux issus de l'immigration.
04:35 Le maire de Viri-Châtillon, là où est mort Shensedin, a dit, peu après la commission des faits, entre deux sanglots,
04:44 il a eu cette phrase, il a dit "il va falloir réapprendre à punir".
04:48 Et ça, c'est ce que vous, vous écrivez, Maurice Berger, depuis 15 ans, j'ai envie de dire.
04:52 Parce que ces jeunes, dites-vous, ils n'ont pas la loi dans la tête.
04:56 Qu'est-ce que ça veut dire, Maurice Berger ?
04:58 Ça veut dire beaucoup de choses.
05:00 Ça veut dire tout d'abord que nous, adultes, je vais mettre "occidentaux",
05:07 nous considérons les adolescents à partir de notre propre adolescence comme critères,
05:15 et peut-être aussi à partir de nos enfants quand ils étaient adolescents, etc.
05:20 Et en fait, on est devant des jeunes qui sont pris dans des fonctionnements de groupe qui accélèrent toute la violence,
05:28 des mineurs qui n'ont pas d'empathie, n'ont pas de culpabilité,
05:35 alors que nous, face à ça, on fonctionne avec, je dirais, entre guillemets, la rédemption, le pardon,
05:42 et on n'est pas du tout dans les mêmes catégories de pensée.
05:48 Si bien que, ce que dit le maire de Viry-Châtillon, d'accord,
05:53 mais dire le mot "autorité" n'a de sens que si on la matérialise.
05:58 - Oui, "tu casses, tu répares". - Et c'est là-dessus qu'on bute.
06:00 - Oui, voilà, ça me fait penser à la phrase de Gabriel Attal lors de son discours de politique générale,
06:05 il dit "aujourd'hui, c'est tu casses, tu répares".
06:08 Il y a cette idée qu'il doit y avoir une véritable sanction d'emblée,
06:11 parce que vous, vous critiquez depuis longtemps le traitement judiciaire de la délinquance,
06:15 et vous avez cette proposition intéressante, d'ailleurs, je la donne,
06:18 vous dites qu'il faudrait instituer que l'assurance responsabilité civile scolaire d'un mineur,
06:23 et bien que cette assurance cesse de rembourser l'intégralité des dégâts
06:27 quand un gamin pète les plombs, quand il casse tout, quand il fait du mal.
06:31 - Oui, il y a aussi un projet de loi actuel sur le retrait d'une partie des allocations familiales.
06:41 L'autorité, c'est manifester une force proportionnelle au fait.
06:52 C'est comme la police, l'autorité.
06:54 Et donc, ça doit être anticipé, protocolisé,
06:59 c'est-à-dire qu'on doit toujours avoir des dispositifs
07:03 où on sait ce qu'on va faire en fonction de ce qui va se produire.
07:06 Et c'est particulièrement important dans les établissements scolaires.
07:10 Et s'il le faut, faire appel à une force extérieure qui peut être la police.
07:16 - La police dans les écoles.
07:17 - Ce que dit M. Attal, d'accord, mais comment est-ce que ça va être matérialisé fait par fait ?
07:23 Une mineure essaye d'entrer, elle était majeure d'ailleurs,
07:27 d'entrer au lycée, au collège Ravel ou au lycée Ravel,
07:30 qu'est-ce qui va être mis dans le contrat de départ avec les parents
07:34 sur le fait qu'on puisse la prendre par le bras et l'empêcher d'entrer ?
07:38 - Ça doit être écrit, contractualisé.
07:40 La violence, c'est une spécialité.
07:42 La prise en charge des mineurs violents, et ça je crois que ça n'est pas entré dans les têtes.
07:47 Et puis il y a l'autre aspect, l'aspect pénal,
07:50 c'est-à-dire qu'on a une loi qui interdit l'incarcération au-dessous d'un mois de peine,
07:56 donc c'est-à-dire que ça nous prive des courtes peines.
07:59 C'est la loi Belloubet, c'est une loi qui est totalement aberrante.
08:03 Elle nous prive des courtes peines, alors qu'on a des travaux très solides
08:07 qui montrent que les courtes peines, c'est-à-dire une semaine à 15 jours,
08:11 avec un gros sursis au-dessus de la tête,
08:13 n'entraînent pas, vous savez, la prison comme l'école du crime.
08:19 Que c'est pas du tout ça.
08:21 Sauf que comme ces travaux ne vont pas dans le sens de ce qu'on aimerait,
08:24 on les met de côté.
08:25 - Merci beaucoup Maurice Berger.
08:27 On peut vous lire vos derniers ouvrages, j'en donne quelques-uns.
08:29 "Faire face à la violence en France",
08:31 "Sur la violence gratuite en France",
08:33 c'est ce livre un peu plus ancien que vous avez cité.
08:36 "Voulons-nous des enfants barbares ?"
08:38 Merci d'avoir été ce matin en direct sur Europe 1 Maurice Berger.