L'interview d'actualité - Ninon Mathey et Manon Quérouil-Bruneel

  • il y a 5 mois
Du lundi au jeudi, rendez-vous, dès 6h30 avec Thomas Sotto et Marie Portolano. Et du vendredi au dimanche, c'est au tour de Damien Thévenot et Maya Lauqué de dynamiser le réveil.

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Transcript
00:00 -Ninou Maté, bonjour. -Bonjour.
00:01 -Et bonjour à vous, maintenant, qu'est brûle Brunel.
00:04 Ninou, vous étiez dans l'armée de terre,
00:07 major de promo.
00:08 Vous accusez votre supérieur de viol,
00:10 et vous êtes plusieurs à le faire.
00:12 -C'est pas exact. -Alors, allez-y, corrigez.
00:14 -Tout à fait. Alors, j'ai porté plainte
00:16 pour agression sexuelle. -D'accord.
00:19 -C'est les termes. -Très bien.
00:20 Et vous êtes plusieurs, donc, à avoir porté plainte contre lui
00:24 et dénoncé des violences contre ce supérieur.
00:26 -Tout à fait. Au total, on est quatre dans ma section,
00:28 quatre féminines sur huit.
00:30 Quatre victimes de la même personne.
00:33 -Avant de nous raconter ce qui s'est passé,
00:35 je voudrais d'abord savoir ce qui vous pousse
00:37 à prendre la parole aujourd'hui.
00:39 -Je pense le désespoir face au silence général
00:46 qui pèse sur le système des armées.
00:50 Je suis en souffrance, et mes camarades le sont aussi,
00:56 les autres victimes le sont aussi.
00:59 C'est pour donner un grand coup de pied dans la fourmilière,
01:01 parce que c'est plus possible.
01:03 Pour ceux qui aiment ce métier et qui vouent leur vie
01:07 et sacrifient leur vie de famille pour ce travail,
01:11 c'est ce que je peux faire de mieux, en fait.
01:14 J'ai pas pu terminer mon engagement,
01:16 mon contrat de trois ans,
01:17 c'est ce que je peux me permettre de faire.
01:19 -Vous allez nous raconter dans un instant ce qui s'est passé.
01:21 Mais d'abord, Manon Kebrouil-Brunel,
01:23 vous avez réuni, il y a quelques jours, plusieurs témoins
01:25 pour raconter ce qui se passe.
01:28 Est-ce que vous sentez qu'en ce moment,
01:30 il se passe quelque chose,
01:32 que la parole est en train de se libérer dans l'armée ?
01:35 -Oui, on constate, en fait,
01:36 c'est un peu aussi la magie des mouvements MeToo,
01:38 c'est que ça fait boule de neige assez rapidement.
01:41 La première à avoir parlé, c'est Manon Dubord.
01:44 Et dans son sillage,
01:46 beaucoup se sont reconnus dans son témoignage,
01:48 parce que ce que l'enquête démontre,
01:50 c'est le côté assez systématique
01:52 et la machine abroyée qui se met en marche.
01:55 Et il y a les mêmes mécanismes à l'œuvre
01:57 dans les différents témoignages que j'ai pu rassembler.
02:00 Et oui, on a l'impression de ça.
02:02 On voit aussi que l'armée prend la parole,
02:05 on voit que les politiques essayent aussi maintenant
02:07 de s'emparer de l'affaire.
02:08 Là, la tendance fâcheuse à mettre les problèmes sous le tapis
02:12 commence à être impossible à faire.
02:15 Et je trouve que la prise de parole de Ninon ou de Manon
02:19 est d'autant plus importante.
02:20 Une enquête journalistique, c'est super,
02:22 mais des femmes qui ont vécu ça dans leur chair
02:25 et qui viennent sur un plateau le raconter,
02:26 c'est courageux et c'est nécessaire.
02:28 Ninon, en vous engageant dans l'armée,
02:30 on s'est un peu parlé avant cette interview,
02:33 vous saviez que ce serait, c'est ce que vous me disiez,
02:35 que ce serait dur psychologiquement,
02:37 que ce serait dur physiquement,
02:39 mais évidemment, vous n'imaginiez pas ce qui allait se passer.
02:42 Racontez-nous ce qui s'est passé.
02:44 Déjà, on n'est clairement pas entraînés pour ce genre de fait.
02:48 On est censés nous protéger et protéger les autres,
02:52 mais pas contre ça.
02:54 C'est ce que j'ai pu dire à Manon,
02:56 Manon Kérouil,
02:58 c'est que je me suis engagée pour mourir pour la France,
03:02 mais pas pour ces raisons-là.
03:03 Et c'est aussi pour ça que je suis là aujourd'hui.
03:07 Et c'est en commençant à travailler
03:11 que ce supérieur, que vous accusez de vous avoir agressé ?
03:15 -Tout à fait. -Assez rapidement ?
03:17 Assez rapidement, j'ai eu des menaces de viol.
03:22 Et c'est vers la fin de ma formation que c'est devenu très concret
03:25 et que les menaces sont devenues réalité.
03:28 Sans rentrer dans les faits,
03:31 sur mon dépôt de plainte, il est bien marqué "agression sexuelle".
03:36 Vous n'avez pas parlé tout de suite.
03:39 -Non. -Pour quelles raisons ?
03:40 Une formation générale initiale dure environ deux mois et demi.
03:49 Deux mois et demi où on est loin de notre famille.
03:52 Dans mon cas, majeure de promo, mais j'ai beaucoup travaillé pour ça.
03:56 Beaucoup, beaucoup, beaucoup. J'ai tout donné.
03:59 Les choses se sont installées...
04:04 Les choses se sont installées vraiment petit à petit.
04:08 Par contre, mon état de fatigue aussi.
04:10 Au bout d'un moment, on vise juste l'objectif.
04:13 Moi, tout ce que je voulais, c'était de terminer.
04:15 Et j'avais pu comprendre,
04:17 au vu de certains petits événements que j'avais pu rapporter à ma hiérarchie,
04:21 qu'à partir du moment où on parle, ça se passe très mal.
04:24 -On devient un problème quand on parle. -On devient un problème.
04:27 -Et là, on est dans pas de problème. -Non.
04:28 Donc j'ai appris très vite à garder le silence.
04:31 Et au vu de comment les choses se sont passées,
04:34 je pense avoir eu raison de ne pas avoir parlé directement.
04:38 Et outre ce souci-là,
04:39 mes autres camarades également victimes ne souhaitaient pas
04:43 ouvrir leur parole sur le moment.
04:47 J'ai respecté ce choix-là,
04:48 vu que le consentement est au centre de toute cette problématique.
04:51 Il était pour moi évident que la solidarité était plus importante
04:55 que ce que moi, j'avais envie de dire.
04:57 Je savais que j'allais en parler, je ne savais pas quand.
04:59 C'est à déterminer, quoi.
05:02 Manon Carruy-Brunel, le témoignage de Dinon, il est terrible,
05:05 et malheureusement, il n'est pas le seul, vous dites,
05:08 qu'il y a une similitude dans tous les témoignages que vous recevez.
05:13 Oui, excusez-moi. Oui, effectivement.
05:15 Alors, moi, j'ai pu parler à neuf victimes
05:18 quand on les a rassemblées à l'occasion de la photo de groupe,
05:22 parce qu'on était à tous assez d'accord
05:24 qu'il fallait porter une parole conjointe,
05:27 puisqu'elle avait été muselée pendant si longtemps
05:29 pour se faire entendre,
05:30 pour avoir une chance d'être entendue par cette grande muette.
05:33 On s'était dit qu'en rassemblant plusieurs personnes, on y arriverait.
05:36 Et quand elles se sont toutes rencontrées à l'occasion de cette photo,
05:40 elles ont toutes constaté...
05:42 Il y avait une part de soulagement à ne plus être seules,
05:45 et une part d'effroi à se dire
05:48 qu'en fait, on est toutes victimes des mêmes mécanismes.
05:51 Et c'est vrai qu'en fait...
05:52 Ce sont quels mécanismes exactement ?
05:53 Les mécanismes, c'est qu'à partir du moment où la victime prend la parole,
05:58 dénonce les abus dont elle a été l'objet,
06:01 il y a une machine qui se met en route,
06:03 et donc on est vu par un psychologue militaire
06:05 qui assez rapidement vous déclare inapte,
06:08 puisque par la force des choses, vous souffrez d'un trouble,
06:12 post-traumatique ou d'une dépression,
06:14 quand on a été agressé ou violé.
06:15 Et l'agresseur reste en place,
06:18 voire est promu,
06:19 et la victime, progressivement, est poussée dehors.
06:21 -C'est ce qui s'est passé pour vous, Ninon ?
06:23 -Tout à fait. Dans les grosses lignes...
06:25 Tout à fait.
06:26 Ça s'est fait progressivement.
06:29 Le reste de l'encontrage est pratiquement passé à mon domicile.
06:34 J'ai été mise en arrêt.
06:36 J'arrivais pas du tout à gérer.
06:39 Et je ne pense pas me tromper
06:43 si j'affirme que...
06:45 mon régiment a tout fait pour que je m'en aille.
06:48 Donc, j'ai reçu de jolis courriers
06:52 m'annonçant que j'étais radiée des contrôles de l'armée
06:55 alors que j'étais en arrêt de travail,
06:57 apparemment de mon initiative,
06:58 initiative qui n'existe pas.
07:00 Je me suis bagarrée pour...
07:04 pour partir dignement.
07:06 -Il y a une cellule, en un mot,
07:11 une cellule aujourd'hui qui s'appelle la cellule Témis,
07:12 qui est censée recueillir la parole des victimes
07:15 au sein de l'armée.
07:17 -Absolument. -Elle ne fonctionne pas
07:19 ou pas correctement ?
07:20 -En fait, quand on voit le nombre de signalements à l'année,
07:23 à l'échelle des 300 000 fonctionnaires
07:26 rattachés aux armées,
07:27 je crois qu'on est à moins de 300 signalements,
07:29 ce qui est déjà très, très peu.
07:31 Donc, on se dit que c'est que le sommet de l'iceberg.
07:35 Et il y a moins de la moitié de ces signalements
07:37 qui ont donné lieu à des sanctions internes.
07:40 C'est-à-dire que la hiérarchie militaire ne prend pas en compte.
07:44 Et par ailleurs, cette cellule, elle est affiliée à l'armée.
07:47 Donc, les gens n'ont pas confiance.
07:49 Je sais pas pourquoi Manon ou Ninon
07:51 n'ont pas contacté cette cellule,
07:53 mais il y a une part de défiance.
07:55 -Ca a été fait. -Oui, après, ça a été fait.
07:57 -Comment t'as l'idée ?
07:58 C'est la dernière question aujourd'hui, Ninon.
08:00 -On fait aller.
08:02 Je travaille conjointement avec ma famille, mon conjoint,
08:05 les autres victimes, Manon Dubois, Manon Keroui.
08:08 C'est un grand pas, aujourd'hui.
08:10 C'est ce qui se passe.
08:11 Et ça fait une grande différence.
08:13 Je vais.
08:16 Je vais.
08:17 Dans le cadre de mon appartement, je vais.
08:20 Si je pense à tout ça, ma vie est...
08:22 Ma vie est détruite.
08:25 Ils m'ont tout arrachée.
08:27 J'ai tout donné.
08:29 C'est mon dernier espoir et je le lâcherai pas.
08:31 Je le lâcherai vraiment pas.
08:33 -Merci beaucoup. -Merci à vous.
08:34 -Merci à toutes les deux d'être venues ce matin.
08:37 -Merci pour le courage de votre témoignage